Les Batailles de Lorraine : 2 victoires françaises
25 août - 13 septembre 1914
Ces épisodes de batailles sur les ailes font suite à la 1ère
bataille de Lorraine
Le premier acte seul
vient de finir. L'ennemi a essayé de percer notre centre. Nous avons brisé net
son élan: victoire d'arrêt que l'infériorité numérique et l'épuisement de nos
troupes, l'habileté de la défensive allemande nous ont empêché d'exploiter.
L'ennemi a échoué parce que, fonçant droit sur son objectif, dans tout
l'orgueil de la victoire de Morhange, il a tenu pour rien les forces françaises qu'il laissait sur ses
flancs.
Faute capitale qui
ne s'explique chez d'habiles généraux que par l'incompréhension de l'adversaire
et des ressources infinies de l'âme française. Même péché d'orgueil, aussitôt
saisi par nos chefs, aussitôt puni douze jours plus tard. Curieuse
préfiguration de la Marne.
Mais il est juste
de dire que l'ennemi a immédiatement compris son erreur. Il ne s'est pas
obstiné.
Dès le 27, sur tout le centre, il
adopte une attitude purement défensive : il sait maintenant, au prix d'une
coûteuse expérience, qu'il ne pourra passer qu'après avoir fait sauter ce que
nous avons appelé les deux chambranles de la porte les battants, alors,
s'ouvriront d'eux-mêmes, ou mieux, tomberont.
Après la bataille contre
le centre, la bataille d'ailes.
C'est la série des
combats autour de Nancy et de Saint-Dié, liés dans le temps, indépendants dans
l'espace.
Batailles de la
Haute-Meurthe et du Grand-Couronné, que les prélèvements effectués au début de
septembre sur les deux Armées rendent, de notre part, strictement défensives,
et pendant lesquelles chaque Armée doit combattre pour elle-même sans pouvoir
aider sa voisine.
La plus célèbre pour l'illustration de son
enjeu immédiat, Nancy, est celle du nord. Celle du sud, qui s'engage dès la fin
d'août, ne fut ni moins âpre, ni moins glorieuse, mais le caractère de la
région la rend plus confuse, et l'injuste renommée n'a pas également célébré
les noms obscurs de ses combats.
Le 20 août, tandis que le 21e Corps
était refoulé de Baccarat à Raon-L'Étape sur le col de la Chipotte-Anglemont,
le 14e Corps, établi sur la ligne Moyenmoutier
Senones Ban de Sapt Provenchères
subissait un assaut pareil.
Il se dérobait vers le sud-ouest et bordait
la rive gauche de la Meurthe, d'Estival à Saint-Dié. La 58e division de réserve
le prolongeait, à droite, sur la même rive, dans la région d'Anozel.
L'effort de
l'ennemi va s'exercer les jours suivants en direction du sud, de façon à couper
la droite de la 1e Armée des forces qui occupent les Vosges vers le col du Bonhomme.
L'adversaire marche, dans l'axe de la vallée de la Meurthe, sur Saint-Léonard,
en rejetant à droite et à gauche les forces françaises qui ont mission de
maintenir à tout prix la liaison ; il cherche à élargir le plus possible le
couloir où vont s'engager ses colonnes.
Le 27 août, Saint-Dié est occupé par l'ennemi. La 58e
division d'infanterie est refoulée sur Taintrux et perd le col d'Anozel. Le 14e
Corps, découvert sur sa droite, recule sur Nompatelize et la forêt de Mortagne.
En même temps, à l'est, l'ennemi franchit la Fave et progresse entre Laveline
et la Meurthe. La liaison entre la 1e Armée et le groupement des Vosges est
menacée, et l'important massif qui s'étend entre Rambervillers-Bruyères et le
cours de la Meurthe, débordé au sud, va tomber.
Le commandant de
la 1e Armée s'efforce de contenir de front l'attaque allemande en direction du
sud, et de la menacer sur son flanc droit en refoulant les colonnes ennemies
qui progressent sur Taintrux et Nompatelize. Le 14 e Corps d'Armée reprend
énergiquement l'offensive. Le 30e régiment d'infanterie s'empare de La Bourgonce et rejette l'ennemi sur Nompatelize. Nous
subissons des pertes élevées, mais la progression de l'ennemi est enrayée.
A droite, nous
nous maintenons au prix de durs combats aux lisières nord de la forêt de
Mortagne, à Rougiville, à Taintrux et au col d'Anozel. Les régiments
d'infanterie du 14e Corps, notamment le 22e, le 30e, le 52e et le 140e se couvrent de gloire en contre attaquant
sans arrêt l'ennemi. Un premier résultat est acquis : l'avance allemande à
l'ouest est arrêtée.
Mais le glissement
vers le sud continue. Toutes nos tentatives pour le refouler sont vaines. Du
moins, nos contre-attaques, répétées le 31 août et le 1e septembre sur Saulaie
et Entre-deux eaux, rendent l'avance ennemie lente et coûteuse.
Le 3 et le 4, nous nous accrochons à
la crête de Mandray et à la Tête-de-moineau; les menaces que l'ennemi dirige
sur nos flancs par la Meurthe et la vallée de la Croix aux mines ne peuvent
nous déloger.
Le 5 et le 6, un effort désespéré de l'ennemi nous
rejette de Saint-Léonard sur Souche.
Mais le 7, le 8
et le 9 septembre, nous
parvenons à rétablir la situation. Si nos pertes sont lourdes (800 tués en
moyenne par régiment), l'ennemi n'est pas moins épuisé.
Le 10, ses attaques s'arrêtent.
Le 11 , sur tout le front de la 1e Armée, il bat
en retraite.
La 1e Armée
s'attache à ses arrière-gardes et, le 13, elle atteint le Ban-de-Sapt,
Senones, Celle, Badonviller, Ancerville, Amène. Ce front va devenir celui de la
stabilisation définitive.
La tentative
d'enveloppement de l'aile droite des Armées de Lorraine a échoué.
Si la manœuvre de
retraite allemande, le 12 et le 13, a été volontaire, il n'en reste pas moins
que le Commandement ennemi n'a fait qu'arrêter les frais d'une affaire manquée.
La 1e Armée,
affaiblie au profit des Armées qui jouaient sur la Marne la partie décisive, a
rempli le rôle que lui avait donné le Général en chef : « Tenir »
Réduit à de
maigres réserves locales, grâce à l'héroïsme des troupes qui, encore épuisées
par les combats du mois d'août, soutinrent pendant dix jours des assauts sans
répit, le général Dubail a brisé, l'une après l'autre, toutes les attaques
allemandes.
Cette défensive
ingrate, ces sacrifices sanglants étaient indispensables dans l'économie
générale de l'immense bataille d'arrêt qui sauvait la France.
Rappel :
série de hauteurs d'une altitude moyenne de 400 mètres qui, de Loisy au nord,
sur la Moselle, à Dombasle, au sud sur la Meurthe, forment une demi-circonférence
qu'on a appelé le Grand-Couronné
La 2e
Armée avait consacré les
premiers jours de septembre à la réorganisation de son front. Le 15e Corps
avait disparu (rejoint la 3ème armée), laissant en Lorraine les 23e et 27e bataillons de chasseurs
alpins. Le 20e et le 16e Corps
s'étaient partagés son secteur : le premier, auquel était rattachée la 70e division
de réserve, s'étendait de Pulnoy à Mont-sur-Meurthe, le second de la Meurthe à
Gerbéviller. La tranquillité qui régnait sur le front paraissant suspecte,
ordre avait été donné d'organiser défensivement le front et de constituer une
solide ligne de repli. Devant Nancy, depuis le 2 1 août, le calme n'avait pas
été troublé.
Le 31 août, on avait encore remarqué des mouvements
d'infanterie vers Sornéville, puis plus rien...
Brusquement, le 4
septembre, vers 22 heures, l'Armée apprenait que la 68e division de réserve et
le 20 Corps d'Armée étaient attaqués :
La 70e division de réserve résistait en avant
de Réméréville, puis perdait le village. Le 20e Corps évacuait Maire et la cote
316.
Si
vous voulez une carte en plus grande résolution
Le 5 au matin, le Mont d'Amance était bombardé
avec de l'artillerie lourde, et, au nord, les observatoires signalaient des
colonnes ennemies marchant par les deux rives de la Moselle sur Pont-à-Mousson.
Vers 9 h30, deux bataillons du 212e régiment d'infanterie reprenaient le village de Champenoux ; la
70e division de réserve gardait les lisières-est de la forêt et Courbesseaux,
se reliant à la 39e
division d'infanterie, accrochée
à l'ouest de Drouville. En même temps, l'attaque s'étendait au 16e Corps
d'Armée qui perdait Rehainviller, la cote 271, le bois Saint-Mansuy et Gerbéviller.
Nos troupes étaient rejetées sur la rive gauche de la Mortagne, sauf devant Xermaménil.
La situation
devenait grave.
La 2e
Armée ne disposait comme
réserves que de quelques éléments des 64e et 73e divisions de réserve. Si
l'ennemi poussait l'attaque à fond, de Pont-à-Mousson à Gerbéviller, la
résistance deviendrait impossible.
Aussi, le général
de Castelnau demandait-il des instructions au Grand Quartier Général : Était-il
autorisé à évacuer Nancy et à se retirer sur la ligne de la forêt de Haye que
prolongeraient au sud les hauteurs déjà organisées de Saffais-Belchamps?
Mais, vers 14
heures, la situation toujours critique s'éclaircissait un peu. Si l'attaque à
l'est de Nancy continuait et si des forces importantes étaient signalées au
nord de la forêt de Facq et dans la forêt de Puvenelle, le 16e Corps réoccupait
le terrain perdu.
L'attaque au sud
n'avait été qu'une diversion.
Seul le
Grand-Couronné était assailli par le nord et par l'est. Le général de
Castelnau, avant même de recevoir du Grand Quartier Général pleine approbation
pour les mesures qu'il serait amené à prendre, décidait de se cramponner au
terrain. Il fallait tenir « jusqu'à la fin de la bataille générale »,
comme disait le Général en chef. Question de jours, question de volonté.
Pendant toute
la journée du 6, le
bombardement sur Sainte-Geneviève et sur Amance avait
été croissant. L'ennemi progressait sur Dieulouard. Le général de Castelnau,
incapable de défendre la rive gauche de la Moselle avec la seule brigade
disponible de la 73e division de réserve, donnait à celle-ci l'ordre de se
retirer sur la ligne Villers-Belleville. Puis il faisait sauter les ponts de
Dieulouard et de Marbache. Il était décidé de jouer le tout pour le tout, la
Moselle à dos.
La nuit du 6 au
7 allait être terrible. A la
tombée de la nuit, les colonnes allemandes débouchaient de la lisière-sud de la
forêt de Facq et montaient les pentes de Sainte-Geneviève: elles étaient
rejetées avec pertes dans le bois. A 22 heures, la nuit tombée, l'attaque reprenait
nouvel échec.
A 1 heure, l'ennemi atteignait le village où un
bataillon du 313e
régiment d'infanterie, renforcé
de deux compagnies du 325e, luttait pied à pied jusqu'à 3 heures. Mais,
vers 4 heures, les troupes qui occupaient Loisy, prises sous le bombardement
convergent de la rive gauche et de la rive droite, se repliaient.
La garnison de Sainte-Geneviève,
menacée d'être tournée, soumise au tir d'enfilade des batteries établies dans
la forêt de Puvenelle, reculait en arrière de Sainte-Geneviève et de Bezaumont.
A 6 heures, une
violente attaque se déclenchait devant Amance et la forêt de Champenoux. Malgré
la résistance des 206e
et 212e régiments d'infanterie,
nous perdions la forêt : le 344e régiment d'infanterie, menacé d'être tourné, se dégageait et se repliait sur Velaine. Le 20e
Corps devait se retirer sur les lisières de la forêt de Saint-Paul.
C'est à ce moment
critique que, devant l'impossibilité de résister sur place sous un bombardement
sans précédent, le commandant de la 2e
Armée décidait de répondre à l'attaque par l'attaque. Le 8 septembre, le 20e
Corps prenait l'offensive en direction de Réméréville et atteignait au soir les
lisières sud-est de la forêt. Du coup, l'ennemi arrêtait son attaque au nord et
évacuait Sainte-Geneviève.
Le 9, trois bataillons de marche actifs de Toul, deux du 168e, un du 169e, bousculant l'ennemi devant Velaine,
prenaient pied dans la forêt. Nous n'avions plus un bataillon en réserve, mais
l'ennemi faiblissait et ne réagissait plus que par des tirs d'artillerie.
C'est le 10 que commence le vain bombardement de Nancy.
Le 11, notre progression s'accentuait. Nous étions
maîtres de la forêt de Champenoux.
Le 12, l'ennemi se repliait sur tout le front de
l'Armée. En liaison, à droite, avec le 8e Corps, nos troupes se portaient en
avant : Lunéville était délivrée.
La seconde tentative de l'ennemi avait définitivement échoué.
Les Allemands avaient mis en ouvre une artillerie d'une
puissance jusqu'alors inconnue : 105,150, 210 mm : en huit heures, dans la nuit du 5 au 6, le piton d'Amance,
sur un kilomètre carré, avait reçu 3000 obus de gros calibres.
Avec des moyens
d'artillerie infiniment inférieurs, sans réserves, le général de Castelnau
avait su maintenir intactes les défenses avancées de Nancy.
Les
jours suivants, nos troupes, continuant leur marche en avant, atteignaient le
Xon, les lisières nord de la forêt de Facq, la Vieille, la Loutre-Noire,
Arracourt, les débouchés de la forêt de Parroy, Emberménil, Vého, sans éprouver
de résistance. Cette ligne devait rester celle de la stabilisation définitive.
Le front de Lorraine sera désormais passif jusqu'à l’armistice.
Un soldat raconte :
J'ai vu la
bataille dans le champ de tir de mes mitrailleuses : fenêtre ouverte sur le
réel, profonde mais étroite.
L'ensemble intelligible de la bataille leur échappait... Que me reste-t-il?
Des souvenirs d'une intensité physique: à aucun moment je n'ai compris et je
n'ai cherché à comprendre : ce n'est pas un des moindres sacrifices du
combattant.
Le 25 août, à
Méhoncourt, je me souviens d'un grouillement gris dans les bois de Clairlieu.
Mes pièces ont tiré pour la première fois : nous étions cachés dans les avoines
hautes ; nous avons tiré sans haine et sans remords, contents parce que c'était
notre premier tir et qu'il n'y avait pas d'enrayage, parce que des formes
grises restaient inertes et que les obus tombaient sur notre droite. Nous avons
traversé le champ de bataille jonché de morts, des nôtres et des leurs, sans
philosopher, et bivouaqué le soir au milieu des bois.
Je me souviens
d'une marche interminable qui s'acheva dans la nuit. Les bois sentaient la mort
on s'appelait
pour ne pas se perdre : au-dessus des arbres, par place, des incendies
rougissaient le ciel. Nous avons couché dans un village, parmi l'inexprimable
désordre du pillage et du combat on est reparti avant le jour : je n'ai jamais
su le nom de ce village...
On ne mangeait
plus guère. On jetait la viande parce qu'on n'avait pas le temps de la faire
cuire.
Je n'avais plus de sergent, plus de caporaux
;et quand, à une halte, au bord des routes, il faisait beau, quand on pouvait
se coucher
dans l'herbe et
manger des mirabelles, nous étions gais comme des enfants.
Le 29, je revois Gerbéviller, brûlant à
notre gauche, prolongeant le couchant. Nous étions accrochés à la rive droite
de la Mortagne ; derrière nous, les obus tombaient dans l'eau en soulevant de
grandes gerbes. Devant nous, l'inconnu redoutable des bois muets où le 30, au
petit jour, en plein brouillard, nous allions nous heurter aux mitrailleuses
brusquement déchaînées.
Puis d'autres
marches, d'autres fusillades, des nuits ou l'on errait à la recherche du
régiment perdu. Près de Xermaménil, tout un parc d'artillerie allemand, démoli
par nos canons, était resté dans un enchevêtrement énorme. Les attelages,
surpris dans leur fuite, gisaient sur la route, les chevaux éventrés et
gonflés.
Les fossés des
chemins étaient comblés de cadavres mis à la file et recouverts d'une couche de
terre si mince que la pluie l'enlevait par endroits. La défaite allemande était
dans ce désordre précipité, dans ces fosses hâtives, dans cette odeur immense
de putréfaction où nous vivions, insensibles.
Le plus beau
souvenir et le dernier, l'entrée à Lunéville. Le régiment était loin devant.
Nous avions perdu du temps à débâter les mulets pour
passer à gué la
Meurthe débordée. Je marchais seul en avant de ma section dans les rues de la
ville.
Aux murs, les
affiches allemandes toutes fraîches. Sur le seuil des portes, les habitants
encore sans joie, émus, et nous tendant des bols de café chaud, du chocolat, du
pain.
Humble et
précieuse offrande aux libérateurs.
Un grand
silence. Au loin, en avant, des sonneries de clairon, et les sabots des mulets
heurtant sèchement le pavé. Appareil grandiose et austère de la victoire. Il y
avait des temps indéfinis que nous avions quitté les villes, la paix et la vie
des vivants : mais, ce jour-là, nous sortions du royaume de la mort et nous
entrions, par cette ville étonnée, dans celui de la gloire.
Le soir, à
Chanteheux, pour que je couche dans un lit, mon hôte a enlevé les draps
qu'avait quittés, le matin, un officier allemand.
C'est ça, la victoire
Texte tiré de « La grande guerre vécue,
racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes Aristide Quillet, 1922 »
Michelin , guide des champs de bataille ;
Nancy et le Grand Couronné , 1919
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