En Champagne 1915
LA BATAILLE DE CHAMPAGNE (sept. 1915)
Bilan de la première journée
d’offensive
En ce même mois
de mars, se livra le combat de la ferme d'Alger.
On désignait
sous ce nom une auberge située près du fort de la Pompelle, au delà de la route
de Reims à Châlons. Depuis le recul de l'ennemi après la bataille de la Marne,
elle servait de point de mire à ses bombardements et à ses attaques par la
mine.
Le
1 mars, les Allemands lancèrent une attaque d'infanterie contre les
tranchées que nous occupions dans le voisinage immédiat de cette position. Un
sanglant corps à corps se déchaîna; mais notre artillerie, très avantageusement
postée, nous permit de repousser les assaillants et d'empêcher le départ des
réserves allemandes.
Un nouvel assaut
livré, avant le lever du jour, entre la ferme d'Alger et Prunay n'obtint pas de
meilleur résultat. Prises entre les feux croisés de nos grosses pièces, les colonnes
allemandes durent faire volte-face en laissant plus de 400 morts, blessés ou
prisonniers. D'une manière générale, jusqu'au printemps, notre Haut
Commandement ne laissa à l'ennemi aucun répit.
Nous
avions atteint, à la date du 20 mars, une avance moyenne de trois kilomètres
sur un front de sept kilomètres, par rapport à nos positions de janvier. Nos
positions nouvelles occupaient alors une ligne de hauteurs offrant une base
favorable pour les attaques projetées.
Cette
ligne se trouvait jalonnée par la lisière des bois au nord de Perthes, la route
de Tahure et la route de Maisons-de-Champagne.
Obligés
de renforcer leurs effectifs de Champagne, les Allemands s'étaient trouvés dans
l'impossibilité de transporter des forces en Russie. Ainsi avait été facilité,
conformément au plan des Armées alliées, le brillant succès remporté par les
Russes, du 25 février au 3 mars : retraite précipitée des Allemands, capture de
10000 prisonniers et de nombreux canons et mitrailleuses.
Durant cette période,
les pertes de nos adversaires étaient si lourdes que, dans son communiqué du 10
mars, l'État-major allemand ne reculait pas devant cet aveu: " Notre Armée
a perdu plus de monde en Champagne qu'à la bataille des lacs de Mazurie. "
Or, aux lacs de Mazurie,
l'Allemagne avait réuni quatorze Corps d'Armée et trois divisions de cavalerie.
D’après les mémoires de
l’ancien combattant Louis Sinolet .
BEAUSÉJOUR est un nom qu'il faut retenir. Il honore
magnifiquement ce corps d'élite qu'est l'infanterie coloniale et restera
inscrit dans ses fastes à côté de celui de Bazeilles.
Nos attaques contre le redoutable fortin avaient été
combinées avec une série d'efforts offensifs dans les régions de Perthes,
Souain et Mesnil, qui nous furent presque tous favorables. Aussi les premiers
jours de mars nous trouvèrent-ils maîtres de la première tranchée allemande, du
nord-ouest de Perthes au nord de Beauséjour.
En outre, nous
avions avancé au nord de Souain et de Mesnil, après avoir repoussé de furieuses
contre attaques, dans. lesquelles deux régiments de la
Garde prussienne éprouvèrent de grosses pertes, et nous laissèrent plusieurs
centaines de prisonniers.
Sur la croupe
nord est de Mesnil, un brillant assaut fit tomber entre nos mains un important
ouvrage fortifié. Aux environs de Perthes, l'élan du 124e régiment d'infanterie commença par rester infructueux. Trois
tentatives, contre une tranchée puissamment défendue, ne lui ayant pas apporté
le résultat espéré, il n'abandonna pourtant point la partie, et une quatrième
attaque poussée le 13 mars, avec une fougue inouïe, fini par nous livrer la
position.
Le 7 mars, nous avions entrepris, entre Souain et
Perthes, une action d'infanterie contre le bois Sabot. L'ennemi s'y était très
solidement fortifié sur une position dominante, que défendait le 1e régiment de
landwehr bavarois. Celui-ci avait creusé plusieurs boyaux conduisant à
l'arrière du bois. De notre côté, nous avions fait des travaux de terrassement
pour rapprocher notre ligne.
Après une
violente préparation d'artillerie, deux de nos bataillons, narguant tout un
dispositif meurtrier de mitrailleuses, se précipitent sur la première ligne
ennemie et s'en emparent.
Ils parviennent
également à occuper la seconde position; mais une pluie de gros projectiles
rendant alors impossible leur progression, ils doivent se contenter de mettre
en état, à la faveur de la nuit, les tranchées bouleversées qu'ils viennent de
conquérir.
Au petit jour,
ils repoussent à la baïonnette une contre-attaque, puis ajoutent deux cents
mètres à leur gain de la veille.
Du 9 au 12, notre position est consolidée et des
renforts nous permettent de la plus sûrement conserver.
Le 15 à, avant l'aurore, nos soldats prennent
comme objectif une très forte tranchée allemande communiquant avec trois de ces
boyaux que les Bavarois ont creusés à travers le bois.
Animées d'un
entrain magnifique, deux compagnies s'élancent et, sans se laisser arrêter par
les terribles feux, venant du blockhaus,
sautent dans la tranchée.
Sous la trombe
de fer et de feu qui ne cesse de les prendre d'enfilade, elles se maintiennent
tout le jour. Heureusement, nos obus de gros calibre ont fait brèche pendant la
nuit dans le blockhaus qui nous mitraille. Un dernier effort pour repousser
deux retours offensifs nous assure définitivement la conquête du bois Sabot.
Avec l'arrivée
du printemps, l'Armée du général Von Einem parut
gagnée par un esprit d'offensive et de réaction contre nos succès de l'hiver.
En avril, l'artillerie ennemie recommença le bombardement implacable du fortin
de Beauséjour.
Le 8 avril, une attaque de l'infanterie prussienne se
fit hacher par nos canons et reconduire par nos baïonnettes.
Le 25, au saillant nord, cinq fortes mines
explosent à proximité de nos tranchées, sans réussir à en chasser nos soldats,
qui occupent les entonnoirs.
En mai, l'ennemi entreprend l'attaque de Ville
sur Tourbe, qu'il convoitait depuis fort longtemps.
Depuis plus de
huit mois, il ne cessait de bombarder avec une impitoyable obstination cet
infortuné village, dont il avait fait une ruine sinistre parmi la floraison de
ses vergers. Les tranchées allemandes qui l'avoisinaient étaient dominées par
deux collines crayeuses que nous occupions.
Celles ci
étaient sillonnées de tranchées rejoignant le village par des boyaux et
constituaient une solide défense pour la tête de pont que nous avions établie
sur la rive nord de la Tourbe. A l'est, s'allongeaient les tranchées du
Calvaire.
Les Allemands
souhaitaient plus particulièrement conquérir la colline de l'ouest. De là, ils
auraient commandé tout notre système de défenses et de communications.
Aussi,
attachaient-ils à leur attaque projetée une extrême importance. Afin de mieux
s'y entraîner, ils l'avaient même « répétée » dans ses moindres détails
derrière leurs lignes, à la façon d'une pièce de théâtre.
Le 15 mai, à 6 heures du soir, les soldats des 3e et 7e régiments coloniaux se préparaient au service de nuit quand
trois mines, bourrées de vingt tonnes d'explosifs, sautèrent.
Propagée à
travers le sol, la formidable explosion vint bouleverser nos tranchées, dont
deux se fermèrent comme un tombeau sur leurs défenseurs. Les entonnoirs étaient
profonds de vingt mètres et larges de cent. En même temps, pour arrêter tout
secours, une tempête de mitraille balayait nos chemins d'approche.
Les marsouins
valides sautèrent sur les armes.
Déjà, une
colonne allemande, forte de deux bataillons, assaillait les lignes du 7e régiment colonial et occupait bientôt notre saillant défendu
par une sorte de blockhaus, l'ouvrage Pruneau.
Le régiment fut
décimé et perdit presque tous ses officiers. Heureusement le 3e régiment colonial lui dépêcha un bataillon en renfort.
Bientôt, une
vigoureuse contre-attaque délogeait l'ennemi d'une partie des positions par lui
conquises.
Toutes nos
batteries se mirent à tonner.
Le combat
s'étendit et sa violence s'accrut. L'ouvrage Pruneau tomba entièrement aux
mains d'une puissante colonne allemande. Énergiquement chargée par un bataillon
du 3e régiment
colonial, cette colonne
résista opiniâtrement et nous infligea de grosses pertes.
Mais rien ne put
avoir raison du sang-froid ni de la résolution inébranlable de nos troupes.
Aidé par des bombardiers du génie, le lieutenant Paucol,
du 3e régiment
colonial, avance malgré tous
les obstacles, et occupe un vaste entonnoir. Grâce à la connaissance du secteur
qu'ont les chefs, grâce à un rapide ravitaillement en grenades et surtout à la
crânerie et à la ténacité des marsouins, une grande partie de l'ouvrage Pruneau
est enfin réoccupée.
De son côté, le
lieutenant Lefebvre (3e colonial) s'est
porté avec une compagnie vers le saillant nord de l'ouvrage. Ses hommes se
déploient hardiment. Un tir foudroyant de mitrailleuses les accueille.
Sans se
décourager, le lieutenant rassemble les hommes valides dans une tranchée qu'il
a pu atteindre, et se prépare à y recevoir l'inévitable contre-attaque. Soudain, coupés de leurs
positions de départ par un terrifiant tir de barrage, les Allemands lèvent les
mains : cinq cents d'entre eux se rendent. Et nous avons la joie de délivrer
une douzaine de coloniaux, cernés depuis plusieurs heures, qui avaient décidé
de lutter jusqu'à la mort.
Les Allemands
laissaient plus de mille cadavres sur le terrain.
Mais nos pertes
étaient à peu près égales.
Au commencement
de juin, notre Etat-major décida d'enlever le saillant de Quennevières, situé
sur un plateau entre l'Oise et l'Aisne et entouré de tranchées allemandes.
Plusieurs fermes, protégées par d'épais massifs de verdure, s'élevaient là.
Celles de
Touvent et des Loges étaient occupées par l'ennemi; nous tenions celles
d'Ecafaut (265e
RI) et de Quennevières. Cette dernière
se trouvait très menacée par un fortin que les Allemands avaient bâti sur le
saillant.
Le 5 juin, et durant vingt-quatre heures, notre
artillerie (47e
régiment) fit pleuvoir les gros
projectiles et les torpilles aériennes sur les positions de l'ennemi. Puis nos
sapeurs du génie firent exploser un fourneau de mine sous le fortin, tandis que
l'infanterie (35e,
42e, 44e et 60e régiment d’infanterie)
s'élançait à l'assaut.
Les soldats du
86e régiment d'infanterie prussien, qui défendent la position, résistent
âprement. Mais, avec l'aide des 75, nos fantassins dépassent la première ligne
ennemie, puis la seconde, et parviennent jusqu'au ravin de Touvent.
Une
contre-attaque allemande doit reculer devant les feux croisés de nos
mitrailleuses.
Et, le 7 juin, l'ennemi se voit définitivement contraint
de nous abandonner la position, que jonchent plus de 3000 cadavres des siens.
Puis le 292e RI va tenir ce
secteur…
Ces
opérations partielles allaient trouver leur couronnement dans une offensive
générale du Groupe de nos Armées du Centre.
Fixée à
la date du 25 septembre, cette offensive se déclencha entre la vallée de la Suippe et la lisière ouest de la forêt d'Argonne, dans ces
plaines nues et grises.
Cette
lutte de douze jours porte dans l'histoire le nom de bataille de Champagne.
Elle évoque symboliquement un dessein, vite abandonné, de retour à la guerre de
mouvement, et une libération relativement importante de terre française. Au
point de vue technique, elle marque une étape bien déterminée de la guerre.
Ce fut la première
fois qu'on vit donner tant de valeur à la préparation d'artillerie.
Jamais non plus
on n'avait remué autant de terre pour procurer aux troupes d'assaut de propices
emplacements de départ.
L'infanterie
disposait de mitrailleuses en nombre sensiblement plus élevé, et elle allait se
servir pour la première fois des grenades moderne grenades à fusil ou grenades
à main munies d'une mise à feu à temps.
La cavalerie
sortit de sa longue inaction pour prendre au combat une part qu'elle ne
retrouvera plus jusqu'à la fin de la guerre. Enfin, on partait avec l'espoir de rompre, dans toute leur profondeur, les
organisations ennemies.
D'avance, le
général Joffre considérait cette offensive comme l'opération principale de la
campagne de 1915, et il la prépara durant trois mois avec le soin le plus
minutieux.
Son objectif
essentiel était de rompre le front adverse et d'en repousser les débris assez
loin pour nous assurer une zone de manœuvre.
« Il faut,
disait-il dans ses instructions aux commandants d'Armée, profiter des
circonstances présentes, qui ont amené les Allemands à dégarnir leur front
occidental, pour rompre leurs lignes de défenses organisées et les forcer à
accepter la bataille en rase campagne.
La soudaineté
et la puissance de notre attaque doivent les désemparer.
Pour mieux nous
ménager le bénéfice d'une surprise et donner à l'opération son maximum de
portée, cette offensive devait coïncider avec une attaque secondaire,
entreprise dans la région d'Arras (L’offensive en Artois,sept) par
les forces combinées du général Foch et du maréchal French.
Ainsi l'ennemi se
trouverait menacé des deux côtés de l'équerre de Noyon.
En outre, cette
grande action de Champagne serait appuyée par une manœuvre offensive de la 3e
Armée sur la rive droite de l'Aisne, et par une action défensive de la 5e Armée
entre Craonne et le massif de Brimont.
Le général de
Castelnau avait été chargé de la conduite générale de l'offensive en Champagne.
Pour l'exécution
de cette mission, il avait groupé les forces, dont il disposait, en deux Armées
: la 2e, commandée par le général Pétain, l'ancien et déjà glorieux chef du 33e
Corps d'Armée, en Artois, et la 4e, sous les ordres du général de Langle de Cary.
Elles
constituèrent une énorme masse de manœuvre de vingt-neuf divisions et de deux
Corps de cavalerie, appuyée par huit cents pièces d'artillerie
En face, dans
l'immense plaine aride et crayeuse coupée de bois, le général Von Einern, avait organisé le terrain en deux zones de défense
la première présentant de trois à cinq lignes de retranchements séparés par des
réseaux barbelés; la seconde, à
Notre Etat-major
avait primitivement fixé au 8 septembre la date de l'offensive; mais les
généraux de Castelnau et Pétain firent connaître qu'un délai leur était
indispensable.
Notre intérêt
exigeait une exécution rapide de l'opération. D
puissants renforts nous arrivaient
d'Angleterre.
D'autre part,
les Armées russes évacuaient progressivement la Pologne.
Le 3 août, les Allemands étaient entrés à Varsovie,
le 19 à Novo-Georgiewsk, le 20 à Biélostock.
Trois nouvelles divisions germaniques quittaient le front occidental pour la
Russie.
Nous devions, en
hâte, soulager nos Alliés.
Depuis un mois
et demi, nos soldats s'entraînaient à l'assaut.
Voir
comment, au travers du 124e RI, l'attaque fût préparée
La méthode et
les règles de l'attaque avaient été dûment enseignées. Nos avions avaient
repéré avec une soigneuse exactitude les fortifications ennemies. Nos
parallèles de départ étaient creusées, ainsi que les boyaux permettant l'arrivée
des réserves.
Les premières
lignes françaises qui se trouvaient, en août, à
Le 22
septembre, tout était prêt
pour l'offensive.
Commença le
22 septembre, la
préparation d'artillerie, formidable, incessante, plongeant les Allemands dans
la stupeur et l'effroi.
Elle broya
d'abord à grande distance les bivouacs de cantonnement et les bifurcations de
voies ferrées.
Puis, sous la
pluie de nos projectiles, l'ennemi vit sa première position anéantie, et tout
ravitaillement lui devint impossible. Pendant soixante-quinze heures, sans
arrêt, et par cent mille, nos obus écrasèrent tranchées, abris, boyaux, fils de
fer et défenseurs.
Des officiers
allemands calculèrent que, dans un secteur de cent mètres de largeur sur un
kilomètre de profondeur, il était tombé 3600 projectiles par heure.
Un temps très
beau et très clair favorisait le réglage et aidait fort à propos l'adresse de
nos canonniers.
Malheureusement,
dans la nuit du 24 au 25, le ciel s'emplit de gros nuages, et des
torrents d'eau vinrent délayer cette terre molle et blanchâtre de la Champagne.
La question se
posa à l'État-Major de savoir s'il n'y avait pas lieu
de retarder l'attaque pour attendre de meilleures conditions atmosphériques.
Mais, malgré son
importance, l'approvisionnement en munitions ne permettait pas de prolonger
davantage la préparation d'artillerie. D'ailleurs, le temps parut se remettre
au beau.
Suivre ces journées
tragiques au travers du carnet de Raymond BOSSARD du 4e Régiment de Tirailleurs
Le 23, un ordre du jour du Généralissime avait
demandé à nos soldats :
«D’y
aller à plein cœur pour la délivrance de la Patrie et pour le triomphe du Droit
et de la Liberté. »
« Votre élan
sera irrésistible,
disait-il. Il vous portera d'un premier effort jusqu'aux batteries de
l'adversaire, au-delà des lignes fortifiées qu'il vous oppose. Vous ne lui
laisserez ni trêve, ni repos, jusqu'à l'achèvement de la victoire. »
C'était là une
fière réponse aux Allemands qui, depuis un mois, lançaient dans nos tranchées
d'insolents messages portant ce défi :
« A quand
votre fameuse offensive? Nous vous attendons. »
Dans ses
directives aux chefs de grandes unités, Joffre insistait sur ce point qu'il
s'agissait de gagner en profondeur le plus de terrain possible sur l'ennemi. Il
recommandait de mettre à profit l'ardeur offensive et l'esprit de sacrifice de
notre cavalerie, depuis si longtemps inemployée, et cependant si impatiente de
retrouver son rôle dans les combats.
Le 24, on se prépara avec entrain à la grande
attaque. Un immense champ de bataille s'ouvrait aux élans.
Il s'étendait sur une largeur de
D'autres
noms obscurs désignaient les différents points de cette étendue grise qui, sous
son apparence immobile et silencieuse, recelait partout la mort : la ferme de
Navarin, l'Épine de Vedegrange, le Trou Bricot, la
butte de Tahure, la Main de Massiges.
L'héroïsme
de nos soldats allait leur donner dans le monde entier une renommée éternelle.
Les troupes
passèrent la nuit du 24 au 25 dans les places d'armes, à l'arrière des crêtes,
en attendant l'heure H, qui devait donner à tous le signal de l'assaut.
Ce déplacement à
travers l'étroit réseau des boyaux et des parallèles n'alla pas sans peine pour
la plupart des régiments et bataillons, les ordres de départ ayant souvent été
donnés avant que le passage fût libre. La première et la deuxième ligne
regorgèrent bientôt de soldats dont les rangs pressés et immobiles arrêtaient
la marche de ceux qui suivaient.
Dans la nuit
opaque, sous la pluie presque incessante, bien des cohues jetèrent les
combattants les uns sur les autres, sans altérer leur entrain ni leur belle
humeur.
Le 25
septembre
Le jour paraît,
gris et humide ; l'heure H est fixée à 9h15... Un commandement part : « En
avant !,Vive la France !! » Sans hésitation, sur toute la largeur de
l'immense front, les fantassins bleus bondissent au-dessus des parallèles de
départ et s'avancent en vagues simultanées et correctement alignées.
La surprise de
l'ennemi est si complète que ses tirs de barrage restent sans intensité.
Les premières
positions à conquérir se composaient d'un lacis de tranchées formant une série
de lignes très fortes, mais dont la plupart des éléments pouvaient heureusement
être observés à vue directe. D'ailleurs, nos avions, munis de télégraphie sans
fil, continuaient à se mouvoir dans le ciel pluvieux et à observer les faits et
gestes de l'ennemi.
Certaines
organisations de celui-ci, comme la Main-de-Massiges et la butte du Mesnil,
constituaient de véritables forteresses avec abris blindés, à l'épreuve des
projectiles les plus puissants, et communications souterraines.
La butte du
Mesnil possédait, en outre, des tranchées de soutien établies à contre-pente
dans les bois ; elles échappaient ainsi à la vue de nos observatoires. Une organisation
identique existait à l'est de la Main-de-Massiges, entre l'Arbre-aux-Vaches et
l'ouvrage Pruneau.
Au sortir des
parallèles de départ, les vagues d'assaut successives n'étaient séparées que
par un intervalle de cinquante à cent mètres.
Sur presque tous
les points, elles ne tardèrent pas à se fondre en une ligne unique, ligne qui
manqua souvent d'ordre et de cohésion, nos soldats se mettant alors à courir
individuellement vers les objectifs assignés à tous. Heureusement, nos pièces
lourdes avaient si complètement haché les réseaux qu'en de très nombreux
secteurs du front attaqué nous atteignîmes les tranchées d'un seul élan.
Notre
progression se poursuit alors, malgré les mitrailleuses et la mousqueterie.
Tous les boyaux
sont bondés de cadavres allemands, fauchés par notre terrible préparation
d'artillerie
Mais nous
n'occupons pas avec autant de facilité les centres puissamment fortifiés que
les Allemands avaient établis en maints endroits de leur première ligne.
Nos soldats ne
les enlèvent qu'au prix des plus héroïques sacrifices.
Suivre ces journées tragiques au travers du carnet de Laurent
COUAPEL
La 2e Armée
opérait dans la partie de droite du champ de bataille, de Ville sur Tourbe au
bois du Trou Bricot. A l'est de son front, l'attaque avait été confiée au 1e
Corps colonial, qui devait enlever un des plus formidables bastions de la ligne
ennemie : cette Main-de-Massiges pour laquelle, en janvier et février,
s'étaient livrés de si rudes combats.
Les défenseurs,
qui représentaient l'élite des troupes du Kronprinz, avaient reçu l'ordre de
tenir coûte que coûte.
Leur armement
semblait défier les plus vigoureux assauts.
Entraînée parle
général Marchand, la 2e division coloniale se rue avec le plus magnifique
entrain sur les pentes du promontoire. Accueillie par un feu des plus violents,
elle n'en poursuit pas moins son avance audacieuse qui la conduit aux premières
tranchées ennemies, dans lesquelles s'engage une furieuse lutte à la grenade.
C'est en vain que les
feldgrau reçoivent des renforts : nos marsouins ont juré de ne pas lâcher
prise; et, bien que leurs rangs s'éclaircissent, ils pénètrent toujours plus
avant parmi le redoutable lacis des boyaux et des sapes.
Le 21e régiment colonial a reçu pour mission d'enlever la cote 191
et la caponnière de l'Arbre-aux-Vaches.
Pour s'emparer
des deux premières lignes, il engage une âpre lutte contre un adversaire
tenace, sous des barrages d'artillerie et des feux croisés des mitrailleuses.
Puis les projectiles
se faisant plus rares, nos vagues d'assaut précipitent leur course...
Sur un autre
saillant de la Main-de-Massiges, le 23e régiment colonial
supporte de terribles feux sans qu'il songe à reculer ou à ralentir son élan.
Les hommes
gravissent les pentes au chant d'une Marseillaise endiablée.
Dans le secteur
de « l'Annulaire », le 4e régiment colonial,
en dépit des plus lourdes pertes, brise partout les contre attaques ennemies et
s'organise sur les objectifs qu'il vient de conquérir.
A la fin de la
journée, la Main-de-Massiges est à nous, mais il va falloir plusieurs jours de
lutte pour en repousser définitivement ses anciens possesseurs.
Malgré une grave
blessure du général Marchand, la 2e division coloniale a gardé jusqu'au bout le
même mordant, la même cohésion, et elle a bien mérité sa magnifique citation à
l'ordre de l'Armée.
A l'est de la
Main-de-Massiges, en avant de l'ouvrage Pruneau qu'il occupait, le 3e régiment colonial avait reçu comme objectifs le village de
la Justice et le petit bois de l'Oreille.
Une effroyable
averse de projectiles l'accueille presque au débouché de la parallèle de
départ.
Les commandants Posth et Raudot et un grand
nombre d'officiers roulent à terre pour ne plus se relever
Une tempête de
malédictions s'élève des rangs de nos marsouins lorsqu'ils constatent qu'en
face d'eux les fils de fer de l'ennemi ont échappé au pilonnage de
l'artillerie.
Néanmoins, à
force de vaillance et d'opiniâtreté stoïques, ils atteignent la première
tranchée adverse, et s'y maintiennent au prix des plus cruels sacrifices.
Le
lieutenant-colonel Condamy, qui commande le régiment,
est sorti avec la seconde vague. Auprès de lui se tiennent le capitaine Madec, son adjoint, et l'adjudant Faucher.
Il arrive
jusqu'à la tranchée ennemie et s'y jette.
A ce moment, les
Allemands prononcent une violente contre-attaque.
Donnez-moi un
fusil, demande Condamy aux soldats qui l'entourent.
On lui en passe
un.
Il prend place
au parapet et commence le coup de feu. Mais à peine a-t-il brûlé quelques
cartouches qu'il reçoit une balle dans la bouche et tombe inanimé au fond de la
tranchée. C'est en vain que le capitaine Madec lui
prodigue ses soins.
Le colonel meurt
dans les bras de son adjoint, tandis que l'adjudant Faucher s'effondre sur eux,
frappé au cœur par une balle.
Furieux delà
mort du chef et jurant de le venger, le 3e régiment colonial
ne veut pas entendre parler d'abandonner le terrain et tend toutes ses volontés
vers la victoire.
A la suite d'un
combat acharné à la grenade, les marsouins s'emparent d'un important réseau de
retranchements.
Cette lutte se
poursuit sur plusieurs points durant quatre jours; et, le 29 septembre,
l'offensive du régiment reprend avec une intensité qui achève de démoraliser
l'ennemi et de faire tomber ses défenses.
Voir la bataille de
Champagne avec le 99e régiment d’infanterie
Voir
la bataille de Champagne avec le 124e régiment d’infanterie
Dans le
secteur de Beauséjour se
dresse la butte du Mesnil.
Aux alentours de
la butte, le 160e
régiment d'infanterie avait
atteint d'un seul bond la première ligne allemande. Il allait se ruer sur
l'ennemi lorsque, subitement, se révélèrent, à gauche, deux mitrailleuses.
Surpris,
déconcertés, voyant déjà leurs rangs décimés, nos fantassins s'arrêtent, puis
refluent précipitamment vers la droite. Le feu des deux mitrailleuses bloque
plusieurs sections du 160e dans la
parallèle de départ.
Ces sections ne
peuvent plus déboucher; instant critique et angoissant pour ceux qui
s'entassent dans la parallèle, d'où ils peuvent suivre les progrès de notre
première vague d'assaut sans pouvoir accourir en renfort.
Tout à coup,
dans l'espace restreint qui sépare les lignes adverses et qui est devenu désert
sous le feu des mitrailleuses, les fantassins bloqués voient s'avancer
tranquillement, comme sur un terrain de manœuvre, des cavaliers à pied.
Ceux-ci
établissent une sorte de route sur le terrain terriblement battu par le feu de
l'ennemi.
En effet, deux
escadrons du 5e
hussards ont reçu l'ordre de
se porter, sous les ordres du commandant de Lavigerie, à l'attaque de l'ouvrage
de la Défaite, et de s'emparer
des batteries.
Ces escadrons
s'ébranlent avec une magnifique et insouciante crânerie.
La pluie fine,
presque ininterrompue depuis le matin, a rendu le terrain glissant. Ils
franchissent les tranchées françaises sur des ponceaux étroits où les chevaux
patinent comme sur de la glace, et l'extraordinaire course ne connaît plus
d'obstacles.
La crête à peine
franchie, un tir de barrage accable les intrépides escadrons et jette quelque
trouble dans leurs rangs.
Conduite avec une admirable vaillance
par le capitaine des Moutis, l'étrange chevauchée
arrive sur un terrain montueux, puis sur une tranchée allemande d'où crépitent
la mousqueterie et les mitrailleuses.
Les défenseurs
de l'ouvrage, qui jusqu'alors ont résisté avec la plus grande bravoure, lèvent
les bras d'un air d'épouvante. Nos hussards les sabrent, traversent au galop
tout le terrain de la première position et, bien que réduits à une poignée
d'hommes, s'élancent avec une folle impétuosité vers la seconde ligne.
Les Allemands
regardent, regardent de tous leurs yeux.
Suivre ces journées au travers du carnet du sergent Edouard
MATTLINGER
Et il leur est donné de voir celle chose inouïe : De l'imprévu et la soudaineté de celle charge, les mitrailleuses ennemies, qui avaient nargué le canon et bravé l'infanterie, viennent de se taire.
En effet, ce qui
reste des deux escadrons atteint la deuxième ligne allemande.
Là, malheureusement,
un inextricable réseau de fils de fer intacts empêche les chevaux d'avancer.
Les cavaliers
sautent à terre, abandonnent leurs montures, et se mettent à cisailler les
réseaux. Ils sont encouragés par le maréchal des logis Level,
qu'une balle mortelle empêche bientôt de s'exposer davantage.
Un fortin les
couvre de feux croisés de mitrailleuses.
Q'importe !
Ces héros
bondissent dans le retranchement ennemi, fusillent ou assomment ceux qui leur
résistent, si bien qu'épouvantés par tant d'audace 600 Allemands se rendent
aussitôt.
Le résultat
cherché était obtenu. Le secteur dégagé, les renforts pouvaient se porter en
avant
Cependant, au
nord de Beauséjour, sur la butte du Mesnil, nos fantassins franchissaient cinq
lignes successives, profondes de quatre cents mètres, de la route de Perthes-Cernay à Maisons-de-Champagne.
A la gauche du
Corps colonial, la 39e division d'infanterie atteignait le bois des Vingt-Mille, puis se lançait à l'attaque de Maisons de Champagne
où les Allemands, surpris et désemparés, se rendirent.
A 14 heures, la
même division participa avec succès à l'attaque de l'ouvrage de la Défaite, mais elle éprouva là des
pertes cruelles.
De son côté, la 11e
division progressa avec difficulté vers la butte du Mesnil.
Sur cette partie
du terrain, l'artillerie ennemie fut abordée à la baïonnette.
Une compagnie,
ayant perdu tous ses officiers, s'empara de onze mitrailleuses et deux
batteries de 77.
Au nord de
Perthes, nos contingents
savoyards et dauphinois du 14e Corps d'Armée parvinrent à midi sur les pentes
de la cote 193.
Dans cette
lutte, le 19e
régiment d'infanterie se fit
remarquer par sa fougue et son esprit de sacrifice.
Ses vagues
d'assaut s'emparèrent rapidement des premières lignes allemandes, et, par le
ravin de la Goutte, coururent vers Tahure dont les abords présentaient de
terribles difficultés.
Sur la gauche du
régiment, un violent tir de mitrailleuses arrêta net notre marche en avant. Ce
tir partait d'un fortin établi à contre-pente et si habilement dissimulé qu'il
avait échappé à notre canonnade de destruction. Après une résistance acharnée,
le fortin fut emporté par nos soldats.
Les troupes du
11e Corps d'Armée (général Baumgarten) s'emparèrent des Deux Mamelles,
poussèrent par leur gauche jusqu'à la Brosse à Dents, et essayèrent
d'aborder Tahure, par l'ouest et le sud.
Mais leur
progression, dans cette direction, rencontra les obstacles les plus redoutables
et nous coûta beaucoup d'efforts et de sang. Le 116e régiment d'infanterie fut particulièrement éprouvé.
Son colonel et
ses chefs de bataillon furent tués devant Tahure.
Le capitaine
Souchet dut prendre le commandement des débris du régiment. Malgré des
difficultés sans nombre et des pertes sensibles, cet officier entraîna le 116e régiment d'infanterie jusqu'à
Ceux-ci
enlevèrent une batterie lourde et une batterie de campagne en action,
dépassèrent Tahure et s'accrochèrent avec une indomptable énergie, pendant
trente-six heures, à la position conquise, qu'ils gardèrent jusqu'à l'arrivée
des premiers renforts.
Malheureusement,
ces renforts étant insuffisants, le village de Tahure fut perdu malgré
l'héroïsme de ses défenseurs, et ne put être repris que le 6 octobre.
On
désignait sous le nom de bois du Trou
Bricot, les carrés de sapins qui s'élevaient sur les pentes
orientales de la cuvette de Souain. Ils s'étendaient sur deux kilomètres
environ de profondeur et formaient un des principaux centres de la résistance
allemande.
Après avoir
parcouru quatre kilomètres, les troupes du 14e Corps d'Armée se lancèrent avec
vigueur à l'assaut de la position, et réussirent à enlever en quelques minutes
le saillant de la lisière sud.
Mais, pour
emporter l'ouvrage, il était indispensable de l'attaquer sur toutes ses faces.
Pendant que la 29e division progressait au nord du bois du Paon et du bois des
Perdreaux, la 28e encercla les bois du Trou Bricot sur leur front est.
Bientôt, nos
lignards prennent hardiment le pas de course, franchissent sans arrêt la
première, puis la deuxième ligne allemande. Une troisième tranchée, large et
profonde, s'ouvre devant eux.
Ils y sautent et jouent de
la baïonnette et de la grenade.
C'est ainsi que
les redoutables retranchements du Danube et d' York sont conquis.
A ce moment, une
mine fait explosion ; mais nous repoussons la contre-attaque tentée avec des
mitrailleuses et sous la protection des gaz.
Rien ne peut venir
à bout du joyeux entrain des hommes. Ils viennent d'occuper l'important camp d'Eberfeld et ils se réjouissent d'y trouver du jambon, des
saucisses, des confitures, des cigares et jusqu'à une minuscule cathédrale
sculptée dans un bloc de craie par un artiste d'outre Rhin. La nuit pluvieuse
n'abat pas les courages.
Le lendemain
matin, le combat reprend plus âpre. Nous devons enlever la deuxième position.
Mais, établie à
contre-pente et gardée par un réseau intact, celle-ci est formidablement
défendue. Notre première vague d'assaut, accueillie par un feu intense de
mitrailleuses, fait à peine trente mètres.
Il faut, pour le
moment, se contenter des succès jusque-là obtenus.
Pendant ce
temps, la 4e Armée ne montrait pas moins d'activité et de bravoure que la 2e.
La division
marocaine avait pris part aux attaques du Trou Bricot. Zouaves et tirailleurs
algériens avaient rivalisé d'ardeur et d'opiniâtreté en poursuivant leur avance
audacieuse sur un terrain criblé de projectiles.
Sur la route de
Souain à Tahure, ils s'étaient emparés des voies d'un chemin de fer de
campagne. Mais ils avaient dû, eux aussi, arrêter leur élan devant les
deuxièmes positions et prendre la pioche pour se retrancher, en attendant le
moment de repartir en avant.
Dans cette
partie de la plaine, où prennent leur source deux petites rivières: la Ain et
la Dormoise, des régiments s'étaient avancés, avec leur drapeau déployé et leur
musique. Ils avaient conquis rapidement les premiers objectifs.
Le 75e régiment d'infanterie emportait ainsi, sans se heurter à la
moindre résistance, une large et importante tranchée qu'on appelait la Cave.
Au sortir du
bois des Perdreaux, une compagnie du même régiment tombait sur une batterie
prussienne. Le caporal Borsier, suivi de quelques
hommes, se précipita sur les servants, baïonnette haute.
Les artilleurs
allemands se rendirent après avoir abattu leur officier qui les exhortait à la
résistance.
Mais, après
avoir traversé la route de Souain à Tahure, nos vagues d'assaut furent
accueillies par un feu si violent de mitrailleuses et de mousqueterie qu'elles
durent se terrer tant bien que mal. Nous avions là trois régiments d'infanterie
: les 52e, 75e et
140e.
Le 2e Corps
colonial avait reçu l'ordre de se porter de Souain sur la butte du même nom et
sur la ferme de Navarin.
Placé en tête de
la 2e brigade, le 6e
régiment colonial s'empara
successivement du bois Guillaume Il et des ouvrages très solidement fortifiés
du Palatinat et de Maudebourg.
Puis,
après avoir traversé les tranchées Von Kltick et Von-Tirpitz, il s'élança, dans la soirée, à l'assaut de la
tranchée de Lubeck, réputée inexpugnable.
Protégée par un
fort réseau de fils barbelés avec piquets en métal, cette tranchée s'allongeait
à l'est de la ferme de Navarin, près d'un croisement de routes.
Elle avait été épargnée par
notre artillerie (54e), car les obus tombaient en arrière, par
suite de son établissement à contre-pente et de la déclivité du terrain. Mais
les marsouins du 6e
colonial, aidés de leurs
camarades du 1e, l'enlevaient avec une admirable furia,
ainsi que le retranchement des Vandales.
L'ennemi
s'accroche alors à la cote 174 et à la ferme de Navarin.
Mais le 6e régiment colonial est rejoint par le 33e qui vient d'enlever la tranchée de Wagram.
En même, temps
accourt le 53e qui, sous les ordres du lieutenant-colonel
Richard, s'est emparé du bois Sabot et a franchi au pas de charge les premières
lignes allemandes. L'assaut est d'abord donné à la tranchée des Gretchen, sur
la route de Souain à Somme-Py.
Pourchassés par
les baïonnettes, écrasés par une pluie de grenades, les Allemands ne tardent
pas à s'enfuir.
Malheureusement,
les défenses accessoires qui flanquent la ferme de Navarin n'ont pas été
entamées par nos artilleurs.
La rage au cœur,
les marsouins doivent arrêter leur avance et s'établir sur un terrain
découvert, où des tranchées, hâtivement creusées, ne leur assurent qu'une
illusoire protection.
Nous avons
cependant fait de nombreux prisonniers et avancé nos lignes de plus de quatre
kilomètres.
Dans le même
secteur, le 2
régiment colonial s'empare,
après un irrésistible assaut, du moulin de Souain.
Le feu de
l'ennemi a fait de terribles vides dans nos rangs et la plupart des officiers jonchent
de leurs corps le terrain conquis.
Mais le régiment
va quand même maintenir pendant quatre jours la totalité de ses gains.
Tout près du
moulin, le 52e régiment colonial a enlevé les
retranchements qui défendent la route de Somme-Py et le bastion de Souain,
pendant que le 1e
régiment progresse vers la
ligne des crêtes de la vallée de la Py, qu'il a mission de couronner. Mais,
après une marche extrêmement rapide, force est aux deux régiments de s'arrêter
aux abords des inaccessibles positions de la seconde ligne allemande.
Le 52e, avec un superbe entêtement, conserve le
terrain conquis et va résister là, inébranlablement, pendant plusieurs jours, à
un déchaînement infernal de feux croisés.
Il inflige de
lourdes pertes à son adversaire en repoussant une série de contre-attaques, qui
ne cessent que pour permettre aux pièces allemandes de reprendre leur tir
d'écrasement.
Dans cette
journée du 25, le 2 Corps colonial avait réalisé des gains importants; mais,
malgré l'énergie et la persistance de ses efforts, il n'avait pu parvenir à
déborder la butte de Souain par le nord.
A sa gauche
opérait le 7e Corps d'Armée.
Une division de
celui-ci, la 37e, se rendit rapidement maîtresse des premières lignes qui
s'étendaient entre Souain et Aubérive, sur la gauche du champ de bataille. En
un élan fougueux, elle s'empara du bois Raquette et de l'Épine de Vedegrange.
Sur cette
dernière position, nous nous heurtons cependant à quelques îlots de résistance.
Les troupes du
Corps passent une partie de la nuit sur le terrain conquis, puis reprennent,
avant le lever du jour, leur progression; elles atteignent la cote 139, et
arrivent avec prudence aux environs du mamelon 170.
Là, nos
patrouilles sont reçues à coups de fusil.
Nous stoppons,
car l'obstacle est puissant; et, sur ce point, comme sur la plupart de ceux qui
se trouvent situés au même degré de profondeur dans les organisations ennemies,
les progrès espérés par notre Haut Commandement se trouvent brusquement
enrayés.
Mais
l'offensive complémentaire du 2e Corps de cavalerie (9e,16e, 22e,
29e dragons, 11e
chasseurs à cheval), dut se
borner à une stérile galopade, trop souvent meurtrière, que fit cesser
l'annonce de notre arrêt devant les deuxièmes positions allemandes.
Le 11e régiment de chasseurs à
cheval se distingua
particulièrement dans sa charge en direction des hauteurs sud de la Py. Écrasé
par un violent tir de barrage, décimé par les mitrailleuses, le
régiment subit les plus lourdes pertes en se heurtant à des réseaux intacts.
Seuls, les trois
pelotons de tête peuvent arriver jusqu'aux défenses accessoires allemandes.
Le
sous-lieutenant Preiss s'élance dans la tranchée
ennemie, un fusil à la main, en criant : « Qui m'aime me suive l » Une balle
l'abat.
En tête de la colonne du
centre, le lieutenant Legrand fait le coup de feu avec ses hommes presque tous
démontés. Le capitaine Loewenbruck, blessé à
l'épaule, mais resté en selle, voit que le colonel, le lieutenant-colonel et
les deux chefs d'escadrons ont eu leurs chevaux tués.
Il rallie ce qui
reste du régiment et le ramène à l'abri vers Saint-Hilaire.
Jusqu'au 3
octobre, le 11e chasseurs
continua néanmoins de progresser avec l'infanterie. Il fut cité à l'ordre de
l'Armée à la suite de ces journées où il avait perdu le quart de ses hommes et
la moitié de ses chevaux.
Tandis que le
centre et la droite du 7e Corps d'Armée progressaient difficilement devant
l'ouvrage hérissé de terribles défenses que les Allemands avaient appelé la
tranchée Blücher, les 4e et 32e Corps se dirigeaient vers Aubérive, à
l'extrémité ouest du champ de bataille.
La 7 division
réussit à pénétrer dans la partie nord-ouest d'Aubérive.
Le 32e Corps
d'Armée, après être sorti victorieusement des premières lignes allemandes, dut
livrer de rudes combats dans le bois des Abatis et sur la route d'Aubérive à
Saint-Soupplets.
Il subit alors
un bombardement par obus toxiques et lacrymogènes, dont nos soldats eurent
d'autant plus à souffrir qu'ils n'avaient aucun masque efficace pour les
protéger.
C'est devant
Aubérive que fut tué, héroïquement, le colonel Destival,
du 101e régiment
d'infanterie.
Récit du 329 ème RI ……cliquez icià (Perthes-lès-Hurlus,
Tahure) par Jacques MEYER (1915)
Cette sanglante
journée du 25 septembre s'acheva sous la pluie qui n'avait guère discontinué
depuis le début de l'attaque.
Sur la grande
plaine champenoise une nuit très noire s'étendit, éclairée de
temps à autre par les sillons lumineux des fusées. La fatigue de nos soldats se
doublait d'une amère déception. Ils avaient espéré que cette offensive, si
minutieusement préparée, les conduirait à une prompte et décisive victoire.
Hélas !
Après la griserie des premiers succès, il fallait se résigner à de nouveaux
efforts, de nouveaux sacrifices.
Cependant,
tout s'était passé suivant les instructions données par le Haut Commandement.
Les objectifs situés dans la première ligne ennemie avaient, pour la plupart,
été dépassés.
Nos batteries de
campagne avaient franchi boyaux et tranchées et avaient suivi et soutenu
efficacement notre avance victorieuse.
Les réserves
avaient bien rempli leur rôle. Mais la deuxième ligne allemande était demeurée
inaccessible dans tout son ensemble.
Notre État-Major n'en avait eu qu'imparfaitement connaissance; la
puissance de ses défenses ainsi que l’habileté de son établissement avaient
provoqué chez les troupes d'assaut une désolante surprise.
Cette deuxième
ligne, située sur le versant nord de la Dormoise, s'était trouvée hors de la
portée de notre artillerie de campagne. Elle sortait à peine de terre à la fin
de juillet; mais, dès qu'avaient commencé nos travaux d'approche, l'ennemi
s'était mis à y travailler fiévreusement.
Nos pièces lourdes avaient bien essayé de
gêner ce travail, puis d'en détruire les effets.
Malheureusement,
elles étaient trop peu nombreuses et trop mal approvisionnées pour pouvoir
obtenir un résultat sérieux.
Malgré tout, au
moment de l'attaque, les tranchées n'étaient pas encore complètement terminées
sur la croupe de l'Arbre 193 et à l'ouvrage de la Vistule.
Par contre, les
organes de flanquement se trouvaient tous en place, ainsi que les réseaux
barbelés qui présentaient même une résistance et une épaisseur inaccoutumées.
Les cisailles de
nos soldats ne parvinrent pas à les couper.
La force de
cette ligne était doublée par son tracé à contre-pente, qui la rendait
absolument invisible à nos observatoires terrestres.
Néanmoins, dans
la soirée du 25, nos troupes avaient gagné, sur tout le front de bataille, une
appréciable profondeur de terrain.
Quatre avances
étaient particulièrement à signaler, en raison de leur importance tactique une,
assez légère, en direction de Saint-Souplet ; deux,
plus importantes, dans la région nord de Souain et de Perthes-les-Hurlus
; la quatrième dans la région de Maisons-de-Champagne et de la
Main-de-Massiges.
La lutte allait
se poursuivre les jours suivants et se prolonger, après une courte interruption,
jusqu'au 7 octobre
Le 26, complétant et élargissant les succès de
la veille, nos vagues d'assaut arrivèrent à border complètement la deuxième
position allemande, depuis la route de Saint-Soupplets jusqu'à la butte de Tahure,
c'est-à-dire sur un front de quatorze kilomètres.
Plus à l'est, l'ennemi réussit à se maintenir
dans ses retranchements entre Tahure et la butte du Mesnil. La progression de
toute la 2e Armée se trouva de ce fait enrayée. Cependant les Allemands semblaient
décontenancés par la violence de nos assauts. De très nombreux prisonniers, un
important matériel tombèrent entre nos mains. On a dit qu'à cette heure
difficile von Einem avait
donné un ordre de repli sur la Meuse.
Les 27 et 28
septembre, nous cherchâmes
encore vainement à faire brèche dans la deuxième position allemande, bien que
les effectifs eussent d'abord paru assez faibles sur toute la partie abordée
par la 4e Armée. On se battit sans répit sur toute la largeur du front. Autour
de la ferme de Navarin, coloniaux, tirailleurs marocains et chasseurs à pied
s'élancèrent en de furieux assauts.
Le 28,du côté de Somme-Py, le 1e régiment colonial était parvenu un moment à entamer la
deuxième position allemande avec l'aide des tirailleurs sénégalais. A l'Épine
de Vedegrange, quelques braves du 16e régiment d'infanterie pénétrèrent également dans la position et
commencèrent à l'explorer. Payant d'audace, le sergent Le Lorrec
et le caporal Launay forcèrent même à se rendre les Allemands qu'ils rencontrèrent,
et ramenèrent ainsi trente prisonniers.
Mais partout nos
soldats se heurtaient à des organisations défensives dont la valeur n'avait pu
être exactement appréciée, à des fils de fer intacts, à des tranchées à
contre-pente. N'existait-il pas un endroit plus vulnérable, un défaut de
l'armure dans cet impénétrable système de fortifications ?
Un moment, le
général de Castelnau pensa l'avoir trouvé et il ordonna de chercher la rupture
entre la butte de Tahure et la route de Saint-Soupplets par une action
d'ensemble bien préparée et méthodiquement menée.
Mais le mauvais
temps, l'impossibilité de régler le tir de l'artillerie, une liaison
insuffisante entre l'infanterie et l'artillerie, l'arrivée de renforts ennemies
ajoutaient encore aux difficultés qui s'accumulaient devant nous depuis quatre
jours
.
Cependant, au
cours de la journée du 29, on vit briller une dernière lueur d'espoir.
Le 28 au soir,
nous avions pris pied dans un élément de la deuxième position que nos soldats
désignaient sous un terme d'argot à la crudité rabelaisienne : ils l'appelaient
la tranchée des Tantes. Celle-ci fut même légèrement dépassée. On signala
aussitôt cette progression à l'état-major du 7e Corps qui pensa que
l'élargissement de cette brèche pouvait conduire à la percée.
Durant la nuit,
toutes les unités disponibles furent acheminées vers cette partie du front
Le lendemain, plus de neuf régiments franchirent la
tranchée des Tantes.
Malheureusement,
ils avaient été amenés des points les plus divers et plusieurs même venaient de
débarquer. Ils ne connaissaient pas le terrain, ce qui rendit très pénible leur
marche vers le lieu de concentration et occasionna les retards les plus
préjudiciables.
Arrivé le
premier et lancé en pleine nuit, sous une pluie battante, le 42e régiment d'infanterie ne put concerter son action avec celle des
groupes de cavaliers à pied et de coloniaux qui opéraient à sa droite, ni avec
celle des chasseurs à pied qui s'efforçaient d'avancer à sa gauche.
A l'aube, il
était cerné par les Allemands qui contre attaquaient sur nos deux flancs. La
brigade Destenave, dont le bataillon de tête
accourait, ne put déboucher de la tranchée où s'entassaient en désordre
fantassins, chasseurs, marsouins et cavaliers.
Les autres
brigades n'arrivaient à proximité que dans la journée du 29.
Une attaque de
nuit fut alors préparée.
Mais l'ennemi
s'était solidement installé en arrière de la brèche, et faisait converger sur
l'étroit goulet des feux incessants d'artillerie et de mitrailleuses. A une
heure du matin, quelques éléments essayaient encore d'attaquer, mais vainement.
Le général de
Castelnau décida de renoncer à cette tentative demeurée trop longtemps stérile.
La deuxième position allemande restait intacte.
Afin de
l'enlever, il devenait désormais nécessaire de reprendre une préparation
d'artillerie sur l'ensemble du front.
Le nouvel assaut
devait être ensuite tenté avec des troupes fraîches.
Ces raisons nous
obligeaient à marquer un temps d'arrêt pour les préparatifs d'une nouvelle
offensive d'ensemble. Aussi le général Joffre se décida-t-il à suspendre cette
action.
Mais, afin de
consacrer les résultats obtenus, il adressa, le 3 octobre, aux troupes
qui venaient de soutenir avec tant de vaillance l'âpre lutte, un ordre du jour
qui se terminait par ces mots :
« Aucun des sacrifices consentis n'a été
vain. Tous ont su concourir à la tâche commune. Le présent est un sûr garant de
l'avenir. Le Commandant en chef est fier de commander aux plus belles troupes
que la France ait jamais connues. »
La nouvelle
attaque se déclencha le 6 octobre, par un temps brumeux qui gêna
beaucoup le tir de notre artillerie.
Dix divisions
fraîches avaient été acheminées vers la Champagne.
Le général de
Castelnau disposait de trente-cinq divisions, dix sept affectées à la 2 Armée
et dix-huit à la 4e.
A 5h20 du matin,
les vagues d'assaut reprirent leur élan.
Les tirailleurs
marocains enlevèrent presque sans coup férir la tranchée des Vandales qui,
prise le 25 par les coloniaux, n'avait pu être conservée. Ils la dépassèrent
d'un kilomètre, mais finirent eux-mêmes par être refoulés. Sur tous les autres
points, la deuxième position allemande resta aussi invulnérable que dans 'les
journées de la fin de septembre.
Le seul résultat
important de cette reprise de la bataille fut l'enlèvement du village et de la
butte de Tahure, emportés d'assaut par un régiment normand.
L'ennemi tenta,
pour les réoccuper, une série de contre-attaques qui échouèrent.
Le 6 octobre
tout le 297e
RI est engagé à l'Epine de Védégrange et disparaît
presque en entier dans la fournaise.
Sur d'autres
points, malgré l'absence de gains appréciables, nos troupes se signalèrent par
de glorieux exploits. Au nord de la ferme de Navarin, des régiments de l'Est et
d'Afrique se lancèrent impétueusement à l'assaut, firent de nombreux
prisonniers au Xe Corps d'armée allemand arrivé récemment de Russie, poussèrent
de l'avant, puis, s'organisèrent dans les tranchées conquises.
Des régiments,
composés de Bretons et de Vendéens, s'emparèrent du bois de la Brosse-à-Dents.
Mais cette seconde
partie de l'offensive ne se prolongea pas, et se limita à une seule journée.
Les approvisionnements en munitions s'épuisaient. Des remaniements importants
s'imposaient dans la composition des Armées.
Le général
Joffre décida d'arrêter les opérations.
Nous devons
mentionner l'offensive exécutée par la 3e Armée, sous les ordres du général
Humbert, à l'ouest de l'Argonne, pour couvrir et prolonger l'attaque de la
masse principale.
La 128e
division, chargée de l'opération, avait entrepris, le 25 septembre, à 9h15, un
premier assaut sur un front de
On reprit
l'assaut dans l'après-midi, mais le débouché des tranchées se trouva aussitôt barré
par des tirs très intenses.
Ainsi se termina
le combat, qui, d'après les ordres du Haut Commandement, ne devait guère
dépasser le rôle d'une démonstration.
Bien
qu'elle n'eût pas donné les résultats qu'on en attendait, cette bataille de
Champagne ne resta pas sans fruits.
Les
forces germaniques, surprises par la violence de nos assauts, se virent
contraintes de nous abandonner sur un front de vingt-cinq kilomètres, une
moyenne de quatre kilomètres de terrain en profondeur, qui constituaient une
zone de défenses formidables et réputées imprenables.
L'ennemi
laissait entre nos mains 26000 prisonniers dont 350 officiers, 150 canons, un
abondant matériel de siège et de combat. Sur les 200.000 Allemands engagés au
cours de l'action, 140.000 avaient été tués, blessés ou prisonniers
Sans doute,
éprouvions-nous une cruelle déception.
Si, dans
l'après-midi du 25 septembre, les 27e, 28e et 22e-divisions étaient parvenues à
quelques centaines de mètres des tranchées de l'Arbre 193 et de la Vistule, si elles
avaient pu rompre cette mince ligne d'ouvrages, c'était le passage à la guerre
en rase campagne, la victoire stratégique après la victoire tactique.
La bataille de
Champagne n'en démontrait pas moins la difficulté, sinon l'impossibilité
d'emporter d'un même élan les positions successives de l'ennemi.
Telle quelle,
elle infligeait à celui-ci une forte diminution matérielle et morale, elle
affirmait avec éclat la valeur de nos troupes et faisait croître dans les
coeurs français cette force qui les a soutenus jusqu'à la fin de la guerre :
l'espoir.
Suite
des opérations : L’offensive en Artois (sept)
Page précédente Page d’accueil