La Bataille de l’Empereur

21 au 31 mars 1918

 

 

 

Pourquoi les Allemands sont passés à l’offensive en 1918 ?

 

 

On n'engage pas sans hésitations une partie aussi redoutable et aussi lourde de conséquences.

Annoncée tous les jours par la presse allemande depuis le mois d'octobre 1917, la grande offensive d'Occident avait vu son échéance sans cesse retardée, et l'on en parlait encore en mars 1918.

En Allemagne même, tout un parti fort puissant y était opposé, dont le chef n'était autre que M. von Kuhlmann, ministre des Affaires étrangères maintenant que la Russie était hors de cause, ce diplomate était d'avis que l'Allemagne avait gagné la guerre, quoi qu'il pût arriver, puisque l'Orient lui était désormais ouvert ; et devant les difficultés qu'il prévoyait en France, il estimait le moment venu de faire des propositions de paix aux puissances occidentales.

 

Un petit sacrifice consenti, de ce côté, ne lui paraissait même pas susceptible d'amoindrir d'une manière appréciable les immenses bénéfices que promettait l'Orient. Ce fut là le thème d'une campagne de presse fort active qui se développa en Allemagne et eut aussi des échos dans certains organes des pays de l'Entente.

 

Mais le parti pangermaniste, qui recevait ses directives de Hindenburg et de Ludendorff, veillait jalousement.

Il triompha assez facilement du ministre et de ses velléités de conciliation; et, en définitive, sans que les immenses préparatifs de la ruée finale eussent même été interrompus un seul instant, tous les esprits allemands se trouvèrent bien pénétrés de l'idée que la guerre devait être poussée à fond et qu'elle ne pouvait se terminer que par l'écrasement définitif de la France et de l'Angleterre.

 

Le plan conçu par Ludendorff

 

Le plan conçu par Ludendorff est simple et brutal. Il s'agit d'un coup de massue porté avec toutes les forces disponibles en un seul point, convenablement choisi. Ce point sera la région de Saint-Quentin où est la soudure des forces anglaises et françaises. Le Grand État-major allemand sait bien que la principale faiblesse de l'Entente est dans l'absence d'un commandement unique.

Si donc les Allemands réussissent à pénétrer en coin entre les Anglais et les Français, les deux grands alliés ne seront vraisemblablement pas capables de coordonner leurs efforts.

Dès lors, les Anglais se retireront tout naturellement vers les ports de la manche où sont leurs bases, et les Français n'auront même pas le temps de revenir de leur surprise et de les appuyer efficacement. Isolés eux-mêmes, ils seront rejetés vers le sud, et les chances seront grandes d'une victoire décisive.

Pour cacher le plus long temps possible à l'ennemi le point d'attaque choisi, de nombreuses démonstrations combats d'artillerie, attaques d'infanterie de faible envergure, ont lieu depuis le début de l'année un peu dans tous les secteurs du front ; en Champagne, en Alsace, en Lorraine.

Quand l'attaque se déclenchera, elle sera accompagnée d'un redoublement d'activité et d'une formidable préparation d'artillerie, déchaînée depuis la mer jusqu'à la Suisse.

 

Ainsi, même s'ils avaient l'intention, ce qui est peu probable, de mettre leurs réserves en commun, Français et Anglais, préoccupés chacun du sort de leur secteur, conserveront jalousement leurs disponibilités et laisseront l'offensive allemande progresser librement.

 

Tout cela était fort bien conçu et l'exécution semble avoir approché de la perfection.

Malheureusement, une erreur stratégique fondamentale condamnait ce plan à l'échec : il ne prévoyait qu'une attaque, formidable il est vrai, mais unique.

Cette méthode simple et brutale avait triomphé en Russie, et l'homme à qui elle avait procuré dans ces vastes régions une gloire éclatante lui demeurait fidèle, sans songer que, sur le nouveau théâtre où il allait manœuvrer et devant l'organisation et la valeur des nouveaux ennemis qu'il avait à combattre, les conditions de la lutte se trouvaient profondément modifiées.

La caractéristique du choc allemand, produit par des masses considérables admirablement entraînées, appuyé par des moyens formidables et favorisé par la surprise, est d'être irrésistible au premier moment.

En tout état de cause, les troupes de première ligne qui le subissent sont annihilées; seule, une intervention des réserves est susceptible d'enrayer ses progrès.

 

Or, en Russie, où l'immensité du front et la rareté des moyens de communication rend cette intervention des réserves très lente; où, au surplus, le matériel dont disposent les troupes en ligne est défectueux et insuffisant ; où le moral des soldats et celui de toute la Nation sont affaiblis par une savante campagne de démoralisation, un semblable procédé devait à coup sûr réussir, et occasionner, sinon immédiatement un désastre irréparable, du moins la dislocation assez rapide du front.

Mais, en France, les troupes de première ligne sont fort bien armées et leur moral est très élevé ; le front est moins étendu et les moyens de communication sont nombreux et rapides, de sorte que les premières réserves n'ont jamais plus de 200 kilomètres à parcourir par voie ferrée pour intervenir efficacement et colmater une brèche au lieu de 1200 kilomètres en Russie, par de mauvais chemins.

Ici, l'offensive brutale sur un seul point ne peut guère aboutir qu'à la formation d'une poche plus ou moins profonde que l'intervention rapide des réserves limitera, puis réduira, car aucun autre secteur du front ne sollicite l'appui de ces réserves et le défenseur demeure libre d'en disposer à sa guise.

Pour faire mieux, il eût fallu consacrer moins de moyens au premier coup de boutoir et le renouveler plusieurs fois en des points très éloignés, afin de disloquer le front et d'obliger nos réserves à des rocades épuisantes.

Mais, bâti en force, Ludendorff manque de souplesse; Ses Etats-majors en manquent aussi.

 

Le Haut Commandement allemand se montrera incapable d'adapter les méthodes du front oriental aux nécessités du front occidental. Ce sera la cause première de sa défaite.

 

L’attaque

Donc, le 21 mars, le front s'enflammait de la mer à la Suisse; et, en maints endroits, se déclenchaient des préparations d'artillerie avec un luxe de munitions qui rappelait les orgies de Verdun ou de la Somme.

Cependant, cette préparation fut particulièrement violente dans la région comprise entre la Scarpe, à l'est d'Arras, et Vendeuil, à une dizaine de kilomètres au sud de Saint Quentin.

Grâce aux minenwerfer, aux canons de calibres inconnus, à des obus toxiques nouveaux bourrés d'ypérite, les Allemands réalisèrent encore une fois la zone de mort intégrale sur ce front de 80 kilomètres.

C'était surtout sur l'effet moral produit par les obus toxiques que Ludendorff comptait pour forcer la victoire.

Il y avait là, depuis la Scarpe jusqu'à la route de Péronne à Cambrai, deux Armées britanniques: la 3e, du général Byng, le vainqueur du Cambrésis, avec 9 divisions en première ligne et 5 en deuxième ; et au sud, s'étendant jusque dans la forêt de Saint-Gobain, où elle se soudait aux Armées françaises, la 5e Armée du général Gough, avec en première ligne 10 divisions d'infanterie et en deuxième ligne 3 divisions infanterie et 3 divisions de cavalerie.

Le quartier général de Byng était à Albert, celui de Gough à Nesle.

Byng a 6 divisions entre Croisilles et La Vacquerie; Gough en a 10 de la Vacquerie à La Fère.

Contre ces 16 divisions se ruent, à partir de 9h30 du matin, 37 divisions allemandes appartenant à la 3e Armée du général von der Marwitz, à la XVIIe Armée d'Otto Von Below, flanquant l'attaque au nord; à la XVIIIe Armée de von Hutier, l'appuyant au sud.

 

Le brouillard est intense; les défenseurs sont étourdis par le furieux bombardement qu'ils viennent de subir, et les épaisses nappes de gaz qui enveloppent les tranchées favorisent encore la surprise.

Cependant, comme les soldats de Byng (59e, 6e, 51e, 17e, 63e et 17e divisions) s'attendaient depuis longtemps à l'attaque, l'étonnement fut de courte durée, et bien vite la résistance devint énergique.

En face de Marcoing l'ennemi ne put réaliser aucun progrès, en dépit des plus vigoureux efforts. Plus au nord, vers Croisilles, il réussit bien à enlever les premières tranchées britanniques, niais son élan se brisa contre les fils de fer de la deuxième ligne et il éprouva de lourdes pertes.

 

Au contraire, l'Armée de Gough qui se croyait en sûreté parce que la plus grande partie de son front était couverte par les marais de l'Oise, fut surprise.

Les marais de l'Oise étaient à sec ; ils n'arrêtèrent pas ces colonnes d'assaut allemandes et celles-ci submergèrent les tranchées britanniques. Dans la soirée, la 5e Armée était rejetée derrière le canal de Crozat, entre Saint-Simon et Tergnier, et cette dernière localité était même enlevée par l'ennemi.

En somme, cette journée, au cours de laquelle ces Allemands, profitant de tous les avantages d'une longue préparation et de tous les effets de la surprise, avaient engagé contre 16 divisions britanniques, outre leurs 37 divisions de première ligne, 27 divisions de renfort, soit un total de 64 divisions, avaient creusé dans le front de nos Alliés deux poches inégales : l'une, assez faible, dans la région de Croisilles, en direction de Bapaume; l'autre plus importante, de La Vacquerie à La Fère, en direction de Ham.

Mais, dès que les guetteurs britanniques ont signalé les masses allemandes quittant leurs tranchées, le maréchal Haig, prévenu, a immédiatement téléphoné au général Pétain qui, sans perdre une minute, a alerté ses réserves.

 

Depuis longtemps, on avait envisagé, au Grand Quartier Général français, les diverses hypothèses que pourrait tenter de réaliser une offensive allemande ; on peut bien croire que celle d'un rush sur le point de soudure franco-britannique n'avait pas été oubliée :

Pétain ordonne donc au général Pellé, commandant le 5e Corps, dont les divisions (9e,10e,125e divisions d'infanterie et 1e division de cavalerie à pied) sont près de Compiègne, de se tenir prêt à embarquer ses unités.

Le général Humbert, commandant la 3e Armée, qui est à Clermont, et le général Fayolle, commandant du G.A.R.(groupe d’armée de réserve) sont avisés de cet ordre et avertis qu'ils pourront être appelés, eux aussi, dans la région de La Fère. Le général Debeney, commandant la 1e Armée, à Toul, reçoit l'ordre de préparer les transports nécessaires pour le cas où ses troupes, qui sont en ligne en Lorraine, devraient être ramenées vers Noyon.

A midi, la 125e division, transportée par camions, débarque déjà à l'est de Quierzy (dont fait parti les 76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie et 245e d’Artillerie),dans le secteur de la 58e division britannique : elle doit assurer la liaison entre les Anglais et l'Armée Degoutte. Les trois autres divisions du 5° Corps seront jetées dans la région de Noyon, au  fur et à mesure de leur débarquement.

 

Le général Humbert installe à Montdidier le quartier général de la 3° Armée.

 

La nuit du 21 au 22 mars est calme.

Après leur ruée de la veille, les Allemands sont obligés de réorganiser leurs unités effroyablement mélangées.

Ce désordre extraordinaire s'explique par la formation de combat adoptée. Les divisions qui, par endroits, étaient sur deux ou trois de profondeur, occupaient chacune un front de 2 kilomètres avec, en général, deux régiments en première ligne et un régiment en réserve. Dans chaque régiment, les trois bataillons étaient échelonnés en profondeur et chaque bataillon fournissait deux vagues d'assaut: la première vague constituée par deux compagnies et par les mitrailleuses légères ; la deuxième vague, qui suivait la première à 100 mètres, par deux compagnies et par les mitrailleuses lourdes.

A 200 mètres en arrière, suivaient les minenwerfer. La compagnie avait deux sections en première ligne et deux sections en soutien.

Un semblable dispositif, renouvelé des anciens, présentait, par division, de 15 à 20 hommes en profondeur et jusqu'à 40 hommes lorsque, dans la masse d'attaque, deux divisions se suivaient, ce qui était à peu près général.

 

La première vague devait foncer, tête baissée, sur son objectif, sans se soucier des pertes, franchir la position ennemie et aller s'installer au-delà, en négligeant les éléments de la défense qui pouvaient résister encore et que des troupes spéciales, munies de grenades, de couteaux et de lance-flammes, avaient mission de réduire.

Arrêtée au-delà de l'obstacle, la première vague devait exécuter des feux très violents, jusqu'à l'extrême limite de la portée des armes, pour inonder d'une pluie de balles le terrain en arrière, et rendre impossible l'arrivée des réserves de l'ennemi.

 

A la faveur de ce barrage, la deuxième vague devait progresser, dépasser la première et aller s'installer au delà pour continuer le feu et permettre de la même manière la progression de la troisième vague... et de même ainsi jusqu'à la dernière... Si l'on songe que ces vagues qui chevauchaient ainsi les unes sur les autres appartenaient à des compagnies, à des bataillons, à des régiments, et même à des divisions et à des Corps d'Armées différents, qu'elles cheminaient en dépit du feu de l'ennemi, parmi les réseaux de fils de fer et les obstacles accumulés, on peut juger du désordre.

 Aussi peut-on penser qu'une complète remise en main des 64 divisions engagées ce jour là s'imposait, et on comprend pourquoi l'offensive dut s'arrêter momentanément le 21 mars, au soir.

Le 22 mars, au matin

 La course reprenait dans un brouillard épais, en présence de l'Empereur, appelé en toute hâte pour assister à la victoire.

Cette fois, au nord, l'Armée de Byng cédait sous une formidable pression et abandonnait les hauteurs de Croisilles à l'Armée de Below, tandis qu'au sud, Marwitz, faisant effort sur la gauche de Gough, enlevait Epehy, Roisel, Vermand et les deux premières positions anglaises jusqu'a l' Omignon.

Au sud de ce ruisseau, Hutier, précédé par une nappe de gaz, pénétrait dans les troisièmes positions de la 5e Armée britannique, prenait pied sur la rive ouest du canal de Crozat, forçait le passage de l'Oise à l'ouest de La Fère et se rendait maître de Tergnier.

Menacé d'être débordé, Byng évacue alors ses premières positions qui résistaient toujours en face de Marcoing, et Gouhg, dont toutes les réserves ont déjà été engagées, prend ses dispositions pour se retirer derrière la ligne de la Somme et du canal du Nord.

Cependant, le général Pellé est déjà arrivé a Noyon. Ses divisions sont en mouvement, mais ne peuvent être encore là; et, en les attendant, la 125e division doit étendre sa gauche vers l'ouest pour étayer vers Chauny la 58e division britannique qui recule toujours, écrasée sous le nombre des assaillants, ainsi d'ailleurs que les autres divisions de l'Armée Gough.

L'intervention des réserves britanniques (20e division et 2 division de cavalerie) a permis tout au plus de marquer un temps d'arrêt sur le canal de Crozat. C'est une mission d'entier sacrifice que nos 76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie accomplissent avec abnégation.

 

A Paris, la situation est encore envisagée, ce jour-là, avec assez de calme.

Mr Clemenceau consulte le général Foch, chef d'État-major de l'Armée, et ce dernier estime que la ténacité dans la résistance et l'activité dans la manœuvre peuvent fort bien triompher de l'effort allemand. Selon lui, de nombreux obstacles : la Somme, le canal de Crozat, barrent encore la route à l'assaillant et couvrent les points vitaux à conserver; et on peut tout attendre de la ténacité britannique.

Mais le 23 mars

 La situation s'aggrave. L'Armée Gough, exécutant les ordres de la veille, se replie en bon ordre, sans attendre  l'attaque qui se déclenche d'ailleurs dans la matinée.

Pétain est au Grand Quartier Général britannique. Haig incline à se retirer vers les ports de la manche. Le Général en chef français insiste avec force pour que la liaison ne soit pas rompue :

 « Si vous ne prenez pas la main que je vous tends, lui dit-il, tout est perdu. j'ai le bras long, mais je ne peux tout de même pas l'allonger indéfiniment... »

 

Les escadrilles françaises sont là. Elles retardent l'ennemi qui marche déjà vers Ham, maître de toute la rive gauche de la Somme, en aval de cette ville.

La 3e Armée britannique a dû s'aligner sur la 5e pour éviter d'être débordée; mais les régiments de Byng, dont le moral reste excellent, s'arrêtent assez vite et contiennent l'Armée de Bellow devant Bapaume.

En revanche, sur le canal de Crozat, les deux divisions britanniques, qui avaient faibli hier, se replient maintenant vers l'ouest, décimées, sans même songer à demeurer en liaison avec la 6e Armée française.

Une dangereuse brèche s'ouvre à l'endroit de la soudure franco-britannique.

Si Hutier fonce comme il sait le faire, le désastre sera irréparable ce soir mais voici les trois divisions de Pellé ; Humbert est avec elles;il les anime de son ardeur, et, au fur et à mesure de leur débarquement, il les envoie au combat avec l'ordre formel de se sacrifier et de tenir à tout prix.

Pelle lance la division Gamelin vers Ham, les divisions Valdant et de Rascas, appuyées par la division Mangin qui vient de rejoindre le 5e Corps, vers le canal de Crozat.

Ces divisions rencontrent en route les deux divisions britanniques harassées qui se retiraient du feu. L'artillerie n'est pas au complet; les coffres sont à moitié vides; Les hommes sont fatigués de leur voyage.

 

Avec un admirable esprit de sacrifice, les compagnies parfois isolées des 4e, 82e, 329e, 46e, 31e, 89e, 76e, 131,113e d'infanterie ; des 4e, 9e et 11e cuirassiers à pied, jusqu'à un bataillon du 65e régiment territorial, se lancent au-devant des masses allemandes à la baïonnette.

La division Diébold chasse un moment de Tergnier l'ennemi surpris de trouver ici des capotes bleu horizon. Mais Ludendorff a mis en ligne de nouvelles divisions qui poussent les premières et passent devant elles.

 

La marée feldgrau submerge tout.

 

La 125e division (76e, 131e, et 113e régiments d'infanterie et 245e d’Artillerie), doit abandonner Tergnier. La lutte a pris un caractère d'acharnement inouï ;Et c'est seulement pied à pied que nos lignes trop minces reculent, infligeant  à l'ennemi des pertes énormes.

Elles ne peuvent nulle part se maintenir; le Haut Commandement allemand met un tel prix à ses succès qu'il paraît décidé à consentir tous les sacrifices pour donner à l'Empereur « Sa Victoire », et pour terminer la guerre.

Entre temps, presque toutes les nuits, des avions de bombardement survolaient Paris, et leurs bombes semaient la mort dans la capitale. L'ingéniosité allemande venait même de trouver un moyen infernal de frapper l'imagination et d'atteindre le moral de la France, tout en donnant au monde une haute idée de la puissance germanique.

 

Le 23 mars, une pièce à longue portée, cachée dans la forêt de Pinon, faisait pleuvoir, à une distance de 120 kilomètres, des obus monstres sur Paris.

Des maisons furent éventrées ; des femmes, des vieillards, des infirmes, des malades, des enfants tombèrent, fauchés par la mitraille, tout comme les combattants des tranchées.

Cette guerre à l'allemande n'eut pas d'autre effet que de soulever la réprobation du monde civilisé.

Au demeurant, l'âme de la capitale et celle de la France ne furent aucunement ébranlées.

Cependant, la situation était grave.

D'Arras à La Fère, le front portait une plaie ouverte. Les Anglais reculaient maintenant sur près de 1 00 kilomètres; le canal de Crozat était forcé, ainsi que l'Oise, vers La Fère et la Somme, en amont de Ham. L'Armée Debeney, que Pétain avait appelée en toute hâte de Toul, arriverait-elle à temps pour appuyer l'Armée Humbert, avant que la retraite anglaise, nettement orientée vers l'ouest, n'eût ouvert à la gauche de nos Armées une brèche trop grande pour pouvoir être comblée?

 

Devant ce recul continu des forces britanniques, Pétain considère qu'une catastrophe peut surgir; et pour n'y être point englobé, il envisage la possibilité d'un repli de sa gauche vers le sud. Foch, lui-même, estime que la situation peut devenir critique d'un moment à l'autre; et, sur son conseil, M. Clemenceau, décidé pour sa part à terminer sa carrière dans Paris assiégé, pressent le Président de la République de la nécessité où le Gouvernement pourra se trouver de revenir, pour la troisième fois dans notre histoire, s'installer en province. Dans les couloirs du ministère il est question, non de Bordeaux qui est trop loin et qui rappelle trop des souvenirs de défaite, mais de Tours M. Poincaré refuse toute suggestion et déclare nettement qu'il ne quittera pas Paris.

Le 24 mars

Il faut encore reculer. Byng, dont les réserves sont désormais épuisées, lâche Combles et Bouchavesnes ; Gough abandonne la ligne de a Somme que Marwitz franchit derrière lui. Enfin, jetant sans compter ses divisions dans la fournaise, Hutier refoule lentement au delà de Chauny les héroïques divisions de Pellé, qui vendent chèrement leur vie.

Sentant qu'il va définitivement perdre pied, le Maréchal Haig appelle à l'aide.

Au Gouvernement britannique, il demande des renforts, montrant l'Armée Gough en déroute, le front percé, les unités décimées et en désordre se retirant comme elles peuvent et s'accrochant où elles peuvent, sans que le Commandement ait les moyens de ralentir par des troupes fraîches la poussée sans cesse alimentée de l'ennemi.

A Pétain, il demande l'appui d'au moins 20 divisions françaises !!

Or Pétain, qui a le devoir de couvrir non les ports de la manche, mais Paris, ne peut en aucune manière dégarnir davantage son front, déjà trop anémié. Il peut donner ses 1e et 3e Armées ; mais vraiment la prudence lui interdit d'aller au delà.

Le 25 mars

La tuerie continue ; et, des promenades de la capitale, les Parisiens peuvent, dans le silence du soir, entendre le grondement du canon qui se rapproche, scandé par les formidables explosions des obus de la « Bertha » perpétrant méthodiquement, par les rues paisibles, leur ignoble et lâche besogne d'assassinat.

Byng a perdu Bapaume ; Gough abandonne Nesle ; à travers les ruines fumantes de Guiscard et de Maucourt, les soldats de Pellé reculent pas à pas vers Noyon. mais, de ce côté, la défense du cours de l'Oise, depuis Noyon jusqu'à La Fère, s'organise déjà solidement.

Si Humbert qui, dans un magnifique ordre du jour, a rappelé à ses soldats qu'ils défendaient « le cœur de la France », doit encore, le 25 au soir, abandonner Noyon, il se déclare dès ce moment en mesure d'enrayer les progrès de l'ennemi vers Paris.

Pourtant Haig se replie décidément vers les ports de la manche, et Pétain doit pourvoir à la défense du large front qui se développe aujourd'hui de Noyon à Moreuil, et qui s'étendra peut-être encore demain.

Heureusement, le général Debeney installe, ce jour-là, le quartier général de la 1e Armée à Maignelay.

Avec les Armées Debeney et Humbert, le G.A.R. s'est constitué sous le feu.

Nos divisions débarquent en toute hâte. Devant le flot, qui bat déjà son pied, le mur français s'élève lentement.

 

 

Or, à Paris, le général Foch, qui suit de près les opérations, a exposé leur philosophie au Président; du Conseil. Clairement, nettement, comme il le faisait jadis quand il professait à l'École de Guerre, il lui a montré du doigt le défaut de notre cuirasse.

Nous allons être battus parce que le maréchal Haig a la mission formelle de garder les ports de la manche et que le général Pétain a le devoir sacré de couvrir Paris.

La poursuite de ces deux objectifs divergents entraîne, devant la poussée de l'ennemi, une retraite divergente.

Fatalement donc, quelle que soit l'activité de nos réserves, tôt ou tard, une brèche se produira dans la région de Montdidier, par où les dernières réserves allemandes s'engouffreront et gagneront la victoire. Il est de toute nécessité d'unifier les points de vue français et britannique; et pour cela, il faut un coordinateur des efforts, un généralissime.

Sans perdre une minute, le Président de la République et M. Clemenceau se rendent, le 25 mars, auprès du général Pétain, au Grand Quartier Général français, à Compiègne. Une réunion générale doit avoir lieu le lendemain à Doullens, où se trouvent le ministre de la Guerre et le Généralissime britannique.

 Il est convenu que la question vitale du Commandement unique y sera posée et résolue.

Le 26 mars

Nouveau recul. Byng a dû abandonner Albert, l'un des nœuds de communications les plus importants de la région, ainsi que Bray-sur-Somme ; Gough évacue Chaulnes en toute hâte et cherche à se raccrocher à Rosières.

Un vide de près de 50 kilomètres s'ouvre à la droite de Gough et à la gauche de Debeney, dans lequel déferlent les vagues sans cesse renouvelées de 40 divisions allemandes.

Sir Douglas est désemparé; il estime qu'il ne peut plus désormais faire autre chose que de tâcher de conserver les ports de la Manche; et, pour contenir la ruée allemande sur la Somme, il déclare que l'intervention de 30 divisions françaises lui est absolument indispensable.

Les Allemands sont à 15 kilomètres d'Amiens; et Amiens tombé, ou seulement tenu sous le feu de l'artillerie ennemie, c'est la rupture consommée entre les Armées françaises et britanniques, ce sont les Anglais rejetés vers la mer, c'est la France isolée.

Le rêve de Ludendorff se réalise dans l'écroulement virtuel de la puissance militaire de l'Entente.

Or, à cette suprême et tragique éventualité, l'esprit de sacrifice et l'admirable contenance des bataillons de Debeney, qui courent au combat sans artillerie, en descendant du train, ne sont pas un palliatif suffisant.

Leur héroïsme dispute désespérément aux masses de Hutier la région de Lassigny et la route directe de Paris; mais le flot, endigué de ce côté, se déchaîne vers l'ouest, où toute l'énergie de l'ennemi paraît se tendre vers la conquête d'Amiens.

Or, Amiens perdu, c'est encore la catastrophe.

       Mais, ce jour-là, les Alliés ont accompli un acte décisif.

Une conférence a réuni à Doullens le Président de la République, M. Clemenceau et lord Milner, le maréchal Haig, les généraux Foch et Pétain; et, sur la proposition du maréchal Haig, appuyé par le ministre de la Guerre britannique, M. Clemenceau et lord Milner ont signé à 14 heures l'ordre suivant

Le général Foch est chargé par les Gouvernements britannique et français de coordonner l'action des Armées alliées sur le front occidental. Il s'entendra à cet effet avec les Généraux en chef, qui sont invités à lui fournir les renseignements nécessaires.

 

Ce n'est donc pas encore un généralissime qui vient d'être créé : c'est simplement un coordinateur de, effort, qui, tous, doivent tendre au même but.

Ici, Foch a tout de suite vu de quoi il s'agissait. Les Anglais se retiraient vers le nord-ouest, les Français vers le sud ; ils s'écartaient donc les uns des autres. Il s'agissait de rétablir d'abord, puis de maintenir, la soudure entre les Anglais et les Français. Il s'agissait, suivant sa pittoresque expression, de réunir par une chaîne les deux battants de la porte qui s'entre-baîllait.

 

L'Armée Gough est hors d'état de fournir un nouvel effort ; il faut la relever. Fayolle étendra insensiblement le secteur du G. A. R. (groupe d’armée de réserve) jusqu'à la Somme, et Haig gardera les approches d'Amiens, au nord du fleuve.

L'instruction à Fayolle est nette :

 « La première mission du G. A. R. est de fermer aux Allemands la route de Paris et de couvrir Amiens. La direction d'Amiens sera couverte, au nord de la Somme, par les Armées britanniques aux ordres du maréchal Haig, qui tiendra à tout prix la ligne Bray-sur-Somme Albert; au sud de la Somme par le G. A. R. sous vos ordres, en maintenant la liaison avec les forces du maréchal Haig, à Bray, et avec le G. A. N. (groupe d’armée nord) (Franchey d'Espérey) sur l'Oise ».

 

Ce rôle imposé au G. A. R. sera ardu, tant que les divisions de Debeney ne seront pas à pied d’œuvre. C'est souvent à la baïonnette qu'il faudra arrêter les colonnes d'assaut allemandes « Cramponnez-vous au terrain! » a dit Foch aux poilus... tenez ferme! Les camarades arrivent! »

 

 

Les camarades arrivent, en effet, mais bien lentement, malgré des prodiges d'activité. L'Alsace, la Lorraine, la Champagne sont loin !

En vain, Foch qui est tout de suite parti pour Dury, au quartier général de Gough, comme il était venu en 1914 à celui de French, place lui même les bataillons anglais sur les positions où ils doivent tenir encore quelques heures, en attendant les divisions françaises : Le 19e Corps britannique sur la ligne de La Neuville lès Bray- Rouvroy ; Le 18e sur la ligne Rouvroy-Guerbigny. Écrasés d'obus, submergés par le nombre, les Anglais reculent... reculent encore.

Le 27 mars

De Montdidier à Lassigny, le front français se cristallise enfin.

Après avoir, à droite, perdu Lassigny, Humbert tient ferme ; il prononce même de vigoureuses contre-attaques.

A sa gauche, Debeney, - dont l'Armée s'organise, à force d'énergie et d'ingéniosité, au gré des débarquements et de la poussée de l'ennemi, se soude à lui. ,- mais la gauche de Debeney est en l'air.

Le général n'a pas encore assez de monde pour tenir tout l'espace qui sépare Humbert de l'Armée anglaise ; et devant des offensives furieuses, il doit encore lâcher Dancourt, Marquivilliers, Tilloloy et Beuvraignes.

Il demande seulement à Fayolle que, pour camoufler le vide de 15 kilomètres qui sépare la 1e Armée française de la 5e Armée britannique, un groupement de fortune soit envoyé vers le Ployron, qui arrêtera au moins un raid de cavalerie.

De ce côté, le champ est libre, l'ennemi marche et il croit toucher au but.

Au nord de la Somme, Byng, qui a transporté son quartier général à Beauquesne, résiste victorieusement, enserrant par le nord la poche allemande qu'Humbert comprime énergiquement au sud. Entre ces deux musoirs, il y a une trentaine de kilomètres dans lesquels l'offensive allemande peut encore se développer, mais que, chez nous, on travaille activement à réduire.

Foch est partout : à Dury, où il réconforte Gough par son entrain et son optimisme ; à Clermont où il trouve Humbert aussi optimiste que lui-même ; chez sir Douglas Haig qui s'est décidé à remplacer Gough par Rawlinson à la tête de la 5e Armée, et à demander d'urgence en Angleterre un renfort de 75.000 hommes.

 

Le 18e Corps britannique est mis sous les ordres de Debeney, car il ne s'agit plus maintenant pour les Anglais de se retirer vers les ports, mais de tenir coûte que coûte ; et Debeney, arrêtant ces colonnes qui battaient gravement en retraite dans le plus grand ordre, les étayant avec les premières compagnies françaises qu'il a sous la main, constitue lentement, en marchant et en combattant, la barrière qui doit fermer la route d'Amiens.

Ce soir-là, l'ennemi est entré à Montdidier ; il est à moins de 20 kilomètres de la voie ferrée de Paris à Amiens, que ses grosses pièces peuvent atteindre.

Si cette voie était rendue inutilisable, on peut dire que la rupture entre les Armées française et anglaise serait virtuellement consommée, car il serait à peu près impossible de faire parvenir des renforts français de quelque importance dans la partie nord du front britannique.

 

Le 28 mars

Les assauts les plus furieux de l'ennemi se brisent contre le front de Fayolle.

A droite, Humbert, solidement accroché au mont Renaud et au Plessier-de-Roye, maintient intégralement ses positions, et lance à son tour de furieuses contre-attaques vers Boulogne-la-Grasse et vers Orvillers-Sorel tenus par une partie de la 38 DI (4e zouaves et 8e tirailleurs)

A gauche, Debeney subit le choc de quatorze divisions allemandes et leur interdit le débouché de Montdidier.

 

Partout, à travers les marais de l'Avre, la résistance s'affirme et prend corps.

Ce jour-là, malgré des pertes énormes, von der Marwitz n'a réussi qu'à gagner une profondeur de terrain de 5 ou 6 kilomètres, en s'infiltrant par les deux rives de la Somme, tandis qu'une attaque de von Below, tentée avec dix divisions d'assaut, allait s'écraser contre le bastion de Vimy en Artois.

Foch a installé son quartier général à Beauvais, où se trouvent aussi le quartier général de Fayolle et un poste de commandement de Pétain. II a obtenu de Haig que le 18e Corps britannique soit provisoirement maintenu au sud de la Somme et que les unités anglaises ne soient plus relevées du combat qu'après complète usure.

Quant aux renforts français, ils sont poussés maintenant sur Moreuil où un dernier vide existe encore.

Ces renforts arrivent d'ailleurs lentement ; ils deviennent plus rares ; nos réserves s'épuisent...

Si l'ennemi a encore des disponibilités, il peut progresser... jusqu'à Amiens peut-être.

Sur les instances de Foch, le Gouvernement se décide à rappeler d'Italie la 10e Armée française, avec le général Maistre; mais en aucune manière il ne faut compter que les premiers éléments de cette armée puissent être sur l'Avre avant une dizaine de jours.

Le général Pershing assistait à la conférence au cours de laquelle le général Foch exposait sans détours à M. Clemenceau toute la gravité de la situation. Il fit un beau geste.

Les jeunes troupes américaines ne semblaient pas encore en état de figurer sur les champs de bataille; et, du reste, la convention franco - américaine ne prévoyait pas encore de longtemps leur engagement.

 

Devant l'angoisse de l'heure, le généralissime américain sollicita pour elles l'honneur de se battre immédiatement : « Le peuple américain, dit-il, sera fier d'être engagé dans la plus grande et la plus belle bataille de l'historie. Infanterie, aviation, tout ce que nous avons est à vous. »

 

Une division américaine est donc affectée à la Réserve Générale, et les trois autres prennent aussitôt dans le Groupe des Armées de l'est la place de divisions françaises qui vont servir à la constitution d'une nouvelle Réserve Générale.

Le général Micheler est rappelé de Champagne et vient installer son quartier général à Méru pour exercer, avec l'État-major de la 5e Armée, le commandement de ces forces.

La journée du 29 mars

 est aussi peu fructueuse pour l'ennemi que celle de la veille.

C'est vers Moreuil que les Allemands cherchent à gagner du terrain, au point de moindre, résistance de notre ligne ; mais ils paraissent décidément essoufflés, et c'est à peine s'ils gagnent un lambeau de terrain entre l'Avre et la Somme ; ils sont même nettement refoulés à Courtemanche.

L'Armée de Debeney commence à prendre une consistance sérieuse.

 

Les jours suivants

Le 30 mars, Hutier, qui a reçu des renforts, tente un effort suprême depuis la Somme jusqu'à l'Oise.

Il se heurte partout à une résistance acharnée.

Son artillerie lourde n'a pu entrer en ligne; elle est demeurée enlisée dans les mauvais chemins, défoncés depuis si longtemps par la guerre.

C'est à coups de divisions que le vainqueur de Riga veut essayer de percer.

Or, les soldats d'Humbert défendent avec un magnifique acharnement le Plessier-de-Roye et Boulogne-la-Grasse.

 

C'est l'un des épisodes les plus tragiques et les plus glorieux de toute la guerre que la défense du parc du Plessier (régiment colonial du Maroc)

De son côté, Debeney résiste furieusement à Mesnil-Saint-Georges, à Grivesnes, et repousse jusqu'à cinq assauts.

Il perd Moreuil, mais l'ennemi nemi demeure impuissant à exploiter ce succès.

« Nos pertes sont restées dans la limite de la normale, disait le communiqué allemand du 28 mars .En certains points, où se livraient des combats particulièrement violents, elles ont été plus lourdes.... »

 

Mais les journaux du 29 et du 30, tout en affirmant encore que les pertes ont été supportables, reconnaissent que la dernière tentative sur Amiens a exigé des efforts extraordinaires.

Or, ces demi-aveux sont largement corroborés par l'attitude et par les récits des nombreux prisonniers, qui sont tombés entre nos mains au cours de ces journées terribles. Aux 1e et 119e divisions, les compagnies sont tombées à 40 hommes.

La 45e division de réserve a perdu 40 % de ses effectifs; la 5e division 50 %; la 28e 75 %.

A la 234e division, un bataillon du 452e régiment d'infanterie a été complètement détruit; à la 4e division, un bataillon du 140e d'infanterie a été réduit, dès le 21 mars, à 3 officiers et 94 soldats.

 

En définitive, le 31 mars, quand la bataille s'éteint sur un dernier assaut à peu près infructueux, l'armée allemande a engagé 87 divisions qui sont toutes plus ou moins mal en point; et si la poche creusée dans notre front mesure les dimensions considérables de 80 kilomètres en largeur et 65 en profondeur, son objectif : la rupture du front franco-britannique par la prise d'Amiens, ou tout au moins par l'interdiction de la voie ferrée Paris à Amiens, n'a pas été atteint.

 

L'espoir nourri avait été grand, cependant. Au début, les journaux avaient désigné la bataille qui commençait, du nom de « Bataille de l'Empereur ».

Puis, on lut des communiqués flamboyants.

Celui du 24 mars parlait de la victoire de Monchy Cambrai Saint-Quentin, mettant déjà au tableau des captures : 30000 prisonniers et 600 canons... Les radios, répandus par Nauen dans le monde entier, ne tarissaient pas de détails sur les moindres incidents de la débâcle franco-britannique.

On juge avec quelle ardeur la presse faisait chorus devant un pareil déchaînement de l'enthousiasme officiel. « Il est très possible, disait la Gazelle de Francfort du 29 mars, que la décision intervienne au cours de la deuxième semaine de la bataille..

 

Pourtant, l'opinion se réserve ; elle demeure inquiète de ne pas voir les affaires se précipiter, et elle voudrait être renseignée sur «l'Armée de réserve de Foch ».

 

Le 30 mars, le colonel Goedke avance l'opinion que cette Armée doit être à pied d’œuvre, et pour clore le débat d'une manière honorable, le général von Ardenne explique, le 1e avril, aux lecteurs du Berliner Tageblall, que les 30 et 31 mars, cinquante divisions de l'Armée Foch se sont vainement ruées sur le front Montdidier-Noyon, et qu'elles sont bien hors d'état de renouveler de semblables efforts.

 

En attendant, il faut remplacer par des divisions fraîches les divisions qui ont combattu, combler les vides par des jeunes gens de la classe 1920, et raffermir par des récompenses multiples, en particulier par une pluie de croix de fer, le moral des soldats un peu ébranlé par ces tueries que la grandiloquence des communiqués, des radios et des journaux sont impuissants à leur faire considérer comme de brillantes victoires.

 

Quant à Foch, il n'a pas attendu le dernier flux du « flot expirant sur la grève » pour assurer ses positions.

Dès le 30 mars, il a donné aux Généraux en chef une direction qui précise sa pensée et pose nettement le problème.

« Il faut arrêter avant tout l'ennemi, en maintenant une liaison étroite entre les Armées britanniques et françaises

« 1e Par le maintien et l'organisation d'un front défensif solide sur les positions actuellement tenues;

« 2e Par la constitution de fortes réserves de manœuvre destinées à répondre à l'attaque ennemie ou à prendre l'offensive : au nord d'Amiens par les forces anglaises; au nord et au nord-est de Beauvais par les forces françaises. Pour constituer cette masse de manœuvre aussi rapidement et aussi fortement que possible, prélever résolument sur les fronts non attaqués. »

 

En somme, en dépit d'un gain de terrain supérieur à tous ceux qui avaient pu être réalisés au cours de la guerre de tranchées, l'entreprise de Ludendorff, qui visait à la rupture stratégique du front occidental, avait échoué.

Elle avait échoué parce que le général allemand n'avait pas su proportionner le but à atteindre aux moyens dont il disposait.

 

Si, au lieu de foncer vers Saint Quentin, il eût foncé de Lille vers la mer, avec les mêmes moyens, sa victoire eût été probable.

La progression de 60 kilomètres qui le conduisit à Montdidier l'eût conduit aux portes d'Abbeville; le front anglo-français était alors coupé en deux; l'Armée belge, les 1e et 2 Armées britanniques, rejetées vers la mer, étaient acculées à une capitulation; le reste de l'Armée britannique, conformément aux errements suivis le 21 mars, se repliait précipitamment vers les ports de Normandie, et le résultat cherché à Saint Quentin était obtenu à bien moins de frais.

 

Mais encore une fois, on avait sous-estimé l'ennemi et on avait vu trop grand. Orgueil ?... Mégalomanie ?

 

 

 

 

 

 

Des épisodes de cette bataille : les combats à Grivesnes

                                                  : Les combats à Montdidier

 

   

 

 

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