Livre d’Or du 215ème d’Infanterie. 1914-1918

 

Retranscrit par Etienne, merci à lui

Petit fils d’un soldat du 215e RI

Lire son carnet de guerre

Lire l'historique de ce régiment

 

 

Sommaire

Préambule

Chapitre premier :

     La Mobilisation ; août 1914

     Embarquement

     Marche d’approche

     Ordre d’attaque du combat de Flaxlanden

     Résultat du combat

     Retraite ; août-sept. 1914

     Les vosges.

     Secteur de Louchpach.

     Secteur du Lac Blanc ; oct. 1914.

     Attaque de la Tête de Faux

Chapitre II :

 

Préambule.

 

Plusieurs camarades ont émis l’idée de condenser dans un petit opuscule les péripéties de la campagne 1914-1918, depuis le départ d’Albi, 14août 1914, jusqu’au moment de la dissolution du 215ème régiment d’infanterie, le 25 septembre 1918.

Toujours à l’avant de tout ce qui peut rehausser la gloire et le prestige de notre cher régiment, le Bureau s’est mis à l’œuvre. Certes, la collaboration de tous les anciens poilus lui a été d’un précieux concours, c’est pour cela qu’il a entrepris ce prodigieux travail, qui serra l’œuvre de tous les survivants de la terrible tourmente.

Ce petit ouvrage ornera le foyer de tous les poilus, ce sera le meilleur souvenir des temps passés loin de la famille, dans cette terre d’Alsace si riche en sites pittoresques, imprégnée du sang des camarades tombés pour la défense de la Patrie.

Par la lecture de ces pages, les Anciens poilus revivront les durs moments passés sur les cimes neigeuses des Vosges à Melzeral, le Violu, le Reichaker, le Lingekopf, le Spitzemberg, la Chapelotte, 607, 766, en Champagne, etc…

 

 

Chapitre premier.

 

La Mobilisation.

 

Le 1er août, à 4 heures du soir, les cloches et les tambours annoncent la mobilisation générale. Quel coup de foudre, mes amis ! Qui le premier, qui le deuxième, qui le troisième jour, tous rejoignent les unités d’affectation qui leur sont assignés par le Commandement, munis d’une paire de godillots neufs. C’est recommandé par les affiches, car au dernier moment le Commandement s’est aperçu que l’approvisionnement de l’Etat pour le temps de guerre était insuffisant ; et comme on ne voulait pas aller pieds nus à la frontière, chacun prit ses meilleures godasses.

 

Du 2 au 4 août 1914.

 

 

L’Ambassadeur De Schoen quitte la France, la guerre est déclarée. En retard, si le 215ème en est encore à la distribution des frusques, il ne manque, fort heureusement pas, de boutons à la capote comme en 1870. Les maîtres tailleurs se sont surpassés, tandis que les maîtres cordonniers.

 


Du 5 au 13 août 1914.

 

Enfin, chacun a son barda, bien habillé de pied en cap avec un beau pantalon rouge, sur lequel l’ennemi n’aura qu’à s’exciter, un képi contre les schrapnells, deux boites de « singe » (défense d’y toucher), une pelle ou une pioche de 25 centimètres de long s’il fallait par hasard creuser rapidement un trous…, et puis le flingot avec ses 64 cartouches.

Quand chacun aura tué 64 boches, il n’en restera plus un seul, et puis… etc…

Après tout, la guerre sera finie dans trois semaines, chacun espère revenir au pays pour vendanger, inutile de se munir plus que ce qu’il ne faut (paroles du Capitaine Constant).

Avant de rentrer en Campagne, il faut bien faire quelques exercices, réapprendre le métier, car de l’avis de beaucoup, la Réserve et les Cadres ont tout oublié. Pendant quelques jours on s’amuse à saluer, partir du pied gauche, faire demi-tour sur le pied gauche, placer le petit doigt sur la couture du pantalon, et disons-le tout de suite, prendre quelque peu la ligne de mire, se placer en éclaireur, sentinelle ou tirailleur.

Au bout de quelques jours tout est enfin prêt, le 215ème peut entrer en Campagne et passer à l’action.

 

14 août 1914.

 

Ça pétarde dur là-haut, le 215ème est prêt à se mettre en marche. Dans la soirée, c’est l’embarquement.

 

Embarquement.

 

15 août 1914.

 

A minuit c’est le départ, « En route, et à Berlin », c’est par ces mots que tous les troupiers ont quitté la belle cité Albigeoise.

Le 215ème dans des wagons à 40 hommes et 12 chevaux, traverse les beaux vignobles du Midi, rencontre les Marocains à Narbonne, et remonte la vallée du Rhône. Arrivé à Lyon où il y a une demi heure d’arrêt, il croise un train de blessés venant du front. Les uns couchés paraissent souffrir horriblement, les autres atteints plus légèrement à la tête ou aux membres se tiennent debout à la portière des wagons. Triste vision de ces malheureux qui ont déjà essuyé les terrifiants effets de la Guerre.

De portière à portière les poilus s’interpellent avides de renseignements : « Les obus de 77 n’éclatent pas » disent-ils, belle aubaine pensions nous. Et les nôtres ? cria d’une voix rauque un de nos poilus. Nous ne pûmes entendre la réponse, le convoi s’ébranla et prit rapidement la direction du front aux acclamations de tous ces braves, et du personnel de la gare.

Après un voyage de 48 heures, sans arrêt appréciable, le 215ème arrive enfin, à 22 heures, à Belfort. Nous franchissons aiguilles, croisements de voie, et de temps en temps quelques rares signaux médiocrement éclairés. Nous avons l’impression bien nette d’arriver à une gare de front. Nous stoppons sur une voie de garage, on se renseigne auprès des cheminots qui nous disent le cœur gros : « Vous êtes à Belfort, l’ennemi est à une trentaine de kilomètres, toute la journée nous entendons le grondement du canon dans la direction de Petit-Croix. »

Durant ce cours dialecte les ordres se répercutent dans la nuit noire, les chefs de wagon descendent, les lanternes s’allument et le débarquement commence.

 

Marche d’approche

 

Une heure plus tard, la colonne se met en marche, le Régiment traverse la forteresse de Belfort, et prend la route qui conduit à Petit-Croix, première étape e la marche d’approche.

Le voila à pied d’œuvre. Quelques kilomètres dans la nuit noire et sous une pluie battante, il s’installe dans les granges de Petit-Croix.

Le lendemain, 16, on s’éveille de bonne heure. On avait reposé plus ou moins bien, ou plutôt mal que bien, car on n’avait pas encore l’habitude de ces nuits passées à la belle étoile.

Le régiment se rassemble à 6 heures du matin, et nous exécutons encore une petite marche vers la frontière. Cette marche est bien la plus intéressante, car nous venons de traverser la frontière et pénétré en territoire Alsacien. Ça et là gît pêle-mêle, déchiqueté, le poteau frontière Allemand arraché par les troupes du 7ème corps qui nous ont précédé, et qui ont aboli cette frontière imposée par la Allemands en 1870.

Au débouché d’un bosquet d’arbres touffus, s’étale à notre regard un petit vallonnement verdoyant, panorama splendide qui fait oublier pour l’instant les pénibles marches d’approche qui précèdent d’ordinaire le combat.

Nous descendons un chemin en pente douce bordé d’une haie, lorsque nous apercevons, dans un encadrement d’arbres séculaires, un magnifique chalet qui attire notre attention. Une fenêtre du premier étage est grandement ouverte, nous avons la curiosité d’explorer l’intérieur du regard. Là, une scène patriotique et bien française nous attendais. A peu de distance de la fenêtre, nous sommes saisis de joie et d’admiration à la vue d’un homme de haute taille, la barbe blanche, portant sur la poitrine la Médaille Militaire Française. Immobile comme une statue de marbre, il salue militairement le Drapeau de notre Régiment. Tous les soldats sont émus d’être témoins, en terre d’Alsace, d’un amour si profond pour la Patrie Française.

Poursuivant notre marche que voyons nous ? Des boches … pas le moins du monde. Chouette, pensions nous, va-t-on pouvoir marcher ainsi jusqu’à Berlin ?

Après une bonne nuit passée dans les granges, on entend dans tous les cantonnements des cris : « A moi la …ème compagnie. Rassemblement ». Chaque unité de forme en carré pour entendre une communication importante. C’est un ordre de la Division, qui annonce quoi ?

Le Colonel Gadel, après que le Régiment a été rassemblé sur le bord de la route, monte sur un tas de cailloux et appelle : « Tous les gradés à moi ». Dans une brève allocution il leur doit : « Mes amis, j’ai une grave nouvelle à vous annoncer, demain matin à l’aube notre Drapeau recevra le Baptême du feu. »

Si seulement, on nous avait lu cet ordre après la soupe, cela aurait été moitié mal, mais avant le rata c’est un drôle d’apéritif. Cela coupe l’appétit à quelques uns, mais on se ressaisit vite dans ces moments là, et puis le 7ème corps est devant nous, les boches sont encore loin, et nous pouvons encore faire beaucoup de chemin en criant : « A Berlin ! A Berlin ! »

A minuit, sur la route qui conduit dans la direction de Mulhouse ; on entend un roulement de voitures aux environs du Poste de Police ; petit à petit ce bruit disparaît, et on entend distinctement des voix de personnes donnant des ordres. Tout aussitôt grand branle-bas dans les cantonnements et rassemblements des corvées d’ordinaire pour la distribution des vivres apportées par le train régimentaire.

Par une nuit noire, à la clarté des lampes blafardes des voitures commence la distribution des vivres alimentaires et de réserve qui se prolonge tard dans la nuit. Le Colonel assiste impassible et pensif à cette opération nocturne, prélude d’évènements graves. Tout le monde, les uns avec des sacs, les autres avec seaux, des musettes et des bidons, courent pour assurer a distribution à tous les hommes de leur Compagnie.

Ce travail terminé, les voitures rejoignent au parc leurs emplacements et le calme renaît en attendant l’heure de l’alerte.

 

17 août 1914

 

A 8 heures du matin le canon et les mitrailleuses font entendre leur voix lugubre. Une équipe de Génie avec un fourgon-atelier passe sur une voie ferrée de Belfort à Mulhouse pour procéder à la remise en état de la voie sabotée par les troupes Allemandes.

A 10 heures 30, un train blindé se dirige vers la ligne de feu, et à 11 heures deux convois automobiles (30 voitures environs) passent pour ravitailler les unités de première ligne.

Nous sommes admirablement bien reçus par les habitants de Bernwiller, dont une partie n’a pas voulu déserter le logis ; l’autre craignant l’arrivée des troupes Allemandes, a fui vers l’intérieur.

Enfin à 5 heures de l’après-midi une patrouille de 19ème Régiment de Dragons composée d’un Maréchal des Logis et de deux cavaliers a surpris un soldat du 353ème Régiment d’Infanterie coupant les lignes téléphoniques. Ils le conduisent au poste de Police.

 

18 août 1914.

 

Après avoir passé une bonne nuit, troublée de temps en temps par le bruit monotone des pas des sentinelles aux abords des cantonnements, le réveil sonne.

Il est 6 heures, tout le monde plie son barda, se rassemble et le Régiment se met en route en direction de Butweiller sous les regards ahuris des habitants.

Cette marche est exécutée sous une pluie fine et pénétrante qui traverse la capote.

A 2 kilomètres avant d’arriver à Butweiller nous rencontrons les 172ème et 372ème Régiments d’Infanterie couverts de boue, les uns ont perdu les guêtres, les autres les cartouchières, d’autres enfin portent les cravates des soldats ennemis en guise de jambières.

Ils sont successivement contents d’aller se retremper à l’arrière après les chaudes journées passées au contact de l’ennemi.

A 15 heures nous arrivons dans le village ; inutile de dire que les victuailles manquent, pas même du cidre pour se rafraîchir.

Les soldats se mettent en devoir de chercher des légumes pour assurer le repas du soir. La population les regarde avec indignation.

Dès notre arrivée dans les villages des chiens sont lachés par les habitants et disparaissent à toute allure dans la direction du village le plus proche des lignes Allemandes. L’usage de ce procédé nous a vivement surpris et avons appris que les troupes Allemandes utilisaient ainsi les chiens pour signaler la présence des Français. Ainsi il leur est facile de prendre leurs dispositions pour nous attirer dans un piège. Des renseignements recueillis, il parait quel le curé de Butweiller a été fusillé le lendemain parce qu’il donnait des renseignements aux allemands en utilisant un poste téléphonique installé dans la cave de son presbytère.

 


Ordre d’attaque du combat de Flaxlanden

 

La 66ème division de Réserve (131ème Brigade : 281ème, 296ème, 280ème Régiment d’Infanterie ; la 132ème Brigade : 215ème, 253ème et 343ème Régiment d’Infanterie) encadrée au nord par le 7ème corps, au sud par la 44ème division a pour mission de se porter le 19 août dans la direction Sud-Est de Mulhouse.

Sa progression s’effectue par l’itinéraire : Bascwiller, Enschengen, Spechbach, Fröningen, carrefour au Nord de Zillisheim, Didenheim et Brunstadt.

La cavalerie rompt de Balschwiller à 4h30, couvre et éclaire le secteur affecté à la Division jusqu’à Harth, en assurant la liaison avec le 7ème Corps d’Armée et la 44ème Division.

 

Dispositif de marche.

Avant-garde :   Général Sarrade.

Pointe :            Un Peloton de Cavalerie.

Tête :               Un Bataillon du 215ème.

Gros :              Compagnie Divisionnaire du Génie.

                        Un Bataillon du 215ème.

                        Un Groupe d’Artillerie 56ème Régiment.

                        Un Détachement de Télégraphistes.

 

A deux mille mètres de distance suit le gros (Général Sauzède) composé de :

                        Un Bataillon du 253ème Régiment d’Infanterie.

                        Un Groupe d’Artillerie (3ème Régiment).

                        Le 343ème Régiment d’Infanterie.

                        Un Groupe d’Artillerie (9ème Régiment).

                        Le 280ème Régiment d’Infanterie.

                        Le 296ème Régiment d’Infanterie.

                        Le 281ème Régiment d’Infanterie.

 

Train de combat, sous les ordres du Chef de Bataillon Commandant l’arrière Garde et composé de :

                        Une Section du Groupe Brancardiers.

                        Une Ambulance.

                        T. C. 2.

Arrière Garde :

                        Deux Compagnies du 281ème Régiment d’Infanterie.

 

19 août 1914.

 

Nous sommes partis le matin à 5 heures dans la direction de Mulhouse.

Le 6ème Bataillon fait partie du gros de l’Avant-Garde et à hauteur de Zillisheim, après avoir franchi le pont de l’Ill, au carrefour des routes qui conduisent à Frömingen et Didenheim d’une part et à Hochstatt de l’autre, nous rencontrons une reconnaissance de Dragons. Ceux-ci ont fait prisonnier deux officiers Allemands, deux uhlans et tué un troisième patrouilleur d’un coup de sabre en plein visage, lequel gît encore sur le bord de la route.

Pendant cette reconnaissance les Dragons ont eu deux chevaux blessés. Un Dragon montre son casque traversé par une balle.

Le Chef de reconnaissance rend compte au Lieutenant-Colonel Touvet, Commandant son Régiment que le bois de Gallen Holtzolé est occupé. Celui-ci en uniforme sur le champ le Général de Division Voiré qui trouve ces renseignements insuffisants et intime l’ordre au Lieutenant-Colonel du 19ème Dragons de pousser ses investigations plus en avant dans le bois et de l’occuper.

Malgré les précisions fournies par le Colonel, le Général ne veut rien entendre et il lui renouvelle l’ordre de prendre commandement de l’opération.

Au moment de lancer ses cavaliers à l’orée du bois, le Colonel enlève ses hommes par ces paroles devenues célèbres :

«  Mes enfants, à la mort ! »

Effectivement il a dit vrai, pas un n’est revenu et tous se sont faits tuer à leur poste de combat.

A ce moment un Colonel à barbe blanche Commandant le Groupe du 9ème Régiment d’Artillerie veut faire mettre ses pièces en batterie pour protéger la progression de la Division sur Mulhouse, il en est empêché. Toutes les supplications du colonel ne viennent à bout de l’opposition du Général Voiré et il ne peut, les larmes aux yeux, mettre à exécution son projet qui allait sauver de la mort ceux de nos soldats qui sont tombés à ce moment là sous les balles et les shrapnels ennemis.

La suite nous apprendra que lorsque le Général donna l’ordre de mettre en batterie c’était trop tard, les boches ouvrirent alors sur nous un feu nourri de mitrailleuses et de 77 qui fit des ravages dans nos rangs.

A 9 h. 10, au moment où la 22ème compagnie arrive à l’entrée du bois de Gallen-Hortzolé elle est décimée par le tir de deux mitrailleuses installées sur les bords du canal du Rhône au Rhin vers l’écluse de Brünstadt. En même temps plusieurs pièces d’artillerie installées sur la côte 343 à deux kilomètres de Brhébach, ouvrent le feu et paralysent notre progression encore en formation de colonne de route.

A ce moment le Général Voiré donne l’ordre de faire prendre les pièces d’artillerie restées en position d’attente à une dizaine de kilomètres de là. Un Commandant suivi de trois artilleurs, formant son escorte, partent au triple galop, rapides comme un éclair ; porteurs de l’ordre hélas ! tardif de mettre en batterie.

Le Chef de Bataillon Commandant le 215ème donne immédiatement l’ordre aux compagnies de déficeler les paquets de cartouches, d’approvisionner le fusil et de se déployer en tirailleurs dans le bois face à Brhébach. Les sections se portent ensuite en avant par bons successifs et par groupes de quatre à cinq hommes dans la direction du village de Didenheim où les hommes se mettent à l abri de l’artillerie et des mitrailleuses Allemandes.

Tout à coup on entend un grand vacarme ; ce sont les pièces d’artillerie qui arrivent soulevant des nuages de poussière ; elles prennent immédiatement position et tirent sur l’église de Brünstadt qu’elles n’ont pas réussi à démolir entièrement.

En exécutant ce mouvement, le 215ème s’engage dans un chemin creux où une estafette d’artillerie cherchant un emplacement de batterie, blessée mortellement, tombe quelques pas derrière nous.

Nous progressons dans un champ de pommes de terre caché des lignes allemandes par un rideau d’arbres, ce qui nous permet de gagner le village de Brünstadt par l’ouest. Ce mouvement du 6ème Bataillon fait sous un feu violent, eut à déplorer d’importantes pertes.

Parallèlement le 5ème Bataillon exécute le même mouvement vers le sud du village en suivant les prés qui bordent l’Ill. la section du Sergent Huillet de la 18ème Compagnie pénètre dans le village de Bruhébach et marche en formation d’éclaireurs. Une vive fusillade se fait entendre et les patrouilleurs cachés derrière le parapet du pont approvisionnent leurs fusils. Sur la place un individu au sourire narquois épie tous nos mouvements ; sans nous occuper de lui nous gagnons la sortie du village. Le 6ème Bataillon continuant sa progression arrive à l’entrée du village de Didenheim où il est accueilli par des coups de feu. Instantanément tout le monde se couche dans le fossé sur le côté droit de la route. Le calme se rétablit peu à peu. Le Général passe près de nous, nous interroge, et le Sergent Huilet lui situe la position et lui dit que les Allemands concentrent leur tir sur sa section, ce qui ralentit sa progression. Il a eu pour toute réponse une expression fort désagréable ainsi conçue : « Vous êtes des trouillards, on ne tire pas sur vous. En avant ! ». Comme mus par des ressorts, bravant fusils et mitrailleuses les hommes se lancent à l’entrée du village en utilisant les mouvements du terrain. Durant cette traversée, nous avons été salués par le feu de la mitrailleuse postée dans la guérite de la garde-barrière de la ligne de Belfort à Mulhouse ; fort heureusement pour nous, le tir n’étant pas précis nous n’avons eu à déplorer aucune perte.

En parcourant la rue principale du village qui aboutit à l’église, les sapeurs du régiment remarquent des fils sortant d’une boulangerie. Immédiatement ils défoncent les contrevents, fouillent l’immeuble et ne trouvent personne dans les appartements. Décontenancés par cet insuccès ils poursuivent leurs investigations dans la cave ; là, un individu était accroupi sur un poste téléphonique ; ils bondissent sur lui et le conduisent séance tenante au Général Sarrade. Sans cérémonial il est jugé sur le champ, emmené en haut du village et fusillé. Ce triste personnage transmettait par téléphone des renseignements concernant la position de nos troupes aux Armées Allemandes qui occupent les hauteurs de Brünstadt.

A midi, le 5ème Bataillon reçoit l’ordre de s’établir entre l’Ill et la sortie du village de Didenheim. A peine avons-nous parcouru la prairie qui donne accès à la rivière que nous apercevons un homme assis sur le bord de la berge muni d’une gaule et faisant simulacre de pêcher. La présence de ce pêcheur en plein combat nous paraît louche ; le déplacement du roseau au fil de l’eau n’a d’autre but que de signaler notre présence aux Armées Allemandes. Le capitaine de Chaussande, Commandant la 13ème Compagnie donne l’ordre à deux soldats de tirer sur cet audacieux espion et le triste individu tombe foudroyé par les balles françaises. Ce pêcheur n’était autre qu’un officier allemand qui avait endossé pour la circonstance un long pardessus.

Pendant ce temps le 5ème Bataillon franchit la route et s’engage dans une prairie dont les hautes herbes permettent aux sections de se dissimuler et d’atteindre la ligne qui lui était assignée entre l’Ill et le canal du Rhône au Rhin.

Le Commandant Duchesne, le Capitaine Neveu et deux sections de la 17ème Compagnie s’élancent bravement, sous un feu terrible de mitrailleuses, à l’attaque d’une position boche mais ils tombent dans un véritable guêpier, entourés de tous côtés par des réseaux épais de barbelés et de barrières naturelles. Ils sont cloués au sol sans pouvoir ni avancer ni reculer. Le Commandant Duchesne est blessé et le Capitaine Neveu tué à la tête de ses hommes.

Vers 13 h. 30, les débris des deux sections qui ont suivi le Commandant Duchesne cherchent à se replier et provoquent un feu violent de la part de l’ennemi ; néanmoins ils réussissent à traverser le pont en courant.

Ce recul précipité provoque chez les autres troupes un moment de panique qui est rapidement enrayé par la bravoure de Colonel Gadel, qui, stoïquement, debout sous le feu, fait déployer le Drapeau par le Lieutenant Dutrey et sonner la charge. L’effet fut immédiat, les hommes se ressaisissent immédiatement et réoccupent les positions perdues.

 Après ce fait d’armes splendide, le Colonel Gadel rassemble, en bordure des maisons, au sud de Didenheim, et en dépit d’une fusillade nourrie, les soldats du 6ème Bataillon qui sont parvenus à gagner le village, les forme en ligne sur deux rangs et avec un calme admirable fait reconnaître chaque groupe par les caporaux et les sous-officiers.

L’ordre est alors donné de franchir le pont, de s’étendre en éventail à une centaine de mètres et de se mettre en liaison avec le 5ème Bataillon. Une fois le pont franchis et occupé les emplacements, les outils portatifs sont immédiatement enlevés et en un clin d’œil des petits trous individuels sont creusés pour se mettre à l’abri des balles de mitrailleuses postées le long de la voie ferrée.

Vers 15 heures, une patrouille du 35ème Régiment d’Infanterie occupant la région de Dornach et composée d’un jeune caporal de l’Armée Active et de 4 hommes, vient se mettre en liaison avec nous et fouiller les abords du canal.

Passant près de nous, un lieutenant de notre Régiment l’interpelle et lui dit : « N’avancez pas trop, vous allez vous faire tuer ». Le chef de patrouille le regarde dans les yeux et lui dit : « J’ai reçu de mes chefs une mission d’arriver au canal, quoiqu’il arrive je l’accomplirai. », et ces braves troupiers, sans soucis du danger, disparaissent derrière les arbres.

Dès les premières heures de cette rude échauffourée, vers 11 heures, le Commandant du 7ème Corps, envoie pour appuyer notre action deux pièces de 75 qui se mettent en batterie dans la partie nord de Didenheim, non loin du cimetière. Le Capitaine Nivelle, commandant ce groupe monte sur un arbre avec un drapeau pour faire les signaux et diriger le tir. Chaque fois qu’une pièce d’artillerie allemande cherche à se défiler ou prendre une position en arrière, les pièces de 75 habilement pointées par le Capitaine Nivelle cloue les 77 au sol, et les chevaux errent désemparés sur le plateau de Brünstadt.

Moment inoubliable : de la bouche de ces deux canons sort un déluge de mitraille semant la torpeur et la panique dans les batteries allemandes. Les obus passent sur nos têtes avec un sifflement strident, les Allemands répondent avec leur 77. Un véritable duel s’engage acharné, féroce. A 14 heures un obus tombe sur la pièce de droite, la met hors de combat et tue trois artilleur. Instant pathétique et triste à la fois, les servants de l’autre pièce rivalisent d’ardeur pour venger leur camarades tués au Champ d’Honneur.

Deux heures plus tard ; l’artillerie allemande est réduite au silence. Le valeureux 75 a, une fois de plus, pris une part active et décisive dans la victoire de Brünstadt.

Tout ce déluge de fer n’a pu réussir à réduire au silence une mitrailleuse qui fait des ravages dans nos rangs.

A 6 heures du soir, le Capitaine Bouvier informe le Colonel que la guérite attenante à la maisonnette du passage à niveau est occupée par les Allemands. Presque au même moment le Capitaine Nivelle, de son poste aérien que les obus n’ont pu atteindre, fait tirer un obus sur ce nid de mitrailleuses. Moment sublime, l’obus tombe justement à l’intérieur de la guérite, éclate et une épaisse fumée blanche se dégage et instantanément le chapiteau monte comme une fusée à une centaine de mètres, et retombe ensuite au milieu des débris comme un parapluie. C’est fini, le dernier îlot de résistance disparaît avec ce dernier obus.

Dès le début de l’action, le Service Sanitaire s’est installé dans l’église de Didenheim et le café situé à l’entrée du pont, c’est là que les blessés sont soignés et pansés avant d’être dirigés sur les hôpitaux de Belfort.

Durant le combat, le propriétaire du café, un vieillard décoré de la Médaille Militaire, parcourt le champ de bataille pour secourir les blessés et fait la navette sans arrêt toute la journée.

Dans cette dernière phase du combat nous avons été aidés pas les unités du 7 Corps. A 19 heures nous avons pris une petite collation et occupé les avants postes. A la tombée de la nuit quelques coups de feu sont tirés de part et d’autre par les sentinelles, troublant ainsi le calme d’une nuit sereine. Les retranchements sommaires faits quelques heures auparavant, sont occupés et ne nous permettent pas de nous réchauffer tant le froid est vif et le vent glacial.

 


20 août 1914.

 

A 4 h.30, dès que l’aube commence à poindre, nous nous mettons en marche pour occuper le village de Brünstadt, faubourg de Mulhouse.

En traversant le champ de bataille, nous apercevons non sans un serrement de cœur, nos malheureux camarades que les durs combats de la veille ont couchés sur cette terre d’alsace. C’est poignant à voir, les mots sont impuissants pour décrire ce sombre et terrifiant tableau. Pendant la nuit, de-ci, de-là,  quelques sentinelles montent la garde auprès de nombreux cadavres qui jonchent le sol glacé et que la gelée blanche du matin a saupoudré d’un léger voile blanc. La marche continue sans bruit, pas une parole n’est prononcée, tout le monde est désolé de ne pouvoir rendre un suprême et dernier hommage à ceux qui sont tombés au Champ d’Honneur.

Au bout d’une heure de marche par des chemins tortueux, nous atteignons le village de Brünstadt tout meurtri des violents bombardements de notre artillerie, une partie du faubourg n’est plus à l heure actuelle qu’un monceau de ruines. Nous faisons la pause un peu à l’est du village où une foule nombreuse nous acclame chaleureusement, se presse auprès de nous, et nous offre du lait, du café, du chocolat, du pain etc.…

Une demi-heure plus tard le commandement donne l’ordre de se replier sur Didenheim afin de prendre un peu de repos et procéder à l’inhumation des nombreux morts que nous avons abandonnés hélas ! à regret sur le terrain. A ce moment, dominant l’Ill et le canal, le soleil darde ses premiers rayons sur le champ de bataille où plane une vision de mort, instant inoubliable qui étreint tous les cœurs. Çà et là, sont étendus les mains crispées, la face tournée vers le sol, les effets percés de balles, tous ces braves que les mitrailleuses allemandes ont couchés pour toujours.

Les bivouacs sont installés aux mêmes endroits que la veille et on procède ensuite à la reconnaissance et à l’inhumation des cadavres en présence des autorités civiles du village.

Des charrettes à bœufs sont réquisitionnées, des corvées désignées, et la relève des morts commence. Triste et lugubre besogne, les cadavres sont amoncelés pêle-mêle, bras et jambe pendant sur ces charrettes rustiques, et lorsque le chargement est complet, le véhicule est conduit au cimetière du village.

Les soldats ont creusé en toute hâte une grande fosse chaulée qui recevra les restes de tous ceux qui sont tombés dans la mémorable journée du 19 août.

Pendant ce temps, l’artillerie de notre Division est allée retirer le butin abandonné par l’ennemi après cette journée de combat si heureuse pour nos armes. Une longue colonne a ramené :

            24 pièces d’artillerie de 77 de campagne.

            80 chevaux errant sur le Plateau de Brünstadt.

            Des équipements de toute sorte.

A 18 heures, les cantonnements sont enfin préparés et nous les occupons à la grande satisfaction de tous.

Ce baptême du feu coûtait au 215ème Régiment d’Infanterie, 193 officiers ou hommes hors de combat parmi lesquels :

Neveux (Jean),                                   Capitaine.

Foriasky (Henri),                              Lieutenant.

Bonhéry (Alfred),                              Adjudant.

Prunet (Pierre),                                 Adjudant.

Cabal (Emile),                                   Sergent-Major.

Chapus (Gustave),                             Sergent.

Labatut (René),                               Sergent.

De Vilar (Léon),                               Sergent.

Lengard (Auguste),                           Caporal.

Saunière (Henri),                              Caporal.

Palaprat (Achille),                           Caporal-fourrier.

De-Cassagneau-de-Saint-Félix, Soldat de 1ère classe.

Petite (Léopold),                               Soldat de 1ère classe.

Peyrot (Jean),                                   Soldat de 1ère classe.

Azéma (Augustin),                             Soldat de 2ème classe.

Barax (Thomas),                               Soldat de 2ème classe.

Blanc (Justin),                                   Soldat de 2ème classe.

Camboulives (Auguste),                   Soldat de 2ème classe.

Blanc (Pierre),                                  Soldat de 2ème classe.

Cabalé (Raymond),                           Soldat de 2ème classe.

Crambade (Albin),                            Soldat de 2ème classe.

Cuq (Germain),                                  Soldat de 2ème classe.

Delpech (Urbain),                              Soldat de 2ème classe.

Dulac (Jean),                         Soldat de 2ème classe.

Dupeau (Léon),                                 Soldat de 2ème classe.

Esparbès (Antoine),                           Soldat de 2ème classe.

Fabre (Albert),                                  Soldat de 2ème classe.

Ferrère (Joseph),                              Soldat de 2ème classe.

François (Bernard),                          Soldat de 2ème classe.

Garry (Jean),                         Soldat de 2ème classe.

Gaubert (Emilien),                            Soldat de 2ème classe.

Jeansou (Pierre),                               Soldat de 2ème classe.

Joucaviel (Hippolyte),                       Soldat de 2ème classe.

Landon (Jean),                                  Soldat de 2ème classe.

Lestrade (Louis),                              Soldat de 2ème classe.

Maurel (Félix),                                 Soldat de 2ème classe.

Noailles (Claude),                            Soldat de 2ème classe.

Polinié (Gabriel),                               Soldat de 2ème classe.

Pélissier (Louis),                               Soldat de 2ème classe.

Pourchot (Jean),                              Soldat de 2ème classe.

Rey (Léon),                                        Soldat de 2ème classe.

Rouffiac (Jules),                               Soldat de 2ème classe.

Sers (Marcelin),                                 Soldat de 2ème classe.

 

 

 

Résultat du combat

extrait de « La trouée de Belfort À Mulhouse » du commandant A. Joguet.

 

« L’ennemi, qui semble avoir éprouvé de grosses pertes, a évacué, dès le soir même, ses positions de défense, y abandonnant 24 pièces d’artillerie et de très nombreux caissons de munitions.

Les résultats obtenus auraient été beaucoup plus complets si la 66ème Division de Réserve avait été soutenue de façon plus efficace sur son flanc droit, comme il y avait tout lieu d’espérer, d’après les indications de l’ordre d’opérations.

Si certain émoi s’est manifesté dans quelques unités, par contre, le 215ème (soutenu particulièrement par le 343ème) et le 281ème, commandés tous les deux par des chefs énergiques et de grande valeur, ont donné un gros effort et la contre-attaque très bien menée par ce dernier régiment, vigoureusement et intelligemment soutenue par toute l’artillerie divisionnaire tirant jusqu’à la nuit tombante à obus explosifs et dont le tir a été précis, a forcé l’ennemi à abandonner le champ de bataille. »

 

21 août 1914.

 

La nuit passée dans les maisons de Didenheim a été relativement calme, nous sautons hors des cantonnements et à 7 heures nous réoccupons les emplacements de bivouac abandonnés la veille.

Une pluie fine commence à tomber, de gros nuages noirs s’amoncellent à l’horizon et une pluie torrentielle ne tarde pas à succéder aux premières gouttes argentées de la matinée. Tout le monde se blottit derrière les maisons et les pans de murs, le col de la capote relevé et le képi enfoncé jusqu’aux oreilles.

A midi nous recevons l’ordre de quitter immédiatement le camp Heinsbrun où nous arrivons à 15 heures. Marche pénible entre toute, la pluie n’a cessé de tomber durant le trajet ; nous étions trempés de la tête aux pieds.

 

 

 

 

Dissolution de l’armée d’Alsace – extrait de « La trouée de Belfort à Mulhouse » du commandant A. Joguet.

 

« Ainsi se terminait cette campagne d’Alsace, commencée dans l’inoubliable ivresse des triomphes du 7ème Corps d’Armée, dont les troupes admirables avaient donné, dans des phases sanglantes mais superbes, et leur force et leur vie. Après avoir vu luire le jour glorieux de la victoire et planté les premiers le Drapeau Français sur la terre d’Alsace, elles se retirent maintenant, par la volonté du Haut Commandement, vers d’autres champs de gloire et de triomphe, pour y écrire de nouvelles pages vibrantes de leurs hauts faits. Avec quelle ardeur généreuse et avec quel esprit de sacrifice ces fils de France repartaient pour faire noblement leur devoir de soldat !

Nous sommes de la génération qui doit mourir, nous dit l’un d’eux, pourquoi nous plaindrions-nous ? Nous avons fait le rêve de relever la France, toujours belle et vivante, malgré les heures douloureuses et les deuils profonds, semblables à la forêt chantée par le poète :

            « Les étés flamboyants sur elle ont resplendi,

            Les assauts furieux des vents l’ont secouée

            Et la foudre, à ses troncs en lambeaux s’est nouée,

            Mais, en vain, l’indomptable a toujours reverdi. »

                                                                                  (Lecomte de Lisle) »

 

 

 

 

 


Retraite.

 

22 août 1914.

 

La nuit passée à Heinsbrun est troublée par le bruit des détachements du 5ème Régiment d’Artillerie qui ont été alertés à 2 heures, et par le passage des fractions d’infanterie venant de Belfort.

A 9 heures, deux convois, l’un transportant des prisonniers Allemands blessés et l’autre une soixantaine d’autres valides escortés par la Gendarmerie et la troupe se dirigeant sur Belfort.

L’après-midi, à 17 heures, nous recevons l’ordre d’occuper les avants postes à deux kilomètres environ sur la route de Belfort, la grand’garde est située à Notre Dame Du Chêne, c’est là que nous passerons la nuit.

 

23 août 1914.

 

Nuit très rigoureuse où nous souffrons beaucoup du froid et ne pouvons nous reposer un seul instant, par moments, on entend les poilus faire les cents pas pour éviter l’engourdissement des jambes.

A 2 heures, le cuisinier nous apporte le « jus » café succulent qui réchauffe nos corps engourdis par le froid. Nous sommes ainsi restés au poste jusqu’à 14 heures, pour ensuite cantonner à Heinsbrun où nous sommes arrivés à 14 h.30. Là nous avons appris que le quartier général du Général Archinard s’est déplacé dans la direction de Belfort.

A peine sommes-nous arrivés que des camions passent, transportant à Belfort tout le matériel et les effets allemands pris les jours précédents : fusil, havre-sac, obus, etc.…

Aux avants postes les poilus font leur petite lessive ?

 

24 août 1914.

 

Nous avons passé une bonne nuit troublée seulement par le bruit assourdissant des fourgons amenant de la ligne de feu des prisonniers, en majeure partie des officiers, et une prolonge avec deux avions allemands.

A 5 heures, le commandement reçoit l’ordre de se tenir prêt à quitter les cantonnements.

 

25 août 1914.

 

Après avoir pris le « jus » traditionnel, nous nous reposons toute la journée.

Dans la matinée le canon se fait de nouveau entendre. D’après certains renseignements, ce serait une pièce de la citadelle de Belfort qui aurait tiré sur un aéroplane et l’aurait obligé à atterrir.


26 août 1914.

 

La nuit très calme nous a permis de bien nous reposer jusqu’à 3 h.30. Au réveil tout le monde prépare son barda, fait les ballots, charge les voitures de compagnie et se rend sur le lieu de rassemblement fixé à 4 h.15. La colonne se met alors en marche et prend la direction de Montbéliard.

La retraite s’effectue par marches forcées ; aussi cette journée est pénible surtout pour le campement  qui part en même temps que la colonne, gagne la tête du régiment, et se dirige sans pause, à vive allure sur le nouveau cantonnement. Si cette marche est fatigante, elle est aussi très intéressante par la diversité des paysages ; elle nous permet de contempler les derniers forts qui défendent la trouée de Belfort.

Nous passons tout d’abord à Novillard où des soldats du Génie et des Territoriaux placent des fils de fer barbelés et creusent des tranchées. A peu de distance de là nous apercevons Vézelay, coquet petit village occupé par la troupe et défendu par un fort, desservi par une ligne de chemin de fer à voir étroite. A 500 mètres plus à l’est, et au-dessous de cette fortification nous apercevons une batterie d’artillerie de forteresse qui défend les approches du fort de Vézelay. A côté de cette position sont placés trois grosses pièces de 105 mm et les soutes où sont entreposés les obus.

Ces ouvrages entourés d’obstacles de toutes sortes, de pièges et d’un réseau très serré de fil de fer barbelé sont une défense de tout premier ordre.

Poursuivant notre route, nous apercevons à droite le fort de Méroux construit sur un mamelon dominant toute la région ; un très grand nombre de pièces en assurant la défense.

A 10 kilomètres avant d’arriver à Montbéliard, on découvre sur la gauche le fort de Bosmond et de Bessancourt, dernières fortifications défendant la Trouée de Belfort, clef du système défensif de l’est de la France. Nous arrivons enfin à Montbéliard, où toute la population massée à l’entrée de la ville nous acclame et nous lance de nombreux bouquets de fleurs. Nous somme cantonnés au château dominant la ville qui n’est autre que la caserne des Chasseurs à Pieds.

27 et 29 août.

 

Montbéliard est l’étape de repos qui nous est assignée par le commandement ; aussi ces trois journées sont elles consacrées aux travaux de nettoyage et de couture.

 

30 août 1914.

 

De bonne heure le réveil sonne : à 6 heures, le régiment se remet en marche et occupe les retranchements établis par un détachement du Génie cantonné à Alengeois au sud-est de Montbéliard. Après une matinée très pénible, nous rejoignons nos cantonnements à 12 h.30.

 

31 août 1914.

 

Comme tout le monde s’y attendait notre séjour à Montbéliard ne devait pas être de longue durée. A 3h. 30, le réveil sonne, l’ordre est donné de monter les sacs, faire les distributions, charger les voitures de compagnies et régimentaires, et se rassembler devant le cantonnement en attendant de partir pour une direction inconnue.

La colonne se met en marche, nous passons à Sochaux, faubourg de Montbéliard, Charmoy, et à 10 heures nous arrivons Novillars. Immédiatement des petits postes sont installés pour garder les principales issues donnant accès au village, et nous attendons l’arrivée des unités constituant la Division. Celle-ci occupe la ligne Morvillars-Delle, dernière gare frontière du côté de la Suisse ; à gauche nous sommes protégés par les forts de Belfort.

L’après midi, à 14 heures, le régiment creuse des tranchées à la lisière d’un bois pour empêcher l’ennemi de pénétrer en France du côté de Froide-Fontaine.

 

1er septembre 1914.

 

Toute la journée est consacrée comme la veille à faire des ouvrages de défense en cas d’attaque.

 

2 septembre 1914.

 

Abandonnant les travaux de campagne, cette journée est consacrée à des exercices de Bataillon contre les gaz. Le soir un aéroplane allemand profitant d’un temps particulièrement clair lance trois bombes sur Belfort.

 

Du 3 au 5 septembre 1914.

 

Pendant ces trois jours nous avons repris les travaux de défense commencés le 31 août. Le 5 septembre à 18 heures nous recevons l’ordre de charger les voitures de compagnie et de nous tenir prêts à partir.

 

6 septembre 1914.

 

Comme prévu le régiment quitte ses cantonnements à 3 h.45et prend la direction de la frontière d’Alsace en passant par Flèche-l’Eglise et Delle.

Dès la sortie du village le régiment prend la formation de combat, et arrive ainsi à Réchésy où il trouve un détachement de Dragons et une compagnie de cyclistes de retour d’une reconnaissance dans la direction de Ferrette où ils n’ont pas vu l’ennemi.

 

7 septembre 1914.

 

A 5 heures, le régiment se met en marche dans la direction de l’Est en longeant la frontière Suisse. Le panorama qui se déroule sous nos yeux est magnifique : vallées profondes et bois géants. Nous faisons une reconnaissance offensive dans la direction de Ferrette qui est occupé par les troupes allemandes. Nous traversons les villages de Pfuerhausen et Moos où est resté en réserve le 5ème Bataillon et une batterie d’artillerie. Le 6ème Bataillon est désigné pour reconnaître la côte 473 et les villages de Liebadorff et Lielinsdorff où il n’a rencontré aucune patrouille allemande. D’après les alsaciens des uhlans seraient passés dans ces villages les 5 et 6 septembre. En cours de route un vieil habitant du pays a déclaré : « Méfiez-vous sur votre gauche ». En effet, quand nous sommes revenus de la côte 473, notre reconnaissance terminée, un cycliste du 21ème Chasseurs était porteur d’un message ainsi conçu : « Des patrouilles de uhlans sont signalées à 3 kilomètres à gauche ». Ce sont les dragons et la compagnie cycliste qui ont tenu le contact jusqu’à 14 heures ; à ce moment les unités d’exploration ont reçu l’ordre de se replier.

Nous sommes rentrés au cantonnement à 18 heures un peu fatigué par cette dure marche à travers des gorges et des vallées profondes, sur des sentiers de chèvres.

 

8 septembre 1914

 

Après avoir passé une bonne nuit, le réveil sonne à 6 heures ; tout le monde vaque à ses multiples occupations en attendant l’heure du rapport.

A 10 heures, le régiment se rassemble pour se porter à 2 kilomètres en arrière de Courtelevant où nous arrivons à 11 h.30.

Toute la journée a été consacrée uniquement au repos ; les uns ont lavé leur linge sur les bords de la Vendline, les autres, munis de lignes, ont péché la truite abondante dans ces régions. Les cantonnements, confortablement aménagés, nous ont procuré bien-être et délassement.

9 septembre 1914.

 

Cette journée est consacrée au repos du régiment. Dès 4 heures du matin, bon nombre de soldats, que le goût de la truite avait alléchés, se sont confectionnés des lignes pour pêcher la friture traditionnelle des jours de repos. A 7 heures, tout le monde rentre au bercail pour assurer les corvées et écouter la lecture du rapport.

La village de Courtelevant est situé sur un des versants d’une vallée au fond de laquelle coule un petit ruisseau, la Vendline, renommée par sa spécialité de truite ; l’autre versant , vers Florimont, est boisé et on distingue, dépassant de la cime des arbres, les clochers de deux magnifiques châteaux. Le paysage est pittoresque et la région très bien disposée pour l’élevage ; on ne rencontre que des prairies verdoyantes et bien irriguées. La population, très affable, nous a bien accueillis.

 

10 septembre 1914.

 

Le séjour du régiment à Courtelevant touche à sa fin, et dans la matinée nous recevons l’ordre de préparer les sacs, les voitures de compagnie et de nous tenir prêts à partir à 13 h.30. Le régiment se rassemble à la sortie du village et prend la direction de Lepuix, village situé au nord du bois et des étangs de la ville.

Le régiment occupe les avants-postes, la 22ème compagnie est placée en réserve dans le village.

 

11 septembre 1914.

 

A la pointe du jour, les avants-postes se replient sur Lepuix, et à 4 h.30 le régiment se met en marche pour se rendre au nord de la forteresse de Belfort, la pluie commence à tomber et de gros nuages s’amoncellent à l’horizon. Nous traversons les villages de Grandvillars, laissant Gerardmer sur notre gauche, Morvillars où des tirs de mitrailleuses se font entendre.

Poursuivant notre route nous passons à Bourogne, Méroux et Danjoutin, à quelques distance de ce dernier village nous longeons un immense parc à bétail où broutent des milliers de bêtes à cornes destinées au ravitaillement de la troupe.

Après avoir traversé Belfort par l’est, nous cantonnons dans une vieille usine à Valdoie, petit village situé au nord du terrain de manœuvre de Belfort.

 

12 septembre 1914.

 

A 6 h.45, le régiment se rassemble au milieu du village et se met en marche pour faire l’ascension du Ballon d’Alsace (1 244 mètres d’altitude).

Une légère brise glaciale nous frappe le visage et une pluie fine commence à tomber qui nous accompagne jusqu’au dessous de la Forêt de Wowre. Sur tout le parcours, nous n’avons trouvé que peu de fermes et le colonel décide de faire faire la grande halte dans un bois situé près des ouvrages fortifiés de Giromagny.

Après avoir dépassé le village de Lepuix, la forêt de la Roche, d’Ullise, du Ballon, et longé le bois de Malveaux, nous gravissons les nombreux lacets qui conduisent au Ballon d’Alsace. Après avoir dépassé la maison forestière des douaniers et pris pied sur le plateau le colonel fait faire halte et lire une note du Général Joffre annoncant que toute l’artillerie du 17ème Corps d’Armée Allemande était prisonnière de nos troupes.

Poursuivant notre marche et arrivés au faite du Ballon accompagnés par une pluie battante, nous rencontrons un bataillon du 296ème d’Infanterie près du poste des douaniers. Surplombant le pays environnant nous distinguons, à notre droite, des ouvrages défendant les vallées conduisant à Sirven et au col des Charbonniers.

Après cette ascension pénible de Valdoie au Ballon, nous redescendons par d’interminables lacets, la route pierreuse pour arriver à Saint Maurice à 18 heures, après avoir traversé de magnifiques bois de sapins géants.

 

13 septembre 1914.

 

Ereintés par la marche pénible de la veille et une nuit passée dans de mauvais cantonnements, le réveil sonne à 4 heures et nous nous rassemblons à 4 h.30 pour le départ.

Une pluie torrentielle commence à tomber, comme nous n en avions jamais reçu depuis le début de la campagne ; les uns mettent des capuchons, les autres des pèlerines, les autres des serviettes. Une demi heure après nous recevions l’ordre d’enlever tous ces effets. Deux kilomètres nous séparaient à peine du point de départ que nous étions trempés jusqu’aux os, le képi, la capote et les souliers ne formaient qu’une seule gouttière. Continuant notre marche nous traversons le Tillot, Le Menil, Cornimont et arrivons à la Brsse à 11 heures. Là nous avons été bien accueillis par la population et les cantonnements bien préparés, nous ont permis de bien nous reposer.

 

14 septembre 1914.

 

Continuant notre ordre de mouvement sans arrêt, nous quittons La Bresse à 6 h.15 pour nous rendre à Longemer où nous sommes arrivés à 11 h.30. Cette contrée excessivement pauvre, sans moyens de communications, ne nous a permis de nous ravitailler en quoi que ce soit. Nous avons cantonné dans les fermes des environs mais hélas ! nous n’avions même pas de la paille en quantité suffisante pour nous coucher. Comme les jours précédents, nous avons été accompagnés par la pluie qui n’a cessé de tomber toute la matinée.

 

15 septembre 1914.

 

A 6 h.45, les diverses unités de notre régiment quittent les fermes où elles sont cantonnées et se rassemblent sur la route qui conduit au Saut-des-Cuves et Gérardmer où nous arrivons à 11 h.45. Cette marche à travers bois est splendide. La route longe des chutes de toute beauté, nous traversons des bois de sapins que nos regards ne se lassent d’admirer.

 

Du 16 au 19 septembre 1914.

 

Nous restons à Gerbépal quatre jours pendant lesquels nous nous sommes reposés dans les prairies avoisinant les cantonnements : très fréquemment on entend le canon gronder dans la direction de Fraize-Saint-Dié. D’après les renseignements recueillis auprès de la population, la bataille fait rage sur les hauteurs dominant Fraize ; nous nous attendons à être alertés à tout moment. Les habitants de ce petit village sont hostiles à la troupe, nous n’aurions jamais cru recevoir aussi peu de sympathie dans une région frontalière.

 

20 septembre 1914.

 

A 9 heures, le régiment est alerté et le départ fixé pour 11 heures ; les voitures sont chargées, les vivres distribués et une messe célébrée avant le départ par l’aumônier du régiment.

Le ciel se couvre de gros nuages et nous nous mettons en marche. Arrivés à hauteur de Chaigoutte près de la côte 342, à environ 4 kilomètres de Gerbépal, et toujours accompagnés par une pluie torrentielle, une violente détonation se fait entendre semblable à un coup de canon. C’est la foudre qui vient de tomber sur un poteau télégraphique. Ce temps exécrable nous accompagne jusqu’à Plainfaing.

Pendant cette dernière partie de l’étape, et dès que nous débouchons à l’entrée du village détruit et incendié de Fraize, nous assistons à un spectacle navrant et triste : maisons détruites par les obus, caserne incendiée, champs labourés par les obusiers allemands, l’églises même n’a pas été épargnée.

Toute cette dévastation est l’œuvre de l’armée allemande, qui a tout saccagé au moment de quitter précipitamment le village pour prendre position sur les hauteurs dominant Fraize, au bois Saint-Mandray.

Le 152ème Régiment d’Infanterie qui a pour mission de déloger les Allemands monte six fois à l’assaut de cette ligne de défense : finalement l’artillerie alpine trompant la vigilance de l’ennemi met en batterie au nord du Trou du Loup et de là, mitraille littéralement l’ennemi qui tient le col de la Folie. Les Allemands obligés de s’enfuir se replient vers la Croix-aux-Mines.

Cette belle manœuvre de l’artillerie alpine a été magnifique et digne de tous les éloges. Le commandant de ce groupe simule sur la crête dominant Fraize par le sud des pièces de 65 de montagne, en plaçant quelques pièces qui tirent sur le col de la Folie. Il met les autres pièces en batterie pour prendre l’ennemi de flanc. Les résultat est des plus heureux, l’ennemi subissant un bombardement à la fois par le sud et par l’est et voulant arrêter à la fois l’assaut du 152ème, est obligé d’abandonner cette position maîtresse et de se replier vers des positions non préparées à l’avance. Les pertes subies par les Allemands dans le la défense de cette passe ont été telles qu’ils ont surnommé ce col : « Le col de la mort. »

 

 

 

 

 

Les vosges.

 

21 septembre 1914.

 

De bonne heure nous recevons l’ordre de quitter les cantonnements de Fraize. A 6 heures, nous nous rassemblons et nous nous dirigeons sur le Rudlin où le régiment est désigné comme soutien du 3ème d’Artillerie qui occupe la côte 1.230 à droite du col de Louchpach. Cette marche, quoique pénible, nous a charmé ; le chemin creusé en bordure de la Meurthe, roule ses eaux torrentielles sur un lit de grosses roches, et actionne sur son passage de nombreuses scieries. Les canalisations pour amener les eaux à l’intérieur de l’usine sont constituées par des troncs d’arbres creusés dans leur centre. Dans cette région tout est rudimentaire, les progrès de la science ne sont pas arrivés à leur faire moderniser leur moyen de travail.

A notre arrivée au Rudlin, nous avons eu la bien agréable surprise de trouver parmi les artilleurs du 3ème groupe beaucoup d’Albigeois : Assié André, le lieutenant Joly, le colonel Cros qui nous ont fait un accueil chaleureux et facilité notre ravitaillement. Auprès d’eux nous avons trouvé des renseignements très précieux concernant la région.

Le Rudlin est un petit village qui doit son importance à sa situation militaire. Il est construit au fond d’une vallée étroite qui le relie au monde extérieur par trois routes :

            Une qui mène à Fraize.

            Une qui mène à Gérardmer.

            Et enfin un chemin de muletier qui permet la communication avec la ligne de crête.

A un kilomètre du Rudlin sur la route de Gérardmer on arrive au Valtin où on ne rencontre que peu de maisons, mais une belle chapelle à côté de laquelle se trouve un cimetière où sont inhumés un grand nombre de soldats morts au Champ d’Honneur. Tous les soirs après la soupe, c’est le lieu de recueillement des troupes cantonnées au Rudlin.

 

 

 

 

Secteur de Louchpach.

 

22 septembre 1914.

 

Nous quittons Le Rudlin à 7 heures par des chemins rocailleux et tortueux, creusés d’ornières profondes et bordés de sapins géants. Après deux heures de marche excessivement pénible où on ne voit que le ciel et les arbres, nous arrivons au col de Louchpach. Le 6ème Bataillon occupe le bois situé au nord de la ferme allemande vars la Petite-Combe à la côte 1.077 ; le 5ème Bataillon s’étend du Col du Bonhomme à la ferme des Grandpré et à la route de la Béchine. Le Régiment est encadré par le 280ème à gauche et le 256ème à droite qui tient le secteur du Lac Blanc.

Les avants-postes sont établis en plein bois et les patrouilles parcourent le terrain en avant des sentinelles jusqu’aux lisières des bois. La brume commence à envelopper les cimes des arbres et une petite pluie fine ne tarde pas à tomber, les sentinelles coupent des branchages pour se garantir de la pluie.

Dès notre arrivée, au col les obus allemands commencent à tomber dru et serrés, ce feu d’artifice a duré jusqu’à 11 heures, heure à laquelle nous avons occupé les positions en avant du Col de Louchpach. A 16 heures les obusiers allemands recommencent leur tir et les obus arrivent à 300 ou 400 mètres de nous sans causer de dégâts. A 17 heures, nous avons profité de ce gala pour prendre le repas du soir dans les abris. Ce qui a fait diversion c’est de voir les Chasseurs Alpins de la ferme de Maze sortir de leur abris pour constater les effets des obusiers.

 

23 septembre 1914.

 

La nuit passée aux avants-postes a été assez bonne et nous avons continué à occuper les mêmes emplacements que ceux de la veille. A 9 heures une légère canonnade se fait entendre sans occasionner ni dégâts ni pertes.

A 15 heures, une série de détonations crépitent ; nous avons cru tout d’abord à une attaque : vérification faite c’était un dépôt de munitions qui avait fait explosion du côté de la ferme Maze occupée par les Chasseurs Alpins. Il n y a pas eu de blessés, seulement une centaine de fusils mis hors d’usage.

Une reconnaissance partie à 12 heures dans la direction des fermes Violette et Mathieu est rentrée à 18 heures emmenant avec elle un convoi comprenant :

            15 femmes ;

            2 enfants ;

            2 hommes ;

            20 vaches et quelques lapins.

Quatre vaches ont été abandonnées dans les prés en avant de nos avants-postes : elles étaient exténuées de fatigue, maigres et incapables de suivre le troupeau. Durant cette reconnaissance aucun coup de feu n’a été tiré de part et d’autre.

 

 

 

24 septembre 1914.

 

Dans cette solitude la nuit a été des plus calmes et n’a pas été troublée par aucune fusillade. A la pointe du jour, la 22èmè Compagnie a envoyé une patrouille en avant de la ferme allemande pour ramener les quatre vaches abandonnées la veille dans le pré bordant la route qui conduit du Col du Bonhomme au Col du Schlucht. Ramenées au cantonnement, le capitaine les fait traire et préparer un plat succulent.

L’après-midi, à 18 heures, les unités qui avaient  tenu les avants-postes ont été relevées et sont allées cantonner à Habeaurupt.

 

25 septembre 1914.

 

Après une bonne nuit dans les granges bien chaudes, nous avons reçu dans la matinée un détachement de renfort venant du dépôt d’Albi. La journée très belle et ensoleillée nous a permis de prendre un repos bien mérité.

 

26 septembre 1914.

 

Nous quittons les cantonnements à 6 heures et 45 minutes plus tard nous nous mettons en marche pour occuper les avants-postes au nord du col du Louchpach à la ferme Violette, dans la direction de Col du Bonhomme.

A 10 heures, nous arrivons enfin au poste de commandement du secteur que nous devons occuper. Après avoir pris les consignes, placé les petits postes, les sentinelles et désigné les patrouilles, des équipes de travailleur creusent des tranchées-abris pour se protéger contre les bombardements. Il fait un froid glacial, humide et du côté de Sainte-Marie-aux-Mines le canon s’entend sans discontinuer.

Nous avons passé la nuit dans des cahutes fautes de branches de sapin, et malgré les rigueurs du temps nous n’avons pas eu trop froid.

 

27 septembre 1914.

 

La journée passée aux avants-postes a été relativement calme, quelques coups de feu seulement échangés par les sentinelles. Une patrouille de la 24ème Compagnie a eu un soldat blessé par une sentinelle allemande au moment où il se disposait à tirer sur deux uhlans qu’il apercevait dans une clairière. Cette fusillade entendue du poste du commandement a provoqué l’envoi d’une patrouille de renfort qui a tué 7 Allemands.

 

28 septembre 1914.

 

A la tombée du jour le calme revient et la nuit a été très mauvaise par la suite de la rigueur de la température. A 10 heures nous sommes relevés et allons occuper nos anciens cantonnements à Habeaurupt.

 

29 septembre 1914.

 

Cette journée a été consacrée uniquement au repos.

 

30 septembre 1914.

 

A 6 heures, on nous commande de nous rendre au Rudlin, où nous sommes arrivé à 7 heures. Subitement à 17 heures nous recevons l’ordre de partir immédiatement et de nous porter à la droite du Col de Louchpach, à la ferme Riechperk (1200 mètres d’altitude). Après mille péripéties pour rejoindre le nouveau poste, par des chemins marécageux et broussailleux,  nous arrivons enfin à la ferme à 19 heures. Le capitaine prend possession de ce nouveau secteur, organise les petits postes et s’installe à son P.C. La nuit a été des plus calmes, pas un coup de feu n’a été entendu.

 

1er octobre 1914.

 

Dès les premières heures de la journée les canons de l’artillerie de montagne se font entendre par intermittence, le temps est splendide et la surveillance très active.

Le propriétaire de la ferme profitant de ce que les Chasseurs Alpins faisaient la cuisine bans un bois proche, a caché les fusils pour les livrer aux Allemands ; pris sur le fait, il a été fusillé sur-le-champ.

 

2 octobre 1914.

 

La nuit a été des plus calmes et à 5 heures une compagnie du 52ème Bataillon de Chasseurs Alpins est venue nous relever. Nous avons rejoint nos anciens cantonnements où nous sommes arrivés à 8 h.30.

 

3 octobre 1914.

 

Nous avons passé  une très bonne nuit. A 23 heures, nous sommes alertés et partons pour le col de Louchpach dans la direction de la ferme Tinfronce occuper les avants postes où nous somme arrivés à 3 heures. La relève des postes a duré jusqu’au petit jour et nous avons ensuite pris possession de la ferme.

 

4 octobre 1914.

 

Le temps est maussade et le brouillard semble couper la tête des sapins rendant impossible la surveillance du secteur, on n’entend que très peu de canon.

Profitant de ce voile, toutes les unités envoient des reconnaissances d’une demi-section pour aller à la ferme Miclau cueillir des pommes de terre. Par un chemin sous bois les hommes se profilent et vont occuper leurs emplacements pendant que l’équipe de travailleurs se met à l’ouvrage. En moins d’une heure la reconnaissance rentre emportant un sac de patates.

 

5 octobre 1914.

 

La cueillette de la veille a encouragé les soldats, et de bonne heure une nouvelle reconnaissance part dans les mêmes conditions au ravitaillement. Ce travail mené rapidement et avec beaucoup de prudence par des hommes vigoureux nous a permis de revenir à la ferme Tinfronce avec un sac et demi de ces délicieuses tubercules. Notre retour moins heureux que la veille a été accompagné par des éclatements d’obus qui fort heureusement n’ont blessé personne. Cette seconde expédition s’est trouvée parfois à découvert par suite de la disparition subite du brouillard, et les guetteurs de la Tête de Faux (1 219 mètres d’altitude) ont dû apercevoir cette petite caravane monter la pente de la vallée. A part cette petite alerte nous avons passé une assez bonne journée.

 

6 octobre 1914.

 

Après ces journées passées au milieu d’un brouillard intense, la 22ème compagnie est relevée par la 24ème pour aller en réserve à la ferme Richeperk. Le temps est pluvieux et très brumeux, on ne voit pas à dix pas. La nuit passée en réserve a été très bonne, le matin à la pointe du jour il fait un froid très vif.

 

7 octobre 1914.

 

A 5 h.50, nous quittons la ferme pour aller en réserve générale à Habeaurupt où nous sommes arrivés à 8 heures. Au fur et à mesure que nous descendons le temps s’éclaircit et nous passons au Rudlin favorisés par les rayons de soleil qui nous accompagnent jusqu’aux cantonnements où nous avons passé une bonne journée.

 

Du 8 au 11 octobre 1914.

 

Ces quatre journées ont été toutes de repos et de détente, tout le monde a procédé au lavage du linge et aux diverses réparations d’entretien.

 

 

 

 

 

Secteur du Lac Blanc.

 

12 octobre 1914.

 

Le repos terminé, nous quittons Habeaurupt à 4 heures pour nous diriger au nord-est de l’Hôtel du Lac Blanc en passant par le Rudlin et le Col de Louchpach. Arrivés à la ferme Maze, bombardée dernièrement, une partie du chemin se trouvant à découvert, nous la franchissons par petits groupes en utilisant les fossés et les mouvements de terrain. A peine la moitié de la compagnie est-elle passée que nous essuyons le feu d’une batterie qui a tiré sur nous deux obus de gros calibre. Instantanément nous gagnons le bois distant de 200 mètres environ. Notre présence a été signalée par les observateurs du Noirmont (861 mètres d’altitude) qui domine ce paysage.

Nous arrivons enfin à 8 heures à la ferme Immerling distante des avants-postes allemands de 500 mètres environ. De la porte d’entrée de la ferme où un observateur a été placé et soigneusement camouflé on découvre un panorama splendide ; au-devant de nous prend naissance une grande vallée au fond de la quelle on distingue le Creux d’Argent et plus loin le village d’Orbey occupé par les Allemands. Obliquement à cette vallée viennent aboutir d’autres petites vallées qui se soudent entre elles et forment la chaîne des Vosges. Dans le lointain, les différentes crêtes que l’on aperçoit sont couvertes de sapins de toute beauté. A droite, on distingue des versants abrupts où émergent des roches formant des aiguilles inaccessibles aux piétons.

A gauche se déroule la plaine d’Alsace ; malheureusement les brouillards qui s’élèvent du fond de ces vallées et persistent toute la journée, nous empêche de contempler les beautés naturelles de cette belle contrée du pays annexé. En face de la ferme, en fixant du regard l’horizon, on aperçoit les cimes des Alpes Rhénanes recouvertes de neige.

A 16 heures, l’ennemi commence le bombardement dans la direction du Lac Noir, et tirent une centaine d’obus, à la cadence de trois par minute. Ce feu a cessé à 16 h.30.

A la tombée de la nuit les cuistots allument les feux pour la préparation du repas du soir, dans des abris préparés à cet effet. Au moment de la distribution de la soupe on nous apprend qu’une sentinelle de la 24ème compagnie a été blessée à la cuisse par un patrouilleur ennemi. En se retirant la patrouille a emporté quelques sacs.

De son côté, le 5ème bataillon tient la ligne à droite du Lac Blanc jusqu’au Lac Noir, où il a relevé le 25ème bataillon de Chasseurs à pied. Dans ce secteur, chaque bataillon a deux compagnies en première ligne, une compagnie en soutien et la quatrième en réserve.

Ce nouveau secteur est particulièrement délicat en raison de son altitude et des observatoires qu’il contient ; le ravitaillement y est aussi très difficile et le terrain se prête merveilleusement aux coups de main. Pendant notre séjour dans ce secteur, deux tentatives de coups de main ont été facilement enrayées.

 

13 octobre 1914.

 

Nous occupons toujours le même secteur où le calme règne, pas un obus n’a été tiré dans la journée sauf quelques coups de fusil qu’on entend dans le lointain.

 

14 octobre 1914.

 

Le matin de bonheur, nous sommes relevés et à la faveur d’un léger brouillard nous gagnons les cantonnements à l’Hôtel du Lac Blanc. C’est un cantonnement d’une magnificence extrême, des centaines de chambres logent actuellement officiers et hommes de troupes, on trouve dans cet établissement tout le confort moderne. Cet hôtel, appuyé sur les pentes du plateau du Calvaire, et construit dans d’excellentes conditions présente le maximum de sécurité. Nous avons passé une excellente journée, à 16 heures, le tir d’une batterie allemande nous a surpris, les obus tombent à 4 ou 5 mètres environ de l’hôtel  et un shrapnell est même rentré dans le bureau du P. C. et la salle des plantons en traversant une épaisse cloison. Le moment est critique, croyant à un bombardement de l’hôtel, tout le monde se rassemble avec armes et bagages derrière un épais massif de maçonnerie et attend pieusement l’heure du dénouement.

Tout à coup le tir cesse comma par enchantement, renseignements pris au P. C. du chef de Bataillon, il résulte que le 75 et le 65 d’artillerie Alpine ont exécuté un tir de destruction sur la région d’Orbey et les Allemands ont répondu par un tir de représailles. Le 75 a réduit au silence les deux pièces Allemandes qui avaient pris position aux environs d’Orbey et qui ont tiré sur l’Hôtel du Lac Blanc.

Dans l’après-midi, la ferme située au-dessous du Lac Blanc que le propriétaire n’avait pas voulu évacuer et où était cantonnée une section de Chasseurs Alpins a été incendiée par l’artillerie allemande en tirant un 65 obus de gros calibre. La ferme n’est plus aujourd’hui qu’un amas de ruines, et les prés environnants criblés d’innombrables tours.

Précédant le bombardement de quelques instants une caravane arrive à l’hôtel où elle est mise à l’abri. Ce convoi se compose de plusieurs vaches, une voiture avec son cheval, des hommes, des femmes et de nombreux ballots pour usage personnel. A la faveur de la nuit, cette caravane escortée par les chasseurs alpins s’est dirigée sur le Col du Louchpach.

 

Ravitaillement supplémentaire.

 

Toutes les unités de première ligne se rendent à époques fixes dans un centre important, le plus près possible des premières lignes, pour améliorer l’ordinaire des troupes. Dans ce secteur c’est Gérardmer qui a été choisi pour se ravitailler ; les corvées font les achats pour les compagnies et les cyclistes les achats individuels destinés aux hommes qui ne peuvent quitter la ligne des tranchées. Le 13 octobre une compagnie part à 5 h.30 pour se ravitailler. La corvée d’ordinaire, après avoir quitter les avants-postes, passe par l’Hôtel du Lac Blanc, la ferme Richeperk et le Rudlin. Là après avoir touché les vivres du train régimentaire, elle prend la voiture de compagnie et se dirige vers Gérardmer en passant par le Valtin, le Saut-du-Lapin où se trouve le Pont d’Amour. Cette dernière curiosité de la nature est de toute beauté : l’eau tombe de roche en roche comme un flot argenté en formant de magnifiques cascades. Un grand pont fais avec des sapins permet aux excursionnistes de pouvoir contempler sur la cascade elle-même, la beauté de cette œuvre de la nature. La corvée arrive enfin à Gérardmer à 12 h.45.

L’après-midi est consacré aux achats de toute sorte et à charger la voiture de compagnie pour reprendre le lendemain de bonne heure le chemin du Lac Blanc.

Le 14 octobre à 6 h.30 la corvée reprend à vive allure le chemin du retour en passant par le Sauts-des-Cuves, le Grand Valtin, le Valtin et le Rudlin où elle arrive à 13 heures. Les voitures ne pouvant gagner les crêtes, le ravitaillement est chargé à dos de mulets ; on escalade le Col du Louchpach, la ligne des Crêtes et on arribve à l’Hôtel du Lac Blanc à 15 heures.

 

15 octobre 1914.

 

Dès l’aube, une fouille opérée à la ferme incendiée la veille  a permis de ramener à l’hôtel deux cochons pesant respectivement 80 et 110 kilos. Ces deux animaux ont été acheté au propriétaire et les deux compagnies du 6ème bataillon en réserve à l’hôtel (la 21ème et la 22ème  compagnie) se sont partagées cet achat imprévu, améliorant d’autant leur ordinaire.

Contrairement à la veille cette journée a été très calme.

 

16 octobre 1914.

 

La période de réserve terminée, les compagnies quittent les cantonnements à 4 heures pour relever les unités qui occupent les positions d’Immerling, où elles arrivent au petit jour. Le soir à 14 heures, une patrouille ennemie s’approche de nos lignes en rampant et tue la sentinelle placée à la lisière du bois. L’alerte immédiatement donnée déclanche une fusillade nourrie et oblige les patrouilleurs ennemis à se replier en toute hâte, laissant sur le terrain un lieutenant et deux soldats tués.

 

Du 17 au 23 octobre 1914.

 

La journée aux avants-postes des positions Immerling a été des plus calmes, la température s’est subitement refroidie et un épais brouillard couvre les bois et les vallées, rendant très difficile le service d’exportation.

Le 23 octobre profitant de la brume, une patrouille allemande a réussi à s’approcher de nos lignes et a blessé une sentinelle de la 21ème compagnie qui a succombé quelques heures plus tard. A 19 heures, une nouvelle attaque s’est produite dans le même secteur blessant une autre sentinelle qu a succombé aussi de ses graves blessures. Après une vigoureuse riposte, l’ennemi s’est replié et n’a pas recommencé de nouvelles tentatives.

 

24 octobre 1914.

 

Dès la pointe du jour, un léger brouillard recouvre le sol et les sentinelles sont obligées d’être plus attentives pour ne pas être surprises.

L’après midi un poste de la 23ème compagnie situé dans la vallée qui mène au Creux d’Argent a été attaqué par une patrouille allemande ; la 22ème compagnie an liaison avec la 23ème compagnie a déclenché une patrouille pour prendre l’ennemi de flanc. Les Allemands se trouvant dans une position difficile et sur le point d’être encerclés, s’enfuient en toute hâte. La nuit a été ensuite très calme.

 

25 octobre 1914.

 

A 6 heures du matin, la journée s’annonce belle et un calme parfait règne sur tout le front. A droite, du côté du secteur tenu par les chasseurs alpins, sur la première crête boisée, une vive fusillade se fait entendre, et dure 15 minutes environ. A peu près à la même heure au poste n°2 à l’extrême droite de notre secteur, les sentinelles ont été attaquées par une petite patrouille allemande forte de 3 à 4 hommes, elle a été facilement repoussée

La nuit a été relativement calme.

 

Du 26 au 28 octobre 1914.

 

Dès le réveil par un beau temps et un fort vent du nord, le bataillon se prépare à aller au repos à l’hôtel du Lac Blanc, où il arrive à 7 heures.

Le 28 une pluie fine commence à tomber et un épais brouillard recouvre tout la vallée et le lac.

A 9 heures, le bruit court qu’une attaque va se produire dans la journée, mais à 12 heures un contrordre émanant de la division renvoie à plus tard cette opération qui devait avoir lieu en direction de la Tête-de-Faux-Creux-d’Argent.

En même temps deux compagnies du 6ème bataillon reçoivent l’ordre de se porter à la ferme Richeperk, où elles arrivent à 16 heures.

 

29 octobre 1914.

 

La nuit est excellente ; de la fenêtre du P. C. de la 22ème compagnie on distingue la vallée recouverte d’un léger manteau neigeux ; un vent froid pousse les légers flocons qui tombent sans arrêt. Dans la journée, la température s’est radoucie et la neige commence à fondre dans les bas-fonds.

 

30 octobre 1914.

 

La température reste froide et le ciel gris ; de temps en temps on entend le grondement de gros obusiers, dans la direction de la Verse et le Longtrait par la 18ème compagnie, l’autre en direction du Creux d’Argent par les 23ème et 24ème compagnies. Il n’y a pas eu de prise de contact  avec l’ennemi.

 

31 octobre 1914.

 

A 9 heures la 22ème compagnie reçoit l’ordre de se porter immédiatement en réserve en avant de l’Hôtel du Lac Blanc pour appuyer le cas échéant une attaque qui doit se produire au col de Sainte-Marie-aux-Mines. Nous arrivons au carrefour du Calvaire à 11 heures, et à midi nous partons dans la direction d’Orbey en nous faisant couvrir par une section. Arrivée sur les crêtes dominant Orbey nous nous plaçons en position d’attente, pendant qu’un reconnaissance forte d’une section progresse et arrive à une centaine de mètres des tranchées allemandes. Un feu nourri les accueille et dure jusqu’à la nuit ; nous n’avons eu aucun blessé ; un soldat a abandonné son sac. A la faveur de la nuit les unités ont regagné les cantonnements de l’Hôtel du Lac.

Ces deux attaques parallèles méthodiquement menées nous portaient, malgré une fusillade nourrie, dans la vallée de la Béchine à 2 kilomètres de nos lignes et à 800 mètres du village du Bonhomme. Vers le Creux d’Argent, nous avons occupé Hauteroche-Blancrupt.

 

1er novembre 1914.

 

Après une bonne nuit passée dans les cantonnements d’alerte de l’Hôtel, le réveil sonne à 3 heures, et à 3 h.45, nous allons occuper les emplacements de la veille. Immédiatement les outils sont enlevés et nous creusons des tranchées pour nous abriter et nous cacher aux vues de l’ennemi ; ce travail est très pénible en raison du terrain excessivement rocailleux. La terre projetée sur le parapet attire l’attention de l’ennemi, et à 8 heures une vive fusillade entendue de la vallée d’Orbey s’est abattue sur notre ligne et a duré 15 minutes environ.

Peu de temps après le canon allemand se fait entendre et lance 7 ou 8 obus entre les fermes qui sillonnent la vallée. D’après des renseignements, l’artillerie allemande s’est mise en batterie en avant d’Orbey et a tiré très probablement sur des troupes isolées circulant entre les fermes et postes avancés. Après ce tir, l’artillerie s’est retirée en arrière d’Orbey.

Sur notre aile gauche, une reconnaissance française s’est heurtée à une patrouille allemande ; l’escarmouche a duré 30 minutes environ.

A la tombée de la nuit, nous nous sommes repliés et sommes allés cantonner à la ferme Masson.

 

2 novembre 1914.

 

A 4 heures tout le monde quitte les cantonnements et se rassemblent pour aller occuper les avants-postes de la ferme Immerling où nous arrivons à la faveur de la nuit. Le village d’Orbey est enveloppé d’un immense brouillard que les premiers rayons du soleil ont bien vite dissipé. A 12 heures, une canonnade intense s’entend dans la direction de Sulzern et cesse à la tombée de la nuit.

 

3 novembre 1914.

 

Après avoir passé une bonne nuit, le cantonnement s’éveille et les premiers rayons du soleil pénètrent à l’intérieur de la ferme. De bonne heure, un violent combat d’artillerie a réduit les batteries ennemies au silence… Pendant ce temps les mitrailleuses du 12ème bataillon de Chasseurs Alpins ont repoussé une attaque déclenchée pas deux régiments environ. En se repliant l’ennemi a abandonné sur le terrain de nombreux morts et blessés. A 17 heures on aperçoit dans le lointain des lueurs produites par l’éclatement des obus allemands. A minuit une dizaine d’obus tirés par nos batteries à l’intérieur d’un bois ont obligé l’ennemi à se disperser.

 

4 novembre 1914.

 

De bonne heure deux compagnies du 6ème bataillon en réserve, reçoivent l’ordre d’exécuter une reconnaissance en avant de la ligne des avants postes pour favoriser un mouvement vers la gauche. Dès que la reconnaissance a franchi la lisière du bois, elle est saluée par le feu de quelques pièces de 77 placées dans la vallée en direction d’Orbey. Quoique l’exploration ait été poussée assez loin jusqu’au contact avec les postes allemands nous n’avons au à déplorer aucune perte. Les deux compagnies ont regagné leurs emplacements de départ à la faveur de la nuit.

 

5 novembre 1914.

 

Les sections se rendent au poste de la Tête-de-Faux pour exécuter des abris contre les bombardements d’artillerie. De temps en temps les observateurs allemands entendent travailler devant leurs postes et font tirer des rafales de mitrailleuses contre les travailleurs. La patrouille de couverture qui a mission de protéger les équipes de pionniers n’a pas eu de pertes.

 

6 novembre 1914.

 

Au petit jour nous sommes relevés et nous nous rendons à l’Hôtel du Lac Blanc où nous passons une bonne journée cantonnés dans les chambres de l’hôtel.

 

7 novembre 1914.

 

Journée de repos. Nous profitons de l’après-midi pour aller visiter la cascade que forme la Weiss à sa sortie du Lac Blanc. Cette chute est de toute beauté, les eaux bruyantes tombent de roche en roche sur un plan incliné qui ne mesure pas moins de 50 mètres, pour aller déboucher sur le petit plateau du Creux d’Argent entre deux belles rangées de sapins géants.

En suivant le sentier qui longe la cascade on côtoie le canal qui sert de réservoir au lac. Le canal, comme d’ailleurs le lit du lac, est constitué par un immense massif de granit qui se soude aux versants abrupts des Vosges.

 

8 novembre 1914.

 

La nuit est plus calme, et la journée passée dans ce site enchanteur très paisible. L’après-midi, à la tombée de la nuit, on nous apprend que le lendemain nous devons faire une reconnaissance au Creux d’Argent.

 

9 novembre 1914.

 

Après une bonne nuit de repos troublée de temps en temps par les plantons transmettant les ordres, l’alerte est donnée à 4 h.30 et le départ fixé à 5 h.30 en direction du Creux d’Argent. Nous arrivons au point extrême de notre mission à 10 heures, après avoir franchi mes abatis que les allemands avaient placés sur la lisière du bois pour retarder notre avance. La reconnaissance a franchi ces obstacles et essuyés quelques coups de feu qui fort heureusement n’ont blessé personne… Quinze minutes plus tard, les canons de 75 en batterie sur le versant ouest de la côte 1.236 (sud ouest au Rudlin) ont lancé une série d’obus sur les fermes du Creux d’Argent occupées par les Allemands. Ceux-ci ont riposté par une fusillade nourrie sur les tranchées de première ligne ; quelques instants plus tard le calme revenait et la reconnaissance pouvait déjeuner en toute tranquillité.

A 13 heures deux coups de fusils sont tirés coup par coup des avants-postes allemands ; instantanément l’artillerie alpine avec ses 65 de montagne ouvre un feu d’une extrême violence sur toute la ligne ennemie. Ce bombardement qui a duré une heure environ fait de sérieux ravages aux tranchées de première ligne. A 17 heures tout est rentré dans le calme, et, à la faveur de la nuit, la reconnaissance rejoint la ferme Masson et l’Hôtel du Lac Blanc.

 

10 & 11 novembre 1914.

 

Les unités qui ont participé à la reconnaissance ont eu repos complet, et ont été remplacées par les 19èmè et 24ème compagnies. Celles-ci moins heureuses ont eu six soldats blessés par des obus.

La deuxième nuit a été moins bonne et le sommeil interrompu à certains moments par un vent violent qui souffle en tempête. Le 11 au matin tout le monde s’occupe aux divers travaux de ravitaillement et de nettoyage, et les moins fatigués vont excursionner au Lac Noir.

A 15 heures, quelques groupes logent le lac où de nombreuses vagues viennent se briser contre les rochers du bord du lac, en formant une écume blanche comme de l’argent. Après avoir dépassé la ferme Masson incendiée, nous nous engageons dans un chemin sous bois au milieu de sapins et de broussailles de toutes sortes. C’est là que l’artillerie alpine est camouflée ; elle s’approche de la lisière quand elle veut exécuter un tir un tir et disparaît aussitôt rapidement. Enfin après une heure et demi de marche nous arrivons au Lac Noir, de superficie plus petite que celui du Lac Blanc mais d’une magnificence incomparable. Une très belle balustrade de pierre de granit protège les visiteurs et un petit plateau, cimenté avec de grosses pierres taillées, complète l’ornement de ce beau site si pittoresque et sauvage à la fois. Sur ce promontoire qui domine les eaux noires du lac un vent glacial souffle sans interruption obligeant les curieux à ne pas stationner longtemps à côté de cette beauté de la nature. Nous sommes rentrés au Lac Blanc en passant par les fermes Claude Pierre et Masson. Pendant ce voyage de retour un brouillard intense s’est levé et nous sommes arrivés au cantonnement à 19 heures légèrement mouillés.

12 au 19 novembre 1914.

 

Pendant cette période la neige s’est mise à tomber par intermittence accompagnée d’un froid très vif, ce qui rend très pénible le service des sentinelles. Vers la fin de cette période le froid est devenu si rigoureux que beaucoup de soldats ont eu les pieds gelés. A partir du 14 novembre les pistes et les sentiers ressemblent à de véritables glacis, où la marche est très pénible et dangereuse. Du 16 au 17 novembre tout le mode s’occupe de l’amélioration des chemins, escaliers, à la plantation des piquets, installation de mains courantes en fil de fer pour guider les unités qui se rendent aux avants-postes et à organiser des ouvrages au carrefour du Calvaire.

 

20 novembre 1914.

 

La nuit a été particulièrement calme et nous sommes partis à 6 heures occuper la ferme Richeperk. Le vent qui souffle avec violence glace le visage. Rien à signaler.

 

21 au 23 novembre 1914.

 

Le mauvais temps continue à sévir, toutes les routes et cheminements sont recouverts d’une épaisse couche de glace sur laquelle on marche difficilement. Tous les jours deux sections sont désignées pour travailler la nuit dans le secteur de la ferme Immerling pour contempler et renforcer les ouvrages de défense.

 

24 novembre 1914.

 

A 6 heures nous quittons la ferme Richeperk pour aller occuper les avants-postes à Immerling et continuer les travaux de défense. La journée a été assez bonne mais partout on ne voit que neige et glace, aussi les rondes faites la nuit ont beaucoup de peine à entrer en liaison avec les sections voisines.

 

25 novembre 1914.

 

La neige n’a pas cessé de tomber toute la journée.

 

26 novembre 1914.

 

A 6 h.15, nous quittons les avants-postes pour aller travailler dans le bois situé derrière la ferme Immerling. En prévision de bombardements toujours possibles de la ferme, le 6ème bataillon a construit sur la lisière du bois des cuisines souterraines : c’est une grande fosse de trois mètres de profondeur recouverte de gros rondins de sapin. Les quatre cheminées des cuisines sont disposées dans le sens de la longueur et les foyers correspondants bâtis en pierre sèche. Sur l’une des extrémités une fenêtre est aménagée pour aérer la cuisine.

A la tombée de la nuit les unités rejoignent les cantonnements de repos de l’Hôtel du Lac Blanc.

 

 

 

 

 

Attaque de la Tête de Faux.

 

27 au 30 novembre 1914.

 

Après une nuit des plus paisibles, nous nous sommes levés à 7 heures pour vaquer à toutes nos occupations. Les premières heures de la journée s’annoncent splendides mais à 10 heures de gros flocons de neige commencent à tomber.

Du 28 au 30 novembre, une grande animation règne dans les cantonnements, tout le monde, tant officiers qu’hommes de troupe, fait les préparatifs en vue de l’attaque de la Tête-de-Faux et de la Tête-de-Grimande.

Depuis le 12 octobre, le régiment a travaillé à l’organisation méthodique du secteur : défense contre les intempéries autant que contre l’ennemi. Le mauvais temps a succédé aux beaux jours et les rafales de neige et de froid rendent très dur le séjour en ligne pour l’exécution des travaux. Des postes de secours ont été installés de distance à distance sur les routes de ravitaillement, en particulier sur la ligne de crête. Ils assurent ainsi aux corvées de passage et aux isolés, une boisson chaude et un réconfort énergique pour poursuivre leur route. Chaque poste de secours est assuré par des brancardiers, et parfois par des médecins auxiliaires, munis de tout le matériel de soins qu’ils sont appelés à donner à tout instant.

 

1er décembre 1914.

 

De bonne heure, les compagnies font les ballots des effets, rassemblent le matériel en supplément et les logent dans une chambre de l’hôtel désignée par le commandement. A 17 h.30, nous occupons la ferme Claude Pierre située sur la lisière du bois qui longe la Weiss, pour gagner le lendemain matin de bonne heure le bois situé à côté de la ferme Didier. Nous nous couchons à 18 heures.

 

2 décembre 1914.

 

Nuit très agitée : un vent violent souffle sans arrêt. Nous sommes alertés à 5 heures, et une demi heure plus tard la 22ème compagnie prend le chemin qui conduit au bois situé près de la ferme de la Veuve Didier au sud de l’Hôtel du Lac Blanc, pour appuyer l’attaque que doivent exécuter le 5ème bataillon du 215ème et le 28ème bataillon de chasseurs alpins à la Tête-de-Faux et à la Tête-de-Grimande. Cette opération a pour but d’enlever le massif de la Tête-de-Faux qui, situé à l’est du Col du Bonhomme, forme pour l’ennemi un point d’appui important et un observatoire de tout premier ordre.

A la faveur d’une nuit noire, la 22ème compagnie gagne les nouveaux emplacements qui lui sont assignés par le commandement, et arrive sur les quelques positions à la pointe du jour. Pendant ce temps les troupes ont occupé les emplacements de départ et se forment en quatre détachements :

                                                                  I.      Groupe du commandant Duchesne.

Mission : Attaquer la Tête-de-Faux par le sud et le sud-est.

                                                               II.      Groupe du capitaine Argence.

Mission : Soutenir la gauche de l’attaque en se portant sur la Verse et le village du Bonhomme.

                                                            III.      Groupe du capitaine Boquel.

Mission : Attaquer la croupe est de l’Immerling vers Mérelles.

                                                             IV.      Groupe du commandant Bareilles.

Mission : Attaquer vers le front Romomont, Creux d’Argent, Le Lait.

 

A 9 heures, une reconnaissance composée de la première demi-section de la 22ème compagnie de soutien a pour mission d’explorer le Creux d’Argent et essuie quelques coups de feu ; renforcé par la 3ème section, ce groupe reste en position jusqu’à la tombée de la nuit. La 4ème section est en réserve dans un bois, prête à toute éventualité.

A 10 heures, l’artillerie française qui a pris position à mi-pente sur le versant ouest des Hautes-Chaumes, commence le bombardement des positions allemandes, et avec une précision de tir rigoureuse crible de mitraille les tranchées et le terrain avoisinant. Les ouvrages défensifs allemands sont sérieusement endommagés.

A 18 heures, la 22ème compagnie se porte un peu en arrière pour occuper les positions dominant La Chapelle et le village d’Orbey.

Pendant ce temps, l’attaque de la Tête-de-Faux se déclenche et les poilus, dans un élan splendide et aux sons de « la charge » et des cris répétés « En avant ! En avant ! », se lancent à l’assaut des objectifs qui leur sont assignés. Ils se heurtent à des obstacles infranchissables qui ont raison de leur héroïsme et brisent leur magnifique élan.

Dans ce furieux élan, l’adjudant-chef Nou Emile, de la 18ème compagnie a été tué par un feu violent de mitrailleuses alors qu’il entraînait sa section à l’assaut des positions ennemies. Immédiatement relevé, il a été transporté au poste de secours de la division situé à la ferme Granpré.

Quelques jours après son corps, ainsi que celui de Cavaillé ont été exhumés pour identification en présence du capitaine Argence, du Lieutenant Viala et de plusieurs amis parmi lesquels Dupuy Elie et Sudre.

Dupuy Elie, que des liens d’amitié unissait à l’adjudant-chef Nou, avec des moyens de fortune confectionna un cercueil, fit avec l’aide d’autres mais, une fosse au milieu du bois attenant à la ferme Grandpré et inhuma son malheureux ami.

C’est là qu’il reposera, loin de son pays, à l’abri de grands arbres troublé seulement par le bruit de la source ou le chant des oiseaux.

Les pertes sont lourdes et le soir le 215ème ne peut constituer que deux groupes seulement :

-         Ancien groupe du commandant Duchesne (tué dès le début) aux ordres du capitaine Falgos.

Mission : Enlever la Tête-de-Faux en attaquant par le sud.

-         Le deuxième groupe commandé d’abord par le capitaine Chaussande puis par le Lieutenant O’Byrne.

Mission : Attaquer et enlever le Tête-de-Grimande.

 

3 Décembre 1914.

 

La nuit passée sur les positions a été troublée par une fusillade nourrie qui a duré du coucher du soleil à la pointe du jour.

Le matin à 7 h.30 l’artillerie allemande commence à bombarder nos positions  et l’Hôtel du Lac Blanc ; ce vacarme dure toute la journée et notre artillerie, le 65 de montagne et les batteries de 75, ripostent avec vigueur.

L’attaque française reprend avec la même vigueur et le même courage que la veille, mais sur la Tête-de-Faux la progression est arrêtée devant la tranchée en far à cheval fortement organisée et puissamment défendue.

Sur la Tête-de-Grimande les difficultés furent plus grandes encore en raison du glacis dénudé sur lequel devait avoir lieu la progression. Et cependant, la Tête-de-Grimande fut enlevée d’un seul élan sans souci des pertes éprouvées. Vains efforts, vains sacrifices, car devant l’inclémence du temps devant les menaces d’une contre-attaque furieuse, le lieutenant O’Byrne reçut à minuit l’ordre de se replier et de revenir sur ses positions de départ pour éviter des pertes inutiles à sa poignée de héros.

Au prix de nouvelles saignées les détachements Falgos et O’Byrne se replient sur les lisières du bois de l’Immerling et de la Tête-de-Faux où ils sont relevés par le 343ème Régiment d’Infanterie.

Le 215ème n’avait pas complètement réussi, il avait du moins sauvé l’honneur et montré ce dont il est capable.

Pendant le combat les blessés sont dirigés sur l’Hôtel du Lac Blanc, transformé pour la circonstance en poste de secours et de là dirigés sur l’hôpital de Fraize. Plus au nord sur la route de l’Immerling au Calvaire une file ininterrompue de brancardiers transporte les soldats tués au moment de l’attaque. Toutes ces malheureuses victimes du 3 décembre sont déposées dans le bois du Calvaire où a lieu l’inhumation. C’est là qu’ils reposent en paix, à l’ombre des sapins géants sur cette terre de France qu’ils ont si bien défendue en faisant le sacrifice de leur vie.

A la chute du jour les cantonnements étant occupés par le Service de Santé Divisionnaire, tout le monde se cherche tant bien que mal un abri pour passer la nuit.

 

4 décembre 1914.

 

Cette journée a été aussi mouvementée que la veille et le bombardement a continué aussi intense sur tous les points du secteur ; du côté de la Tête-de-Faux une fusillade continuelle ne cesse de se faire entendre. Dans les moments d’accalmie les unités continuent l’organisation de leurs positions.

 

5 décembre 1914.

 

Contrairement à la veille, la nuit a été relativement calme et le canon n’a cessé de gronder toute la journée. Une ferme située à une centaine de mètres de la ferme de la Veuve Didier, et où étaient cantonnée la 23ème compagnie a essuyé quelques obus de gros calibre.

Les convois de mulets chargés de matériel : bois, madriers, rouleaux de barbelés, outillage divers etc. destiné à la remise en état des tranchées n’ont cessé de circuler toute la journée au dépôt du Calvaire. A la tombée de la nuit tout le matériel est transporté en totalité aux positions de première ligne.

 

6 décembre 1914.

 

Dès 9 heures, les canons allemands ne nous laissent aucun répit et bombardent le Col du Louchpach, nœud de ravitaillement de notre régiment ; la canonnade continue toute la journée.

Les obus de 77 lancés sur les pentes de la Tête-de-Faux blessent une quinzaine de chasseurs alpins, un d’entre eux a eu les deux jambes coupées.

Tard dans la soirée au moment du ravitaillement en vivres transportés en traîneaux, un projecteur fouille l’horizon dans la direction de la Tête-de-Faux et de al Tête-de-Grimande, quelques obus tombent de temps en temps sur le Calvaire.

 

7 décembre 1914.

 

La nuit a été assez calme, et un froid très rigoureux sévit sur les hauteurs. Les agents de liaison porteurs de comptes rendus des événements de la nuit marche très péniblement sur le sol glacé.

A 10 heures nos batteries de 75 ouvrent le feu sur l’artillerie ennemie ; cette canonnade dure jusqu’à 15 heures. L’artillerie allemande n’a pas tardé à réagir avec ses obusiers et les canons de 77. à ce moment on n’entend dans l’atmosphère que le bruit sourd et le sifflement strident des obus passant au-dessus de nos têtes.

A la tombée de la nuit les corvées de ravitaillement partent comme d’habitude et sont gênées par une fusillade semblant venir de la Tête-de-Faux.

De temps en temps, un projecteur allemand scrute nos positions, le ciel est si bien éclairé que l’on distingue parfaitement le village de Neuf-Brisach.

 

8 décembre 1914.

 

Après une nuit calme passée dans les cantonnements et les tranchées de première ligne, la journée s’annonce splendide, le soleil darde ses rayons sur cette région si riche en sites pittoresques. Malheureusement à 10 heures cette matinée est troublée par le bruit lugubre du canon. ; un bombardement des plus meurtriers commence à se déclencher et dure une heure environ. Tous les poilus surpris par la soudaineté de ce tir prêtent attentivement l’oreille, les sifflements et les éclatements des obus, mêlés aux échos des vallées qui se répètent plusieurs fois, plongent toute la région dans un véritable enfer.

Pendant ce bombardement un projectile est tombé sur une ferme occupée par la 23ème compagnie tuant un soldat et en blessant 6 autres. A 16 h.30, une fusillade nourrie succède à ce bombardement dans la direction de la Tête-de-Faux bientôt suivie par un feu intense de mitrailleuses. Vingt minutes après, la fusillade cesse, et le secteur reprend la tranquillité du matin

 

9 décembre 1914

 

Toute la matinée a été splendide, à 9 h.45, du village d’Orbey, un ballon captif s’élève dans les airs et n’est redescendu qu’à 10 h.20. La journée a été plus calme et le ravitaillement s’est fait dans d’excellentes conditions.

 

10 décembre 1914.

 

Journée relativement calme, favorisée par un soleil magnifique. La matinée a été consacrée à la confection des chevaux de frise et chicanes pour la défense des ouvrages de deuxième ligne. L’après-midi tout le monde s’est reposé.

 

11 décembre 1914.

 

La nui et la matinée ont été très calmes, à peine si on entend dans le lointain quelques coups de feu échangés par les sentinelles. Le soir, une canonnade nourrie se fait entendre aux environs de la Tête-de-Faux.

 

12 décembre 1914.

 

De bonne heure un soleil radieux filtre dans des interstices des abris, tout dénote une belle journée qui n’est troublée ni par les fusillades, ni par les bombardements.

 

13 décembre 1914.

 

Comme les journées précédentes le secteur a été des plus calmes et des officiers des unités de relève arrivent aux P. C. du régiment pour reconnaître le secteur et prendre en charge le matériel.

A 14 heures, nous recevons l’ordre de nous tenir prêts à être relevés et partir pour un nouvelle destination.

 

14 au 16 décembre 1914.

 

Comme prévu dans l’ordre de mouvement le 6ème bataillon est relevé par le 229ème régiment d’infanterie le 14 décembre à la pointe du jour pour aller occuper le secteur de la rive droite de la Fave. Le 5ème bataillon est relevé le 16 décembre mais reste au repos à Fraize et Vanifosse pour se reconstituer.

Le commandant Tref du 39ème Régiment d’Infanterie Coloniale prend le commandement du régiment et ne tardera pas à faire justice de la calomnie qui tend à imputer au 215ème l’échec de l’attaque de la Tête-de-Faux.

 

La Tête du Violu et la tête de Faux par Paul Scribe

(extrait du Journal Des Combattants)

 

La Tête du Violu est un piton qui domine toute la région de Saint-Dié et Sainte-Marie-aux-Mines. La Tête-de-Faux avec ses 1.219m, est un massif au centre d’un immense cirque fermé du nord au sud par le Bressoir, le Col des Baganelles, le Rossberg, le Col du Bonhomme, le Col du Louchpach et le Calvaire du Lac Blanc.

Ces deux hauteurs constituaient d’excellents observatoires dominant les hautes vallées de la Liepvrette et la Weiss du côté alsacien, et celui de la Meurthe et de la morte du côté Lorrain.

S’en emparer fut un des premiers objectifs de la première armée dès la fin octobre1914. L’action était destinée à préparer le terrain pour une vaste opération offensive projetée par le commandement en direction générale de Colmar-Schlestadt, opération qui ne put d’ailleurs être effectuée au jour fixé à cause de la tournure prise par la bataille des Flandres, obligeant le Général Joffre à dégarnir le front des Vosges au bénéfice du front de l’Yser.

Les quelques unités qui sont demeurées dans les Vosges ont une double tâche à remplir : garder intacte la charnière de l’Est et conquérir le terrain nécessaire permettant d’assurer le débouché ultérieur des forces importantes opérant en direction de Colmar et de Schlestadt avec d’autres éléments venant de Belfort.

A ce point de vue, les combats de la Tête-de-Violu et de la Tête-de-Faux méritent un examen à part.

Naturellement, aux premières loges, nous trouvons nos infatigables bataillons de chasseurs. Mais plusieurs régiments d’infanterie, notamment les 215ème et 343ème RI, ne doivent pas être oubliés. La 66ème division qui englobe les unités ayant lutté à la Tête-de-Violu et à la Tête-de-Faux doit être prise et félicitée en bloc pour la vigueur exceptionnelle avec laquelle elle a mené ces combats.

 

La Tête-de-Violu.

 

La Tête-de-Violu est située immédiatement au sud du col de Sainte-Marie-aux-Mines. L’attaque est déclenchée le 31 octobre et 1er novembre par les 28ème, 30ème bataillon de Chasseurs à pieds, soutenus par le 215ème Régiment d’Infanterie. Si elle surprend l’adversaire, elle n’en étonne pas moins nos propres soldats.

En effet, pour la première fois depuis le début de la Guerre, les unités d’assaut sont soutenues par une vigoureuse préparation d’artillerie.

 

A 13 h.45, les compagnies s’élancent à l’assaut. La progression est lente au milieu d’un fouillis inextricable de branches de sapins, de fils barbelés, de troncs et d’abatis. Mais dès que les fils de fer barbelés sont franchis, une magnifique charge à la baïonnette se déclenche à la poursuite de l’ennemi en fuite. On peut suivre la progression des vagues d’assaut, sous ces grands bois épais, aux cris des chasseurs et aux sonneries de la charge.

Devant cet élan irrésistible, les Allemands lâchent pied. La Tête-de-Violu et le Collet de la Cude nous restent, non sans que nos chasseurs et nos fantassins aient subi de lourdes pertes. Vingt tués et trente blessés pour le seul 28ème bataillon de chasseurs à pied, dont le capitaine Dbremez et le Lieutenant Cartier. Les compagnies De Fabry et Berge du 30ème B. C. P. ont été également éprouvées. En ce qui concerne le 215ème, précisons que ses deux actions combinéesl’une dans la vallée de la Béchine, en direction de La Verse et de Longtrait (18ème compagnie) l’autre en direction du Creux d’Argent (23ème et 24ème compagnies), nous ont portés dans la vallée de la Béchine à deux kilomètres de nos lignes et nous ont permis d’occuper le village d’Hauteroche-Blancrupt.

 

La Tête-de-Faux.

 

En novembre, une fraction du 28ème B.C.P. (1ère et 5ème compagnies, ainsi que la section de mitrailleuses) et trois compagnies du 30ème B. C. P. sont détachées du secteur et dirigés sur la Tête-de-Faux. Notons toutefois que novembre n’a pas été un mois de tout repos pour les unités campées sur la Tête-de-Violu. L’ennemi a prononcé à plusieurs reprises de violentes contre-attaques avec des troupes amenées en hâte de Strasbourg, mais nos chasseurs (aidés, en particulier, par la batterie de 65 du capitaine De Carlieu) n’ont pas eu trop de peine à repousser ces assauts. Nos chasseurs ont même réussi à améliorer leurs positions, en s’emparant notamment de la côte 780, au sud du Col de Sainte-Marie (28ème B. C. P.).

La Tête-de-Faux, qui domine la crête frontière, avec se éboulis d’énormes blocs de granit, ses épais fourrés de pins rabougris, s’annonce comme un morceau particulièrement coriace. Le 2 décembre, au lever du jour, nos unités, après une longue marche exténuante à travers les épaisses forêts de la région, arrivent au pied du redoutable massif. Il y a là la compagnie Regnault (1ère) et la compagnie Pouydraguin (5ème) du 28èm B.C.P. ainsi que les compagnies Marion, Manicassi et Touchon (6ème compagnie) du 30ème B.C.P.

A 11 heures, quelques coups de feu ballaient le sommet et les détachements entreprennent l’escalade du massif. Le chemin est dur et périlleux. Il faut souvent mettre le fusil en bandoulière et s’aider des pieds et des mains pour s’agripper aux énormes éboulis, obstacles presque infranchissables. D’épais réseaux, d’arbre en arbre, forment avec les branches de sapins, un fouillis inextricable au milieu duquel on se fait jour à la cisaille ou à la serpe.

Mais tous ces obstacles n’arrêtent pas l’élan de nos chasseurs. Le capitaine Touchon est blessé dans le réseau par une balle à la cuisse, les chasseurs Mazet et Lacombe du 30ème bataillon de Chasseurs à Pied, sont tués en coupant les fils de fer à coup de hache ; d’autres du 28ème tombent, mais les détachements passent.

Le sommet de la Tête-de-Faux est bientôt atteint et un feu nourri accueille l’apparition des bérets bleus sur la crête. Embusqué derrière de gros rochers, l’ennemi guette et tire à coup sûr.

Le capitaine Descadéca, le lieutenant De Pouydraquin sont grièvement blessés. L’adjudant Destribats est tué d’une balle en plein front, alors que, sous une fusillade nourrie, à moins de cent mètres de l’ennemi, il mettait ses mitrailleuses en batterie. Insensibles aux pertes et à la fatigue, nos chasseurs avancent toujours, se faufilant derrière les rochers, progressant en rampant dans les futaies.

Bref, la Tête-de-Faux est enlevée d’un seul élan. L’ennemi se retire dans ses tranchées de contre-pente où ses renforts accourus nous arrêtent. Toute la soirée, toute la nuit, les contre-attaques se succèdent et, au matin, dans un élan désespéré, l’ennemi sort de ses tranchées. Le moment est critique pour nous car nos chasseurs ont épuisé presque entièrement leurs munitions. Mais qui dit chasseurs dit tireur émérite.

Les 28ème et 30ème B.C.P. ont des Nemrods à profusion, tel ce chasseur Vincent, du 30ème B.C.P. qui fait mouche à chaque coup. On défait rapidement des bandes de mitrailleuses, on ramasse les cartouches des morts et le tour est joué. Le tapis de cadavres ennemis qu’éclairent les premières lueurs du jour montre de quel prix les Allemands ont payé l’abandon de cet observatoire auquel ils tenaient tant.

 

Les fantassins ont également fait de l’excellent « boulot ». Les deux compagnies (18ème et 19ème) que la 343ème R.I. a engagées dans le combat se sont vaillamment conduites. Quant au 215ème, qui est de la partie, voici comment il s’est comporté :

Cette unité attaque la Tête-de-Faux à l’est du Col du Bonhomme. Quatre détachements : le groupe du commandant Duchesne (qui attaque par le sud et le sud-est), le groupe du capitaine Argence (qui soutient la gauche de l’attaque en se portant sur la Verse et surle village du Bonhomme), le groupe du capitaine Boquel (qui attaque la croupe est de l’Immerling vers Mérelles), et le groupe du commandant Bareilles (qui attaque sur le front Remmoment-Creux-d’Argent-Le-Lait).

Les pertes subies par le 215ème sont tout de suite très élevées. Au soir de cette journée mémorable, le 215ème a pratiquement perdu la valeur de deux groupes. Avec les deux groupes qui lui restent, il reprend son offensive le 3 décembre. Sur la Tête-de-Faux, l’attaque s’arrête devant la tranchée en fer à cheval.

Au Col de Grimaude, qui se trouve au sud-est de la Tête-de-Faux, nous avons été moins heureux. Bien que certaines sections (lieutenant O’Byrne) aient réussi à entamer la position, nos soldtas reçoivent l’ordre de revenir à leur position de départ.

 

Mais la Tête-de-Faux n’est pas que l’histoire de quelques batailles ayant réussi, un jour de décembre, à se hisser jusqu’à 1.219 mètres et à chasser l’ennemi de ce sommet. La Tête-de-Faux est aussi la répétition – et en plus grand – de ce qui s’est passé pendant tout le mois de novembre à la Tête-de-Violu. C’est le bombardement continu, lesmines et « tuyaux de poêle », les rafales de mitrailleuses, la fusillade incessante et impitoyable, et puis le froid, la neige épaisse qui tombe en tourmentes aveuglantes, les pieds gelés, l’impossibilité de creuser des tranchées dans le roc et la terre glacée, l’impossibilité de poser des réseaux… C’est tout cela que nos chasseurs devront endurer pendant de longues semaines.

Paul Scribe.

Vers le chapitre 2

 

àLire le carnet de guerre d'un soldat de ce régiment

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àLire l'historique de ce régiment

 

 

 

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