HISTORIQUE

DU

25 e BATAILLON DE CHASSEURS A PIED

PENDANT LA GRANDE GUERRE

 

 

 

 

Retour accueil

Voir les photos du 25e BCP

 

SOMMAIRE :

1914-sept. 1915

EN CHAMPAGNE (sept-oct. 1915)

SECTEUR DE CHAMPAGNE (nov 1915 à juin 1916)

VERDUN (juin-juillet 1916)

REPOS (juillet-août 1916)

EN SECTEUR DE SOISSONS (août 1916)

(Suite vers page 3)

 

 

Merci à Jean Paul pour la longue recopie

 

 

EN CHAMPAGNE (sept-oct. 1915)

 

Dans la nuit du 24 au 25 septembre, le Bataillon se porte vers les petits bois de la côte 170, emplacement qui devait devenir plus tard, sous le nom de Bois des Cuisines, le domaine du lieutenant Laurent-Maillard et des T.C. C’est de là qu’il partira pour l’offensive, en suivant les coloniaux au plus près. On ne dormit guère cette nuit-là ; non que l’on fut énervé par l’attente d’un nouveau combat (la confiance était si grande, qu’on ne pensait guère qu’à une victoire complète, et non aux pertes probables), mais pour une raison bien plus prosaïque.

Le Bataillon occupait de modestes trous ayant déjà servi de garnisons à des troupes massées dans la région, et ces locaux peu confortables étaient garnis de ces petites bestioles, amies des peaux humaines, et qui ont joué un si grand rôle, non prévu par les règlements militaires, dans la vie du soldat en campagne. En plus, d’innombrables petites souris, frétillantes et mutines, pas sauvages du tout, donnèrent un assaut fructueux aux vivres de toutes sortes emportés dans les musettes pour les jours de combat.

Donc, nuit blanche ; une de plus, cela n’avait pas d’importance.

 

Le jour du 25 se lève. Hélas ! Changement de tableau ; au lieu du magnifique soleil et de l’atmosphère si claire qui régnait depuis plusieurs semaines, nous avions un ciel bas et gris ; la pluie tombait, et la bataille allait se livrer sans l’appui de l’aviation, et sans que l’artillerie puisse utilement se servir de ses observatoires. On partit cependant à l’heure dite, et, pour la première fois depuis près d’un an, le Bataillon dessinait ouvertement des formations d’approche.

C’était de nouveau la vie en pleine air ; avec joie on franchissait tranchées et boyaux devenus inutiles, et on marchait vivement dans le sillage des coloniaux qui, en avant de nous, se livraient à un furieux et victorieux combat contre les premières lignes allemandes.

On se croyait vraiment devenu à la guerre de mouvement, mais une mitrailleuse ennemie, qui tenait encore le bois Sabot, s’avisa de nous prendre sous son feu, tant et si bien qu’après avoir eu quelques blessés, dont le Commandant de la 1re compagnie, le lieutenant de La Faye de Guerre, nous dûmes emprunter encore pour une centaine de mètres les boyaux qui contournaient Souain.

Puis c’est de nouveau la marche en terrain découvert, à l’intérieur des lignes allemandes, la rencontre de leurs nombreux cadavres et aussi, hélas ! ceux de nos coloniaux ; le stationnement près des abris et P.C de l’ennemi ; la curiosité des découvertes : victuailles, eaux minérales, cigares beaucoup plus considérables que le laissaient supposer nos journaux, les mitrailleuses, armes, outils laissés sur le terrain, comme une marque de notre victoire.

Il y avait eu arrêt dans la marche, les coloniaux étant aux prises avec la deuxième allemande, près de la ferme Navarin ; et nous attendions avec impatience l’ordre de nous engager, assistant en spectateurs au mouvement du champ de bataille.

Partout des troupes d’infanterie affluant vers l’avant, des escadrons à cheval se préparant à franchir les brèches escomptées dans la deuxième ligne, les batteries d’artillerie exécutant au galop leurs changements de position, le tout dans un calme presque absolu, car l’artillerie ennemie avait cessé de réagir.

Cela ne devait pas durer ; une batterie de montagne vint fort imprudemment se mettre en position près de nous, sans prendre la moindre précaution, laissant les mulets sur les parties découvertes du terrain, ouvrant le feu comme sur une place d’exercice ; elle en fut sévèrement punie et prise à partie par une forte artillerie de 150, qui, en peu d’instants, démolit ou dispersa hommes, mulets et matériel.

Malheureusement nous reçûmes, surtout la 5e compagnie, de fortes éclaboussures ; nous retrouvions le triste spectacle de nos morts et de nos blessés, la belle bataille en terrain libre était terminée, nos rêves de la veille évanouis.

 

La triste réalité nous reprenait : une guerre longue, en remuant  beaucoup de terre.

 

L’après-midi se passa ainsi sans que nous ayons sensiblement progressé. Les coloniaux n’avaient pu enlever les lignes de Navarin, leur attaque était disloquée, corps sans âme, car leur pertes en officiers étaient lourdes, les trois généraux et trois colonels, sur quatre, étaient hors de combat.

C’était une cause sérieuse de ralentissement dans l’allure.

 

La nuit vint, nous trouvant toujours en plein air sous la pluie fine et tenace, tout décontenancés d’une fin de journée aussi différente de celle que nous avions escomptée.

Fort heureusement, l’ordre vint de nous porter près de la ferme Navarin pour une attaque de nuit ; l’action devenue proche réveillant toutes les ardeurs, nous nous rendons sur notre terrain d’attaque et, la formation prise, nous attendons le signal.

 

Mais rien ! Le jour du 26 allait poindre, il ne fallait pas qu’il nous surprenne en formation si serrée, sur un glacis uniforme ; vite les dispositions sont prises, les unités se détendent le plus possible, la terre est creusée hâtivement et, aux premiers obus qui marquent le lever du jour, nous constatons avec soulagement, que, bien collés au sol, derrière nos retranchements improvisés, nous ne risquons pas grand’ chose.

Aussi très peu de pertes, quelques blessés seulement, dont le camarade Dumonthier, un ancien du début, renommé pour sa gaieté et son ardeur, qui devait être glorieusement tué vers la fin de la campagne.

Nous étions comme oubliés lorsque, vers les 10 heures, l’ordre vint de nous porter plus à droite pour participer à l’attaque du massif boisé à l’est de Navarin, notre objectif étant les bois U4 et U5.

L’attaque par elle-même était assez difficile, mais la mise en place était surtout très délicate : en plein jour, il fallait glisser à droite toutes les unités, leur faire traverser une clairière battue par l’ennemi, puis s’installer sous bois pour prendre les dispositifs d’attaque. Grâce à l’excellente instruction donnée dans les compagnies pendant la grande période de repos, tous ces mouvements s’exécutèrent pour le mieux avec des pertes relativement légères, mais qui, par malheur, furent surtout subies par des gradés ou par des agents de liaison ou brancardiers isolés, qui, pour conduire leur troupe à travers la clairière, étaient trop détachés de leurs unités.

C’est ainsi que furent tué le lieutenant Labarsouque, commandant la 2e compagnie ; les gradés ou chasseurs : De Robien, Chauvillard, Sauvage, Engel, Calonne. Le capitaine Lombard, commandant la 3e compagnie, était blessé.

Le Bataillon s’était reparti dans les bois U19 et U21, continuellement battus par des feux de mitrailleuses et de canons de petit calibre, qui rendirent notre position pénible ; de jour, on ne pouvait pas sans beaucoup de risques circuler debout, et, même la nuit, la circulation ne fut pas des plus faciles.

 

Les 5e et 6e compagnies, placées pour l’attaque en lisière du bois, se lancèrent en avant et atteignirent sans difficultés les bois U4 et U5 ; mais arrivées là, elles furent dans une situation très critique, car ces bois, peu larges et peu touffus, étaient complètement battus par des mitrailleuses qui empêchèrent nos camarades de faire le moindre mouvement.

Il leur fallait accomplir des prodiges d’habilité pour creuser la terre et organiser la lisière du bois. Ceux qui avaient assisté au départ de l’attaque et étaient restés à U2, eurent même quelques craintes sur leur sort, puisque de loin il était impossible de les distinguer.

C’est alors que le fourrier Barbary reçut mission d’aller chercher des renseignements.

Il le fit avec une crânerie, un esprit d’a- propos et de décision, qui soulevèrent notre admiration.

Pendant toute sa marche, faite par bonds très rapides, il fut pris comme cible par une mitrailleuse ennemie, dont les balles faisaient sauter la terre autour de notre camarade. Mais Barbary calcula ses bonds de telle façon que le tireur ennemi fut toujours surpris et ne put ajuster son tir.

Pour revenir, Barbary fit le grand tour par d’autres bois ; il fut reçu chaleureusement, et nous rapporta nombre de renseignements intéressants.

La Médaille militaire fut la juste récompense de son sang froid et de sa vaillance.

 

La nuit se passa ainsi, et le lendemain 27 septembre les quatre compagnies du Bataillon non encore engagées, réunies à deux du 29 B.C.P., se portèrent encore plus à droite, pour aborder par un autre point la deuxième ligne ennemie.

Celle-ci était dissimulée sous bois, protégée par des fils de fer qui empêchaient de la définir exactement ; elle ne pouvait pas être battue  par notre artillerie.

L’attaque proprement dite ne fut pas déclenchée ; seules nos reconnaissances se portèrent en avant , subirent de grosses pertes, dont l’aspirant Goumy et le sergent Chassaire, un ancien du début, l’adjudant Serbbruyn, de la 6e compagnie, qui tombe mortellement frappé en entraînant sa section aux cris de : «  En avant quand même ! », mais nous rapportèrent des renseignements très précieux, à la suite desquels on fit évacuer au Bataillon ses positions trop avancées, y compris celles tenues par les 5e et 6e compagnies.

On attendit que notre artillerie fût en mesure de tirer utilement avant d’entreprendre de nouvelles attaques.

Disons de suite que ces attaques ne furent pas menées par le Bataillon et qu’elles échouèrent, tant ces bois étaient difficiles ; la deuxième ligne allemande restait aux ennemis, et devenait leur première ligne devant laquelle nous devions revenir passer notre hiver et une partie du printemps.

 

Le Bataillon fut donc reporté plus en arrière à un groupe de grands abris allemands appelés «  Sadowa. » dans lesquels on trouva encore de nombreuses victuailles, des cigares, etc… beaucoup de bestioles qui paraît-il, n’avaient pas les mêmes caractéristiques que le nôtres, quoique étant aussi désagréables.

 

Pour le Bataillon, l’offensive de Champagne était terminée, les pertes très lourdes pour le faible résultat obtenu s’élevaient en tués et blessés à : 10 officiers, parmi lesquels le sous-lieutenant Roy et Chauvillard tués ; Strubhard, blessé grièvement, décédera de ses blessures à l’ambulance, plus 380 gradés et chasseurs.

 

Le Bataillon toujours en réserve fut ramené dans le Bois des Cuisines ; c’est là qu’il reçut comme renfort des fantassins méridionaux, qui se transformèrent presque instantanément en vrais chasseurs.

Parmi eux était Rougier, d’une classe très ancienne, qui devint vite populaire, comme secrétaire du Bataillon, grâce à son excellent esprit de camaraderie. Parmi eux également, Saubolle, que nous trouverons plus tard sous-lieutenant, Jung également sous-lieutenant à la fin de 1918 ; Dabos, qui commandera un peloton de mitrailleuses comme sous-lieutenant.

 

Le 7 octobre, le bataillon va se refaire à l’arrière, d’abord dans un camp sur la Noblette, puis au camp de Melette, où nous rencontrons un régiment de tirailleurs marocains, dont la nouba nous procure quelques distractions.

Notre fanfare enfin nous fait oublier notre mauvaise installation dont les baraquements en planches mal jointes furent la cause de nombreuses évacuations.

L’esprit est triste, c’est la réaction de la belle confiance du 24 septembre.

D’ailleurs les lendemains de combat furent toujours sombres au Bataillon, à l’appel des camarades tombés au champ d’honneur ; mais ce fut à la gloire de nos officiers, de faire oublier à leurs chasseurs que la mort était la rançon du lendemain, et la gaieté reprenait vite la première place.

Et si le moral a toujours été maintenu à son plus haut degré d’élévation, c’est grâce à la camaraderie, à l’inaltérable confiance des chasseurs en leurs chefs en même temps qu’à l’affectueuse et paternelle discipline qui régnait dans les rangs du 25e.

 

C’est là que nous apprenons que la Médaille Militaire est accordée au sergent Prévost ( Louis ), de la 5e, au sergent-fourrier Barbary, de la 6e compagnie, et au sergent Ledent ( Maurice ), de la 2e compagnie, pour leur brillante conduite pendant les journées de septembre.

 

Le chasseur Beauguitte (Fernand), du peloton des mitrailleuses est cité à l’ordre de l’armée : « voyant son frère tomber à ses côtés, mortellement blessé, il continue froidement à servir sa pièce. »

Quel bel exemple de sang-froid héroïque malgré sa douleur de frère.

Au camp de Melette, l’instruction recommence pour amalgamer les nouveaux renforts ; à peine mise en train, elle cesse pour une nouvelle alerte : départ pour une randonnée dans la Montagne de Reims.

 

Le 19 octobre, le Bataillon est alerté et transporté en camions-autos à l’ouest de Mourmelon en réserve.

Nous apprenons en débarquant des voitures que les tranchées françaises, tenues par un régiment territorial d’infanterie, à la ferme Constantine, viennent d’être l’objet d’une forte attaque allemande, précédée d’une émission de gaz asphyxiants.

Nouvelle cruauté allemande !

Le voyage, partie en auto, partie à pied, n’offre rien de remarquable ; longs stationnements, reconnaissances de terrain, puis finalement installation de fortune dans les petits bois à l’est de Sept-Saulx. Le bataillon est provisoirement prêté au corps d’armée voisin.

 

Le temps passe péniblement, le jour, défense de sortir des bois, la nuit, défense de montrer la moindre lumière. Puis changement d’orientation.

Le Bataillon va au repos à Trépail, localité propre et vivante, en plein vignoble champenois, aussi tous les visages s’éclairent.

Ce repos bien gagné est mis à profit pour rétablir un état sanitaire de plus en plus mauvais ; ce fut rapidement obtenu grâce à un médicament énergique et salutaire, le vin blanc du pays, un des meilleurs de la zone champenoise ; en trois jours tout le monde était d’aplomb.

Le temps passe agréablement ; la matinée est consacrée à des exercices à proximité immédiate, les après-midi aux travaux d’entretien et aux promenades sur la colline voisine d’où on a une belle vue d’ensemble sur cette partie du front. Les nuits sont moins bonnes, car le cantonnement est très resserré ; les occupants habituels, largement installés n’aime pas à se gêner pour des passagers.

En fin, on se supporte, c’est mieux que les petits bois, et on n’est pas là pour longtemps.

 

En effet, le 27 octobre, nouveau départ et débarquement à l’est de Suippes, puis marche en colonne pour gagner la route de Suippes à Perthes où nous attendent des camps dénommés 3.5 et 4.5. La nuit est obscure, aucune indication sur la route, les camps qu’on se figure confortables sont invisibles, le Bataillon s’arrête, dort dans le fossé, attend le jour.

 

 

SECTEUR DE CHAMPAGNE (nov 1915 à juin 1916)

 

 

Hélas ! Les camps sont simplement en projet et indiqués par des bornes kilométriques. L’emplacement choisi a été occupé en septembre par des troupes d’attaque, qui s’étaient confectionné de modestes et légers abris dont il ne reste presque rien.

L’installation n’en est que plus vite réalisée, la répartition du terrain entre les unités est simple ; on se débrouille, et c’est là que pendant de longs mois le Bataillon viendra au repos.

Peu à peu, lentement, nous assisterons à la construction de baraques dont les corps occupants s’ingénièrent à orner les alentours ; nous aurons même plus tard un jardin, A-Py Square, où la fanfare donnera ses concerts ; l’ensemble prend bon aspect extérieurement, pouvant ainsi justifier les invraisemblables et attendrissantes descriptions de la vie au front par les journalistes de l’arrière.

En vérité le confort des intérieurs est bien mesquin : les treillages représentent les lits, on dort tout habillé, ayant toujours à se défendre non seulement contre les inoffensives petites souris, mais aussi contre les rats qui pullulent.

 

Le ravitaillement du Bataillon fonctionne toujours correctement, mais, tout au moins dans les débuts, il est difficile de procurer des suppléments, car les localités sont hors de notre secteur, et très surveillées par les gendarmes ; puis les camions de coopératives circulent et tout s’arrange.

A 7 kilomètres au nord, les tranchées. Comme les relèves se font la nuit, dans un terrain en partie bouleversé et parsemé de petits bois de sapins qui se ressemblent tous, il est difficile de se représenter les fatigues occasionnées et le temps nécessaire pour chercher et suivre un itinéraire essentiellement variable.

Entre ces deux terrain, un endroits sympathique, le Bois des Cuisines ou de la côte 170, où nos permissionnaires allaient joyeusement déposer leurs ballots, pour les reprendre quelques jours après, en même temps que les tuyaux de cuisiniers les mettaient au courant des faits et gestes du Bataillon pendant leur courte absence.

C’était le domaine du lieutenant Laurent, on y était très bien accueilli, et par lui, on avait la liaison avec le ravitaillement du lieutenant Rauch, à Suippes, autre source de tuyaux, souvent invraisemblables, et centre d’hébergement des isolés provenant de la gare.

Le secteur à tenir correspondait sensiblement au terrain sur lequel nous nous étions battus en fin de septembre.

 

Le P.C à S.40 puis à U.21 ; le poste de secours à Sadowa puis en arrière de U.21. Ce secteur était à peine amorcé, il fallut creuser tranchées, boyaux et abris, travail formidable par un temps déplorable qui cependant n’arriva jamais à supprimer l’entrain et la bonne humeur dont voici un exemple.

A la fin d’une relève, un chasseur dit à un de ses camarades : « Aujourd’hui le temps est vraiment agréable, la boue ne dépasse le 4e œillet de soulier. »

 

Dans son ensemble, ce secteur est assez agité, et les artilleurs ennemis effectuent fréquemment des bombardements, qui surtout au début, font de nombreuses victimes puisque les abris ne sont terminés.

C’est ainsi que le même jour furent tués deux médaillés militaires, très estimés de tous : le sergent Ledent et l’adjudant Ederlin, décoré de la veille. Mais le coin le plus mauvais était P.16, véritable nid à bombes de tous calibres ; les guetteurs munis de sifflets avaient fort à faire ; grâce à leur vigilance, leurs camarades purent se garer, et les pertes furent heureusement assez faibles.

Le caporal Mosin (Camille), de la 2e compagnie, est blessé le 14 novembre à la jambe et au bras droit, il ne pourra jamais plus se servir de ses deux membres blessés.

Le chasseur Doco (Jules), de la 3e compagnie, sera paralysé du côté gauche à la suite de l’éclatement d’une torpille.

Le clairon Bodet, de la 3e compagnie, perdra l’œil droit.

Le chasseur Bensse (Robert), de la 2e compagnie, recevra des blessures multiples, le jour même où Ledent et Ederlin étaient tués.

 

Les travaux marchèrent rapidement, le Bataillon bénéficiait de l’habilité des gens du Nord, fort nombreux à ce moment ; ces chasseurs intelligents et infatigables avaient le rare mérite de conserver un moral élevé alors qu’ils étaient sans nouvelles de leurs familles restées en pays envahis.

Donc la vie s’écoule toute de travail et de fatigues ; il n’y a pas lieu d’en raconter les détails, mais seulement les faits les plus saillants.

Comme il convient, de nombreuses patrouilles furent faites au cours de cette longue période, surveillant efficacement l’ennemi ; certaines protégèrent une mission très délicate, que s’étaient donnée les brancardiers dirigés par le docteur Caillet, qui consistait à relever les cadavres amis restés entre les lignes depuis l’offensive d’octobre 1915, travail pénible et dangereux  qui se continua pendant plusieurs nuits et fut mené à bien.

 

Le 4 février 1916 le général d’Anselme prend le commandement de la 127e D.I.

Le secteur fut souvent agité, surtout pendant le mois de février ; le 6 une relève faite de jour, probablement repérée par avion, fut soumise à un bombardement intense d’obus et de torpilles dirigés surtout sur D.28, S.40 et S.42 et Sadowa ; le Bataillon n’eut que quelques blessés, mais son voisin de droite subit de lourdes pertes ; nos pionniers se distinguèrent en coopérant au sauvetage dans les abris effondrés qui causèrent la mort du Capitaine Adjudant-Major de la Laurencie, du 29 B.C.P., du Médecin Chef de Service Galey du 29e, et d’un Capitaine du 172e R.I.

 

A partir du 10, le bombardement est général, dirigé principalement sur les P.C., le secteur de U.16, la ligne 1 bis et plus à gauche au delà des ruines de la ferme Navarin. Manifestement une attaque se préparait, notre artillerie répondait avec fracas, P.16 était souvent nivelé, mais les abris résistaient, les guetteurs et mitrailleurs se blottissaient à leurs entrées, si bien que, de loin, on continuait à entendre des coups de sifflets et même quelques rafales de mitrailleuses, ce qui donnait l’impression que tout le monde était sur ses gardes.

 

Le 25 et 26, le bombardement fut particulièrement dense ; la relève fut cependant effectuée le 27 au matin en profitant de l’accalmie qui durait en général toute la matinée.

A titre de précautions, les unités restèrent échelonnées en réserve, à la Chenille, au Cameroun, puis rejoignirent le camp où elles étaient alertées pendant le repas du soir.

En effet, l’attaque s’était déclenchée sur un front entendu, de P.16 à la grande route de Somme-Py ; elle avait entièrement réussi, enlevant toute notre première ligne et la plupart des  ouvrages de la ligne 1bis.

Dans la nuit, le Bataillon se porte à proximité de U.21 et déploya trois compagnies qui progressèrent sous la protection de notre artillerie, si bien qu’au petit jour, on put reprendre trois ouvrages et se relier avec les faibles éléments de troupes à notre gauche dont les pertes avaient été très élevées.

Cette contre-attaque ne nous coûta que des pertes légères ; l’ennemi très éprouvé nous abandonnant à son tour quelques blessés. Ainsi P 16 était pris ; il fallut reconstituer une première ligne, une ligne de soutien, des communications, et préparer une attaque en vue de reprendre tout le terrain perdu ; cette attaque plusieurs fois ajournée n’eût pas lieu car la grande bataille commençait à Verdun, retenant toutes disponibilités.

 

Le 23 mars, le 1re, 4e, 5e et 6e compagnies venaient relever un bataillon du 172 R.I.

A 7 heures, la relève était terminée, les unités s’installaient dans le secteur habituel, quand à 13h 30 un bombardement d’une intensité inouïe est déclenché par l’artillerie ennemie. Les minenwerfer battent uniquement l’ouvrage 8.

La fumée est tellement intense qu’elle empêche toute observation, et à 17 heures le Commandant fait déclencher le barrage. Puis tout ce calme. Mais les dégâts matériels sont importants, l’ouvrage 8 était entièrement à refaire ; d’autre part, nous avions subi quelques pertes, car ce déluge de fer n’avait pas été sans occasionner, malheureusement, quelque casse. Le sous-lieutenant Ruide était blessé, 10 chasseurs étaient tués parmi lesquels 2 sergents, enfin 1 sergent et 20 chasseurs étaient blessés.

La vie reprit, assez ingrate en raison des gros travaux urgents et de nouvelles craintes d’attaques ; les compagnies en réserve sur la ligne de C.7 ou en repos au camp 4.5 étaient souvent alertées. Puis tout ce calma, la température s’adoucit, les relèves devinrent moins pénibles, les tuyaux de relève recommencèrent à circuler.

En fait le changement n’est pas considérable.

Nous appuyons simplement notre gauche jusqu'à la grande route avec P.C à U.18. Nouveaux  travaux, car tout est à créer. Une fois de plus nos pionniers se distinguèrent par la qualité des abris-cavernes et leur rapidité d’exécution.

Entre temps, le 30 avril, le Bataillon recevait sa deuxième compagnie de mitrailleuses, une unité toute constituée provenant d’un régiment d’infanterie, belle troupe de Vendéens de classe très ancienne, calmes et disciplinés, parfaitement commandés par le capitaine Vezin. Elle fut très bien accueillie et la camaraderie unit rapidement les nouveaux aux anciens.

 

Dans la nuit du 16 au 17 mai, afin de rechercher l’identification des troupes ennemies en secteur devant nous, le lieutenant Battle part en compagnie du chasseur Boudrez de la 1re C.M. dans la tranchée allemande, à la conquête d’un prisonnier.

Sans bruit, il traverse notre réseau de fil de fer, puis le réseau ennemi. Boudrez le suit comme son ombre ; ils sautent dans la tranchée allemande. Le lieutenant tue deux guetteurs, en blesse un troisième, s’empare des pattes d’épaules de l’uniforme allemand pendant que Boudrez veille à droit et à gauche.

Mais les bruits de la lutte ont été perçus par la garnison ennemie. Le lieutenant Battle est blessé, Boudrez a garni ses poches de grenades, il dégage son officier, bombardant les nouveaux arrivants qui accourent.

Tout en continuant son barrage de grenades, il aide son officier à regagner nos lignes. Le renseignement recherché était acquis.

 

Le 8 juin, à Cheppy, le général Paulinier, commandant le 6e C.A, remettait la Médaille Militaire au chasseur Boudrez devant le front de la 1re C.M. qui rend les honneurs.

Le lieutenant Battle était fait Chevalier de la Légion d’Honneur.

Le beau temps continue et l’on se prend à regretter la pluie et son vent du sud, car on parle sérieusement d’une attaque allemande par émission de gaz. Des bruits suspects ont été entendus, les esprits sont inquiets, les yeux toujours dirigés vers les girouettes indiquant la direction du vent.

 

Finalement le 19 mai l’attaque se déclenche à 20 h 50 sur les troupes placées à notre gauche, ne faisant qu’effleurer une partie du Bataillon qui ne subit aucune perte.

L’attention était telle que les fusées vertes s’élevèrent dès l’émission des gaz, et quelques secondes après arrivaient les obus d’un barrage dense et bien ajusté.

Les gaz firent subirent à nos voisins, le 171e R.I, et 19 B.C.P, des pertes assez sensibles, et même loin vers les arrières, on enregistra des pertes causées par ces gaz nocifs.

Cependant l’infanterie allemande ne put profiter de son émission, et dut regagner ses tranchées de départ avec des lourdes pertes.

Néanmoins, cette attaque laissa chez nous tous une certaine nervosité, et au cours des nuits suivantes, nombreuses furent les alertes par fusées, clairons, klaksons, et autres instruments sonores.

 

Le 23 mai, la 6e compagnie en position à P.16. nous offrit même un superbe feu d’artifice.

Vers 9 heures du soir une fusée venait de s’élever en sifflant ; tout aussitôt, elle était suivie d’autres sifflements et bientôt dans la nuit des gerbes blanches, rouges, vertes retombaient vers le sol, illuminant la position. Ce fut un moment de stupeur bien vite réprimé.

Le capitaine De Forges, qui commandait la compagnie, nous expliquait par téléphone qu’en allumant la première fusée, une étincelle avait communiqué le feu aux autres, tenues à proximité. Le barrage qui s’était déjà déclenché fut arrêté téléphoniquement par le Commandant.

En réalité, il ne parait pas qu’il y ait eu réellement d’autres attaques par les gaz, mais tout au plus, ouverture par les allemands de quelques récipients insuffisamment vidés au cours de la nuit du 19 mai.

Encore de nombreux bombardements du 25 au 29 mai, sans pertes pour nous, puis les tuyaux de relève recommencent à circuler, et cette fois ils sont exacts.

 

Le 3 juin, le Bataillon est relevé par un bataillon du 66e R.I., et il se porte dans la nuit du 3 au 4 juin entre Suippes et Sommes-Suippes, près du Château de Nantivet où il embarque en camions autos.

Le Bataillon quitte ces terrains désolés dont la blancheur uniforme brûle les yeux au soleil d’été. Il va se reposer à Cheppy, petit village bordé par le canal de la Marne au Rhin, et tout égayé par une verdure que nous ne connaissions plus.

La vie s’organise, quelques exercices.

 

Le 11 juin le lieutenant Pinart organise, avec les éléments du Bataillon, une représentation théâtrale à laquelle participent les délégués pleins d’entrain du 237e régiment d’artillerie, notre régiment d’appui direct.

Le soir une grande retraite aux flambeaux parcourait les rues de Cheppy.

Puis chacun redevient sérieux, car notre destination future est connue : c’est Verdun, où la lutte est terrible.

Les jeunes de la classe 1916, que nous avons reçus  pendant notre séjour en secteur à Navarin, sont un peu émus ; mes anciens les réconfortent en leur racontant la bataille des Eparges, dont ils sont cependant revenus. Finalement la confiance revient, et c’est avec un calme parfait que l’embarquement a lieu le 17 juin.

 

Bien que pendant l’hiver 1915-1916, le Bataillon n’ait pas été réellement engagé il avait perdu pendant son séjour en première ligne :

1 officier tué : Toilliez promu sous-lieutenant le 3 mai et tué le 4 ; 8 sous-officiers, 82 caporaux et chasseurs tués ; 6 officiers, 21 sous-officiers et 253 caporaux et chasseurs blessés et évacués pour blessures.

 

 

VERDUN (juin-juillet 1916)

 

 

Le 17 juin à 12h.05, l’embarquement était terminé, et par l’itinéraire Couvrot, Outrepont, Heiltz-le-Maurupt, Revigny, Lisle-en-Barrois, le Bataillon débarquent à Vaubécourt, village meusien en partie détruit.

Du 18 au 23, repos. Fanfare. Une retraite aux flambeaux improvisée va jusque devant le P.C de la 127e D.I.

 

Le 24 juin, le Bataillon recevait l’ordre de se tenir prêt à être embarqué en auto à partir de midi. Nous traversons des pays que nous connaissons du début de la guerre : Fleury-sur-Aire, Saint-André, Heippes, Souilly ; ensuite la Voie Sacrée nous conduit au circuit de Nixéville, où a lieu certains carrefours.

A pied, par une nuit chaude, pénible, le Bataillon gagne le cantonnement d’Houdainville. Au cours de l’étape, un orage extrêmement violent éclate, auquel se mêlent des tirs d’artillerie ennemie sur certains carrefours.

Enfin, on arrive à Houdainville, où l’on s’installe plutôt mal que bien, soit dans le village, soit dans les péniches amarrées sur le canal, dans lesquelles il faut d’abord batailler avec les petites bestioles qui ont pris possession de la paille.

 

Le 25 juin, le Général commandant la 2e armée lance l’ordre du jour suivant aux troupes placées sous ces ordres.

 

« Aux soldats de l’armée de Verdun,

 

«  L’heure est décisive !

«  Se sentant traqués de toutes parts, les Allemands lancent sur notre front des attaques « furieuses et désespérées, dans l’espoir d’arriver aux portes de Verdun, avant d’être attaqués « eux-mêmes, par les forces réunies des armées alliées.

« Vous ne les laisserez pas passer, mes camarades !

« Le pays vous demande encore cet effort suprême ; l’armée de Verdun ne se laissera pas intimider par les obus et par cette infanterie allemande, dont elle brise les efforts depuis quatre mois ; elle saura conserver sa gloire intacte.

« Signé : Général NIVELLE. »

 

Cet ordre du jour nous touche à Houdainville, dans l’ambiance du champ de bataille ; les tirs d’artillerie amie et, quelquefois, les éclatements ennemis entretiennent un bruit infernal. Le village est traversé dans sa longueur par la grande route de ravitaillement de tout le secteur à l’est de la Meuse. C’est un va-et-vient continuel de convois de toutes sortes.

De nombreux blessés égarés circulent, et un système de canalisation est organisé à leur intention, qui les dirige vers les formations sanitaires.

Ils racontent au passage leurs souffrances, les difficultés de ravitaillement et surtout le manque d’eau. Néanmoins, les chasseurs restent calmes, sans appréhension, mais sachant fort bien que ce sera dur là-haut, et que les pertes seront sans doute sévères.

Les quelques jours qui nous sont accordés sont particulièrement mis à profit pour l’organisation de la montée en lignes, compte tenu des renseignements que nous avons recueillis ici.

 

Avant d’entrer dans le récit de notre séjour en première ligne, et pour fixer l’entrée du 25e B.C.P, dans la bataille de Verdun, peut-être n’est-il pas inutile d’en rappeler les différentes phases.

 

 Le 21 février à 7h 15 du matin, deux mille pièces de gros calibres ouvraient sur notre  front de la Meuse à la Woëvre un feu effrayant. Cette préparation, d’une intensité qui jamais encore n’avait été atteinte, avait précédée d’un prélude. Par une pensée bien allemande, un obus, un seul, était lancé sur Verdun endormi à 4 heures du matin.

 Cette préparation dura neuf heures. A 4 heures de l’après-midi, en trois vagues  successives, l’infanterie allemande s’avançait sur le terrain bouleversé, pilonné, où il ne  semblait pas qu’un être vivant pût encore se trouver. Elle se heurta à des éléments de tranchée échappées au déluge de fer, à de rares abris épargnés, à des mitrailleuses, et aux chasseurs de Driant ( 56e et 59e B.C.P ) qui lui firent beaucoup de mal et ralentirent son audace.

 A la fin du jour, malgré sa dépense de deux millions d’obus, l’ennemi n’avait pas  dépassé nos ouvrages de soutien et la lisière nord du Bois des Caures. Il avait engagé deux  corps et demi contre deux divisions, la 51e et la 72e.

 Le 22 au jour, l’écrasant bombardement recommence. Les Allemands réussissent à  se rendre maîtres du village de Hautmont et du Bois des Caures, où tombent Driant et la  plupart de ses chasseurs. Le 23, l’offensive ennemie continue avec les mêmes moyens,  aggravés par l’usage d’obus suffocants, de liquides enflammés, et de toutes les variétés  atroces d’engins destructeurs que la science allemande a créés à ce jour.

 Elle réalise de nouveaux progrès sans pouvoir, cependant, déboucher du Bois des  Caures. Elle tient nos premières positions. Mais les troupes à qui l’on avait persuadé que l’artillerie lui ouvrirait une route à parcourir au pas de parade, ont payé ces avantages  d’hécatombes imprévues.

 Le 24, l’Allemand veut en finir, Guillaume II vient d’arriver, et il exige la ville, pour faire une entrée théâtrale rêvée à Paris, rêvée à Nancy, et que la poitrine de nos soldats lui a  toujours interdite. Six nouveaux régiments d’élites sont jetés dans la fournaise.

De notre coté, la 37e division et la 304e brigade viennent relever nos éléments détruits, appuyer nos formations décimées par les trois premières journées d’une lutte infernale.

Nous devons, néanmoins, fléchir sous un feu d’artillerie qui a multiplié sa violence. Nous perdons Beaumont, Ornes, Samogneux, les bois des Fosses et de Caurières, les premières pentes conduisant à Douaumont. Notre situation est devenue grave !

 Le 4 mars, l’ennemi est maître des ruines du fort de Douaumont. Il ne pourra en  déboucher, et il aura payé ces pierres du prix de 100.000 hommes.

 Le 7 juin, le fort de Vaux succombait à son tour, malgré l’héroïsme résistance du  commandant Raynal, résistance qui valut aux débris de sa garnison l’admiration des  Allemands eux-mêmes.

 Entrés à Vaux, les Allemands ont encore à prendre Souville pour se rendre maîtres  de Verdun. Ils s’y disposent avec un tel acharnement que le général Pétain, craignant pour  ses canons, envisage un repli sur la rive gauche de la Meuse. Les généraux Joffre et De  Castelnau le rassurent, et prescrivent le maintien de nos positions.

 Le 22 juin, l’ennemi écrase le secteur de Souville sous plus de 100.000 obus  asphyxiants. Il lance à l’attaque dix-neuf régiments. Il s’empare de Thiaumont et de  Fleury, mais il n’arrive pas à Souville. Et le général Joffre renouvelle ses ordres, tenir sur la rive droite, jusqu'à ce que l’ennemi se lasse, et que ses forces soient nécessaires ailleurs.   Dans une semaine, le canon de la Somme appellera l’assaillant sur un autre front.

 D’ailleurs, persuadé que le meilleur de la défense est dans l’attaque, le général  Mangin a passé, le 25 juin, à l’offensive, et il a repris Thiaumont, le 27, il a repris Fleury.  Le 1re juillet, s’est déclenchée la bataille de la Somme.

 Néanmoins, le Kronprinz s’obstine. Il nous enlève, pour une seconde fois,  Thiaumont et Fleury, véritables poussières de ruines. Le 12 juillet, il lance sur le fort de  Souville une nouvelle attaque furieuse, et il essuie un nouvel échec (Officiel).

 

 

C’est cet échec que le 25 B.C.P.allait lui infliger ; ce sera sa gloire, un de ses plus beaux faits d’armes. Depuis le 28 juin, le Bataillon combattait dans la plus formidables bataille de tous les temps, tant par la quantité de matériel et de munitions qu’elle a consommés, que par le nombre de combattants qu’elle a engagés.

 

Le 27 juin, à 21 heures, le Commandant est appelé au téléphone ; à 21 h.30, le Bataillon part pour Belrupt, d’où commence la rude épreuve de la montée en ligne pour relever le 26 B.C.P. au bois Fumin.

Le bois Fumin, à la suite des dernières attaques allemandes, est devenu un profond saillant dans les lignes ennemies ; à droite, La Laufée, tenue par le 29 B.C.P. en liaison avec la batterie de Damloup ; à gauche, le ravin des Fontaines et, très en retrait, le bois de Vaux-Chapitre, en partie tenu par nos troupes.

La relève est une des plus pénibles que nous ayons effectuées jusqu’ici. Tout d’abord, notre longue colonne traverse nos positions d’artillerie, garnies de plusieurs lignes de pièces de tous calibres ; fracas épouvantable, réconfortant d’ailleurs, dont le bruit ne cesse pas de nous accompagner.

Ensuite, le boyau de l’Etang qui est par endroit rempli d’eau, et dans lequel il est facile de se perdre tant il y a des ramifications partant vers la droite et vers la gauche.

Les guides le connaissent mal et plusieurs s’égarent.

Enfin, nous arrivons au Cabaret Rouge à la sortie ouest du tunnel de Tavannes. Là, le bruit s’assourdit, mais par contre, bien plus émotionnant, commence celui des batteries ennemies, que nous ne cesserons plus d’entendre pendant six jours.

De la batterie de l’Hôpital au bois Fumin, environ trois kilomètres, il nous faudra deux heures pour les parcourir ; la compagnie de mitrailleuse ( C.M.2 ), qui a dû quitter ses voiturettes à Belrupt, ne suit que très difficilement. Elle devra, d’ailleurs, s’arrêter à la batterie de l’Hôpital, à 2 heures du matin, la relève ne pouvant se faire de jour.

Il n’y a plus de boyaux, les compagnies (3e ,4e et 2e) ont continué à suivre l’itinéraire, jalonné de cadavres étendus sur le sol comme une longue colonne endormie, qui indique le chemin de première ligne.

Les fusées éclairantes, qui s’élèvent sans arrêt, permettent seules de voir où l’on pose le pied, et cependant à chaque lueur on s’arrête, on se met à genoux ; la fusée retombe, on se remet en route; on fait de nouveau quelques mètres, quand les obus claquent dans la colonne par un, qui constitue la formation des compagnies.

Les blessés tombent, il faut les secourir, prendre le deuxième bidon de 2 litres que chacun porte en supplément et qui sera d’une utilité incontestable, prendre aussi les munitions qui sont plus nécessaires que partout ailleurs, et, cependant, il ne faut pas perdre la liaison avec le camarade qui est devant.

Enfin, il est 3 h.30 quand les compagnies occupent la première ligne.

Le Bataillon est en liaison à gauche avec le 7e R.I., à droite avec le 29 B.C.P

Pendant la relève, le Bataillon a eu 3 tués et 18 blessés.

En arrivant au bois Fumin, les unités ont la bonne fortune de trouver une tranchée de première ligne récemment creusée et constituant déjà un abri sérieux ; les chasseurs se promettent bien de l’arranger de leur mieux

La 1re compagnie reste en réserve à découvert sur les pentes sud, très près des premières lignes, mais non vue des observateurs ennemis.

La 5e et 6e et C.M.1 restent en deuxième ligne, dans la région de la batterie de l’Hôpital, sous le commandement du capitaine adjudant-major L’ Helgouach.

Contrairement à notre attente, nous avons passé la période la plus dangereuse.

En effet, le saillant que nous occupons entre si profondément dans leurs lignes, que les Allemands ne peuvent pas le bombarder. Par contre, des tirs fréquents et violents d’obus de gros calibres, forment une barrière infranchissable à hauteur d’un abri en béton où sont le P.C. du Commandant et le poste de secours, et dans le ravin au sud et près de la 1re compagnie.

Malgré ce déluge d’obus qui s’abat sur notre zone pendant six jours, les pertes sont relativement faibles ; les chasseurs font bonne garde, les patrouilles sont actives. Au cours de l’une d’elles est tué un des plus enragés patrouilleurs du Bataillon, le chasseur Rumeur, de la 2e compagnie.

Les communications avec l’arrière sont impossibles de jour, très difficiles la nuit.

Cela n’empêche pas nos patrouilleurs d’apporter chaque nuit en ligne l’indispensable : du pain et des liquides, aux prix d’un courage et d’une endurance, d’une conscience professionnelle qui ne seront jamais trop estimées. Mais que penser du chasseur Noble, de la popote de l’état-major du Bataillon, laissé à Houdainville, qui seul, dans la nuit du 29 juin, monte en ligne par le sinistre itinéraire où la mort vous guette à chaque pas, pour apporter au Commandant, en l’honneur de la saint Paul, un magnifique bouquet avec ruban tricolore. Comment ne pas être ému devant de pareils actes d’affection.

Hélas ! Noble a été tué plus tard au Chemin des Dames, et son souvenir est particulièrement, cher à ceux qui ont vécu avec lui.

L’aspect du terrain est on ne peut plus chaotique.

Le bois Fumin ne se révèle que par la présence de quelques troncs déchiquetés. Entre la première ligne et la ligne intermédiaire, s’étend un large espace de 1 kilomètre de profondeur, où il n’y a aucune troupe, et où aucune troupe ne peut se déplacer de jour. Les seules communications avec l’arrière sont les pigeons voyageurs et les coureurs qui mettent plus d’une heure pour arriver à la brigade.

La liaison du P.C. du Commandant aux compagnies en première ligne n’est pas plus aisée.

 

Outre que l’on est vu des tirailleurs ennemis, qui saluent de quelques coups de fusils l’agent de liaison qui s’avance, il n’y a la nuit que certains points de repères, pris le jour, pour vous mener à la tranchée de première ligne. Dès la sortie du P.C., les quelques mètres de boyau qui mènent à la première ligne cessent dès que le talus de terre, qui recouvre l’abri de béton, est franchi.

Le piétinement des coureurs a confectionné une sorte de piste, chemin de terre serpentant autour des trous  d’obus, qui devient invisible la nuit parce qu’il n’est pas assez tassé.

Cette piste est coupée en deux, à 100 mètres de la première ligne, par un corps allemand à demi recouvert de terre, sur lequel il faut obligatoirement passer pour avoir la certitude que l’on est dans le bon chemin. Point de repère macabre, c’est vrai, et pourtant sans lui, il est facile de porter les ordres chez…les Allemands !

 

Le 2 juillet, l’activité des deux artilleries est intense toute la journée.

A 14 h.15, un monoplan allemand et un Nieuport français se mitraillent au-dessus de nos lignes. Tous deux sont frappés à mort et tombent à quelques mètres de notre première ligne, le monoplan allemand à une dizaine de mètres de la tranchée de la 3e compagnie. Dès la tombée de la nuit, une patrouille de cette compagnie va retirer le corps de l’aviateur français qui est transporté à l’arrière, et le corps de l’aviateur allemand, lieutenant Neuhaus, est enterré près du P.C.

Au cours de la nuit, le caporal Giroux, 3e compagnie, va seul reconnaître la tranchée allemande vis-à-vis du boyau de l’Etang. Il enlève deux pattes d’épaule d’une tunique d’un allemand qui travaille dans la tranchée (pattes d’épaules du 43e R.I.)

Pendant le bombardement incessant de la journée, le sous-lieutenant Lecourtier est tué ; le caporal Durieux de la 1re compagnie, en patrouille vers Fleury, est grièvement blessé ; les chasseurs Marcoux (Louis), 2e compagnie, Dumont (Paul), 5e compagnie, Néel (Jules), de la 2e compagnie, sont si grièvement atteints que la Médaille militaire leur était remise sur leur lit d’hôpital.

 

Le 4 juillet, les troupes de relève arrivent, le 370e R.I. nous remplace ; en vitesse on repart, sauf une arrière-garde, composée du Commandant et d’un officier par compagnie, accompagnés chacun d’un chasseur dévoué, qui reste une journée de plus et qui partira en plein jour, de son plein gré, malgré les obus de 77 généreusement lancés de la crête d’Hardaumont.

Pendant ce séjour en ligne, le Bataillon avait perdu : 21 sous-officiers, caporaux et chasseurs tués, 76 blessés.

Les 5e, 6e et C.M.1, qui étaient restées à la batterie de l’Hôpital en réserve, relèvent, dans la nuit du 4 au 5 juillet, un bataillon du 172e R.I., dans le secteur de Damloup.

Cette relève s’effectue sans trop de pertes, malgré de violents tirs de barrage allemands.

 

Pendant la journée du 5 juillet, nos trois compagnies ne subissent aucune attaque, et n’en effectuent aucune.

Mais ce secteur de Damloup est très nerveux, les Allemands arrosent continuellement la première ligne, et c’est dans un véritable déluge de fer et de feu, que les chasseurs doivent se maintenir et conserver intact le terrain qui leur est confié.

Ils ne failliront pas à leur tâche.

Cette journée du 5 sera leur calvaire, car il ne faut pas faire un mouvement, sous peine de déclencher un violent bombardement ; chaque heure qui s’écoule voit de nombreux blessés à évacuer.

Aussi, le soir du 5 juillet, lorsque le capitaine L’Helgouach, qui commande ces unités, annonce la relève pour la nuit même du bataillon du 22 R.I. , on devine non sans peine avec quel enthousiasme muet cette bonne nouvelle est accueillie, et le 6 juillet au matin, tout le Bataillon cette fois est rassemblé à Haudainville où il se nettoie et se repose.

Les 5e, 6e compagnies et C.M.1 avaient perdu, en vingt-quatre heures, 12 tués et 50 blessés.

 

Les 7, 8 et 9 juillet, le Bataillon se repose, et il en a bien besoin, car chez tous la fatigue est réelle, et cependant on est étonné d’en être sorti  à si bon compte.

On a peine à croire que le Bataillon est prêt à s’embarquer pour l’arrière. Cependant, la division s’est embarqué aujourd’hui le 10 juillet, le 25e est le dernier à partir ; le 29e B.C.P. , qui cantonne près de nous, vient de quitter le cantonnement.

L’ordre de départ pour le Bataillon vient d’arriver, il n’y a plus qu’à mettre sac au dos. Un grondement sinistre nous parvient aux oreilles, tirs préparateurs d’attaque. Nous connaissons leur facture.

 

Le départ du Bataillon est subitement retardé de vint-quatre heures. Finalement, au lieu de partir vers l’arrière, le 11 juillet à 6 h. 30, le Bataillon est alerté.

Les chasseurs reçoivent de nouveau le bidon supplémentaire de 2 litres et 200 cartouches par homme.

Comme nous sommes loin du grand repos !

A 22 h. 30, le Commandant se rend près de Général commandant le secteur de Tavannes, alors que le capitaine  L’Helgouhach guide le Bataillon vers le P.C. Creil ( Cabaret Ferme )

Les Allemands ont attaqué sur le secteur Fleury-Souville ; le bruit court qu’ils auraient atteint le fort de Souville.

Le Bataillon est dirigé ensuite sur le tunnel de Tavannes, où il s’entasse dans une atmosphère de misère antihygiénique. Cette position de réserve pourrait donner lieu à une longue description pour dépeindre l’aspect de cette caserne souterraine.

La puanteur du lieu, la vermine qui trouvait là une pâture sans cesse renouvelée, en rendaient le séjour certainement pénible, alors que l’on ressentait une impression totale de sécurité, car, en effet, les obus ne parviendraient jamais à percer l’épaisse couche de terre qui recouvrait cette voûte. Et cependant, cet abri à toute épreuve devait être le lieu d’une catastrophe terrifiante.

Dans la nuit du 4 au 5 septembre 1916, un incendie se déclarait dans le tunnel de Tavannes.

Le sinistre prit en quelques instants une extension considérable. Tout le matériel accumulé entre la sortie ouest du tunnel et la cheminée centrale fut détruit.

Le colonel Florentin, commandant la 146e brigade d’infanterie, une dizaine d’officiers et plus de 700 hommes furent portés disparus.

 

Mais revenons au 11 juillet. Les 1re, 2e, 3e, 5e, 6e et la C.M.2 entrent dans le tunnel ; la 4e compagnie est détachée, en couverture du Bataillon, à la batterie de l’Hôpital. Les nouvelles des lignes sont mauvaises, l’attaque des Allemands continue. Le 12, le Bataillon va certainement intervenir pour rétablir la situation. C’est d’ailleurs l’impression du Commandant.

 

En effet, le 12 juillet à 8 heures, la Bataillon reçoit l’ordre de débloquer le fort de Souville, en partie entouré par l’ennemi qui jette toutes ses forces dans le dernier jour de ce rude combat.

Si Souville est pris, Verdun sera dominé et résistera difficilement.

Le Bataillon, sous un déluge de fer, va progresser en terrain découvert d’une façon magnifique. Quiconque a effectué cette montée vers le fort de Souville a encore présent à l’esprit l’héroïque ascension, et le mépris  avec lequel les obus étaient accueillis.

Là, il n’y a plus ni tranchées, ni boyaux ; le sol est nivelé, ou plutôt il est labouré d’une succession de trous d’une profondeur inaccoutumée. Dans le fond des ravins, les 210 arrivent avec une ponctualité remarquable. Les unités qui voudraient utiliser pareils cheminements seraient impitoyablement broyées.

Tous les chasseurs le comprennent ; sur le plateau, l’ennemi vous voit et vous arrose avec les 105 fusants. Ces difficultés ne sont ignorées de personnes, pas plus d’ailleurs que la mission importante qui nous est confiée.

En colonne par un, malgré les obus, petits et gros, le Bataillon sort du tunnel et gravit l’escalier de la sortie ouest, la 5e compagnie se déploie en avant-garde, la 4e, partie de la batterie de l’Hôpital, est en flanc-garde, les autres unités suivent en formation largement échelonnées, et dans le plus grand ordre.

Chaque chef, y compris les caporaux d’escouades font utiliser le terrain au maximum.

Ainsi l’instruction donnée pendant les périodes de repos trouve son application, et, malgré les bombardements ennemis, le combat s’engage à notre complet avantage, ne nous faisant éprouver que des pertes que nous qualifions de légères.

Et pourtant, que de souffrances ! Les obus tombent drus à droite à gauche, devant, derrière. Cela éclate, dans un bruit d’enfer. Il semble que la terre tremble toute, elle vole alentour, retombe en une sorte de pluie fine sur les casques. Les éclats sifflent, les culots bourdonnent dans l’air et s’aplatissent avec un plouf impressionnants. Mais cela tombe tellement, le bruit est d’une telle intensité, ce tonnerre d’explosion est à ce point intense que tous les yeux sont fixés sur un seul but…

LE FORT !

On marche, on progresse, on avance…

Le fort est atteint.

Les Allemands du 145e poméranien qui garnissaient les anciens fossés du fort sont pris, ou mis hors de combat.

Les 5e, 6e, et C.M.1 entrent dans le fort, la C.M. en garnit la superstructure de deux sections de mitrailleuses, elle y rencontre un petit détachement du 7e R.I. commandé par un capitaine.

A la 2e compagnie, le lieutenant Leloup, commandant la compagnie, et le lieutenant Braive, qui l’avait remplacé en tête de la compagnie, ont été successivement blessés ; les éléments de cette unité arrivent cependant au fort, où elle se reforme sous les ordres du lieutenant Authier.

Le Commandant arrive à son tour, il repartit immédiatement ses unités, l’abri de bombardement ne peut contenir tout le monde.

La 3e et la C.M.2 sont dirigés  sur la batterie est de Souville, ainsi que la 4e compagnie, qui s’installe.

La section Nalis dans la batterie face au nord-est, et la section Burnier face au nord.

Ce groupement de compagnies est placé sous les ordres du capitaine L’Helgouach.

Le lieutenant Burnier détache une patrouille qui a pour mission de fouiller les abris et les fossés qui sont au nord du fort. Cette patrouille, quelques minutes après son départ, prévient le lieutenant Burnier qu’un abri est encore occupé par des ennemis. Malgré une blessure, Burnier rejoint sa patrouille avec quatre hommes.

Le caporal Nayrolles, chef de patrouille, blesse d’un coup de feu un Allemand qui tente de sortir, les autres ennemis effrayés crient «  camarades » et se rendent. Ils sont au nombre de 18 et appartiennent au 140e R.I. Ils ont avec eux un blessés français du 14e R.I.

A 14 heures, la 3e compagnie, venant du fort se met à la disposition du lieutenant Charles, commandant la 4e compagnie, avec la mission de prolonger la 4e à gauche, et de rechercher la liaison sur sa gauche tout en nettoyant les abords immédiats du fort.

La situation est nettement embrouillée.

La première ligne paraît ne plus exister, la liaison n’est plus assurée entre les éléments des divers corps qui occupent la deuxième ligne ou ligne intermédiaire. Le Commandant continue à se couvrir comme s’il était isolé et envoie des patrouilles de reconnaissance et de liaison.

Peu à peu, les renseignements arrivent.

Deux officiers du 17 R.I. donnent quelques précisions. La situation devient plus rassurante.

L’ennemi a réussi à bousculer notre ligne au sud de Fleury et vers la Chapelle-Sainte-Fine, d’où il a atteint les fossés du fort de Souville, mais sans obtenir aucun succès vers Vaux-Chapitre et Fumin.

La 3e compagnie s’est déployée et prolonge à gauche la 4e. La section Donnot combat un groupe d’Allemand, en mettant une dizaine hors combat, et faisant six prisonniers. La section Deleuze rencontre un groupe plus faible et lui fait quatre prisonniers ; elle obtient la liaison avec les éléments du 14e R.I.

Enfin, à 19 heures, non seulement notre ligne tient, mais elle avance dans la direction de la Chapelle-Sainte-Fine, pour aider les unités d’aile des deux divisions occupant ce secteur et faire la liaison entre elles.

Le chasseur Cousaert, de la 4e compagnie, continue une patrouille à son compte jusqu’à la Chapelle et ramène deux sentinelles allemandes auxquelles il fait rapporter un blessé français trouvé à 300 mètres en avant de nos lignes.

Ceux qui pénètrent dans le fort furent saisis par un spectacle tragique. Rien que des hommes étendus, pas de bruit, pas de paroles ; en progressant dans les couloirs à peine éclairés, une odeur pénétrante, asphyxiante, vous oppresse et vous fait reculer de plusieurs pas. Un ventilateur est trouvé, que personne n’actionnait plus ; les chasseurs le font marcher, puis on interroge quelques hommes de la garnison ; la réponse est tragique ; presque tous les occupants sont morts asphyxiés par les gaz allemands, provenant surtout de l’éclatement des obus de très gros calibres, et filtrant à travers les interstices du béton. Peu de survivants, la plupart seront évacués le soir même finiront à l’hôpital.

Les communications avec l’arrière sont à peu près assurées. Les nouvelles parviennent, mais, tristesse, c’est surtout l’ambulance 19/6 de Dugny, qui demande des renseignements sur les grands blessés qui lui sont confiés et à qui, suprême consolation, la Médaille militaire sera remise avant la mort : Berthelot, 5e compagnie ; Nadal, 6e compagnie, Bruyère, 5e compagnie, Bourlet, 1re C.M. ; Dumontel, 3e compagnie, échapperont à la mort, le corps affreusement mutilé.

Puis la situation se calme brusquement, comme après chaque grand combat.

 

Les journées des 13 et 14 juillet se passent sans nouvelles attaques, les troupes en secteur mettent à profit ce répit pour se réorganiser et nous libérer.

 

Dans ce charnier de Verdun, nous laissions 20 tués et 96 blessés dans la défense du fort de Souville ; parmi les tués, le capitaine Lombard, tombé pendant la progression. Le lieutenant d’Harlingues, des pionniers, n’avait pas encore mis le pied sur la dernière marche de l’escalier du tunnel de Tavannes qu’un gros éclat de 105 le frappe en plein ventre. Transporté à Verdun, il y mourra en arrivant. Brave d’Harlingues, si gai, toujours souriant, toujours prêt à rendre service. Il y a de ces pertes cruelles, qui se font d’autant plus douloureusement sentir, qu’elles sont soudaines.

Les chasseurs de la 1re compagnie eux aussi perdaient ce jour-là un chef aimé et respecté, le lieutenant Allard, brave officier, calme, réservé, quel brave cœur !

 

Enfin, dans la nuit du 14 juillet au 15 juillet, en route pour Haudainville. Juste à ce moment les deux artilleries se mettent à tirer à tout allure, ce qui rend la descente extrêmement pénible. Partout des cadavres. Le faubourg Pavé est encombré par les débris d’un convoi de ravitaillement qui vient d’être marmité. On passe quand même. On dort ! Ce magnifique combat valut au Bataillon une nouvelle citation :

 

«  Le Général commandant le 6e C.A., cite à l’ordre du C.A. le 25e bataillon de « chasseurs.

« A avoir tenu plusieurs jours un secteur des plus pénibles, a été rappelé le 12 juillet « 1916 en première ligne, sous les ordres de commandant Cabotte, pour contenir une forte « attaque allemande qui menaçait l’un des forts les plus importants de la place. A exécuté en « plein jour, sous un barrage intense, avec un entrain superbe et une habilité parfaite, une « manœuvre des plus délicates, et a réussi à arrêter la progression de l’ennemi.

 

« Signé : Général Paulinier. »

 

 

Le 16 juillet, c’est le départ vers l’arrière. Chacun pousse un grand soupir de soulagement en quittant Verdun, cependant qu’un petit sentiment de fierté éclaire le regard des chasseurs pour leur brillante conduite et l’importance du résultat acquis.

A 15 heures, le Bataillon se rendait à Baleycourt pour embarquer en chemin de fer. Le 17 au matin, le débarquement avait lieu à Longeville, et le cantonnement définitif était Silmont.

D’après les renseignements officieux, le séjour doit se prolonger dans cette région.

Sitôt la répartition du cantonnement terminée, les chasseurs se répandent dans les environs, le long des ruisseaux, heureux de vivre, d’avoir échappé à l’enfer. Hélas ! à 18 heures, le clairon sonne, on repart.

Jamais rassemblement ne fut pénible, ne révéla autant de lassitude, mais les clairons et la fanfare font un bruit terrible, cette musique endiablée ne peut être que l’annonce d’une bonne nouvelle.

Tout le monde rejoint et, en effet, nous embarquons de nouveau à Nançois-Tronville.

 

 

REPOS (juillet-août 1916)

 

Le 18 juillet, grand est l’étonnement du Bataillon de débarquer dans la belle région de la Montagne de Reims. Muison, gare du front devant Reims, accueille le Bataillon.

Par la route, on gagne le village de Gueux. Les chasseurs vont jouir dans cette région d’un repos idéal, dans des cantonnements parfaits. Reçus par une population charmante, ils vont pouvoir se refaire moralement et physiquement. Les approvisionnements variés que nous pouvons trouver sur place permettent à tous de satisfaire un appétit qui avait été bien éprouvé  dans les fossés du fort de Souville. Et en peu de temps la vie est redevenue bien belle.

La S.H.R. et les 3e et 4e compagnies sont à Gueux, les 1reet 2e à Vrigny, les 5e et les 2 C.M. à Coulommes.

Au nord-est de Gueux, un petit monticule permet d’admirer le panorama sur Reims, dominée par sa cathédrale mutilée.

 

Le 23 juillet, le lieutenant Pinart organise une grande fête, à laquelle sont conviés les habitants de Gueux, Vrigny et Coulommes, ainsi que les troupes qui y cantonnent. Cavalcade, théâtre et retraite aux flambeaux sont au programme.

La Fanfare apporte son joyeux concours, Wiart et ses fanfaristes, Laurensot et ses clairons y mettent tant de gaieté et d’entrain, que depuis longtemps l’heure de regagner les cantonnements est passée. Il y aura des manquants à l’appel, mais le Commandant ne voudra pas connaître les noms des absents.

Les meilleures choses ont une fin.

 

Le 28 juillet, il faut partir. Le bataillon gagne le cantonnement de Magneux, près de Fismes. Région moins fortunée que celle que nous venons de quitter, mais où l’on profite néanmoins d’un repos agréable. La proximité d’un terrain d’aviation, permet aux chasseurs de se documenter sur la cinquième arme, le lieutenant Maigret, de l’escadrille du 6e C.A., ne ménage pas ses renseignements, et les aviateurs de l’escadrille de chasse de la 5e armée sont de joyeux lurons qui participent, le 5 août, à une grande retraite aux flambeaux, à cheval !

Suite du concert que le Bataillon leur a offert à 20 h.30.

Cependant, si toutes ces réjouissances avaient pour but de maintenir  toujours plus élevé le moral de la troupe (et ce sera la gloire des officiers du 25e, d’avoir su conserver, même au milieu des pires difficultés, cet esprit du devoir et du sacrifice qui ont animé, de 1914 à 1918, les chasseurs du Bataillon), ces mêmes chefs avaient également à cœur de maintenir, toujours vivant, le culte du souvenir.

 

Le 31 juillet, le commandant Cabotte demandait au caporal infirmier Colignon, aumônier du Bataillon, de bien vouloir organiser un service solennel pour les camarades tombés à Verdun.

L’abbé Colignon y mit toute son ardeur de prêtre et de camarade. Ce n’était pas d’ailleurs pas la première fois que notre ami élevait ses prières en faveur des braves du 25e. Rouvrois, Dieue, avaient été déjà témoins de services funèbres à la mémoire des officiers, sous-officiers et chasseurs tombés à Saint-Mihiel et aux Eparges.

D’autre fois, Colignon, revêtu de son uniforme de chasseur, récitait les dernières oraisons sur la tombe d’un camarade tué en première ligne. Et c’était sous les obus que notre aumônier rendait les derniers devoirs aux braves que l’on ne pouvait transporter à l’arrière.

Qu’il soit permis de rendre ici hommage à la piété, à la bonté et à la vaillance de notre camarade ; il a suffisamment pansé de blessures et consolé de douleurs pour avoir droit à notre reconnaissance d’homme et de combattant.

Le 7 août, la 253e brigade reçoit l’ordre de relever la 254e dans le secteur de Soissons.

 

 

EN SECTEUR DE SOISSONS (août 1916)

 

 

Le Bataillon part sous les ordres du capitaine Dumont, car le capitaine adjudant-major L’Helgouach vient d’être nommé chef de bataillon au 19 R.I.., juste récompense de la haute valeur militaire et de la vaillance dont il avait donné tant de preuves, en même temps qu’hommage rendu à tant de bonhomie souriante et de fermeté clairvoyante. Combien de fois évoquerons-nous son souvenir, jusqu’au jour malheureux, 27 mai 1918, où nous apprendrons sa mort au chemin des Dames.

 

Le 8 août, le 25e entre en secteur à Soissons, où il restera jusqu’au 25.

Sauf quelques maisons au bord de l’Aisne, la cathédrale et le faubourg Saint-Vaast, la ville à cette époque a relativement peu souffert. De nombreux habitants y sont encore, des magasins même sont ouverts. Rien à craindre de l’ennemi, la rivière, l’Aisne, nous sépare et un réseau de fil de fer en borde la rive.

Bien que l’ennemi nous domine entièrement des hauteurs de la rive nord et qu’ainsi il puisse se rendre compte de la circulation, les bombardements sont rares et peu nourris.

 

Cependant, le 24 août, l’artillerie ennemie se montre plus nerveuse. Le secteur du faubourg Saint-Vaast est surtout copieusement arrosé, et pourtant ce bombardement est considéré par un chasseur «  comme étant le calme complet à Verdun . »

En résumé période d’inactivité plutôt monotone.

 

Le 25 août, le Bataillon est relevé par un bataillon du 89e territorial, et va cantonner dans la région Arcis-le-Ponsart-Dravegny, à proximité d’un camp d’instruction improvisé où la division se prépare, par une série de manœuvres, à l’offensive  de la Somme.

 

Le 6 septembre le bataillon reçoit l’ordre du départ ; il est transporté en chemin de fer et débarque le 7 à Conty (Somme)

 

Suite vers page 3

 

 

 

 

--------o--o---O---o--o---------

 

 

Retour accueil                retour page précédente