L’offensive
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Le 16 avril, à
Le
terrain était difficile.
Depuis
la bataille de
Le
champ de bataille s'étendait du massif de Saint-Gobain à l'ouest, aux forts de
Reims à l'est, et la montagne avec la ville de Laon en formaient
le centre.
Nous
avons vu que c'était aussi le premier but.
Au
nord de l'Aisne s'élève un plateau, limité par des falaises et dont l'extrémité
orientale, en forme de promontoire, porte le village de Craonne.
Une route, le Chemin-des-Dames, suit les sommets
des plateaux de Craonne à
Elle
marquait la ligne de défense allemande, qui se poursuivait à l'ouest sur les
coteaux boisés de Vauclerc, de Cerny et de Bray.
Deux
forts que nous avions évacués sans combat, en 1914, Condé et
Le
débouché de l'attaque, s'effectua presque partout facilement; le barrage
allemand fut en effet ou tardif ou peu dense.
Notre
préparation et nos tirs de contre-batteries avaient
neutralisé l'artillerie adverse.
Par
contre, dès le début de la progression à travers les organisations ennemies,
notre infanterie se trouva battue par de nombreuses mitrailleuses établies soit
en plein champ, soit sous des abris qui avaient échappé à notre artillerie ;
une infanterie allemande très nombreuse garnissait la première position sur
laquelle il était visible que l'adversaire entendait résister avec acharnement.
A la fin de la matinée, au cours de combats très durs, la 5e
Armée avait marqué deux succès importants; à droite (7e Corps d'Armée) elle
s'était emparée de Courcy (125e RI), Loivre et
Berméricourt; au centre (32e Corps d'Armée), elle avait pénétré dans la
deuxième position entre l'Aisne et la petite rivière de
Partout
ailleurs, elle n'avait pu que prendre pied dans la première position ennemie ;
devant le plateau de Craonne, le 5e Corps d'Armée avait
presque complètement échoué.
Du
côté de la 6e Armée, les 2 Corps colonial et 20e CA réussirent à s'installer
sur la crête du Chemin-des-Dames, mais sans pouvoir la dépasser, des îlots de
résistance (monument d'Hurtebise, sucrerie de Cerny) y rendant même précaire
leur situation.
Plus
au sud, les éléments de gauche des 20e et 6e Corps avaient été entraînés
immédiatement dans un combat acharné autour de creutes, d'abris-cavernes et à
l'intérieur des bois; Ils ne purent progresser que très lentement et ne
dépassèrent pas les premières et deuxièmes lignes allemandes.
A
l'ouest, le 1e Corps colonial avait enlevé Laffaux et la ferme Moisy.
Ces
combats très durs et les pertes subies fatiguèrent et démunirent l'infanterie;
à partir de
Aussi quand, à
Dès lors l'ennemi, à son tour, s'efforça de
reprendre le terrain.
Il
avait déjà exécuté, pendant toute la matinée, une série de contre-attaques
partielles, extrêmement énergiques.
Vers
Malheureusement,
les contre-attaques allemandes réussirent mieux dans la région de Juvincourt
et sur la droite, où Berméricourt fut perdu par nous.
De
même à la 6e Armée, le 1e Corps colonial était revenu sur ses tranchées
de départ à la suite des réactions ennemies.
En
somme, malgré que certains résultats obtenus fussent très honorables, les
objectifs prévus n'étaient pas atteints. On avait espéré une avance
foudroyante; que s'était-il donc passé?
Le général Blondlat, commandant du
2e Corps colonial, l'explique dans son rapport :
« L'influence des circonstances
atmosphériques défavorables, dit-il, a été le trait le plus saillant de la
période de préparation. Le vent violent, l'atmosphère brumeuse, la pluie et la neige fréquentes ont amoindri, dans une large proportion,
le rendement de l'aviation, gêné l'observation aérienne, contrarié les réglages
et l'exécution des tirs, empêché le contrôle photographique des destructions.
L'activité de l'artillerie s'est trouvée, de ce fait, décousue, saccadée,
incomplète. L'infanterie a également souffert des intempéries qui ont rendu
très pénibles les travaux sur la position et le stationnement dans les
bivouacs, et alourdi les mouvements. Si l'état moral de la troupe avant l'attaque
était excellent, ainsi qu'en témoignent les extraits de correspondance, son
état physique laissait à désirer.
A l'heure H, les troupes abordent en
ordre les premières organisations allemandes. La crête géographique est
atteinte presque sans pertes ; le barrage d'artillerie ennemi est peu nourri et
présente des lacunes.
Toutefois, notre infanterie s'avance
avec une vitesse inférieure aux provisions. Le barrage roulant se déclenche
presque immédiatement et s'éloigne progressivement des premières vagues qu'il
cesse bientôt de protéger.
Quelques mitrailleuses, qui se sont
révélées sur le plateau, n'arrêtent pas l'élan des fantassins qui peuvent
descendre le versant nord jusqu'au bord des pentes raides dévalant dans la
vallée de l'Ailette.
Là, ils sont accueillis et cloués sur
place par le feu meurtrier de nombreuses mitrailleuses qui, postées sur des
pentes hors d'atteinte de nos projectiles, sont restées indemnes.
Quelques fractions, utilisant des
cheminements incomplètement battus, parviennent à descendre les pentes; mais,
d'une manière générale, les vagues subissent en quelques minutes des pertes
considérables, particulièrement en cadres, et ne parviennent pas à franchir
cette zone meurtrière, s'arrêtent, s'abritent et, sur certains points, refluent
sur la dernière tranchée dépassée.
Elles sont rejointes par les bataillons
de deuxième ligne qui, partis à l'heure fixée, viennent se fondre sur la ligne
de combat.
Les bataillons de troisième ligne,
conformément au plan de combat, s'avancent à leur tour; quelques-uns peuvent
toutefois être arrêtés à temps et occupent les premières tranchées allemandes
ou nos tranchées de départ.
En moins d'une heure, le combat s'est
stabilisé; toutes les tentatives pour reprendre le mouvement en avant échouent
dès que l'on arrive sur la ligne battue par les mitrailleuses ennemies. La
progression à la grenade par les boyaux et tranchées est seule
possible et se heurte à une résistance de plus en plus vive.
Les réserves ennemies sont, en effet, à
peu près intactes ; bien abritées dans les creutes du versant au nord ou dans
des abris très profonds, elles n'ont pas souffert du bombardement et la
tranchée courant sur le rebord du plateau leur constitue une parallèle de
départ commode.
Nos fantassins sont desservis par
l'état du terrain détrempé, particulièrement dans la zone bouleversée
immédiatement derrière eux ; boyaux et tranchées sont remplis d'une boue
gluante qui retarde l'arrivée des ravitaillements en munitions, ralentit
singulièrement les mouvements préparatoires aux attaques et ceux nécessités par
la remise en ordre des unités, expose de plus en plus les liaisons et les
transmissions d'ordres et de renseignements.
De plus, l'artillerie, dans cette
journée, ne put donner tout ce qu'on attendait d'elle.
Un barrage roulant devait précéder
notre infanterie, réglé comme elle à la vitesse de
Pour assurer ce barrage pendant toute
l'opération, suivant les ordres formels du général Micheler,
il fallait procéder à des déplacements d'artillerie et pour cela un certain
nombre de batteries avaient été gardées sur roues. Mais les averses de pluie et
de neige ne permirent bientôt plus ces déplacements sur un sol détrempé.
D'autre part, l'artillerie lourde était insuffisante, ainsi que les lots de
munitions qui n'avaient pas été augmentés, malgré l'allongement de la période
de préparation.
Enfin, la supériorité de l'aviation
allemande fut telle que nos mortiers et certaines batteries de 75 furent
constamment survolés et marmités. »
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Il en
résulta que la 10e Armée ne put entrer en ligne. Armée d'exploitation, elle
devait déboucher en fin de rupture, le soir même du 16 avril, sur Monchalon et Vieux-Laon, en
traversant les lignes au centre, entre le 2e Corps colonial et le 1 Corps
d'Armée
Ses têtes de colonnes franchirent le canal et
l'Aisne dès le matin.
Le gros se massa
en arrière de Merval, attendant pour avancer que la
cote 108, à droite, et les positions d'Ailles, d'Hurtebise et de Craonne, au
centre, fussent occupées par nos troupes d'assaut.
Apprenant, à
L'Armée, pleine
d'ardeur et de confiance, était entrée dans la zone de bataille pour achever la
victoire ; bientôt elle se heurta aux groupes de plus en plus nombreux de
blessés gagnant l'arrière et apportant de mauvaises nouvelles. Comme, vers
Il ne lui sera
plus donné de jouer le rôle qu'elle avait assumé.
Dès le premier
jour, l'offensive était donc mise en échec!
L'histoire des «
chars d'assauts » qui, ce jour, reçurent le baptême du feu, déployèrent un
courage héroïque, subirent des pertes énormes et durent abandonner la bataille,
est malheureusement une illustration synthétique de cette journée.
Contrairement
aux grands espoirs conçus, le soir du 16 avril n'avait pas été un soir de
victoire; la nuit qui suivit fut particulièrement pénible.
Sur
les positions conquises, il n'y avait d'autres abris que ceux, à moitié
détruits, des Allemands, et le froid, la grêle et les bourrasques de neige
continuaient.
L'évacuation
des blessés était difficile. Les munitions manquaient, parce que les hommes
partis pour une grande avance, surchargés de plusieurs jours de vivres et de
cartouches, s'étaient débarrassés d'un poids trop lourd.
Quant
au Commandement, bien que les premiers renseignements recueillis fussent
incomplets, parfois contradictoires et souvent tendancieux, il ne pouvait
douter du résultat. L'ennemi avait été chassé de ses premières lignes et
laissait entre nos mains plusieurs milliers de prisonniers, mais le front
n'était pas brisé.
Or,
le général Nivelle avait certifié « qu'il serait en état, après les premières vingt-quatre heures, de décider si
l'opération conçue par lui avait réussi ou échoué », et répété « qu'au
bout de quarante-huit heures, au maximum, il serait en mesure de décider s'il y
avait lieu ou non de continuer », déclarant que « rien n'était pire en
de telles circonstances que de s'obstiner et que, sous aucun prétexte, il ne
recommencerait la bataille de
Mais,
d'autre part, une nouvelle action avait été prévue pour le 17 au matin.
La
4e Armée devait se déclencher à l'est de
Reims.
Le général Anthoine, qui la
commandait, débuta par un succès, s'emparant du Cornillet (25e,
27e, 47e, 48e, et 270e régiments d’infanterie), du
Mont-sans-Nom, de la tranchée de Bethmann-Holweg et
du mont Blond (59e, 83e, 91e, 136e régiments d’infanterie soutenu des 4e,
7e, 269e régiments d’artillerie), malgré une furieuse résistance de l'ennemi
qui lui laissa 2.500 prisonniers.
Le
général Nivelle voulut alors tirer parti de la situation en fixant une
orientation nouvelle à la bataille.
A
Il
envoya au général Micheler les instructions
suivantes :
«
1.. La bataille engagée hier a nettement montré l'intention qu'a l'ennemi de
tenir ferme sur le front de la 6e Armée et de rendre, par suite, difficiles et
coûteux les progrès de votre Groupe d'Armées vers le nord;
« 2.. C'est donc actuellement vers le nord-est que doit s'axer
votre effort en partant de la base qui vous est assurée par les progrès de la
5e Armée;
« 3.. Sur le front de la 6e Armée, bornez-vous à faire
terminer et à consolider la conquête des hauteurs sud de l'Ailette, afin
d'assurer définitivement notre rétablissement du nord de l'Aisne. »
D'autre
part, le général Nivelle mettait trois nouvelles divisions à la disposition du
général Pétain, « pour exploiter, le cas échéant, les avances réalisées à la 6e
Armée. »
La journée du 17 se terminait ainsi : La 6° Armée
avait progressé dans la région de Braye-en-Laonnois (146e,153e,156e
régiments d’infanterie soutenu du 39e régiment d’artillerie),, la 5e avait son
1e Corps d'Armée repoussé devant Craonne et contre-attaqué, mais sans succès.
Quant
à la 4e qui, malgré une violente bourrasque de pluie, avait débuté par une
avance de deux kilomètres, elle voyait son mouvement enrayé à son tour sur ses
deux ailes par les mitrailleuses ennemies.
Dans
les cinq jours qui suivirent, la situation ne se modifia pas d'une façon
particulière. Nous assurâmes nos premiers succès.
Le 18 avril, pourtant, la 6' Armée recevait la récompense de
ses efforts et achevait tout d'un coup la conquête du plateau.
Devant
elle, l'ennemi battait précipitamment en retraite en y incendiant les villages
qu'il évacuait Vailly, Aizy,Sancy et Jouy.
Le
fort de Condé, abandonné, était repris.
Quant
à la 5e Armée, elle ne progressait point, mais brisait une forte contre attaque
qui lui laissait 1600 prisonniers et 24 canons.
La
4e Armée, réduisant quelques îlots de résistance, s'avançait au mont Haut et au
mont Téton.
Le 19, la 6° Armée affirme son succès, enlève le
monument d'Hurtebise et lutte pour l'occupation de la sucrerie de Cerny.
La
5e Armée ne voit pas ses tentatives couronnées de succès, sauf sur
Berméricourt.
La
4° Armée occupe le mont Blanc, le Téton, le village d'Auberive
(126e RI) et progresse dans la direction de Laigue.
Le 20, la 6e Armée se maintient sur ses positions
conquises, la 5e Armée voit encore une de ses attaques échouer, et la 10e a du
mal à tenir tête aux contre-attaques.
Le 21 avril, nous bordions au nord de l'Aisne, de Laffaux à
Braye-en-Laonnois, la ligne Hindenburg sur laquelle l'ennemi s'était finalement
replié, laissant entre nos mains, après cinq jours de lutte, 21604 prisonniers,
183 canons et 412 mitrailleuses.
Malgré
cela, les Allemands ne se tenaient pas pour battus
Or, après sept jours, non seulement la brèche
n'était pas ouverte, mais la continuation du mouvement vers le nord-est était
devenue périlleuse, notre flanc droit risquant de se trouver à découvert.
Néanmoins,
le Généralissime français décida de continuer. D'ailleurs, le maréchal Haig
partageait sa manière de voir
.
Le 21 au soir, le général Nivelle adressait la note suivante au
général Wilson, chef de la mission militaire anglaise au Grand Quartier Général
Aucun
arrêt des opérations n'est à envisager. Elles seront reprises à des dates très
rapprochées.
Profiter des
opérations engagées sur le front français pour augmenter l'ampleur des attaques
et viser des objectifs plus éloignés. La collaboration anglaise à notre
offensive commune ne sera, en effet, réellement efficace que si son action
s'exerce sur une profondeur suffisante pour menacer sérieusement l'adversaire,
et l'obliger à engager des réserves importantes.
Prononcer
l'effort principal dans la région sud et sud-est de Quéant,
de manière à faire tomber par une attaque de revers la ligne Quéant-Drocourt et à pouvoir progresser sans retard en
directions de Cambrai et Douai. »
Deux jours
après, les intentions du Commandement s'affirmaient encore davantage, et les
ordres suivants étaient envoyés aux commandants de Groupes d'Armées, et au
général commandant la 1e Armée.
1e De dégager
Reims par une attaque combinée des 4e et 5e Armées;
a) La 5e Armée est chargée d'enlever les
hauteurs de Sapigneul, du mont Spin et de Brimont.
b) La 4e Armée dégagera, vers le nord et
le nord-ouest, les sommets conquis des hauteurs de Moronvilliers, du Téton et
du Mont Haut (9e,
11e, 20e ,115e, 117e ,217e
,317e, 358e régiment d’infanterie aidés des 18e,
31e,et 262e régiment
d’artillerie)
2e De
compléter l'occupation du plateau du Chemin-des-Dames, par une opération
combinée des 6e et 1 e Armées.
a) La 10e Armée devra s'emparer de la crête militaire
septentrionale et orientale des plateaux de Craonne, Californie et Vauclerc (43e, 127e,
327e, régiment d’infanterie),
ainsi que des avancées de cette crête
jusqu'aux entrées des abris.
b) Elle enlèvera ensuite la première
position allemande, entre le boyau Persan et le bois de Chevreux, en étendant
l'attaque jusqu'à la conquête de la ligne générale, tranchées du Marteau et de
l'Enclume, de manière à avoir une base de départ ultérieure pour l'attaque du
front Corbény-Juvincourt.
c) La 6e Armée prononcera une action sur
l'ensemble du Chemin-des-Dames »
En résumé, le
plan primitif subissait les variantes rendues nécessaires par les
circonstances: Poussée vers le nord-est avec couverture du flanc menacé et
coopération plus large des Anglais pour attirer au nord une bonne partie des
réserves ennemies.
L'offensive
continuait, mais il n'était plus question de rupture.
Au moment où le
général Nivelle donnait ces ordres pour la reprise de la bataille, il avait à
faire face à des attaques venant de l'arrière et à se dépêtrer d'intrigues et
d'embûches où l'on s'efforçait de le faire tomber.
Leur premier
résultat fut d'obliger le Généralissime à des voyages fréquents à Paris : « Dans
une période de vingt-deux jours, dira-t-il, j'ai passé douze jours hors de mon
Quartier Général; et sur ces douze absences, neuf, les trois quarts, sont
uniquement dues à l'intervention du Gouvernement »
On n'avait pu
empêcher l'offensive, il fallait maintenant réussir au moins à l'arrêter. Mais
on continua d'employer contre elle les mêmes moyens; et alors qu’il aurait
suffi de prendre une décision, si on la jugeait nécessaire, on tergiversa en
essayant de faire buter celui qu'on n'osait pas jeter à terre.
Le 22 avril, un jeune député, M.Y. Barnégaray,
qui appartenait depuis peu à l'état-major du 18e Corps d'Armée, profitant du
droit que les Parlementaires s'étaient arrogé d'être à la fois soldat et député,
vint directement trouver le Président de
Il l'avertit
qu'on se préparait à recommencer l'opération coûteuse qui n'avait qu'à demi
réussi le 16 avril, et se prétendit l'interprète des officiers et des soldats,
en demandant au chef de l'État d'intervenir auprès du Haut Commandement pour
faire différer cette attaque.
M. Poincaré,
persuadé par l'éloquence de ce témoin, et ne pouvant en référer avec le
ministre de
« Le
Président de
La préparation d'artillerie serait
insuffisante. La dotation en munitions est faible. Il faudrait plusieurs jours
de préparation intensive. Sinon, on recommencera ce qui s'est passé à la
première attaque. On perdra beaucoup de monde.
« Il conviendrait d'interroger non
seulement le général Duchêne, mais le général Hirschauer ».
Le général
Nivelle répondit aussitôt; et après avoir déclaré qu'aucune date n'était fixée
ni aucun ordre donné, et que les généraux responsables avaient, au contraire,
toute latitude pour agir seulement au bon moment, il ajouta :
« Le Général commandant en chef ne peut
qu'exprimer sa douloureuse surprise que des racontars, nullement autorisés et
sans aucun fondement, trouvent créance auprès du Président de
« Je demande que les exécutants qui se
sont livrés à ces écarts de langage, qui détruisent toute discipline dans
l'Armée, soient l'objet d'une sanction exemplaire. »
Le général Nivelle ayant fait son
enquête et vu personnellement les généraux mis en cause, pouvait, dans une
nouvelle communication, remettre les choses au point:
« Les trois généraux intéressés dans
l'opération à achever sur le plateau du Chemin des Dames (généraux Duchêne, Hirschauer et Mangin),
déclarent sur l'honneur qu'ils n'ont jamais reçu ni donné aucun ordre
concernant la date de l'opération, fait aucune plainte au sujet de
l’insuffisance des munitions, leurs demandes ayant toujours été satisfaites à
cet égard.
« Ils étudient et préparent l'opération
combinée, comme ils l'ont toujours fait, à Verdun notamment, la date étant
toujours fixée par le dernier prêt.
« Il n'est pas besoin d'ajouter qu'ils
ont été navrés à en pleurer des faits qui leur ont été signalés, de la
répercussion qu'ils ne manqueraient pas d'avoir sur l'état moral de leurs
troupes qui puisent une certitude plus grande de la victoire dans celle qu'ils
viennent de remporter. De l'aveu de tous les généraux, le moral, aussi bien au
front que parmi les blessés des ambulances, est nettement supérieur à ce qu'il
était avant l'attaque.
« Le Général
commandant en chef insiste sur la nécessité qui s'impose d'infliger un
châtiment exemplaire aux auteurs de ces bruits calomnieux, tendant à déprimer
le moral et à semer la panique.»
L'affaire en
resta là, du moins quant aux conséquences immédiates, car si personne ne fut
puni ni même blâmé, nous verrons plus tard combien étaient justes les vues du
général Nivelle sur l'influence démoralisante de cette manière d'agir.
L'hostilité
était flagrante. Un conflit allait éclater entre le Généralissime et le
ministre de
Le 25 avril, M. Painlevé, de retour d'un voyage sur le
front, convoqua le général Nivelle à l'Élysée, dans le cabinet du président de
Le plan du
Commandant en chef fut l'objet de la discussion, et celui-ci fit un exposé des
nouvelles offensives en préparation.
« On m'a dit
que Brimont tout seul coûterait 60.000 hommes, interrompit M. Painlevé...
- Qui, on ? Riposta
le général. Les renseignements n'ont de valeur que s'ils viennent d'une source
autorisée.
-Les miens
ont une source très sérieuse, répondit le ministre, mais je ne peux pas vous
l'indiquer. »
Dans son dernier
voyage aux Armées, M. Painlevé avait eu une conversation avec le général Mazel ; et, sans doute, dans la crainte de nouvelles
pertes, hanté par son idée, le ministre comprit mal les réponses du général.
A sa demande : «
Quels effectifs sont nécessaires pour l'affaire projetée au sud de l'Aisne?»
il lui fut répondu : « Un Corps d'Armée
sur Brimont, un autre sur le Mont Spin, cela fait en gros 60.000 hommes. »
Le malentendu
était manifeste, mais aucune résolution ne fut arrêtée, aucune décision prise
et la situation demeura trouble.
Les jours
suivants, d'une part, le
Gouvernement interrogea le maréchal Douglas Haig, dont l'avis fut qu'il fallait
absolument continuer la bataille sous peine de perdre le fruit des efforts et
des sacrifices antérieurs et de donner à l'ennemi le temps de se redresser ; d'autre
part, le général Nivelle, défavorablement impressionné, dut reprendre ses
enquêtes et visiter à nouveau, l'un après l'autre tous ses généraux.
Ayant reçu de
chacun d'eux les explications nécessaires et l'affirmation de leur espoir dans
le succès, l'attaque fut décidée et sa date fixée au 1e mai, « mais pouvant en
cas de besoin, et à la demande des divisionnaires, être reculée ».
La préparation
d'artillerie commença le 28; le général Micheler
devait fixer l'heure de l'attaque d'infanterie...
Le 29 avril, à
cinq heures du soir, un coup de téléphone du Ministère enjoignait au Grand
Quartier Général de surseoir à l'attaque, « puisqu'elle pouvait être
retardée sans inconvénient et parce que le Gouvernement était insuffisamment
éclairé sur les risques et pertes possibles entraînés par l'opération. »
En même temps,
le Généralissime apprenait la nomination, comme chef d'état-major général, du
général Pétain, avec lequel il devait s'entretenir de cette attaque avant de la
déclencher.
A cette entrevue
du 30 avril, l'attaque prévue fut décidée », mais en en détachant ce qui
concernait Brimont ».
C'était le coup
de grâce, car l'opération devenait inutile. Supprimer l'attaque de Brimont,
c'était abandonner le dégagement de Reims.
Le 1e mai, le général Micheler
fut prévenu que l'attaque de la 5e Armée serait limitée à l'enlèvement des
hauteurs du mont Sapigneul et du mont Spin.
Le 4 mai, le général Nivelle, fort des idées
offensives émises la veille par les Gouvernements, fit reprendre la bataille.
Ce jour-là, la
10e Armée enleva Craonne dans un assaut magnifique, puis essaya d'aborder le
plateau de Californie.(18e,32e, 34e, 49e,
218e RI et 14e RAC)
La 5e Armée,
déployée à
La 4e
Armée, de son côté, avait progressé sur les pentes du mont Blond et du
Cornillet par le 1e
régiment de zouaves et 2e régiment mixte qui finirons de
l’investir définitivement le 14 mai
Le lendemain
5 mai, la 10e Armée,
attaquant de nouveau avec le même élan, achevait la conquête du plateau,
atteignait les crêtes dominant la vallée de l'Ailette et faisait 7.000
prisonniers.
La 4e Armée,
après une lutte pénible, réussissait à s'emparer du mont Blond.
Enfin, la 6e Armée, sous le
commandement du général Maistre, (remplaçant le général Mangin, renvoyé à
l'intérieur comme victime expiatoire), entrait dans la lutte.
Avec le secours
des chars d'assaut (31 chars, sous les ordres du commandant Lefebvre,
accompagnés par le 17e
bataillon de chasseurs à pied)
qui surent profiter des expériences précédentes et agirent espacés, de façon à
pouvoir évoluer sans se gêner et sans offrir une cible trop facile au canon
ennemi, elle remporta un véritable succès.
La ligne Mont
des Singes-ferme de Moisy-moulin
de Laffaux-tranchées du Panthéon-Épine
de Chevrigny-ferme Froidemont
attestait son entrain.
Les jours
suivants 5 au 10 mai, nos
positions furent maintenues, malgré de nombreuses et fortes contre attaques
dans la région de Laffaux, aux abords de la ferme Froidemont,
au nord de Braye à Verneuil (37e et 79e RI) et sur le front de
Puis, après ce dernier effort, l'offensive cessa...
Les gains
obtenus étaient importants, bien qu'ils ne le parussent pas suffisamment tant
on les avait espérés supérieurs:
Conquête des
premières positions et d'une partie des secondes lignes, des plateaux de
Craonne et de Vauclerc, où l'ennemi avait eu l'ordre de tenir jusqu'au bout.
Sur
La voie ferrée
de Soissons à Reims se trouvait dégagée. Les observatoires que l'ennemi
possédait sur la vallée de l'Aisne nous appartenaient, ainsi que d'autres sur
le Chemin-des-Dames, nous donnant des vues dans la vallée de l'Ailette et au
delà.
Nous avions
enlevé 40.000 prisonniers, 500 canons et un millier de mitrailleuses.
Il en résultait
une usure de l'Armée allemande assez considérable puisque, des cinquante-deux
divisions disponibles et fraîches avant le 16 avril, il n'en restait plus que
12 le 25 avril.
« Dès le premier jour de mai, dit le
général Nivelle (4 mai), toutes les divisions allemandes disponibles avaient
été engagées dans la bataille... Les Allemands étaient désormais hors d'état
d'entreprendre une action de quelque importance sur un front quelconque en
Europe, pourvu que nous ne relâchions pas complètement notre étreinte. »
A l'intérieur de
l'Empire, un grand découragement naissait: les Allemands avaient l'impression
que, devant Arras et l'Aisne, leurs Armées venaient de subir de graves échecs.
Les pertes avaient été très élevées. Plusieurs grands chefs allemands avaient
été relevés de leur commandement. La ration de pain avait été réduite.
Des troubles
éclataient à Berlin; et, dans les centres industriels, des grèves menaçaient.
L'arrêt de
l'offensive eut pour conséquence naturelle de modifier cet état de choses, et
nous en perdîmes ainsi tous les avantages, laissant à notre tour le
découragement pénétrer parmi nous.
Déjà, les
premières désillusions avaient causé un déséquilibre tel que les bruits les
plus tendancieux pouvaient se propager à l'aise. On en constata les
inconvénients dans la question des pertes qui eut tant d'influence sur les
décisions gouvernementales.
Quelle qu'en ait
été l'origine, il est certain que des statistiques inexactes furent répandues
et causèrent un incontestable trouble. Aucune voix autorisée ne vint les
démentir. Les imaginations se laissèrent gagner, on parla de tueries, de
massacres, et le général Mangin y perdit son commandement.
Pourtant,
ces pertes étaient proportionnellement moins fortes que celles des autres
offensives. Celle-là, exécutée sur un front de
Celle de
Champagne, en 1915, sur un front de
La 5e Armée (Mazel) avec 16 divisions d'infanterie engagées, avait perdu
49.526 hommes; la 6e Armée (Mangin), avec 17 divisions d'infanterie, 30.296
hommes ; la 10e Armée (Duchêne), avec 9
divisions d'infanterie, 4.849 hommes ; la 4e Armée (Anthoine),
engagée partiellement, 21697 hommes, et là 3e Armée (Humbert), qui
ne fit qu'une démonstration, 1486 hommes.
A partir de mai,
l'armée française traverse une grave crise qui engendre des mutineries.
Les généraux
NIVELLE et MANGIN sont limogés.
Le général
PETAIN prend le commandement le 17 mai.
Il commence par mettre en place des mesures d'apaisement et prépare avec
minutie une offensive limitée dans le secteur ouest du Chemin des Dames autour
du Fort de
Lancée en
octobre 1917, cette opération est un succès (cliquez ici, pour
le détail). Les Allemands sont obligés de se replier au nord du Chemin des
Dames, dans la vallée de l'Ailette.
Les troupes
françaises retrouvent la confiance.
Une
conséquence, plus désastreuse encore et qui aurait pu nous être funeste, ce fut
l'indiscipline.
Les mutineries,
qui avaient commencé au début de mai et que les opérations actives avaient
arrêtées, reprirent de plus belle.
Des compagnies,
des bataillons, voire des divisions, refusèrent de monter aux tranchées, et
quelques-unes prirent le chemin de Paris. Le retour à la discipline allait être
la première tâche qui s'imposerait au nouveau Généralissime.
Le général
Pétain sut y exceller.
Donc, cette
fameuse offensive produisit des résultats positifs appréciables. Et pourtant
ceux-ci eurent des conséquences morales déplorables. La faute en fut surtout
aux campagnes sournoises qui entourèrent cette offensive et qui créèrent dans
le pays un état d'esprit où dominaient les théories pacifistes et les solutions
défaitistes.
Enfin cette
offensive, voulue pour des raisons politiques et arrêtée pour d'autres raisons
politiques, ne pouvait se passer d'un dénouement politique.
Elle l'eut sous
la forme d'un comité secret qui se tint au Palais-Bourbon pendant sept jours
(fin juin-début juillet 1917); les interpellations et
les ordres du jour au nombre d'une quinzaine disent assez avec quelle violence
on discuta « de la politique de guerre que commandaient les récents
événements politiques et militaires », de « la façon dont avaient été
préparées, décidées et conduites les dernières opérations », et « des
mesures prises pour mettre à profit les enseignements de la guerre actuelle et
l'emploi des engins nouveaux».
A cette occasion, on
rappela toutes les légendes, toutes les désillusions, on fit revivre tous les
racontars et les haines, les jalousies, les animosités personnelles...
Le Gouvernement, qui
n'était déjà plus très solide, s'associa aux critiques dirigées contre
l'opération, quoi qu’il eût eu sa part des responsabilités.
Il déclarait pourtant : « Nous finirions vraiment par nous persuader à nous-mêmes que ces journées ont marqué un échec pour nos armes, alors qu'en réalité elles ont été un succès, payé cher il est vrai, mais néanmoins glorieux. »
Texte tiré de « La grande guerre vécue,
racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes Aristide Quillet, 1922 »
Je possède le
guide Michelin de 1920 « guide illustré des Champs de bataille : Le
Chemin des Dames »,
Si vous êtes
intéressé par cet ouvrage (j’en possède 2) contactez
moi « ici »
Suite des opérations : Verdun
(1917)
D’autres
épisodes de la bataille du chemin des Dames :
Combats à
Berry au Bac et Juvincourt
Combats
pour Loivre et Berméricourt
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