En  Argonne   (mars – novembre 1915)

 

 

Le lendemain de la Marne, l'Ar­mée du Kronprinz en retraite s'arrêtait dans la partie nord de la forêt d'Argonne, se réta­blissait sur la ligne générale Servan-Varennes et s'y organisait défensivement.

Dès le milieu de septembre 1914, nos troupes se trouvaient sur ce front en présence d'un adversaire très actif, pourvu de tous les moyens de la guerre de siège, à la puis­sance desquels notre matériel ne pouvait répondre.

Aussitôt commence une longue bataille sous bois qui, par suite de la nature du terrain et des difficultés de la lutte, revêt bientôt un caractère d'acharnement extrême.

 

 

Longue d'environ 60 kilomètres, sur une lar­geur moyenne de 12, la grande forêt d'Argonne se composait de magnifiques arbres séculaires, chênes et hêtres surtout, sous la haute futaie des­quels s'abritaient un taillis touffu de pousses plus jeunes, et, en certains endroits, un fourré très épais et presque impénétrable.

Le sol de cette forêt est d'une humidité carac­téristique ; les sources y jaillissent partout, jus­qu'au sommet des crêtes, et le terrain d'une argile épaisse retient prisonnières, sans aucune issue, les eaux qui ruissellent de toutes parts ; aussi le moindre trou se change t il en puits de boue, la moindre dépression en marécage.

La plus petite piste, où le sol est tant soit peu frayé, devient vite une ornière gluante.

Pour que les sentiers forestiers ne soient pas impraticables, il faudra les « parqueter » d'une couche de rondins ; quant aux tranchées, il faudra sans cesse vider l'eau qui s'y accumule.

La vallée de la Biesme coupe la forêt à peu près du sud au nord; mais, à droite et à gauche de cette dépression, s'ouvrent des ravins à pente raide, aux berges escarpées, créant de nouvelles difficultés aux combattants et nécessi­tant, à travers les obstacles, des tranchées en zigzag, au tracé particulièrement capricieux et compliqué.

 

Le chef allemand qui commandait les forces ennemies dans ce secteur était le général Von MUDRA , sapeur distingué; en plus du XVIe Corps, il dispo­sait de nombreuses compagnies de pionniers, pré­levées sur la place de Metz, qui lui fournissait, d'ailleurs, un matériel inépuisable.

De notre côté, le 2e Corps d'Armée tenait le sec­teur sous le commandement du général Gérard.

La lutte s'engageait dès le milieu de septembre et se poursuivait sans interruption pendant tout l'hiver. L'état-major allemand manifestait aussitôt un grand intérêt aux événements de l'Argonne

Le vieux maréchal von Haeseler venait s'installer dans un village du secteur pour suivre de près les opérations.

Le Kronprinz, de son Quartier Général de Stenay, se rendait assez fréquemment sur ce front, et le Kaiser lui-même y apparut plus d'une fois. Par la poussée sur les Hauts de Meuse qui, dès la fin de septembre, le rendait maître de Saint-Mihiel, le Haut Comman­dement allemand avait fait un pas vers l'inves­tissement de Verdun, qu'il envisageait comme un de ses objectifs principaux.

S'il parvenait, par une pression continue et irrésistible, à prendre pied sur la route Sainte ­Menehould - Verdun, et à menacer ou à couper la voie ferrée, il réaliserait ainsi, à l'ouest de cette place tant convoitée, une avancée analogue à celle de Saint-Mihiel à l'est.

De là, l'activité incessante de l'ennemi dans ce secteur, de là ses efforts et ses sacrifices pour conquérir pied à pied un terrain âpre et tour­menté, que nos troupes défendirent avec une ma­gnifique bravoure.

De là, enfin, l'importance que la trompette de l'Agence Wolff tentait de donner aux plus minimes succès allemands, transformés par elle en claironnantes victoires.

 

Le 8 janvier, au moment où il était relevé en Argonne par le 32e Corps d'Armée, le 2 Corps, dans une lutte ininterrompue de trois mois et demi, avait perdu 389 officiers dont 118 tués, et 21380 hommes dort 3200 tués, 11958 blessés et 6182 disparus ; la plupart de ces derniers étaient des combattants tombés entre les lignes et qu'il n'avait pas été possible de relever.

Dans ce secteur, on a vu que, dans les premiers mois de 1915, l'ennemi lance plusieurs attaques violentes, qui lui valent quelques succès locaux rapidement neutralisés par nous.

 

Pendant tout le mois de mai , la vivacité de la lutte en Argonne occidentale, sur le front du 32e Corps d'Armée, persiste.

Le but poursuivi par l'ennemi semble toujours le même : s'emparer du saillant de Bagatelle qu'il enveloppe et bat de feux convergents, en combinant une attaque directe avec des actions sur les flancs.

 

Une attaque générale exécutée le 1 mai sur tout le front de Bagatelle avec une brigade entière n'a procuré aux Allemands qu'un succès minime.

 

Le 8 mai, après un très vif bombardement et une explosion de mines, l'ennemi prononce une nouvelle attaque sur ce point. Pendant quatre heures, sur le front de deux bataillons, le combat se poursuit autour des postes avancés et devant nos tranchées de première ligne; lutte acharnée à coups de pétards, de fusils, de baïonnettes, et même de haches et de serpes. Malgré l'emploi de gaz asphyxiants, l'ennemi est finalement repoussé en laissant de nombreux cadavres sur le terrain.

Mais, de notre côté, le 19e bataillon de chasseurs perd 3 officiers et 130 hommes; le 94e régiment d'infanterie est également assez éprouvé.

 

Le 9 mai, en même temps qu'ils font sauter deux mines à Fontaine-Madame et devant les tranchées de la Sapinière, les Allemands attaquent de nouveau à Bagatelle,. appuyés par un tir violent de 105, de 150 et de grosses bombes. 

Nous les repoussons après une lutte qui dure deux heures.

Toute la nuit, l'ennemi fait usage de gaz  asphyxiants et lance des pétards; nous répondons par des pétards et des bombes.

 

Le 11 mai, après une journée marquée par des tirs de minenwerfer, l'ennemi prononce entre 20 et 22 heures une série d'attaques partielles vers Bagatelle. En même temps, il ouvre une vive fusillade à Marie-Thérèse et à Blanleuil, il y fait sauter deux mines en avant de nos tranchées, puis, 21 heures, il tente une attaque par surprise qui échoue.

 

Le 12 mai, nouvelles explosions de mines. A Bagatelle, la journée semble d'abord se borner à une lutte active de bombes et d'engins. Brusquement, vers 15 heures, sans aucune préparation, l'ennemi se jette sur notre ligne avancée ; il est rejeté après un violent combat de pétards et de grenades.

 

Le 13 mai, nouvelle attaque : une centaine d'Allemands pénètrent à quelques mètres de nos tranchées, mais sont rejetés à coups de pétards.

 

Les 14 et 15 mai, explosions de mines auxquelles nous répondons par de semblables explosions.

Dès lors, la lutte souterraine se poursuit avec une intensité croissante. Chaque jour trois, quatre  explosions, parfois davantage, se produisent, faisant sauter des éléments de tranchées, des postes d'écoute, enfouissant fréquemment leurs défenseurs.

Devant nos tranchées avancées du secteur de Bagatelle, une centaine d'entonnoirs jointifs forment un chaos ininterrompu.

Notre réseau de mines offensif se développe; chaque jour nous en faisons jouer quatre ou cinq, bouleversant les travaux avancés de l'ennemi en camouflant ses fourneaux de mines.

A chaque nouvelle explosion s'engage une lutte immédiate de bombes et de pétards, chacun s'efforçant d'occuper l'entonnoir; fréquemment, nous occupons un des rebords et l'ennemi l'autre, et de là se poursuit un échange de grenades incessant.

Ces actions multiples s'accompagnent de violents bombardements par obus de tous calibres. Sur tout le secteur de Bagatelle , la Sapinière ,Blanleuil , Marie Thérèse, les lignes adverses s'affrontent à 5,10 ou 20 mètres ;en beaucoup de points, notre réseau de sapes et de tranchées s'enchevêtre inextricablement avec celui des Allemands.

Cette lutte acharnée, incessante, inexorable, qui se poursuit sur terre et sous terre, nous coûte journellement 8o à 100 hommes hors de combat.

 

patientez  un peu ...................

Du 6 mai au 15 juin, nous avons infligé à l'ennemi 78 explosions ; le génie a travaillé sans relâche à cette oeuvre difficile et périlleuse.

Les conditions de la lutte rapprochée, dans un terrain couvert, ont amené la substitution presque complète du pétard au fusil.

La consommation d'engins explosifs atteint des proportions énormes; du 6 au 15 juin, le 32e Corps d'Armée n'utilise pas moins de 90000 pétards.

D'autre part, il faut réparer constamment les brèches faites dans les tranchées bouleversées, constituer des barrages dans les boyaux. Le Corps d'Armée a ainsi utilisé 53200 sacs à terre, 740 châssis de mines, 2.800 créneaux en bois, 200 boucliers d'acier.

Pour soutenir la lutte dans ces conditions, il faut aux troupes une vigilance incessante et un moral à toute épreuve.

 

Le 32e Corps d'Armée fournissait depuis cinq mois un admirable effort, mais au prix de lourdes pertes ; du 17 janvier au 5 mai : 6082 tués, 10636 blessés, 10148 malades évacués ; du 5 mai au 15 juin : 579 tués, 2.582 blessés, 4.640 malades.

 

Au combat de mines acharné, qui caractérisait la lutte pendant la période précédente, va succéder, sur tout le front du 32e Corps d'Armée, une série d'attaques plus ou moins générales, exécutées par l'ennemi avec des forces considérables.

 

A partir du 15 juin, la répartition des secteurs et la composition des troupes sont les suivantes

Le secteur est limité à l'ouest par la route de Binarville à Vienne-le-Château. Le 32e Corps d'Armée dispose, pour occuper la partie gauche de son front jusqu'à l'ouvrage central, de la 241e brigade (55e et 112e régiments d'infanterie) et de la 126e division.

Dans le secteur de La Harazée, se trouvent le 44e colonial et le 261e régiment d'infanterie.

 

Dès le 16 juin, l'activité de l'artillerie augmente dans presque tous les secteurs ; les tranchées de la face est de Bagatelle sont bouleversées, cinq mines explosent dans cette journée devant notre front.

 

Le 17, au petit jour, un groupe ennemi surgit sans aucune préparation et se jette sur un élément avancé de notre ligne, où il réussit à se maintenir malgré nos contre-attaques menées par quatre compagnies.

 

Le 18 juin, à Bagatelle, tandis que le bombardement reprend avec violence, trois mines nouvelles font explosion et endommagent nos tranchées à la Sapinière, au Ravin-sec et à Blanleuil. (journal de marche du 161e régiment)

L'ennemi lance dans nos lignes un billet ainsi conçu : « Vous avez beau faire venir le 15e Corps, nous résisterons jusqu'au bout. Méfiez-vous. » Un prisonnier raconte que deux batteries de 210 viennent d'arriver dans le secteur.

Le soir, un nouveau message est lancé par-dessus nos parapets, qui précise la menace: « Artilleurs français, vous vous rappellerez le 20 juin.

 

Le 19, la lutte de mines s'accompagne d'un combat de bombes très violent qui nous coûte 150 hommes

 

Le 20 juin, l'ennemi, comme il l'a annoncé, prononce une offensive générale depuis Bagatelle jusqu'aux lisières ouest de la forêt, sur le front du 32e Corps d'Armée et la droite du 5e Corps.

Dès 2h30 du matin se déclenche une prépa­ration d'artillerie très violente de projectiles de tous calibres et de minenwerfer, accompagnés d'obus asphyxiants en grand nombre.

A 4 heures, à Bagatelle et à Blanleuil, à la suite d'une action à coups de pétards, l'ennemi lance deux attaques d'infanterie, qui sont repoussées après une lutte très vive. Les tirs de bombardement reprennent alors et redoublent d'intensité jusqu'à 7h30

A ce moment, se produisait la relève dans le secteur tenu par la, 251e brigade, les unités du 55e régiment d'infanterie venant remplacer celles du 112e.

La violence du bombardement empêche l'exécution complète de cette opération.

A 7h30, le bombardement cesse subitement sur les premières lignes, mais continue sur les deuxièmes et les arrières, où tombent en grandes quantités des obus asphyxiants. Nos postes avan­cés de la 251e brigade, complètement écrasés, cèdent.

L'ennemi qui a attaqué en masse, sa droite à cheval sur la route de Binarville, réussit à prendre pied dans notre première ligne, sur le saillant de la tranchée Labordère, et cherche à s'étendre ; mais une contre-attaque vigoureuse de la compagnie de réserve de secteur du 112e régi­ment d'infanterie arrête momentanément cette tentative et fait quelques prisonniers.

Toute la matinée, la lutte se poursuit sans arrêt des fractions ennemies qui ont réussi à enfoncer la pre­mière ligne du secteur voisin, à l'ouest de la route de Binarville, commencent à prendre d'enfilade la gauche du secteur du 32e Corps d'Armée, tenue par le 55e régi­ment d'infanterie.

En présence de cette menace, quatre bataillons des 155e et 154e régiments d'infanterie de la ré­serve du Corps d'Armée sont mis à la disposition, l'un du secteur voisin de l'ouest, les trois autres du général commandant la 4e di­vision, pour contre-attaquer.

Après une préparation exécu­tée par toute notre artillerie, trois contre-attaques sont lancées.

La première prend comme objectif l'ouvrage Labordère, d'où l'ennemi cherche à progresser vers nos deuxièmes lignes qu'il menace d'atteindre.

 

Trois compagnies du 154e régiment d'infanterie et une du 155e réussissent, après plusieurs tenta­tives, à refouler l'ennemi sur la pointe du saillant; elles s'y maintiennent énergiquement jus­qu'au soir, où à 30 mètres de l'adversaire, elles creusent une tranchée de raccord, coupant la pointe du saillant.

Cependant la compagnie d'extrême gauche du secteur (55e régiment d'infanterie) continue à résis­ter avec la plus grande énergie.

Elle rejette tou­tes les attaques sur son front et sur son flanc complètement débordé : cinq fois elle refoule l'assaillant, mais finalement elle est contrainte à se replier.

Une deuxième contre-attaque, lancée à 16 heu­res au centre, rejette l'ennemi dans la tranchée de première ligne, mais sans pouvoir l'en chasser. Une troisième contre-attaque se déclenche à la même heure, à cheval sur la route de Binarville.

Après une courte progression, elle se voit arrêtée par un tir de mitrailleuses, débordée sur sa gau­che et, après un léger recul, se maintient pénible­ment.

 

En résumé, à 19 heures, nos contre-attaques, sans regagner la totalité du terrain perdu, ont arrêté définitivement la progression de l'ennemi en le rejetant sur la première ligne.

 

Toute la nuit des actions locales d'infanterie se succèdent au milieu de violents tirs d'artillerie. Vers 3 heures, le feu se ralentit, et nous en profitons pour conso­lider les positions reconquises.

Mais, dans cette dure journée du 20 juin, nos pertes ont été très lourdes : 271 tués, 1450 bles­sés, 495 disparus. Au total: 2216 officiers et hommes.

En outre, le matériel perdu ou détruit se chiffre par 3 canons de 58, 6 mortiers de 70, 1 mortier de 90.

On estime que le bombardement ennemi a atteint la dépense de 25000 coups de canon de tous calibres, du  77 au 210, accompagnés d'un véritable barrage de gaz asphyxiants sur nos deuxièmes lignes.

Mais, de son côté, l'ennemi a beaucoup souffert.

Ses prisonniers ont eu la sensation de rester les seuls survivants de leurs unités.

 Un prisonnier du 127e régiment wurtembergeois déclarait que son régiment avait perdu 180 tués et 600 blessés dans cette seule journée.

 

Le lendemain 21 juin, dans le secteur de Baga­telle, l'ennemi reprend une préparation d'artil­lerie méthodique ; il écrase nos premières lignes et l'emplacement de nos réserves sous un bombar­dement qui est une véritable attaque par le feu

 

Du 21 au 26, plusieurs mines explosent, causant des dégâts considérables; le bombardement d'ar­tillerie continue et s'accompagne de luttes de bombes à la Sapinière, à Blanleuil et à l'ouvrage Marie-Thérèse.

 

Le 27 juin, après un violent tir d'efficacité de notre artillerie, nous déclenchons deux attaques locales qui progressent très difficilement dans les boyaux ; l'une d'elles est menée par deux compa­gnies du 154` régiment d'infanterie, avec le concours d'appareils Schilt, lançant du pétrole enflammé.

 

Le 29 juin, le bombardement ennemi devient d'une intensité sans précédent. On compte 162 tor­pilles tombant sur nos lignes, dont plusieurs hautes de 1,10m. Toutes nos tranchées des première et deuxième lignes sont démolies, nos abris de mitrailleuses détruits, nos communications interrompues.

Nos hommes entendent des commandements dans les tranchées d'en face tout fait prévoir une attaque imminente, résolu­ment attendue.

 

Le 30 juin, les Allemands prennent l'offensive; mais au lieu d'être localisée à Bagatelle (défendu par le 8e chasseurs), la lutte s'étend sur tout le front du 32e Corps d'Ar­mée, de la route de Binarville au Four-de-Paris.

Dès 4 heures, l'ensemble de la position est soumis à un bombardement par pièces de tous calibres, surpassant en violence et en précision ce qu'on avait vu jusqu'alors : projectiles de 150, de 210 et de gros minenwerfer.

Toutes les tran­chées de première ligne sont démolies et écrasées, une grande partie des défenseurs ensevelis, tués ou blessés.

Sous le couvert de cette préparation, l'ennemi prononce trois attaques d'infanterie successives et finit par percer tout d'abord à l'Ouvrage cen­tral et à la gauche du cimetière.

D'autre part, à la suite d'une série de combats locaux, dans lesquels nos troupes ont à soutenir une lutte acharnée, l'ennemi, malgré des pertes considérables, notamment devant le front de Bagatelle, s'avance jusqu'au poste de comman­dement de Beaumanoir. Plusieurs fractions attei­gnent la cote 213.

Cependant, nos contre-attaques menées par quatre bataillons, dont la première, particuliè­rement brillante, exécutée par le 16e bataillon de chasseurs, réussissent, vers 11 heures, à nous assurer le Réduit central et à dégager la cote 213 et Beaumanoir.

Mais, vers 13 heures, nous sommes contraints d'abandonner la Sapinière et la première ligne de l'ouvrage Blanleuil, attaquées depuis le matin sans succès et couvertes d'un nuage persistant de gaz asphyxiants qui s'étend jusqu'à La Harazée.

Une vigoureuse contre-attaque d'un bataillon du 151e régiment d'infanterie nous remet en pos­session d'une partie de l'ouvrage de Blanleuil, sur la crête même.

Au saillant Triboullier, perdu dans la matinée, des contre-attaques répétées du 162e régiment d'infanterie nous permettent de reprendre, au cours de la nuit, une partie des éléments perdus. La lutte continue acharnée, dans l'après-midi, sur tout le front ; vers 16h30, à la suite d'un violent bombardement, l'ennemi attaque de nou­veau et parvient à s'emparer des derniers éléments de notre ancienne première ligne. Toute la nuit est employée à consolider notre nouveau front et à remettre de l'ordre dans nos unités.

 

Le 1 juillet, vers 3 heures, à l'est de la route de Binarville, l'ennemi lance une attaque sans préparation d'artillerie.

Elle est arrêtée par notre feu.

D'autre part, vers 4 heures, le 151e régiment d'infanterie exécute une attaque sur la gauche du secteur de Bagatelle pour reprendre la crête de Beaumanoir; mais, reçu par un ennemi supérieur en nombre, pris sous le feu d'innombrables mitrail­leuses et de canons de gros calibre, il ne peut pro­gresser malgré tous ses efforts.

 

Nos pertes subies dans ces vingt-quatre heures sont très lourdes : 45 officiers et plus de 1500 blessés ont été évacués, plus du double tués ou disparus.

Le 8e bataillon de chasseurs, qui s'est battu héroïquement, est réduit au commandant, à 3 sous-lieutenants et à moins de 200 hommes.

La 251e brigade a perdu de 800 à 1000 hommes. On signale, en outre, 2 commandants de brigade, 5 officiers d'état-major tués ou blessés.

 

Le 2 juillet, dès le matin, notre artillerie exé­cute des réglages sur les positions ennemies. L'artillerie allemande se con­tente d'abord de répondre à notre tir ; puis, à midi, elle déclenche un bombardement d'une extrême violence sur nos premières lignes, et en arrière de celles-ci de véritables bar­rages d'obus à gaz.

A Bagatelle, l'ennemi attaque avec un effectif évalué à une brigade. Sur notre gauche, vers Beau manoir, il échoue, contenu parles éléments du 16e bataillon de chasseurs et du 94e régiment d'infanterie, amené dans la nuit.

Mais à droite il progresse, mal­gré les efforts des 151e et 154e des infiltrations atteignent même la cote 213.

 Mais une magni­fique contre-attaque à la baïon­nette, exécutée au son de la charge par les troupes en sec­teur: compagnies du 16e batail­lon de chasseurs, du 94e régiment d'infanterie et du 162e, refoule l'ennemi qui se retire en désordre avec de grosses pertes.

La situation est rétablie.

Cependant quelques fractions ennemies s'in­filtrent encore à droite; la dernière troupe dispo­nible, une compagnie-du 63e régiment territorial, les rejette vigoureusement et rétablit la liaison avec le secteur de La Harazée.

Dans ce secteur, la lutte n'a pas été moins vio­lente. L'ennemi pénètre dans nos lignes par le fond du Ravin-Sec ; après un bombardement intense, nous évacuons Blanleuil, complètement écrasé.

Dans la vallée de la Fontaine-aux-Charmes nous perdons, puis reprenons la Tranchée des Mitrailleuses; près de la route de Binarville, l'ennemi a réussi à progresser, mais il est contenu par nos contre-attaques.

La nuit, l'activité se maintient; fusillade très vive et tirs d'artillerie violents.

Enfin, la lutte s'arrête peu à peu.

L'ennemi a été très éprouvé ; mais, de notre côté, toutes les troupes ont été engagées jusqu'à la dernière compagnie de réserve, nos hommes sont épuisés et nos unités presque dépourvues de leurs cadres.

 

Dans cette période du 16 juin au 3 juillet, les pertes du 32e Corps d'Armée atteignent le chiffre de 13000 tués, blessés ou disparus, dont 257 officiers.

Malgré l'état de fatigue qui résultait d'une lutte de près de six mois en Argonne, lutte incessante et particulièrement dure, ces troupes ont fait face aux plus rudes efforts sans une défaillance, sans un flottement et, jusqu'au bout, avec une ténacité et un courage admirables.

Toute notre première ligne allant du plateau de Bagatelle à la route de Binarville a été perdue du 20 juin au 2 juillet; mais l'ennemi n'a pu réaliser ces gains qu'en écrasant les défenseurs sous les décombres de leurs tranchées, grâce à la puissance de son artillerie.

Sur tous les points, nos contre-attaques ont été menées avec vigueur ; et c'est devant nos baïonnettes que l'avance allemande est venue se briser le 2 juillet.

 

Bien que le succès remporté par l'ennemi fût purement local, le commandant de la 3e Armée, le général Sarrail, n'entendit pas rester sur cet

échec. Il décide de réagir et de reprendre l'initiative.

 

Dès le 2 juillet, il fait connaître que la 128e di­vision va entrer en ligne, qu'avec l'appoint de cette troupe fraîche il appartient au général commandant le 32e Corps d'Armée d'interdire à l'ennemi de faire un pas de plus, et qu'une attaque générale sera entreprise dans quelques jours, dès que l'Armée aura reçu les canons de gros calibre qui lui manquent.

 

L'instruction du 9 juillet prescrit que le 32eCorps d'Armée, renforcé par la 128e division et par la 15e division coloniale, ainsi que par l'artillerie lourde supplémentaire attribuée à la 3e Armée, attaquera sur tout le front compris entre la région du bois Beaurain, à la lisière ouest de l'Argonne, et le saillant Triboullier, au nord de la route de Saint-Hubert.

Cette opération sera appuyée, à droite, par une attaque qu'exécutera le 5e Corps d'Armée, à cheval sur la Haute-Chevauchée. Le 15e Corps d'Armée couvrira la gauche du 32e Corps.

La date de l'opération est fixée au 12 juillet; mais en raison de l'insuffisance des réglages d'artil­lerie, le général Sarrail décide de la reporter au 14

 

Dès les premiers jours de juillet, on poussait activement les travaux préliminaires, un important matériel était réuni dans les tranchées,

notamment 15 canons de 58.

Mais ces préparatifs éveillèrent probablement l'attention de l'ennemi, qui résolut de nous devancer et de contrarier nos projets en Argonne occidentale par une attaque en Argonne orientale.

Dans cette dernière région, le 5e Corps d'Armée occupait sur les deux rives de l'Aire un secteur compris entre la Biesme et la Buanthe, dont le front s'étendait du Four-de-Paris à Vauquois.

L'organisation comportait deux positions suc­cessives, la première constituée par des tranchées trop rapprochées, échelonnées sur une faible profondeur de 100 à 150 mètres, et dont les plus avancées couraient à une distance des premières lignes ennemies variant entre 20 et 150 mètres.

Adossée à gauche au vallon très encaissé des Courtes-Chausses, elle développait plus à l'est deux saillants, l'un à cheval sur le parc des Meurissons, l'autre en face de l'éperon 263. En arrière de ces points faibles, on avait ménagé des réduits.

Sur le front du 5e Corps d'Armée, la répartition des secteurs de divisions était la suivante : à droite, la 1e division tenant la rive gauche de l'Aire avec une brigade ; au centre, la 9e division, installée à cheval sur la Haute-Chevauchée, sa droite à l'Aire ; à gauche, la 125e division s'étendant jusqu'à la Biesme.

 

Le 13 juillet, au matin, sur le front attaqué par l'ennemi, la 9e division avait encore en première ligne deux régiments, le 4e régiment d'infanterie vers la croupe 263, le 113e en avant de la hauteur 285.

Le 66e bataillon de chasseurs et le 82e régi­ment d'infanterie formaient réserve, partie dans les baraquements, partie en cantonnement d'alerte à Clermont-en-Argonne.

La 125e division occupait, avec le 91e régiment d'infanterie, le fond des Meurissons, avec le 76e, la ligne des Courtes-Chausses.

Les 72e et 131e régiments d'infanterie, en réserve, s'échelonnaient dans la vallée de la Biesme.

 

Le 13 juillet, à 4 heures, une puissante artillerie ennemie ouvrait, sur tout le front compris entre la hauteur 263 et le ravin des Courtes-Chausses, un violent bombardement, précurseur de l'assaut. Bientôt on apprenait par un déserteur que l'attaque devait se produire vers 10h30, entre le Four­de-Paris et Vauquois.

 

Le commandant du 5e Corps d'Armée prenait immédiatement ses premières dispositions: il faisait errer les réserves de divisions, soit 9 bataillons, et les tenait prêtes à riposter par de vigoureux retours offensifs.

Cependant, notre artillerie avait tendu des barrages et répondait immédiatement à l'artillerie ennemie.

D'autre part, le commandant de l'Armée avait remis à la disposition du 5e Corps d'Armée la bri­gade maintenue en réserve de groupe d'Armées.

Le 89e régiment d'infanterie, transporté en camions automobiles jusqu'au Claon, reçut l'ordre de con­tinuer par échelons sur la Croix-de-Pierre et de s'y établir en position d'at­tente. On pou­vait espérer que le premier ba­taillon serait  amené à pied d’œuvre vers midi.

Enfin, le 46e régiment d'infanterie fut maintenu alerté à Parois-Vraincourt, en attendant que la situation s'éclaircît du côté de la 1 e di­vision.

Cependant, dès 6 heures, tout en poursuivant la destruction de nos premières lignes, les Allemands, pouf gêner les mouvements des renforts, tendaient, â hauteur de la Pierre-Croisée et de la Maison Forestière, à cheval sur la Haute-Chevauchée, deux barrages d'obus asphyxiants.

Ce tir s'effectuait par salves de quatre coups, échelonnées de 30 en 30 secondes, les rafales durant une demi-heure et étant suivies de périodes de ralentissement plus ou moins longues.

Peu â peu, par un temps très calme qui favorisait la stagnation des gaz asphyxiants , un nuage blanchâtre à odeur d'amandes amères, piquant les yeux et provoquant une sensation de suffocation, s'élevait au-dessus du sol et s'accumulait dans les fonds, les tranchées et les abris.

Les hommes de renfort, munis de masques, purent franchir les barrages sans être trop incommodés;­mais la situation des éléments immobilisés dans la zone battue devint vite intenable.

C'est ainsi que l'état-major de la 9e division dut quitter son abri de Pierre-Croisée et que les servants des deux batteries lourdes de la Maison Forestière furent réduits, à plusieurs reprises, à abandonner leurs pièces.

Le bombardement systématique des tranchées de première ligne et de soutien par patientez un peu..............................
des obus de gros calibre et les projectiles de minenwerfer se poursuivait parallèlement à l'établissement des barrages de gaz asphyxiants.

Il semble aussi que les Alle­mands aient uti­lisé, pour lan­cer ces gaz, des bombes de grande capacité ou des appareils d'émission mas­qués sous case­mates à cré­neaux bas.

Quoi qu'il en soit, lorsque, vers 8 heures, l'attaque d'in­fanterie se pro­duisit sur la cote 263, les tran­chées étaient en grande partie détruites ; cer­taines fractions du 4e régiment d'infanterie cédèrent sous le choc, et l'ennemi s'infiltra dans nos lignes en plusieurs points.

Le général de division dut aussitôt faire appel à ses réserves; une contre­ attaque d'un bataillon du 82e régiment d'infante­rie réussit momentanément à enrayer la progres­sion de l'ennemi.

Mais, à 10h30, une nouvelle attaque allemande ayant pour objectif la hauteur 285 perçait les lignes du 4e régiment d'infanterie, refoulait le 113e et pénétrait jusqu'à la hauteur 285.

Les deux derniers bataillons du 82e régiment d'infanterie furent jetés en avant, entre les hau­teurs 263 et 285, pour enrayer ce mouvement.

Mais, un peu plus tard, on apprit que la droite de la 125e division cédait, que le 91e régiment d'infanterie était écrasé, que le 113e reculait; déjà l'ennemi s'approchait de Pierre-Croisée.

Le géné­ral commandant la 9e division n'hésita pas à engager ses derniers effectifs : le 66e bataillon de chasseurs. Il lui ordonna de reprendre à tout prix la hau­teur 285.

La contre-attaque se produisit entre 13 et 14 heures.

Dès midi, les dispositions avaient été prises pour faire serrer les réserves du Corps d'Armée.

Le 89e régiment d'infanterie reçut par téléphone l'ordre de pousser ses deux bataillons de tête au fur et à mesure de leur arrivée jusqu'à la Maison Forestière et de les tenir à la disposition du géné­ral commandant la 9e division, pour le cas ou' leur intervention deviendrait nécessaire.

Le 3e bataillon devait rester à la Croix-de-Pierre, à la disposition du général commandant le Corps d'Armée.

D'autre part, du côté de la 10e division, le bom­bardement restait modéré; aucune attaque n'appa­raissait imminente.

Le 46e régiment d'infanterie reçut en conséquence l'ordre de se mettre en marche sur la Croix-de-Pierre. A 13 heures, toutes ces dispositions étaient en voie d'exécution.

Mais, dès 14 heures, le commandant du 5e Corps d'Armée avait pris la décision de faire donner toute la fraction de la réserve de Corps d'Armée arrivée à la Maison Forestière (deux bataillons du 89e régiment d'infanterie), pour rétablir la situa­tion sur la Haute-Chevauchée et la croupe de la Fille-Morte.

Avant que cet ordre reçût son exécution, la si­tuation, bien que devenue meilleure, restait ce­pendant difficile.

Le 66e bataillon de chasseurs, au prix de pertes élevées atteignant 30% de l'effectif, avait réussi à prendre pied sur la croupe 285; mais les éléments de la 125e division, à gauche, résistaient avec peine à la pression de l'ennemi.

Pour assurer définitivement notre ligne de ce côté, le bataillon de tête du 89e régiment d'infanterie fut, à 15 heures, lancé à la gauche des chasseurs, et son intervention, des plus opportunes, nous permit d'assurer définitivement l'intégralité du front à l'ouest de la Haute-Chevauchée.

Un peu après 16 heures, le général Micheler (5e Corps d'Armée) se transportait au poste de commandement du général Arlabosse (9e division), à la Maison Forestière, pour envisager l'emploi des réserves encore disponibles.

La situation était à ce moment la suivante : du coté de la 125e division, la ligne tenait ferme; plus à l'est, les chasseurs occupaient la hauteur 285; le 4e régiment d'infanterie se maintenait dans le réduit du saillant 263; le 82e s'accrochait aux pentes abruptes entre ces deux points; mais la liaison restait mal assurée et, à chaque instant, la ligne était exposée à céder.

Le général commandant le 5e Corps d'Armée donna, en conséquence, l'ordre au commandant de la 9e division de prononcer une attaque pour dégager le front du 82e régiment d'infanterie, et mit, dans ce but, à sa disposition les deux bataillons restants du 89e.

L'artillerie lourde prépara l'entrée en action du 89e régiment d'infanterie en effectuant un tir de barrage contre les anciennes tranchées françaises; et, vers le nord, l'artillerie divisionnaire fut chargée d'appuyer plus immédiatement l'attaque.

Notre contre-attaque se produisit vers 18 heures.

Prise à partie par l'artillerie et surtout par les mitrailleuses ennemies, elle n'aboutit à aucun résultat décisif.

En fin de journée, nous n'avions pas réussi, malgré tous nos efforts, à reprendre la ligne de tranchées reliant la croupe 285 au réduit 263.

Mais la liaison était rétablie un peu en arrière.

A l'ouest de la Haute-Chevauchée, la ligne formée sur la crête de la Fille-Morte se reliait à la droite de la 125e division. Quant aux deux bataillons du 46e régiment d'infanterie, obligés de prendre dans la vallée de l'Aire des cheminements défilés pour échapper au tir de l'artillerie enne­mie et retardés, par suite, dans leur mouvement, ils constituèrent, à la Croix-de-Pierre, la réserve du Corps d'Armée.

A la 125e division, la lutte n'avait pas été moins chaude. De 3h30 à ici 10h30, un bombardement extrêmement intense de projectiles de gros calibre et d'obus asphyxiants lancés par minenwerfer, bouleversait les tranchées de première ligne et de soutien, du Fer-à-Cheval au réduit des Meurissons.

L'attaque suivait entre 10h30 et 11 heures.

Au réduit des Meurissons, la garnison, consti­tuée par un bataillon du 91e régiment d'infanterie, se cramponnait au sol sous un violent bombarde­ment, accompagné d'émission de gaz ; mais un jet de liquide enflammé forçait la compagnie de droite à reculer, et les Allemands s'infiltrèrent par le ravin des Meurissons.

Le commandant du batail­lon chercha alors à se frayer un chemin à la baïonnette. Les autres bataillons du 91e régiment d'infanterie se voyaient bientôt contraints, dans les mêmes conditions, de refluer vers les lignes de soutien, non sans subir de fortes pertes.

De vigoureuses contre-attaques des fractions disponibles, qu'appuyait le gros du 131e régiment d'infanterie, parvenaient à rejeter, un instant, l'ennemi dans le ravin des Meurissons.

Mais nous étions bientôt arrêtés par un feu terrible de mitrailleuses allemandes.

Les débris du 91e régiment d'infanterie mê­lés au 131e,cherchèrent à se reformer dans les ouvra­ges de la ligne de soutien. A gauche, ils se maintinrent dans les ouvra­ges 12 et 11 ;mais, à droite, ils ne purent que s'établir à la crête de la Fille-Morte.

Ils infligèrent de fortes pertes à l'ennemi qui attaquait en forma­tions compactes. Dans la soirée, la liaison avec la gauche de la 9e division était assurée.

Plus à l'ouest, le bataillon de gauche du 76e régiment d'infanterie, peu menacé, conservait ses tranchées de première ligne; mais les autres éléments de ce régiment, annihilés par les gaz asphyxiants et les jets de liquide enflammé, ne tardaient pas à se réfugier dans les ouvrages 13, 14 et 15 de la ligne de soutien. Ces ouvrages n'étant pas reliés entre eux, l'ennemi parvint à se glisser dans les intervalles; et six contre-attaques successives, effectuées par le 72e régiment d'infanterie, furent nécessaires pour conserver cette nouvelle ligne. Au cours de la nuit, la lutte se poursuivit partout sans interruption.

 

Le 13 juillet au soir, le général commandant le 5eCorps d'Armée prescrivait aux généraux com­mandant les deux divisions de reconstituer des réserves en arrière de leur front et de profiter de cette reconstitution pour rétablir, dans la mesure du possible, les liens tactiques en partie disloqués par le combat. (journal de marche du 161e régiment)

 

Pour le lendemain, 14 juillet, ordre fut donné d'attaquer l'ennemi afin de reprendre d'abord les ouvrages de la deuxième ligne en avant de la Fille­Morte et de la hauteur 285, et ultérieurement les tranchées perdues.

Le premier objectif de l'atta­que principale menée par la 9e division, ren­forcée des 89e et 46e régiments d'infanterie (deux bataillons), était de récupérer dans son intégralité la hauteur 285 et de consolider la liaison entre cette hauteur et le réduit de 263,toujours occupé par le 4e régi­ment d'infante­rie.

 

La nuit du 13 au 14 s'écoula sans incidents sérieux; mais, par suite du mau­vais temps, les liaisons furent difficiles. En dépit des plus grands efforts, on ne parvint à reconsti­tuer, en arrière de la première ligne, que des réserves partielles peu considérables, sauf au 89e régiment d'infanterie où six compagnies furent rendues disponibles.

Dans le secteur de la 9e division, notre attaque sur les ouvrages allemands 6, 7 et 8, déclenchée le 14, à 7h30, après une sérieuse préparation d'artillerie, fut arrêtée par un barrage d'obus asphyxiants et un bombardement intense sur nos lignes.

Renouvelée à 11 heures, elle parvint à progresser par ses ailes, se rapprocha par endroits très près de l'ennemi, mais finit par être enrayée.

Aussi bien devant la hauteur 285 (89e régiment d'infanterie et chasseurs) qu'entre cette hauteur et le réduit de 263 (un bataillon du 46e régiment d'infanterie), les efforts se poursuivirent toute la journée.

A 18 heures, le commandant du réduit de 273 rendait compte que, grâce à l'appui des fractions du 46e régiment d'infanterie, il avait pu progresser de 150 mètres sur sa gauche ; sa situa­tion n'en demeurait pas moins très difficile.

Du côté de la 125e division, le 131e régiment d'infanterie chassait définitivement, à 10h30, les Allemands du plateau de la Fille-Morte et prenait pied dans un élément de l'ouvrage 10.

Mais toute progression ultérieure fut arrêtée par les mitrail­leuses qui, tirant des abords de 285, prenaient nos troupes d'enfilade.

En même temps que nos soldats cherchaient à pénétrer plus avant dans les lignes allemandes pour récupérer les tranchées perdues, les efforts se poursuivaient en vue de hâter le renforcement du front et la construction de nouveaux ouvrages de soutien.

 

Dans la soirée du 14, le général commandant le 5e Corps d'Armée estima que le moment était venu de reconstituer les unités, complètement disloquées, et d'organiser les lignes de défense sur tout le front.

Tout en admettant la nécessité de tenir, comme première ligne, les points occupés par les unités les plus avancées, il prescrivit des reconnaissances en vue de la création d'une puissante position de résistance sur la crête de La Chalade et le Mont de Villers. Pour mener à bien l'organisation de cette position, tous les travailleurs disponibles furent mis à la disposition du colonel commandant le génie du Corps d'Armée.

 

En outre, dans la nuit du 14 au 15, un régi­ment du 15e Corps, tout en restant en réserve d'Armée, fut amené en arrière et à gauche du 5e Corps (112e régiment d'infanterie, débarqué au Claon).

 

Les pertes supportées dans ces deux journées par le 5e Corps d'Armée s'élevaient à 186 officiers et plus de 8000 hommes.

Comme matériel, nous avions perdu 24 mitrailleuses enterrées, brisées ou abandonnées, 14 mor­tiers de 58, 2 canons de 65 qui, installés sous casemates, n'avaient pu être retirés, mais dont les servants avaient enlevé les culasses.

L'ennemi, de son côté, paraissait avoir beau­coup souffert de nos contre-attaques; il avait engagé au moins six régiments et deux bataillons

de chasseurs appartenant au XVIe Corps d'Armée.

Dans l'ensemble, nos troupes avaient bien tenu devant la violence des attaques, et s'étaient signalées par des actions d'éclat.

Il faut citer, en particulier, la magnifique endu­rance du bataillon Tissier, du 4e régiment d'infan­terie, qui, au réduit de la cote 263, résista six jours dans des tranchées bouleversées, presque entouré, repoussant des contre-attaques inces­santes, de jour et de nuit, à coups de grenades et à coups de pétards, tout en soutenant la lutte par la sape contre les mines allemandes.­

Le 66e bataillon de chasseurs s'était distingué par sa brillante et vigoureuse contre-attaque qui nous rendait la hauteur 285.

Enfin, la batterie de mortiers  de 58, avant d'abandonner ses pièces à moitié ensevelies, réus­sissait à tirer la presque totalité des munitions accumulées en vue de notre attaque prévue pour le lendemain.

 

En résumé, grâce à la puissance extraordinaire de ses moyens matériels, artillerie de gros calibre, minenwerfer et surtout gaz et flammes, l'ennemi était parvenu à faire tomber nos premières tran­chées, et à pénétrer dans nos lignes.

Mais la vigueur de notre résistance avait permis de localiser rapidement ce succès que l'adversaire, très éprouvé lui-même, ne pouvait ni poursuivre, ni exploiter.

 

 

Cependant, en Argonne occidentale, les attaques se déclenchent le 14 juillet, conformément au plan qui n'a subi aucune modification.

Devant Marie-Thérèse et Bagatelle, notre progression est très faible, nous enlevons quelques tranchées dans la région de l'ouvrage Labordère; à la lisière ouest de l'Argonne, seulement, nous réalisons des progrès sensibles en occupant le bois Beaurain.

 

Mais celui-ci est reperdu le 15 juillet, après une série de contre-attaques violentes. Puis la lutte se stabilise dans l'Argonne occidentale, tandis qu'elle se poursuit âprement dans la partie orien­tale.

 

Les enseignements

Les événements des 13 et 14 juillet en Argonne orientale, comme ceux des 30 juin et 2 juillet en Argonne occidentale, comportaient pour nous divers enseignements.

 

Les attaques ennemies ont été préparées par des bombardements d'une extrême violence d'obus de gros calibre qui ont détruit nos premières lignes, et par un bombardement d'obus asphyxiants sur les arrières qui a rendu toute la zone presque intenable : elle a été précédée immédiatement par un tir sur nos tranchées avancées de gros minen­werfer, lançant des projectiles de 50 kilos.

Dans des conditions si défavorables pour nous, l'attaque s'est produite sans rencontrer la résis­tance habituelle de nos troupes; l'ennemi n'a eu qu'à cueillir tous les défenseurs qui se trouvaient plus ou moins anesthésiés dans nos premières tranchées. Ainsi s'expliquait le nombre consi­dérable de prisonniers, claironné par le radio allemand.

Dans cette région de l'Argonne, nos moyens matériels ne pouvaient rivaliser avec ceux mis en oeuvre par l'ennemi.

Nos obus asphyxiants n'avaient pas fait leurs preuves; quant à nos ca­nons de tranchée de 58, ils semblaient des jouets à côté des minenwerfer lançant avec précision un projectile chargé de 50 kilos d'explosifs.

Dans l'attaque du 3o juin, par exemple, une portion de tranchée, longue de 200 mètres, fut complètement détruite sur toute sa largeur, en moins de cinq minutes, par un tir de neuf batteries de minenwerfer.

En outre les Allemands avaient amené en Argonne une grande quantité de canons de gros calibres.

Lors de l'attaque du 20 juin, sur le front du 32e Corps d'Armée, depuis l'Aisne jusqu'à la route du Four-de-Paris à Varennes, nous avions pu

compter 25 batteries de 105, 9 batteries de 15 et 4 de 21; et dans la journée du 14 juillet, 35 bat­teries lourdes en action, en dehors des batteries beaucoup plus nombreuses de 77.

Mais, en ce qui concerne l'infanterie, dès que l'ennemi revenait aux procédés habituels du combat loyal, nos soldats montraient par la vigueur de leurs contre-attaques qu'ils étaient de taille à faire reculer l'adversaire.

C'est cette constatation qui a maintenu intact le moral de nos troupes, malgré les plus rudes épreuves.

 

« Cette lutte en Argonne est terrifiante, parce qu'elle ne cesse jamais ni de jour ni de nuit», écri­vait le général Sarrail dans un rapport.

« Depuis le 8 janvier, date à laquelle j'ai pris le commandement en Argonne, je n'ai vraiment pas connu de journée calme, bien que mes comptes rendus téléphoniques aient souvent employé ce terme, mais tout est relatif. Le calme n'existe jamais en argonne. Pour se faire une idée de ce qu'est cette lutte de pétards et de bombes, je dirai que si, au début, je fabriquais à l'Armée 2500 pétards par jour, je suis obligé aujour­d'hui d'en fabriquer 25000, et ce nombre sera encore insuffisant, tous les Corps en récla­mant.

« A ce jeu, les troupes s'usent vite. J'ai dit déjà que, depuis le 8 janvier, j'avais perdu en Argonne 1200 officiers et 82.000 hommes, presque la moi­tié de l'effectif de l'Ar­mée »

 

A la suite des événe­ments du mois de juillet en Argonne, le général Sarrail fut remplacé dans le commandement de la 3e Armée par le général Humbert.

 

 

A partir du 15 juillet, notre secteur en Argonne devient purement défensif. De son côté, d'ailleurs, l'ennemi manifeste une activité beaucoup moindre.

Jusqu'au mois de novembre, on ne signalera que deux attaques d'une certaine importance : les 10 et 11 août sur le ravin de la Houyette, où la 15e division d'infanterie coloniale perd une bande de terrain large de 600 mètres sur 200 de profon­deur ; le 8 septembre, sur Marie-Thérèse, où le 10e Corps d'Armée a remplacé le 32e, le com­muniqué allemand annonce la conquête d'un front de 3 kilomètres sur une profondeur de 3 à 500 mètres. Cette opération nous coûtait  49 offi­ciers et 2.460 hommes hors de combat.

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes  Aristide Quillet, 1922 »

 

 

2 combats dans la forêt d’Argonne :     Le bois de La Gruerie

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