Mi sept – octobre 1914
Le camp retranché de Verdun demeurait l'objet des convoitises allemandes. La Ve Armée ennemie renouvela en septembre, et poursuivit jusqu'à fin novembre 1914, ses tentatives en vue d'arracher à la sauvegarde de notre 3e Armée, ce pilier de la défense française.
Le Kronprinz impérial attachait à la chute de Verdun tout son avenir politique. Verdun, d'ailleurs, gênait les communications ennemies entre Metz et la Champagne.
L'opiniâtre résistance de Sarrail au nord de la forteresse avait coûté cher aux Allemands. Ceux ci résolurent d'attaquer Verdun par le sud.
La
place de Verdun est reliée à celle
de Toul par une véritable digue : le récif calcaire des Hauts-de-Meuse, coupé
de défilés sinueux. Les points faibles en sont défendus par des forts qui
furent construits après la guerre de 1870-71 forts de Génicourt, des Paroches et de Troyon, fort
du Camp des Romains, forts de Liouville et de Girouville.
La
Woëvre est une plaine faiblement ondulée, d'argile grasse et bleuâtre, où l'eau
s'amasse en étangs ; des forêts et des bois touffus achèvent d'en faire une
région d'accès difficile.
Notre
1e Armée couvrait seule le
front qui s'étend du sud de Toul à Belfort ; notre 3e Armée n'avait en ligne que
la 7e division de cavalerie entre
Vigneulles et Toul. Le 6e Corps,
renforcé des 65e,
67e et 75e divisions de réserve, tenait
les Hauts-de-Meuse et la Woëvre.
L'ennemi
résolut de franchir la Meuse à Saint Mihiel et Commercy, afin de couper nos
communications avec Verdun, par Bar-le-Duc et SainteMenehould.
Vers
le 19 septembre, un détachement d'Armée,
commandé par le général von Strantz, surgit brusquement de Metz pour renforcer
l'Armée du Kronprinz.
Le
20 septembre, l'ennemi tenait, avec une
puissante artillerie lourde, la région de Thiaucourt, et assiégeait le
promontoire de Hattonchâtel, qui forme saillie sur les Hauts-de-Meuse, au
nord-est de Saint-Mihiel.
Les
21 et 22 septembre, l'attaque allemande se fit plus violente. Von
Strantz lançait dans la trouée de Saint-Mihiel le Ve Corps, le IIIe Corps
bavarois et le XIVe Corps; le Kronprinz, de son côté, avec les XIIIe et XVIe
Corps, attaquait la ligne Montfaucon-Varennes, et, après un bombardement
effroyable (13ème Régiment d'artillerie), s'emparait du bois d'Avocourt.
Von
Strantz assaillait les trois divisions de réserve de l'Armée Sarrail, qui tenaient
les Hauts-de-Meuse. Il s'emparait du promontoire d'Hattonchâtel, menaçait le
fort de Liouville, atteignait Limey, mais ne pouvait prendre pied sur les
hauteurs, arrêté par les contre-attaques furieuses de nos fantassins.
Devant
cette résistance, l'ennemi changea l'axe de son offensive.
Il
la reportait, le 22
septembre, en
direction de Mouilly et de Dampierre, au sud est de Verdun. Le
combat fut effroyable et nous causa des pertes sévères. Mais notre 54ème et 106e régiment
d'infanterie,
cruellement décimé, repoussa à Mouilly tous les assauts des Allemands.
Dans le sud de la Woëvre, l'ennemi, au prix des plus grands sacrifices, réussit
à s'établir sur la ligne Richecourt-Seicheprey-Lirouville.
Le
Kronprinz affermissait donc ses positions sur les Hauts-de-Meuse. Sa puissante
artillerie pouvait librement canonner les forts de Troyon, des Paroches, du
Camp des Romains et de Liouville.
Les
23 et 24 septembre, toutes les nouvelles
tentatives de l'ennemi se brisèrent au nord-est de Verdun. Mais, au sud de la
forteresse, dans la nuit du 24 et
dans la matinée du 25, malgré
l'héroïsme des 367e et 368e régiments d'infanterie, les Allemands progressaient vers Saint-Mihiel
qu'ils réussissaient à enlever. Sur la rive gauche de la Meuse, le fort des
Paroches tenait toujours; mais le Camp-des-Romains succombait sous une avatanche de mitraille, le 26
septembre, et l'héroïsme de ses derniers défenseurs forçait l'admiration et le
respect de l'ennemi.
Les
attaques convergentes de nos troupes au nord et au sud du saillant de
Saint-Mihiel ne permirent pas aux Allemands d'exploiter leur succès. Ils
parvinrent seulement à franchir la Meuse et à s'établir à Chauvoncourt,
faubourg de Saint-Mihiel.
Au
nord de la Woëvre, entre Meuse et Moselle, les régiments de Toul (167e,168e,169e,
346e,353e, 356e, 367e, 368e, 369e régiments d'infanterie) progressèrent habilement
et infligèrent de telles pertes à l'ennemi que son XIVe Corps dut se replier en
désordre. Les villages de Flirey et de Limey furent en partie dégagés.
Au
soir du 26 septembre, les Allemands avaient rétrogradé sur une ligne partant de Mortmare,
dans la Woëvre méridionale, et remontant à Regniéville, en pays de Haye, au
nord de la route de Commercy à Pont-à-Mousson. Ce premier recul fut accentué,
les semaines suivantes, jusqu'à la rive droite de la Meuse.
Les
mois d'octobre et de novembre 1914 permirent à nos troupes des 1e et 3e Armées de ressaisir
l'avantage, de dégager Verdun, d'enfermer l'adversaire dans la hernie de
Saint-Mihiel, de progresser à l'est de Nancy, au nord de Lunéville, autour de
Saint-Dié.
Cette contre-offensive
d'ensemble, faite d'une série d'attaques partielles, fut pénible et sanglante.
Le terrain, de nature difficile, fut disputé avec la plus farouche opiniâtreté.
Au sud de Thiaucourt, c'était la forêt de Mortmare ; au nord de Pont-à-Mousson,
c'était le Bois-le Prêtre, positions stratégiques importantes, puisque la
route Thiaucourt-Nonsard-Buxerulles-Woinrville constituait pour l'ennemi la
principale ligne de communication vers Saint-Mihiel.
L'épaisse
forêt de Mortmare, le Bois-le-Prêtre avec son formidable retranchement du «
Quart-de-Réserve », et les positions dominantes de Flirey et de Limey, furent
le théâtre d'une lutte sans merci. Bombardements et fusillades faisaient rage.
Chaque adversaire rétablissait en hâte les tranchées bouleversées. Des
patrouilles, toutes les nuits, rampaient dans la boue, afin de surprendre
petits postes ou sentinelles. Toute préparation d'artillerie déclenchait une
riposte infernale. Devant Thiaucourt, la lutte fut particulièrement acharnée.
Nos
sections des 367e 368e et 369e régiments d'infanterie se firent décimer dans des
attaques longtemps stériles.
Au
nord de Saint-Mihiel, la lutte revêtait pareil caractère.
Là
combattaient côte à côte les cavaliers des 4e et 22e dragons et du 4e hussards, et les fantassins des 164e, 165e, 106e
et 132e régiments d'infanterie.
Nos
attaques furent d'autant plus incessantes que notre tactique était plus lente
: aux difficultés du terrain s'ajoutait la faiblesse relative des effectifs
que nous pouvions engager. Notre tactique consistait d'abord à contenir
l'effort de l'ennemi, ensuite à le harceler sur les flancs pour menacer ses
communications vers saint Mihiel.
En
conséquence, les troupes de Toul attaquaient du sud au nord, et les unités qui
défendaient les hauts-de-Meuse attaquaient d'ouest en est.
Le
1e octobre, les Allemands jetaient un pont, afin de franchir la Meuse en forces
près de Saint Mihiel. Nous réussîmes à détruire le pont et à rejeter, dans
notre élan, toutes les formations ennemies sur la rive droite de la Meuse.
Le
5 octobre, nous progressions entre
Apremont et la Meuse et sur le Rupt-de-Mad, en refoulant de violentes
contre-attaques.
Le
7 octobre,
nos offensives au nord et au sud de Saint-Mihiel contraignaient les Allemands
à se replier au nord d'Hattonchâtel. Après un bombardement qui dura trente
heures, l'ennemi lançait ses colonnes en direction d'Apremont, dans la nuit du
9 au 10 octobre. Sa progression difficile était arrêtée dans la soirée
du 10, et les Allemands nous 'cédaient bientôt le peu de terrain qu'ils
avaient conquis.
Le
11 et le 12
octobre, nos progrès s'affirmaient
à l'est et au sud-est de Verdun. Nous avancions au nord de Malancourt, face à Montfaucon
; et l'ennemi ne réussissait pas, dans la nuit du 13 au 14, à élargir la trouée de
Saint-Mihiel.
Le
12 octobre, nous avancions nos lignes
sur le plateau d'Apremont; et, au Bois-le-Prêtre, nous dégagions complètement
les positions de Flirey et de Limey.
Le
15 octobre, nous harcelions au sud et
au nord le saillant de Saint Mihiel.
Le
16 octobre, une attaque allemande se
brisait sur nos positions de Malancourt.
Nos
réactions successives nous faisaient gagner du terrain le 22 octobre, vers Hautmont
près Samogneux et Brabant-sur-Meuse. Notre artillerie (25e régiment) se distinguait le 23 octobre en détruisant trois
batteries allemandes, dont une de gros calibre.
Des
combats acharnés se livraient quotidiennement en Woëvre, qui amélioraient nos
positions. C'est là que, au retour d'une reconnaissance aérienne, tombèrent
sous les balles ennemies l'adjudant pilote Clamadieu et son observateur, le
médecin aide-major de 1e classe Reymond, sénateur de la Loire.
A
la suite de notre progression au Bois-le-Prêtre et dans la forêt de Mortmare,
notre artillerie put tenir sous son feu la route de Thiaucourt à Saint-Mihiel
par Nonsard-Buxerulles et Woinville. Et dans la journée du 27, nous accentuions notre
pression.
Le
29 octobre, les troupes du 6e Corps
dégageaient Verdun du côté du nord, à droite et à gauche de la Meuse avec des
combats difficiles dans le bois des Forges
(111e,112e régiments d'infanterie, 6e régiment de chasseurs)
Le
6 novembre,
nous enlevions de nouvelles tranchées sur les Hauts-de-Meuse, et le 7 nous reprenions les villages
de Maucourt, de Mogeville et de Saint-Remi. (167e, 169e régiments d'infanterie)
L'ennemi,
pour un temps, devait renoncer à son offensive d'envergure contre Verdun. Notre
artillerie, dans ce secteur, affirmait de jour en jour la supériorité de son
tir.
L'état de l'atmosphère n'allait plus
permettre que des actions limitées, trop sanglantes, mais dont nous ne pouvons
énumérer le détail.
Les « coups de main » commencèrent, inaugurés
le 16 novembre, sans succès d'ailleurs, par les Allemands dans la forêt
d'Apremont. En face de Saint-Mihiel, l'ennemi ne tenait plus que le village de
Chauvoncourt, où s'élevaient les casernes de la garnison de Saint Mihiel.
Le
17 novembre nous attaquions
Chauvoncourt et nous nous emparions de la partie occidentale du village. Mais,
dans l'après-midi du 18,
nos positions,
minées d'avance, sautaient.
Nos
pertes étaient lourdes, et les Allemands réoccupaient immédiatement
Chauvoncourt.
Le front alors se stabilisa. Des duels d'artillerie
s'engagèrent. Les combats de patrouilles reprirent dans la nuit. Mais Verdun,
le pilier de notre défense, avait été sauvé par la ténacité de nos soldats.