L’offensive dans l’Aisne 

les Allemands visent La Marne (27 mai au 1 juin 1918)

Le chemin des Dames

 

 

 

Pourquoi les Allemands sont passés à l’offensive en 1918 ?

Cette offensive fait suite aux offensives allemandes dans la Somme et en Flandres en avril

 

 

Malgré ses nouvelles tentatives contre Amiens, Ludendorff avait bien renoncé, dès le début d'avril, à l'espoir de percer notre front de ce coté.

Un ordre de la XVIIIe Armée, trouvé sur un prisonnier, prescrivait de désigner les opérations dirigées contre Amiens, antérieurement au 6 avril, sous le nom de « bataille de rupture », et celles postérieures à cette date sous le nom de « combats de l'Avre et de la région de Montdidier-Noyon »

Insignifiant détail, mais qui revêt une sérieuse importance quand il s'agit de gens aussi méthodiques que les Allemands.

 

 

Cette importance parut telle que Foch, après avoir cru, un instant, à une offensive décisive sur Calais et sur les ports de la Manche, offensive qui, poussée à fond, eût encore pu nous être funeste, puis voyant les affaires tourner en longueur de ce coté, ne leur prêta bientôt plus qu'une attention de convenance et ne se laissa arracher des renforts pour ces régions que sur les instances pressantes et réitérées du maréchal Haig, dont il fallait a tout prix soutenir la confiance.

 

 

Par intuition et par raisonnement, Foch eut été certainement plus disposé à faire droit aux réclamations de Pétain qui, le 6 mai, lui montrait l'Armée française à l'extrême limite de ses efforts et en situation difficile avec des effectifs aussi restreints, répartis sur un front aussi étendu.

 

Les forces allemandes

En fait, depuis le début d'avril, Ludendorff vidait la poche d'Amiens.

A cette date, Hutier disposait encore de 27 divisions; au début de mai, il n'en avait plus que 14.

En revanche, le front entre l'Oise et Reims, tenu par la VIIe Armée (von Boehm) depuis Chauny jusqu'à Berry au Bac, et par la Ie Armée (Fritz von Below) depuis Berry au Bac jusque vers Saint Souplet, en Champagne, était puissamment renforcé à partir du 19 mai.

 

En particulier, dans la région comprise entre Chauny et Berry-au-bac, face au Chemin des Dames, se trouvaient massées le 26 mai :

--entre Chauny et Leuilly, sur 20 kilomètres, 3 divisions en première ligne et 2 divisions en réserve.

--entre Leuilly et Berry au Bac, sur 45 kilomètres, devant le Chemin des dames, 15 divisions en première ligne, 7 divisions en deuxième ligne, 8 divisions en réserve.

--entre Berry-au-bac et Reims, sur 10 kilomètres, 5 divisions en première ligne, 1 division en deuxième ligne, 1 division en réserve.

 

Soit un total de 42 divisions sur un front de 75 kilomètres, et, en particulier, 30 divisions sur le front de 45 kilomètres correspondant au Chemin des Dames.

 

C'est sur ce terrain une division pour 1500 mètres, ou en moyenne 5 combattants par mètre courant.

Il y aura en outre 2 batteries de 77 d'accompagnement par 100 mètres de front d'attaque ; et, dans l'ensemble du secteur, 180 batteries de contre-batterie, destinées à annihiler l'artillerie française.

Tout ce matériel, qui comprend un nombre important de pièces à longue portée, est en place depuis très longtemps, ce qui facilitera grandement l'effet de surprise sur lequel l'ennemi compte.

 

 

L’entente

De notre côté, il y a l'Armée Duchêne (6e Armée) étalée sur un front d'environ 90 kilomètres.

Ce sont :

--le 30e Corps (55e, 19e, 151e divisions, 2e division de cavalerie à pied), depuis l'Oise jusqu'à la voie ferrée Soissons Laon;

--le 11e Corps (61e, 21e et 22e divisions), de cette voie ferrée au bois de Vauclerc;

--le 9e Corps britannique (5e, 8e et 21e divisions), du bois de Vauclerc à Reims, ayant à sa droite la 45e division française.

Derrière le front, se trouvaient disponibles les 13e, 39e, 74e, 157e divisions et la 4e division de cavalerie a pied.

 

Plusieurs de ces unités sont très fatiguées et ont été placées dans ce secteur calme pour se refaire.

La 22e division, la 39e et la 2e division de cavalerie à pied, la 45e division ont été fort éprouvées fin mars; la 151e division vient de subir de grosses pertes a Coucy le château, les 6, 7 et 8 avril ; quant aux divisions britanniques, elles se sont battues trois fois depuis deux mois, ont perdu la moitié de leur effectif et sont à bout de souffle. Enfin 4 divisions, dites fraîches parce qu'elles n'ont pas assisté à de violents combats, sont en secteur depuis cinq ou six mois, et auraient, elles aussi, grand besoin de repos.

Au total, c'est 16 divisions plus ou moins fatiguées ou réduites que les Alliés ont ici, en face des 42 divisions allemandes, parmi lesquelles figurent le Corps alpin, 4 divisions de la Garde et la division de Brandebourg.

 

 

Le terrain

 

La position, il est vrai, est formidable. Elle est trop connue pour qu'il soit nécessaire de la décrire à nouveau. C'est l'énorme massif qui s'élève entre l'Ailette et l'Aisne. L'Ailette forme le fossé, et la forteresse est constituée par un terrain abrupt que barrent des précipices, et où des creutes immenses permettent de soustraire les troupes de soutien au feu de la plus puissante artillerie.

La première position de défense, comprenant une ligne avancée, une ligne principale de défense, une ligne de soutien et une ligne de réduits, est placée au pied des pentes, immédiatement derrière l'Ailette.

A 6 kilomètres en arrière se trouve une position intermédiaire, ligne de tranchées qui court à contre-pente, au delà de la crête, abritée par conséquent de l'artillerie et parallèle au Chemin des Dames.

Au sud de l'Aisne, qui forme un deuxième et puissant obstacle, une deuxième position est organisée, au pied de laquelle toute attaque victorieuse par surprise, de la première position viendra s'écraser.

Malheureusement, pour garder cette région vraiment inexpugnable, les moyens en hommes et en matériel sont tout à fait insuffisants.

Chaque Corps de l'Armée Duchêne tient un secteur d'une trentaine de kilomètres.

La 22e division, reconstituée après les combats de la Somme, est devant Craonne, en liaison avec le 9e Corps britannique qui couvre Berry-au-bac et Reims.

Elle est étalée, avec ses dix mille combattants, sur un front de 14 kilomètres.

A sa gauche, la 21e division, en secteur depuis longtemps elle aussi, garde 11 kilomètres

Ces divisions occupent la première position de défense avec la presque totalité de leurs forces, et la position intermédiaire au moyen de simples garnisons de sûreté, appuyées par quelques compagnies de mitrailleuses.

Or, étant donné l'étendue du front, la première ligne elle-même n'est pas occupée d'une manière uniforme; elle est simplement tenue par des groupes de sections et de demi-sections installés dans des réduits encerclés de réseaux de fils de fer, échelonnés en profondeur, et se flanquant à des distances variables, quelquefois assez considérables.

Les défenseurs de ces îlots sont pourvus d'armes automatiques et de grenades; mais, vu les intervalles qui séparent les îlots fortifiés, il est évident que la prise d'un seul de ces réduits creusera dans la ligne une brèche difficile à aveugler.

L'artillerie des divisions de première ligne est installée près de la position intermédiaire. Quant à la deuxième position, elle doit être défendue par les divisions qui se trouvent au repos derrière le front, dans la région de Soissons.

Le Haut Commandement n'ignorait pas cette situation, dont la responsabilité ne lui incombait pas. Il savait bien que, pour soutenir le front britannique qui cédait, il avait été obligé de dégarnir tout le front français.

Pour protéger efficacement les directions vitales entre toutes qu'étaient celles de Paris et des ports de la Manche, il avait du masser de ce coté la majeure partie de ses réserves.

La Champagne, la Lorraine, l'Alsace étaient tout aussi menacées que le Chemin des Dames et aussi peu garnies de défenseurs.

Le Chemin des Dames avait au moins l'avantage d'offrir à la défense de magnifiques positions, susceptibles de faire hésiter l'ennemi.

Foch savait donc qu'il devait faire la part du feu, et qu'en attendant les renforts américains son immense ligne n'était nullement capable de résister partout aux moyens formidables que l'ennemi avait la possibilité d'accumuler devant l'un quelconque de ses secteurs.

Son vaste front devait résister, plier, se rompre même par endroits, mais il pensait bien qu'à force d'activité le flot finirait toujours par être maîtrisé, comme devant Amiens, et qu'on se trouverait, au pis aller, en présence d'une nouvelle poche comparable à celle de Montdidier.

 

La préparation

Du reste, tout annonçait une bataille imminente; depuis le début de mai, les indices se multipliaient de la préparation d'un suprême effort.

Les transports de Russie continuaient, très intensifs; la presque totalité de l'artillerie allemande était maintenant en secteur sur notre front et, avec elle, une partie de l'artillerie autrichienne.

Ypres, Calais, Amiens, Compiègne, Chalons paraissaient plus particulièrement menacés.

Devant le Chemin des Dames, au contraire, le calme demeurait profond ; et c'est surtout dans le secret de la préparation de l'attaque que réside le principal mérite de cette opération pour le Haut Commandement Allemand.

 

Pour assurer ce secret, l'es précautions les plus minutieuses ont été prises, suivant les principes déjà mis en pratique lors de l'offensive du 21 mars. Six divisions seulement ont été transportées par voie ferrée; les vingt autres ont gagné leur zone de combat par une série de marches de nuit.

Pendant le jour, dès 4 heures du matin, aucune colonne ne circulait; tout le monde était abrité, et les rues des cantonnements étaient tenues désertes. Les itinéraires étaient calculés de manière à éviter que deux régiments de brigades différentes pussent se croiser; chaque unité restait dans l'ignorance des mouvements généraux.

De même les cantonnements étaient rigoureusement consignés aux militaires des unités voisines; jamais une même localité n'abritait des éléments appartenant à deux divisions différentes.

Les mouvements d'artillerie furent l'objet d'une attention particulière. Tout bruit était évité dans le voisinage des secteurs d'attaque; et, dans les batteries qui prenaient leurs positions, les roues des voitures étaient matelassées, les sabots des chevaux enveloppés de chiffons, les organes des pièces habillés de manière à éviter tout cliquetis métallique.

 

Et c'est ainsi que le 26 mai au soir tout le dispositif était à pied d’œuvre devant nos positions du Chemin des Dames : dix divisions en face de notre 22e ; six divisions en face de la 21e ; cinq divisions devant la 61e.

Pourtant, malgré ces minutieuses précautions, la préparation, commencée le 1 mai, était déjà éventée depuis le 23.

Comme au temps de Verdun, des déserteurs étaient passés dans nos lignes, et le général de Maud'huy, commandant le 11e Corps, savait d’une manière précise, le 26 à midi, que le Chemin des Dames serait attaqué la nuit suivante, à 3 heures du matin.

La seule surprise fut donc, en définitive, dans les moyens formidables dont disposait l’assaillant ; à celle-là, l’état de nos propres moyens ne permettait pas de répondre.

 

 

L’attaque

Donc, le 26 mai, à 17 heures, le général Duchêne alerte la 6e Armée. A 19 heures, les dispositions de combat sont prises partout. A partir de 20 heures, l’artillerie des divisions, renforcée par tous les moyens disponibles, exécute les tirs de harcèlement et d’interdiction prévus par le plan de défense; elle inonde de projectiles les voies d’accès et les points de passage obligatoires de l’arrière ennemi.

A la nuit tombante, des détachements allemands cherchent à jeter des ponts sur l’Ailette. Pris immédiatement à partie par nos mitrailleuses, ils doivent renoncer à leur projet.

En même temps, le général Duchêne fait occuper la deuxième position, au sud de l'Aisne, par la 157e division.

 

Le 27 mai, à 1 heure du matin, l’artillerie allemande déclenche un tir d'une extrême violence sur tout le terrain compris entre nos premières lignes et nos batteries, en même temps que son artillerie lourde exécute un tir d’interdiction très puissant sur nos arrières.

Quatre mille pièces de tous calibres hurlent en même temps, devant lesquelles les 1030 canons, que nous avons pu à grand peine réunir, se révèlent bientôt insuffisants, malgré l’héroïsme du personnel.

L'air est empesté de gaz toxiques ; l’ennemi fait surtout usage d’obus à ypérite. Nos batteries sont annihilées; les petits réduits de la première ligne sont écrasés et nivelés; les mitrailleuses sont détruites.

 

A 3h30, la fumée s'est à peine dissipée que les défenseurs survivants, hébétés, voient surgir dans le demi-jour l’infanterie allemande. Dès le commencement de la préparation d’artillerie, les régiments de première ligne de l’attaque s’étaient en effet massés en avant de leurs tranchées, avaient franchi l’Ailette au moyen de passerelles de fortune, et étaient venus se rassembler tout près de nos réseaux, dans lesquels, à l’abri du feu de leurs canons, ils s’étaient hâtés de pratiquer des brèches à la cisaille.

Chacun d’eux était accompagné d’une compagnie de lance-flammes, d’un renfort de mitrailleuses et d’une batterie d’artillerie.

C’est une marée qui submerge tout.

Cette masse se précipite en avant, sans se préoccuper des intervalles qui doivent être pris en progressant dans les organisations françaises ; elle se subdivise en des milliers de petites colonnes qui s’infiltrent par tous les cheminements, glissent partout des mitrailleuses, et, suivant de très près un formidable barrage roulant, tirent en marchant....

Quelques îlots, non détruits par le canon, opposent une résistance désespérée.

Les braves qui les occupent ne songent guère à se rendre ; ils avertissent comme ils peuvent les camarades en arrière par la T. S. F., par les pigeons voyageurs; et ils restent là, à se faire tuer sur place.

Pas un homme du bataillon Chevalier, du 64e régiment infanterie, n’est revenu de cet enfer.

Nos bataillons de soutien, coiffés démasques, contre attaquent vigoureusement, poussant jusqu’aux dernières limites l’esprit de sacrifice.

Vers 8 heures du matin, les 21e et 22e divisions, dont les premières positions sont submergées et dont les réserves sont engagées dans des contre attaques furieuses, n’existent plus.

Pêle-mêle avec leurs faibles débris, l’ennemi a gagné le Chemin des Dames. Le terrain est cependant disputé pied à pied. Les généraux Dauvin et Renouard, commandant les 21e et 22e divisions, se multiplient et demeurent bientôt seuls à diriger leurs bataillons disloqués et décimés.

Les débris des régiments combattent, mélangés sur une seule ligne : à la 21e division, le 64e RI, le 93e RI, le 137e RI ; à la 22e, le 19e RI, le 62e RI, le 118e RI, rivalisent d’héroïsme.

Cinq colonels sur six ont été ensevelis dans leur poste de commandement ; tous les chefs de bataillon de la 22e division sont tombés....

 

Dès 5 heures du matin, le général de Galembert, commandant la 157e division, dont la mission était de défendre la deuxième position, reçoit l’ordre d’envoyer 4 bataillons au nord de l’Aisne, pour appuyer la 22 division.

A peine ces 4 bataillons ont-ils franchi la rivière qu’ils tombent sous un feu violent d’infanterie et de mitrailleuses, de la part d'un ennemi qui occupe déjà le Chemin des Dames.

Un désordre momentané se produit; puis ces bataillons se déploient et, bravement, la baïonnette haute, se portent au devant des Allemands. Mais, engagées de la sorte, nos sections échappent déjà à toute direction.

Elles sont englobées dans la retraite des faibles éléments restant des 21e et 22e divisions, et balayées avec eux sur l’Aisne par les masses ennemies.

Il ne restait plus à la garde de la deuxième position et des ponts de l’Aisne que 4 bataillons de la 157e division (un bataillon du 214e, un bataillon du 233e et deux bataillons du 252e).

Ils font bonne contenance; mais, vers 10 heures du matin, le 9e Corps britannique ayant été refoulé à droite, leur ligne est prise à revers par Villersen-Prayères.

Le Corps allemand de Vichura progresse aussi vers Vailly ; et de Pontavert à Reims, toute la ligne est enlevée, comme le Chemin des Dames.

La VIe division de réserve bavaroise, les Vet VIe divisions .ont débordé la forêt de Pinon en s’infiltrant par les ravins de Vauxaillon et de Chavignon, et elles sont parvenues à arracher le massif de Laffaux à la 61e division.

 

A 11 heures du matin, 12 divisions allemandes bordent l’Aisne depuis Chavonne jusqu'à Berry au Bac et Reims, et le XVe Corps refoule les divisions britanniques.

 

Vers midi, l’Aisne est franchie pêle-mêle par les divisions allemandes et par les débris de notre 11e Corps.

Les positions de la deuxième ligne, trop faiblement gardées, sont encerclées et submergées; et le soir, à 20 heures, les Allemands ont atteint la ligne Vauxaillon, Vrégny, Braine, Bazoches, Fismes.

Sur un front de 30 kilomètres, ils ont creusé une poche d’une vingtaine de kilomètres, franchi l’ailette et l’Aisne, et ils bordent la Vesle après avoir annihilé nos divisions de première ligne.

De la 22e division, peu d’hommes ont échappé: à peine la valeur de deux compagnies reconstituées au moyen de permissionnaires rentrés le soir, de quelques prisonniers évadés et des hommes des convois.

La 21e division a perdu 160 officiers et 6.000 hommes.

De la 157e division, il reste 1200 hommes; de la 61e à peine 800.

Les débris des 214e, 252e, 333e, 219e, 264e, 265e, 64e, 93e, 137e, 19e, 62e, 118e régiments d’infanterie auxquels se sont joints quelques artilleurs des 35e, 236e et 251e régiments de campagne, continuent d’ailleurs à faire tête à l’ennemi et se battent héroïquement, disputant le terrain pied à pied, bien que les batteries, dont presque tout le personnel a été asphyxié, soient tombées aux mains de l’ennemi.

La nuit n’arrête pas la poursuite. Grâce à leur nombre, les Allemands manœuvrent de façon à séparer complètement le 9e Corps britannique de la 22e division. Heureusement, les auto-canons et les auto-mitrailleuses du 1e Corps de cavalerie accourent de Fismes et réussissent momentanément à aveugler cette redoutable brèche.

 

Le 28 mai, à 1 heure du matin, la X'e division allemande franchit la Vesle près de Bazoches et pousse vers les bois de Dôle.

La Ve division de la Garde franchit la rivière à l’est de Fismes, et marche sur Courville.

Débordés sur leurs deux flancs, attaqués de. front par deux divisions, les défenseurs de Fismes se replient vers deux heures du matin.

A midi, toute la ligne de la Vesle est perdue; et les Allemands, à qui nous ne pouvons pas encore opposer des forces suffisantes, progressent lentement au sud de la rivière, faisant surtout porter leurs efforts sur les ailes, pour agrandir la trouée.

Vaines tentatives, car si nous abandonnons à gauche le plateau de Crouy, les deux pivots de Soissons et de Reims tiennent bon; ce jour-là, l’avance ennemie n’est que de 5 ou 6 kilomètres.

 

Cependant, devant la rupture inattendue et trop facile de notre première ligne, le Haut Commandement allemand a pris la décision de transformer en une attaque à fond cette opération qui ne devait être d’abord qu’une démonstration.

 

Déjà la plupart des divisions, considérant comme atteint l’objectif qui leur avait été assigné, commençaient, le 28 au soir, à s’organiser sur les positions conquises; mais un ordre de Ludendorff' leur parvient : « Le combat, dit le Quartier Maître Général, prend désormais le caractère de la guerre de mouvement : poursuite de l’ennemi, rapide, ininterrompue. Ne laisser aucun répit à l’ennemi, même pendant la nuit. Ne pas s’attendre les uns les autres. »

L’empereur, le Kronprinz, Hindenburg, Ludendorff sont accourus. Eblouis par l’étendue de cette victoire qu’ils n’osaient espérer, ils croient la France à terre. ils sonnent l-hallali.

Ils le sonnent plus discrètement que l'offensive du 21 mars, il est vrai, de crainte de quelque nouvelle désillusion.

Ils indiquent bien à la presse l’importance militaire de la chute du Chemin des Dames, et l’importance morale d-une défaite infligée à la seule Armée française, à cette Armée que l’on s’était habitué à considérer comme le plus solide rempart de l’entente.

Ils célèbrent la prestigieuse habileté du Haut Commandement qui a su percer le centre de Foch, tandis que les réserves alliées avaient été savamment attirées ailleurs.

Ils signalent le prodige qu'a été ce formidable déplacement de forces, dans le secret le plus profond... mais c'est tout.

Plus de folles utopies, plus de promesses d'une rupture définitive du front. Ils ont enfin compris que ce n'est pas une victoire locale, si complète qu'elle puisse être, qui abattra jamais la constance française.

Paris, que les avions visitent presque toutes les nuits, dont les obus de la « Bertha» éventrent toutes les deux ou trois heures quelque maison ou quelque église, paraît, non pas insensible, mais résolu à braver fous les dangers, et à les braver à la française : en riant. De tout cœur, chaque Français a fait sienne la fière déclaration lancée par Clemenceau à la tribune de la Chambre, au milieu des acclamations :

« Nous remporterons la victoire si les pouvoirs publics sont à la hauteur de leur tâche. Je me bats devant Paris; je me bats à Paris ; je me bats derrière Paris. »

Et pour expliquer son imperturbable optimisme, le Président a montré les transports américains déchargeant activement dans nos ports leur magnifique apport d'énergie.

Il y a déjà en France plus de 600.000  jeunes gens du Nouveau Monde.

Toute la 1e Armée américaine, forte de 5 divisions, est même en secteur. Elle est commandée par le général Ligget, dont le quartier général est à Neufchâteau. Six divisions de la 2e Armée sont dans les centres d'instruction, ainsi que trois divisions de la 3e Armée.

 

Foch reste calme, comme à son habitude, au milieu de la tempête. Il sait que l'ennemi sera arrêté dès que les réserves auront pu être amenées à pied d’œuvre, et il a pris les mesures nécessaires pour que ces réserves arrivent au plus vite. Il avait considéré tout d'abord l'attaque du Chemin des Dames pour ce qu'elle était : une puissante démonstration.

 

Mais dans la nuit du 28 au 29, c'est-à-dire à peine quelques heures après le  changement de décision du Haut Commandement allemand, devant les progrès réalisés par l'ennemi, il avisait le maréchal Haig de la nécessité où il allait se trouver de retirer quelques divisions françaises du front britannique.

Il prescrivait en même temps au général Maistre de rapprocher des quais d'embarquement les 4 divisions de la 10e Armée ; il envoyait à Montmort le général Micheler, avec l'Etat – Major de la 5eArmée, qu'il mettait à la disposition du général Franchet d'Espérey, commandant le G. A. N., pour y prendre le commandement d'un groupe de 6 divisions destinées à tenir solidement la Montagne de Reims; il appelait enfin sur la Marne la division américaine de la réserve générale.

Quant à Pétain, faisant sagement la part du feu, il avait déjà ordonné l'organisation d'une ligne de résistance jalonnée par la Crise, les hauteurs du Grand-Rozoy, Arcy-Sainte-Restitue et les mamelons du Tardenois, sur laquelle le 1e Corps d'Armée à gauche et le 210 Corps à droite devaient recueillir et encadrer les 30e et 11e Corps disloqués.

 

Le 29 mai au matin, les Allemands poursuivent leur offensive avec une nouvelle vigueur.

On se bat dans Soissons. Micheler, accouru à Cumières, improvise un front entre Arcy-le-Ponsard et Prunay, et arrête net l'ennemi devant les faubourgs de Reims. Le brave de Maud'huy dispute âprement les abords de la forêt de Villers Cotterets avec les débris du 11e Corps.

Le soir, s'ils tenaient à peu près Soissons en flammes, les Allemands avaient surtout progressé vers le Sud, ayant enlevé Fère en Tardenois, franchi l'Ourcq et poussé leurs masses jusqu'à 5 kilomètres de la Marne.

Heureusement les charnières tiennent bon ; autant les hauteurs de Chaudun que les abords de Reims; et la poche prend l'aspect d'un triangle dont la pointe s'allonge vers Jaulgonne.

Décidément, le danger est maintenant sur la Marne, et non ailleurs. Foch avertit Sir Douglas qu'il va appeler la 10e Armée dans la forêt de Villers-Cotterets; qu'il aura recours aussi, peut être, aux disponibilités britanniques; qu'en tout cas, l'Armée Debeney va être affaiblie et aura besoin d'être étayée par l'Armée anglaise.

En revanche, le Généralissime prescrit à l'Armée belge de prendre à son compte une partie du front britannique, et de s'étendre. jusqu'à Ypres.

Ces mesures ne pouvaient pas être prises plus tôt : le 27, la 2 Armée britannique et notre G.A.N. avaient encore été violemment attaqués après une puissante préparation d'artillerie qui faisait présager une opération de grand style.

Même le front avait fléchi, et la ligne n'avait réussi à s'accrocher que le soir à KruitstraatHoek et, par l'Eclusette, à l'extrémité nord de l'étang de Dickebush en Flandres

 

Le 30 mai, deux nouvelles divisions allemandes viennent renforcer les colonnes qui poussent vers la Marne: la 103e et la 231e.

Le général commandant cette dernière division a donné à ses bataillons l'ordre formel d'atteindre la rivière :

« C'est une question d'honneur pour nous, a-t-il écrit le 29, d'atteindre la Marne demain. »

La Marne !.. Rivière au nom magique dont les flots calmes roulent tant de souvenirs ..

Effectivement, la 231e division atteint la Marne ce jour-là, à 14 heures, entre Brasles et Mont-Saint-Père.

La 28e division l'atteint à 18 heures à Jaulgonne, mais les ponts sont détruits.

A l'ouest, la progression est plus lente. Les trois divisions du Corps Winkler s'emparent bien de Vierzy et d'Oulchy le Château, mais leurs pertes sont sensibles. A l'est, le Corps Schmettow et la Ie Armée de Fritz von Below sont complètement arrêtés devant Verneuil et Ville en Tardenois, et ne peuvent forcer la résistance des défenseurs de Reims.

 

Le 31 mai, Ludendorff appelle de nouvelles divisions. Il intensifie son effort à l'est et à l'ouest pour élargir la poche trop étroite sur la Marne.

La 28e division de réserve vient renforcer la 1e division de la Garde de vers Longpont, et la 232e division accourt vers ChâteauThierry.

De Maud'huy contre attaque héroïquement sur Chaudui et reprend cette localité à l'ennemi.

Robillot enraye la poussée des Allemands qui, maîtres de Neuilly Saint Front, s'infiltraient dans la vallée de l'Ourcq.

Cette lutte acharnée absorbe les disponibilités allemandes.

Ludendorff ne peut plus disposer maintenant que de six divisions, sans dégarnir les autres secteurs. Un nouveau Conseil de guerre, tenu ce jour-là à Fismes sous la présidence de l'Empereur, décide que ces six divisions seront lancées dans la fournaise.

 

Le 1e juin, un ordre laconique est lu aux troupes:

« Sur le désir de Sa Majesté l'Empereur et de Son Excellence le maréchal Hindenburg, l'offensive sera continuée... »

 

Suivre l’historique du 99e régiment d'infanterie qui a participé à cette bataille et qui défendit Reims

 

 

Seulement, ce n'est pas au sud de la Marne que va se poursuivre l'effort.

Cette rivière sera au contraire pour l'Armée impériale une excellente couverture contre une offensive venant du sud. On créera simplement entre Château-Thierry et Dormans une tête de pont sur la rive gauche, pour faciliter une progression ultérieure, et on agira vigoureusement aux deux ailes : a l’est contre Reims ; à l'ouest contre le massif forestier Compiègne, Villers-Cotterêts.

L'attaque de ce dernier massif nécessitera deux opérations simultanées : l'une partant de l'est contre Villers-Cotterêts, l'autre partant du nord contre Compiègne, afin d'encercler les forces françaises, évidemment massées là, ou de les obliger à la retraite...

 

Ce sera l’offensive vers Compiègne ; 1 au 12 juin 1918

 

 

 

   

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