Octobre 1917
Après l'échec du Chemin des Dames, une grave crise engendre des mutineries, et les généraux Nivelle (commandant en chef des armées) et Mangin sont limogés. Le général Pétain prend le commandement et, après des mesures d'apaisement, prépare dans les moindres détails une offensive limitée au secteur ouest du Chemin-des-Dames, autour de La Malmaison. Combat livré du 23 au 26 octobre 1917, cette opération est un succès et les Allemands sont obligés de se replier au Nord du Chemin-des-Dames, dans la vallée de l'Ailette.
Le moral des troupes françaises remonte, elles retrouvent la confiance.
Pourquoi une « petite » bataille ?
Les graves événements sont connus, qui avaient failli amener, au milieu de 1917, la ruine de la puissance militaire française par la destruction de tout esprit de devoir, par la révolte collective contre l'autorité militaire et plus encore contre le Gouvernement.
C'étaient là les résultats d'une propagande néfaste, dont les origines sont aujourd'hui connues ; mais le grand trouble qui sévissait dans les âmes était aussi à base de découragement et de désillusions dans le domaine tactique.
Le grand fléchissement moral de 1917 devait, pour un temps, dominer la conduite de la guerre.
C'est pourquoi au nombre des moyens envisagés par le général Pétain pour remettre l'Armée en meilleur état psychologique, figurait un mode d'emploi de troupes susceptible d'effacer les impressions anciennes et de raviver la confiance. Il fallait, d'urgence, faire renaître le sentiment de la supériorité sur l'adversaire et, pour cela, n'entreprendre d'opérations que du fort au faible, ne rien demander aux unités, non seulement que de praticable, mais encore que de « facile ».
Les nécessités morales étaient d'ailleurs en accord avec
les nécessités stratégiques du moment sur le front occidental.
Il ne pouvait être question, à cette époque, de rompre le
front adverse pour entreprendre ensuite une large exploitation du succès. De
telles opérations ne sont possibles qu'avec un écart de supériorité accentuée
que nous ne possédions point et que les événements russes pouvaient, à bref
délai, établir en faveur de nos adversaires.
Tenter quand même la chance dans les conditions de
l'heure, c'était risquer de créer ces « poches profondes », coûteuses,
intenables, qui allaient, en 1918, consommer l'usure et la défaite allemandes.
Dans sa directive N° 1,du 19 mai 1917,destinée aux
commandants de Groupes d'Armées et d'Armées, le nouveau Commandant en chef
expose ces vues d'ensemble. Il en déduit que l'activité des troupes devra se
borner, jusqu'à nouvel ordre, à la recherche de résultats tactiques limités. Il
fait appel aux procédés qui, tout en économisant les existences humaines,
exalteront la foi des exécutants dans les méthodes du Haut Commandement. Il
impose l'utilisation au maximum de la puissance matérielle, créée de toutes
pièces, ou peu s'en faut, pendant la guerre, et demande encore que l'action en
soit décuplée par la surprise.
Les attaques profondes visant des objectifs lointains ne répondent en aucune façon aux conditions requises.
Les travaux préparatoires dévoilent, en effet, à
l'adversaire les intentions de l'attaquant, et éliminent toute possibilité de
surprise.
Mais alors l'artillerie est impuissante à briser, sur
toute la profondeur du parcours envisagé pour l'infanterie, les résistances
accumulées par un ennemi qui, prévenu, a eu tout le temps de rassembler des
moyens comparables à ceux de l'assaillant.
Au surplus, il paraît bien que, de plus en plus, pour
obtenir d'importants résultats stratégiques, il faut consentira une période
d'usure et d'absorption des forces
de l'adversaire avant de tenter la «finale». Comment obtenir cette usure?
En portant des coups successifs sur divers points du
front, mais des coups extrêmement vigoureux, grâce à la concentration puissante,
sur la partie attaquée, de tous les moyens disponibles.
« L'équipement » très poussé du front, c'est-à-dire sa.
mise en état pour recevoir les moyens supplémentaires d'action partout où des
actions offensives sont possibles, permettra de meubler très rapidement les
secteurs désignés. L'exploitation intensive des moyens de transport assurera
les rocades de matériel et de grandes
unités d'un champ de bataille à l'autre.
A peine un incident sera t-il clos qu'un autre se
développera sur un point inattendu, sur un front en sommeil, poursuivant
l'usure de l'adversaire, préparant la dislocation générale de son système, puis
la ruée décisive, une fois le déséquilibre des forces acquis sans conteste.
En résumé, aux attaques profondes, « il convient de préférer
les attaques à objectifs limités, déchaînées brusquement sur un front aussi
étendu que le permettent le nombre et les propriétés des divers matériels
d'artillerie existants, » et sans sacrifier la vigueur de la préparation au
désir d'étendre le champ d'action, soit en largeur soit en profondeur.
Une action de ce genre a déjà été conduite en Flandre, à
la fin de juillet, par le général Antoine.
Une autre a été menée, le 20 août 1917, par le général
Guillaumat, commandant de l'Armée de Verdun. L'attaque a eu lieu au nord de la
Place, sur un front de 24 kilomètres, de part et d'autre de la Meuse. Tous les
objectifs ont été enlevés et conservés, en dépit des fortes réactions adverses.
L'opération de La Malmaison, exécutée à la fin d'octobre,
conçue dans le même esprit, réalise le maximum de ce qui a été fait dans le
genre. Elle est intéressante en ce qu'elle constitue vraiment le type de la
bataille tactique, telle que la comprenait alors le Commandement français.
LE CHAMP DE BATAILLE
Le champ de bataille de La Malmaison se trouve à une
quinzaine de kilomètres, au nord-est de Soissons.
Notre situation, dans cette partie du front, résulte des
opérations engagées le 16 avril.
Notre ligne atteint l'Ailette canalisée, au nord du
village de Vauxaillon. Elle est jalonnée, à partir de là, dans la direction du
sud-est, puis de l'est, par le moulin
de Laffaux, les rebords sud du plateau de l'Ange-Gardien et du fort de La
Malmaison, jusqu'au point où elle touche, vers La Royère, le Chemin des Dames.
En poursuivant plus à l'est encore, en dehors du champ de bataille proprement dit, c'est cette crête fameuse du Chemin-des-Dames qui marque jusqu'à Craonne le contact franco-allemand. L'adversaire a derrière lui, sur toute l'étendue du front que nous venons de parcourir, la rivière de l'Ailette, canalisée en aval du grand bassin d'alimentation de Pargny-Filain.
(Si vous
voulez la carte en plus grand et en une meilleure résolution ; envoyer moi
un mail J )
La distance de l'obstacle, aux premières lignes, atteint
six kilomètres dans la région de Vaudesson; elle n'est en moyenne que de 3 km
depuis Filain jusqu'à Craonne.
Tout ce terrain est difficile, les pentes vers l'Ailette
sont rapides, et c'est le pays par excellence des carrières, des creutes
immenses, assurant des abris naturels contre le bombardement, mais susceptibles
aussi, dans certaines conditions, de se muer en souricières pour les unités
subitement attaquées.
Le saillant allemand, vers Laffaux, a l'inconvénient de
procurer à nos adversaires des vues sur nos arrières, dans la vallée de
l'Aisne.
Ses batteries nombreuses de la région de Vaudesson et de
Chavignon sont très gênantes pour la partie ouest de nos positions du
Chemin-des-Dames.
Autant de motifs sérieux d'entreprendre une action
d'intérêt local.
Mais, d'autre part, une opération sur ce saillant
présente les meilleures conditions pour obtenir une usure importante de
l'adversaire, dans la forme préconisée par le Commandant en chef.
D'abord, les Allemands n'évacueront pas volontiers une
région connue du monde entier parce que l'effort français d'avril s'y est arrêté;
ensuite, le retrait obligé, son exécution sera rendue fort difficile, au moins
en ce qui concerne le matériel, par la présence de l'Ailette marécageuse, à
quelques kilomètres en arrière.
Il y a donc toutes chances pour qu'un butin considérable
soit le fruit d'une bataille heureuse livrée dans cette région.
L'organisation de la bataille côté français
Les ordres du
général Maistre, commandant de la 6° Armée, limitent nettement la portée de
l'attaque projetée.
Celle-ci doit nous assurer la possession du plateau que
jalonnent le fort de La Malmaison et la râperie de l'Ange Gardien, possession
qui ne sera assurée qu'autant que nos éléments les plus avancés seront parvenus
au pied des pentes nord, enlevant à l'ennemi un terrain favorable aux contre-attaques,
et permettant à nos batteries de s'installer sur le plateau et d'agir vers
l'Ailette.
Cette avance privera les Allemands de leurs vues sur la
vallée de l'Aisne, dont nous avons signalé les inconvénients ; elle leur
enlèvera les emplacements de batteries au sud de l'Ailette, que les pièces
soient prises ou qu'elles soient rejetées au nord de la rivière.
Enfin, elle retournera la situation en ce sens que c'est
nous qui, désormais, aurons des vues chez l'ennemi, et qui menacerons, par des
feux d'enfilade, la crête du Chemin des Dames et les pentes en arrière.
L'exécution est confiée à trois Corps d'Armée, disposant
chacun de quatre divisions.
Deux de ces divisions, accolées en première ligne,
mèneront l'attaque. Les deux autres, en réserve, seront destinées à occuper le
terrain, les objectifs une fois atteints.
A gauche, le 14e Corps d’Armée (général Marjoulet), met
en ligne les 28e et 27e divisions;
Au centre, le 21e Corps d’Armée (général Degoutte), les
13e et 43e divisions ;
A droite, le 11e Corps d’Armée (général de Maud'huy), les
38e et 66e divisions.
L’action principale est prolongée au nord par la 129e
division, rattachée au 14e Corps d-Armée, et à l’est par la 67e division du 39e
Corps : ces unités doivent appuyer les flancs de l’attaque en progressant
avec celle-ci, et en formant, en quelque sorte, charnière
extensible.
Elles doivent, en outre, produire une action violente
d’artillerie de tranchée, susceptible d'abuser l'adversaire sur les limites exactes
du front attaqué, et de l'amener à étendre de part et d'autre ses
concentrations de feux.
Des reconnaissances d’infanterie entretiendront
l’illusion et dévoileront, le cas échéant, tout mouvement de repli résultant du
progrès de l’attaque proprement dite, pour permettre de l‘exploiter sans
retard.
Les premiers objectifs assignés sont les suivants, de la
gauche à la droite
Au 14e Corps d’Armée, le château de la Motte, le village
d'Allemant, le fort Saint-Guillain; ses deux divisions formeront tenaille sur
les deux faces du saillant de Laffaux pour le réduire;
Au 21e Corps d’Armée, les organisations au sud de
Vaudesson et la ferme de La Malmaison.
Au 11e Corps d’Armée, le fort de La Malmaison et le
dédale des premières lignes ennemies, au sud sud-ouest de Pargny-Filain
Les deux points d’appui importants constitués par la
ferme et le fort de La Malmaison, dont la distance à nos premières lignes est
de 1 kilomètre environ, seront enlevés d’un seul élan, afin de profiter de la
surprise.
A l’ouest, au contraire, la distance à parcourir amène à
fixer un objectif intermédiaire, marqué par le château de la Motte, la chapelle
au sud d'Allemant, la ferme Vaurain, la Râperie de l’Ange-Gardien.
Il en est de même à l’est, mais pour d’autres raisons. Un
temps d’arrêt est estimé nécessaire ici par les exécutants pour venir à bout,
avant de poursuivre plus avant, de la première position allemande très
puissante dans la région de la Croix-de-Pargny et du Panthéon.
L’enlèvement des premiers objectifs sera suivi d’un passage
de lignes, afin de pousser en tête, pour continuer l’opération, des unités
fraîches, et le départ vers les seconds objectifs aura lieu quatre heures après
l’heure H.
Les objectifs finaux enlevés, la ligne française passera
au nord d'Allemant, à 500 mètres au nord de Vaudesson, atteindra la grand-route
de Maubeuge aux Vallons, pour la suivre jusqu'au cimetière de Chavignon,
s’élever au nord de ce village jusqu'au Voyeu et s’infléchir ensuite vers la
ferme Many et les pentes du plateau de La Malmaison, à l’ouest de
Pargny-Filain.
Nous verrons que la tournure prise par ces événements
amènera à pousser au delà des objectifs fixés, jusqu'en bordure de l’Ailette.
En raison de la nature spéciale du terrain à conquérir,
le nettoyage des organisations enlevées doit être réglé avec minutie. Aucun
point suspect ne sera laissé en arrière des premières lignes sans être pris à
partie. En particulier, les carrières et les creutes profondes, d’où peuvent
surgir des mitrailleuses intactes, seront assiégées et réduites.
L'artillerie
(2e,12e,32e,231e,240e,259e
régiments d’artillerie) déploiera dans l'affaire de La Malmaison une
puissance jamais réalisée jusqu'alors.
Le but poursuivi est d'obtenir une usure considérable de
l'adversaire, sans renoncer à l'effet de surprise, donc d'exécuter une
préparation courte (quatre jours), mais assez intense pour « ruiner les moyens
matériels, les forces physiques et morales de l'ennemi ».
Les forces d'artillerie, accumulées sur un front de
départ de 10 à 12 kilomètres, comprennent :
768 pièces de 75, plus 44 de 95, donnant un total de 812
canons de campagne ;
862 pièces d'artillerie lourde de calibres divers, allant
du 105 au 380, mises à la disposition des Corps d'Armée;
105 pièces à grande puissance, constituant l'artillerie
d'Armée.
Et il faut ajouter encore 66 batteries d'artillerie de
tranchée, dont une partie, il est vrai, opère en dehors des ailes de l'attaque
pour fournir les tirs de démonstration dont nous avons parlé.
Sans tenir compte de l'artillerie de tranchée, la densité
obtenue est de : une pièce de campagne par 13 à 14 mètres de front, et une
pièce d'artillerie lourde par 12 mètres environ.
Sur le front du 21e Corps, 592 pièces (artillerie de
tranchée comprise) opèrent sur 2600 mètres, soit un canon par 5 m.
Telle est la machine à détruire que doit mettre en oeuvre
la 6e Armée.
Le débit de munitions devant être ininterrompu, les
servants d'artillerie seront renforcés par des auxiliaires fournis par
l'infanterie ; les tirs d'artillerie accableront les défenseurs et les isoleront
de leurs arrières, ne leur permettant « ni de dormir, ni d'être ravitaillés,
encore moins d'être relevés »
Ainsi l'on espère arriver à épuiser les forces de
l'infanterie, réduire à zéro sa capacité de combat. Le résultat sera
sensiblement atteint.
D'autre part, les batteries seront détruites ainsi que
les organisations fortifiées. Et si les défenseurs de celles-ci essaient de se
jeter dans les trous d'obus, les tirs de peignage pendant la préparation, les
barrages roulants très denses pendant l'attaque, les empêcheront de s'y
installer solide
ment pour recevoir l'infanterie. Pour assurer une action
ininterrompue des batteries de 75 chargées de fournir les barrages, une bonne
partie (près de la moitié) des pièces a été établie au plus près de la parallèle
de départ.
Ce sont ces pièces, restées muettes jusqu'au dernier
moment, qui doivent prendre à leur compte le barrage à partir de H + 4, pendant
la progression vers les deuxièmes objectifs.
C'est bien la mise en pratique de la formule qui
caractérise le stade auquel est parvenue, à la fin de 1917, l'évolution des
méthodes : «L'artillerie conquiert, l'infanterie occupe », formule exagérée à
dessein pour réagir contre d'anciens errements.
Du côté allemand
Ces difficultés sont prévues. L'infanterie emmènera avec
elle des canons Stokes, servis par les artilleurs de tranchée, et surtout elle
sera accompagnée par des chars dont l'aide sera fort efficace pour détruire les
centres de résistance échappés à la destruction de l'artillerie.
Au 11e corps, la 38e division dispose d'un groupe de
chars pour l'accompagner dans sa marche vers le fort de la Malmaison.
L'action des nouveaux engins a été préparée avec le plus
grand soin, les itinéraires ont été reconnus ou étudiés sur les photographies.
Les cuirassiers à pied constituant les unités d'accompagnement procèdent aux
travaux indispensables en deçà de nos lignes, pour faciliter la mise en place
et le débouché.
Le 21
septembre, la 2e division de la Garde prend place en première ligne; puis
trois divisions sont amenées à 4 ou 5 kilomètres en arrière du front, à portée
d'intervention immédiate ; deux autres, enfin, plus les éléments d'une
troisième, arrivent au nord de l'Ailette.
De sorte que, le jour de l'attaque française, l'ordre de
bataille allemand comprend
5 divisions en première ligne ;
3 divisions d'intervention rapide ;
3 divisions environ, en réserve immédiate .
L'artillerie a, de même, été l'objet de renforcements
importants. Les batteries légères ont été augmentées de plus d'un quart. Quant
aux lourdes, leur nombre a été triplé et au-delà.
Au total, l'artillerie allemande comprend, au milieu
d'octobre, 180 batteries, dont 63 de gros calibre.
La densité réalisée varie, suivant les divisions, de 7 à
11 batteries au kilomètre.
Suivant Ludendorff, « on a fourni à la défense tout ce
qu'elle estimait nécessaire » pour recevoir le choc français.
Et le Commandement allemand, qui entend accepter la lutte sur place, traduit sa décision par des prescriptions formelles aux troupes qui doivent recevoir le choc des Français
« C'est pour la tranchée de première ligne que les
divisions en secteur doivent se battre; c'est pour reprendre les éléments
perdus que seront éventuellement lancées les contre-attaques à l'aide des
réserves constituées aux divers échelons. Et si une rupture, malgré tout, se
produisait, l'artillerie aurait à agir par concentration violente sur la brèche
et ses abords, afin de limiter l'irruption de l'assaillant, en attendant que
les éléments en arrière viennent rétablir la situation. »
Ludendorff se
reprochera plus tard de ne pas avoir passé outre à l'avis optimiste du
Commandant de l'Armée, en ordonnant l'évacuation des positions menacées. Et
c'est bien ce que redoutait le général Maistre à la veille de sa victoire si
soigneusement préparée.
La
bataille
La préparation d'artillerie commence le 17 octobre
Comme nous l'avons dit, elle doit durer quatre jours;
mais la brume, qui apparaît dès le 18, contraint à la prolonger jusqu'au 22.
Elle est formidable. Les Allemands soumis à cette épreuve
apparaîtront anéantis à, nos troupes d'assaut
La date de l'attaque d'infanterie (30e , 52e,75e,140e,149e,158e,283e,288e,297e,359e régiments et les 1e,4e,5e,6e,31e,46e,64e,67e,68e,106e,114e,115e,120e bataillons de chasseurs aidés des 4ème
régiment Zouaves, le régiment d'Infanterie Coloniale du Maroc, le 4ème régiment
mixte Zouaves Tirailleurs, le 8ème régiment Tirailleurs Tunisiens) est
fixée au 23.
L'heure H sera 5h45, au petit jour. Les ordres à ce sujet
sont envoyés, par officiers, dans la matinée du 22. Avant même qu'ils aient
atteint les échelons inférieurs, un radio allemand, saisi, apprend à
l'état-major de la 6° Armée que l'adversaire est renseigné.
Le général Maistre est absent. Il visite ses Corps
d'Armée. Son chef d'état-major, le colonel Hergaut, lui demande par téléphone
de rentrer et lui rend compte de l'incident. L'heure est avancée à 5h15 malgré
les inconvénients de l'obscurité, et l'indication en est transmise avec toutes
les précautions possibles.
Cette fois encore, les Allemands seront avertis.
Leurs messages de T. S. F., déchiffrés par le 2e Bureau de
l'Armée, le font savoir.
Il faut passer outre, encore que ces circonstances soient
singulièrement troublantes.
D'où peuvent venir ces communications criminelles ?
Soissons a été, quelques mois auparavant, le centre d'une région agitée, où les
mutineries ont pris un caractère de haute gravité. Quelque agent de l'ennemi
doit s'y trouver encore, qui a changé de champ d'action, et qui, après avoir
poursuivi la destruction du moral de nos troupes, s'emploie à faire échec à
leurs efforts.
Le 23, à 5h15, l'attaque part, dans la nuit, avec
un ensemble parfait.
A gauche, les 14e et 21e Corps attaquent les objectifs
intermédiaires, puis les premiers objectifs, sans rencontrer de résistance très
sérieuse. Quelques nids de mitrailleuses sont facilement réduits.
A l'extrême gauche, la 129e division est, par contre,
violemment ramenée dans ses tranchées de départ, et doit se contenter de
couvrir le flanc de la 28e division.
Au 11e Corps, le fort de La Malmaison est enlevé à 6h30
par la 38e division, pendant que les carrières de Bohery, dépassées, sont
attaquées avec l'aide de chars.
A droite, la 66e division se trouve en butte à une
résistance opiniâtre, dans le réseau serré des organisations allemandes.
Il y a de plus, dans la nuit, quelques erreurs de
direction et du flottement dans les unités du centre qui, en fin de compte, se
trouvent en échec devant les nids de mitrailleuses.
Les ailes seules de la 66e division progressent d'une
manière satisfaisante.
La
67e division, à sa droite, atteint la chapelle Sainte-Berthe.
A ce moment ,d'après des déclarations ultérieures de
prisonniers, les Allemands, abusés par l'arrêt que marquent nos troupes sur les
premiers objectifs, croient notre attaque terminée et se disposent à
contre-attaquer.
Les unités qui se mettent en mouvement dans ce but se
trouvent prises, à partir de 9h15, sous le deuxième barrage roulant,
tourbillonnent, se dispersent ou se terrent.
Aussi, la marche est-elle rapide vers les objectifs
définitifs, qui sont enlevés sur tout le front de l'Armée dès le début de
l'après-midi, sauf cependant aux 66e et 67e, divisions, arrêtée encore par les
mitrailleuses, et contraintes de se replier en partie.
En arrière des unités de première ligne, des actions
locales ont réduit les carrières de Bohery et du Montparnasse, ainsi que les
îlots de résistance existant encore dans les tranchées non bouleversées.
Les chars d'assaut ont joué un rôle efficace au cours de
ces épisodes, malgré les obstacles rencontrés par eux sur un terrain retourné
par les obus, et rendu plus difficile encore par la pluie.
Des reconnaissances poussent en avant du front, et
enlèvent quelques nids de résistance.
Dans la matinée du 24, la 129e division constate
que l'ennemi a commencé son repli ; elle occupe le plateau de Moisy et le mont
des Singes.
Le 25, une opération complémentaire, prévue depuis
longtemps et décidée sur le vu des résultats obtenus, nous livre Pinon, sa tour
et son château. Il est visible que l'ennemi ne veut pas essayer de se maintenir
au sud de l'Ailette.
Dans l'après-midi, les 14e et 21e Corps d'Armée
ont leurs avant-postes sur la rivière.
A droite, la 66e division, surmontant les plus dures
résistances, prend Pargny-Filain, et, en liaison avec la 67e la chapelle
Sainte-Berthe.
Le 26, La Royère, Filain, Moulin-Didier tombent
entre nos mains, et le bassin d'alimentation est atteint.
Toute la rive sud de l'Ailette est à nous, les
unités s'y organisent. L'épilogue de l'affaire si rapidement menée est
l'évacuation du Chemin-des-Dames par les Allemands, dans la nuit du 1 au 2 novembre, jusqu'à Craonne.
Il faut reconnaître que cette évacuation s'est faite en ordre, et sans que les unités allemandes se soient laissées entamer par nos attaques locales, destinées à accélérer le repli.
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bataille
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Le Bilan
Tous les résultats recherchés par le Commandement français,
dans cette remarquable affaire de La Malmaison, étaient atteints.
Non seulement nous occupions les pentes, descendant du
plateau de La Malmaison vers le nord, mais nos troupes bordaient l'Ailette,
depuis la forêt de Pinon jusqu'à Craonne. Le Chemin-des-Dames était
complètement en notre pouvoir.
Les pertes de l'ennemi étaient considérables, eu égard
surtout aux dimensions réduites du champ de bataille.
Nous ramassions, au, cours de l'assainissement, 3300
cadavres d'Allemands tués pendant les journées de bataille proprement dites. Si
l'on ajoute le chiffre de ceux qui furent victimes de nos tirs de préparation
et de ceux qui tombèrent en dehors du terrain occupé par nous, il ne paraît pas
exagéré d'admettre le chiffre total de 8000 tués.
Les statistiques permettent de déduire que l'ennemi dut
compter, en regard de ces 8000 tués, environ 30000 blessés.
D'autre part, nos troupes avaient ramené plus de 11500
prisonniers, ce qui porte à près de 50000 le chiffre global des pertes
infligées à nos adversaires.
En regard, les pertes françaises s'élevaient à 14000
hommes, blessés légers compris.
Le matériel enlevé comprenait 200 canons, 222
minenwerfer, 720 mitrailleuses; et il est difficile d'apprécier les quantités
détruites ou mises hors d'usage, et néanmoins emmenées par les Allemands dans
leur retraite.
La question n'a pas manqué de se poser, au lendemain de
La Malmaison, de savoir s'il n'y aurait pas eu lieu d'exploiter à fond la
victoire.
Il paraît bien que c'eût été une aventure téméraire sans
avantages réels, et présentant, par contre, d'inquiétants aléas.
Le front de rupture était relativement étroit, et
l'écrasement de quelques divisions ennemies n'affectait pas assez l'ensemble
des forces allemandes pour qu'il nous fût possible, à ce moment, d'escompter
une décision générale.
L'exécution même d'une poussée dans la brèche ouverte
n'allait point sans de grosses difficultés qui, à elles seules, eussent pu
déterminer l'arrêt.
Il y avait à franchir les marécages de l'Ailette à une
saison peu propice; il fallait traverser un terrain que notre artillerie lourde
avait transformé en chaos, et nulle route n'y subsistait qui pût livrer passage
à l'artillerie, à ses munitions, aux ravitaillements des grandes unités
poussées en avant.
Franchir l'Ailette, c'était s'exposer à se trouver, en
fin d'opérations, sans résultats supérieurs, dans la situation qui venait de
valoir à nos adversaires un sanglant échec.
Il n'y fallait point songer. Il fallait savoir se
contenter du possible.
Le bilan au point de vue matériel était d'ailleurs
fort satisfaisant, nous l'avons vu. Il n'était pas moins important dans le
domaine du moral.
Ludendorff lui-même nous renseigne sur l'état d'âme
dans le camp de nos adversaires : « Nos pertes avaient été fort douloureuses,
écrit-il, quelques divisions avaient été taillées en pièces... »
Quant à nos troupes, elles trouvèrent dans la
conduite de l'opération, dans le développement d'une puissance d'artillerie
jusqu'alors ignorée, dans l'intervention heureuse de quelques batteries de
chars, des motifs de réconfort et d'exaltation pour leur moral, si troublé
quelques mois auparavant.
L'événement donnait aux Armées françaises «
confiance dans leur nouveau chef» et, par une réaction salutaire, nos poilus,
fiers de leur victoire, faisaient refluer vers l'intérieur, d'où était venue la
vague de défaitisme, un renouveau d'espoir qui imposait silence aux pessimistes
et aux apeurés.
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