Les combats pour SARREBOURG

18,19 et 20 août 1914

                                                                   

 

Ce que furent ces combats de Sarrebourg, comment ils atteignirent par moments au sublime de l'épopée, le lieutenant Péricard, du 95e R.I., va nous le dire :

 

Le 18 au matin, le 8e C. A. arrive devant Sarrebourg; l'ordre d'attaque lui prescrit d'atteindre le front Kerprich Bois-Saint-Hubert, à l'ouest de Sarrebourg ; il sera appuyé à droite par le 13e Corps, à gauche par le 16e (2e Armée).

Le 95e est désigné pour attaquer Sarrebourg: le général de Maud'huy, commandant la 31e brigade, a promis cette récompense au régiment, à la suite de sa brillante attitude à Blâmont.

Promesse qui honore à la fois le chef et les hommes. Le 95e (colonel Tourret) part de Lorquin vers 6 heures du matin, traverse Xouaxange, franchit le canal de la Marne au Rhin et s'établit à la cote 325, près de la route de Paris, à 15 kilomètres de Sarrebourg.

Vers midi, les 2 et 3e bataillons du 95e commencent le mouvement; chaque bataillon est en colonne double, les compagnies en ligne de section par quatre. Quand nos, troupes arrivent sur la crête de la colline, à 1500 mètres de Sarrebourg, l'ennemi fortement retranché sur les hauteurs au Nord de la ville, déclenche un tir violent de «  gros noirs ».

La progression se fait cependant sans aucun arrêt, par bonds rapides.

A 15h30, les premières compagnies pénètrent dans Sarrebourg, chassent les Allemands restés en arrière-garde, et occupent les lisières nord de la ville.

Le 85e s'empare de Bühl et une compagnie du 95e se retranche à Hoff, en avant de Sarrebourg. La population de Sarrebourg fait un accueil chaleureux à nos soldats.

 Devant chaque maison son: disposés des seaux de vin, des bouteilles de bière, des provisions de toutes sortes.

Les habitants bourrent les musettes des poilus de cigarettes et de paquets de tabac………

 

Cependant, ils ne cachent pas leur appréhension :  La retraite des Allemands n'est qu'une feinte. Ils ont reculé pour vous amener sur les emplacements de combat choisis car eux.

«  Ils sont plus nombreux que vous ; ils ont dix fois plus de canons. Prenez garde !! »

Ces avertissements ne sont que trop exacts ; on ne tardera pas à s'en apercevoir...

En effet, a quelques kilomètres au delà de Sarrebourg, le 8e Corps va se heurter à de nouvelles positions sur lesquelles sont accourus de nombreux renforts allemands. L'artillerie lourde ennemie s'est installée sur les hauteurs qui dominent la Sarre, de Reding Jusqu'à Fénestrange, et elle flanque toute la vallée que nos troupes doivent suivre dans leur progression vers le Nord.

 

Le 19 août au matin, la 32e brigade avait reçu l'ordre d'attaquer les hauteurs de la rive droite de la Sarre, entre Saaraltrofet et Reding Le 95e était resté à Sarrebourg, en réserve ; toute la journée s'était passée pour les hommes du régiment à pourchasser les espions. Il y en avait dans chaque maison. Chaque cave recelait un téléphone. Mais on se contentait trop souvent de couper les fils et d'emmener les coupables au poste. Les sanctions ne furent pas assez immédiates : quand, le lendemain, nous devrons abandonner la ville, les espions seront les premiers à se précipiter sur nos soldats en retraite et à les fusiller à bout portant.

 

L'attaque de la 32e brigade, le 19, nous a coûté de grosses pertes. Elle s’est heurtée à d'innombrables réseaux. L'artillerie ennemie a fait, parmi nos troupes, des ravages effrayants.

 

 

Le 20, l'offensive reprend. Les objectifs sont: pour le 95e, le village de Eich et la crête située entre les cotes 316 et 325 ; Pour le 85e, le village de Reding et la cote 316; Pour la 32 brigade, Saaraltrof et la cote 325.

au début nous avons l'avantage. Le village de Eich est enlevé par un bataillon du 95e. Mais l'artillerie ennemie inonde ce village d'obus de 210. De nombreux incendies se déclarent. Des maisons s'effondrent, ensevelissant les défenseurs. Ni le 85e régiment d'infanterie à droite, ni le 13e régiment d'infanterie à gauche, n'arrivent à leurs objectifs. Le bataillon du 95e doit se replier sur Sarrebourg, sous peine d'encerclement.

Des hauteurs au nord de la ville, les Allemands se précipitent, soutenus par leur artillerie. Nos mitrailleuses et nos feux de salve font dans leurs masses compactes des trouées sanglantes. Mais, sans cesse, de nouvelles vagues déferlent Le bombardement s'exaspère. Les espions ont dû conserver des lignes téléphoniques intactes, car tous nos mouvements sont aussitôt signalés, et les obus suivent nos troupes à la piste.

Le 85e, à droite, a perdu son colonel et presque tous ses officiers. Il doit reculer d'Imling, laissant à découvert le flanc du 95e.

Les hommes du 95e ont, la veille, organisé défensivement les lisières de la ville. Ils ont creusé des créneaux dans les murs, établi des barrages avec des tonneaux, des tables, des planches, amorcé des tranchées. Le 2e bataillon se déploie à la lisière Est, devant la caserne des uhlans, à droite de la route de Bühl.

 Le 1e bataillon se porte à gauche de cette route. Le 3e bataillon se retranche devant les casernes. Les Boches arrivent à 300 mètres et se terrent. On se fusille à bout portant. Le nombre des nôtres décroît de minute en minute, alors que les effectifs ennemis augmentent sans cesse. Des agents de liaison rampent de section en section pour dire que l'ordre est de tenir, afin de permettre l'arrivée du 13e Corps.

 Le colonel Reibell, qui commande la brigade, fait passer une note, disant : «  Le 95e se couvre de gloire. S'il peut tenir jusqu'à 16 heures, je ferai décorer le drapeau du régiment. “

 

Cette nouvelle déchaîne l'enthousiasme. Les actes d'héroïsme se multiplient.

Le lieutenant Potier, qui commande une section de mitrailleuses, donne ses ordres debout sous les balles, une cigarette aux lèvres. Le capitaine Fourré (.4e compagnie), qui est entré le premier dans Sarrebourg et dont le courage tranquille demeurera légendaire au régiment, se tient debout prés du lieutenant, la jumelle aux yeux, et, quand il voit que le tir des mitrailleuses est efficace, il s'écrie : « Bravo, Potier ! »

Le soldat Aussourd tire, dans la position du tireur à genoux, tous ses camarades tués autour de lui. Quand il n'a plus de cartouches, il prend celles des morts. Un agent de liaison, qui passe en rampant, lui crie :

 « Couche toi, voyons !! tu vas te faire tuer !! ‑ Qu'est ce que ça fait répond Aussourd, puisque tous mes camarades sont morts !! »

 

 Les officiers ont pris des fusils et font le coup de feu avec leurs hommes. Les blessures n'empêchent pas de se battre : les balles, que de nombreux soldats glissent dans les fusils, sont tachées de leur sang.

Des hommes mortellement atteints, rassemblent leurs dernières forces pour aller porter leurs cartouches aux camarades demeurés valides.

Le tir des mitrailleuses est si violent que les balles forment des nappes.

Nos 75, qui ont tiré sans arrêt depuis le matin, doivent s'arrêter, leurs caissons vides. De nombreuses pièces ont d'ailleurs été démontées. Leurs servants se sont aussitôt précipités au service des pièces restées intactes.

Il fallait tenir jusqu'à 16 heures. A 16 heures 30, le 95e se bat toujours, mais le 13e Corps n'est pas encore arrivé. Les Allemands se sont infiltrés sur plusieurs points des lisières. Les défenseurs reçoivent des balles, non plus seulement de face, mais de droite et de gauche ; ils ont subi des pertes énormes (le 95e laissera 1067 des siens à Sarrebourg).

 

 Le colonel Tourret donne l'ordre de repli.

 

Cet ordre est accueilli avec un mélange de soulagement et de stupéfaction. « Comment? Nous abandonnons Sarrebourg ? et le 13e corps, qu'est-ce qu'il fait ? »

 

 Le capitaine Cournot (2e compagnie) déclare :

« Que les autres s'en aillent, s'ils veulent. Moi, je reste !! »

La retraite commence cependant. Mais les Allemands se précipitent à la suite des nôtres. De nombreux civils (les immigrés) se joignent aux Allemands, et ouvrent le feu par les fenêtres et les soupiraux. Toute défense est inutile. Alors, dans une inspiration de sublime folie, le colonel Tourret fait ranger par quatre les hommes qu'il a rassemblés autour de lui ; il se met à leur tête, et la colonne défile, au pas cadencé, le fusil sur l'épaule, baïonnette au canon, le drapeau déployé, comme à une revue de champ de manœuvre Quand des hommes tombent, les survivants serrent les rangs, sans hâte, pour narguer les Boches. Tous les blessés, qui étaient en traitement à l'hôpital, sortent de leurs lits pour ne pas tomber aux mains de l'ennemi et se traînent par les rues, à la suite de la colonne. Des pansements se défont, et beaucoup de blessés expirent dans des flots de sang.

 

A la sortie de Sarrebourg, le général de Maud'huy, qui a quitté la ville un des derniers, est là, avec son porte-fanion. Il avise la musique, qui accompagne le colonel. « Allons, les gars, dit il, préparez vous à jouer !! »

 

Les musiciens sortent leurs instruments. « Et maintenant, poursuit le général, la « Marche Lorraine »

Les musiciens jouent la marche Lorraine; les hommes suivent la musique et chantent les paroles à pleine voix. Le général de Maud'huy vient le dernier, son éternelle pipe à la bouche.

 

Et c'est ainsi que, sous la pluie des balles, les débris du 95e s'éloignent de Sarrebourg !!

Comme le régiment repassait la Sarre, il vit arriver, vers l'est, les avant gardes du 13e Corps. Avec une ardeur admirable, le 13e Corps s'élança en direction de Sarrebourg. Mais, décimé par l'artillerie, harcelé par d'innombrables mitrailleuses, il dut se replier à son tour. Sarrebourg était définitivement perdu pour nous.

 

 

Un dernier détail, sans grande valeur intrinsèque, montrera de quelle façon nous comprenions la guerre d'invasion.

Le 20 août, dans l'après-midi, l'officier de ravitaillement du 95e qui avait quitté Sarrebourg avec ses  voitures, se souvint tout à coup qu'il avait laissé impayé un ordre de réquisition. Il revint dans la ville sous les obus et sous les balles, se rendit à la mairie et remit au bourgmestre stupéfait la somme qu'il lui devait.

« Je n'ai pas voulu qu'il fût dit, racontait-il plus tard, que des Français avaient laissé des dettes derrière eux »

 

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