Carnet de guerre d’Alfred René FAILLE

Sergent au 410e régiment d’infanterie

 

 

 

Mise à jour : mars 2020

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Description : Description : Description : Titre : Alfred René FAILLE - Description : Alfred René FAILLE, sergent au 410e régiment d’infanterie

 

Françoise nous dit en février 2020 :

« J'ai hérité du carnet de guerre de mon grand-oncle René FAILLE (frère de mon grand-père maternel Louis FAILLE), décédé dans la Meuse en juin 1916. C'est un petit carnet noir, écrit au crayon de papier, que j'ai recopié sous Word avant qu'il ne s'efface trop. Je serais vraiment ravie que vous puissiez publier ce carnet sur votre site.

Si mon grand-père Louis FAILLE a précieusement conservé ce petit carnet noir, ce n'est pas pour qu'il prenne la poussière au fond d'un vieux carton mais pour préserver la mémoire de son frère et je pense qu'il serait content de le retrouver là, au milieu des témoignages de tant d'autres poilus qui ont connu la même souffrance."

 

 

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Prélude

 

Alfred René FAILLE est né en 1895 à Witry-les-Reims (51).

5ème fils FAILLE sur une fratrie de 6 garçons, René est « l’intellectuel » de la famille : Diplômé de l’École Normale d’instituteurs de Châlons-sur-Marne (promotion 1911), et fraîchement nommé instituteur quand la guerre 14 éclate.

 

Merci à Françoise pour le carnet.

Merci à Philippe pour la relecture et correction des erreurs.

 

 

Description : Description : Description : Titre : École Normale de Châlons-sur-Marne

École Normale de Châlons-sur-Marne

 

Il intègre le 154e régiment d’infanterie pour faire son instruction militaire jusqu’en avril 1915.

Durant cette période, il demande à intégrer l’école militaire de St Maixent pour des cours d’élèves-aspirant. Est-ce une demande personnelle ? Ou l’armée, qui manquent cruellement d’officier subalternes (environ 15000 officiers tués aux combats depuis août 14), le désigne pour cette école, comme beaucoup d’instituteurs ?

 

Après avoir été incorporé successivement aux 154e puis 155e régiments d’infanterie, René FAILLE est passé au 410e le 26 mars 1916, et c’est là qu’il va commencer le carnet retranscrit ci-dessous. En a-t-il écrit d’autres auparavant qui évoqueraient sa formation militaire ?

On ne le saura probablement jamais. Celui-ci est le seul parvenu jusqu’à nous aujourd’hui.

 

 

Description : 154e régiment d’infanterie

 

154e régiment d’infanterie, classe 1915, 1ère section

 

 

Certains noms de villages ont été corrigés dans le texte. J’ai ajouté du texte en bleu pour la compréhension de certains termes et pour aller « plus loin » dans l’analyse du récit.

Didier, le Chtimiste.

 

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CARNET D’ALFRED RENÉ FAILLE – 1er séjour aux tranchées

 

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Page de garde du carnet

25 mars 1916 à 14 heures

Encore tout émerveillés par les riches coteaux du vignoble champenois si pittoresques par ce beau soleil du printemps qui commence, avec ces vignes étagées et ces bois qui en couronnent les hauteurs, ces villages si coquets qui s’étalent à leurs pieds, nous entrons maintenant dans la champagne pouilleuse.

Nous n’avons plus sous les yeux qu’un paysage froid, dépourvu de beauté. C’est la plaine. Au sol léger et crayeux, quelques maigres cultures, des bois, des sapins rabougris. Le train qui nous emporte de Bergère(-lès-Vertus)  longe la Marne. Nous ne la voyons pas, nous la devinons, toute proche.

Je saisis au passage, dans les quelques gares que nous traversons, des noms de villages qui ne me sont pas inconnus – Athis    Jâlons-les-Vignes.

Nous approchons de Chalons, et nous pourrons voir bientôt, à notre droite, comme dans un fossé, ses églises. Nous évitons la ville.

 

La station suivante me rappelle quelques souvenirs, vieux de quelques années - La Veuve - avec sa belle route toute droite qui évoque en moi un beau jour de Pâques et une belle promenade à bicyclette en compagnie de mon plus jeune frère et l’un de mes bons camarades. Comme tout cela me parait bien loin !

Et tandis que le train continue sa course, je me ressouviens d’autres beaux jours. Je refaisais la même route, aux mêmes époques de l’année, pendant ces trois années d’École Normale, au moment des vacances, et je ressens à nouveau cette joie profonde qui m’envahissait le cœur à mesure que je m’approchais de mon village. Pauvre Witry, pauvre pays si simple et si charmant pour moi aux beaux jours de la paix ! Et cette vie de famille où l’on se sentait si heureux de vivre côte à côte – Mon pauvre père, mes pauvres frères, depuis si longtemps que nous sommes séparés !

 

Saint-Hilaire, nous changeons de direction.

Le front se rapproche, des hôpitaux de fortune près de la voie, des bois de sapins rasés complètement, villages nègres, baraques enfoncées sous la terre, et à une hauteur appréciable les cerfs-volants, énormes saucisses (*) fouillant à l’horizon, bien loin, les lignes allemandes. Ils ont beau jeu, les observateurs, par ce temps splendide, calme et clair.

Nous atteignons enfin la gare de Suippes. Ce pays ne m’est pas totalement inconnu. J’y suis allé une fois, un peu avant la guerre, mais il est tellement changé que je n’y reconnais plus grand-chose. On se rassemble vivement.

Façon de parler : chacun regarde à droite, à gauche, s’intéresse à tout ce qu’il voit. Cette curiosité de la part de jeunes soldats est bien compréhensible. Quel contraste avec l’attitude de ces vieux poilus de tous âges que nous croisons de temps en temps, sur la route. Ils vous ont des regards de dessous leurs casques ! Ils n’ont pas l’air d’être faciles, pensais-je en moi-même en voyant ces mines dures et amaigries. Ils ont tant souffert depuis longtemps, ces visages énergiques quand même, bien qu’on y lise beaucoup de fatigues et de tourments. Leurs yeux se plantent droit sur les figures de cette belle compagnie de jeunes gens et semblent les interroger : « la classe 16 », et les saillies jaillissent, allusions à leur jeunesse, à leurs moustaches pas même naissantes pour la plupart.

 

Une petite halte avant de traverser Somme-Suippes, quelques coups d’épaule pour remonter les sacs, et nous arrivons au terme de notre voyage.

Le camp de Somme-Suippes (**) devient pour quelque temps notre demeure. Deux bataillons l’occupent. On lie connaissance avec les anciens. Beaucoup de ces jeunes ont de leur pays dans ce régiment. Le charme est vite rompu. On cause, on se demande des nouvelles d’autres camarades.

Pour ma part, je suis heureux de serrer la main d’un ancien de l’École Normale, RENAULT. Je commençais à désespérer vraiment à voir défiler ces figures inconnues et je me sentais bien seul et comme perdu parmi tous ces poilus. Quelle joie, en des circonstances semblables, de pouvoir causer avec quelqu’un que l’on a connu auparavant.

Je lui demande des nouvelles de certains camarades du 154 partis avec lui. Mais il n’en connait plus beaucoup du 154 qui sont encore au régiment. L’attaque de septembre a fait des vides. Il me cite un nom que j’ai plaisir à entendre, MATTON, un camarade avec qui j’ai fait mes 3 ans d’École Normale. Il est téléphoniste, et je compte le voir un de ces jours. Je lis.

 

On nous case enfin dans les baraques de planches pour la nuit. Ce gite ne nous dit rien qui vaille : on a vu depuis notre arrivée tellement de poilus se gratter avec une telle frénésie qu’on hésite à se coucher. Mais la paille est tentante, on est éreintés.

A la guerre comme à la guerre, on en verra d’autres, et je m’endors sous le coup de mes premières impressions, pas trop défavorables.

 

(*) : Les saucisses sont des ballons d’observations d’artillerie, en forme de saucisses.

(**) : Le camp se nomme « camp Adrian » (JMO)

26 mars 1916

Je me lève de bonne heure. J’ai peu dormi cette nuit. Il gelait ferme au dehors.

Quelques minutes de pas de gymnastique me remettent de mon engourdissement. Nous attendons d’être répartis dans les différentes compagnies. Rien de bien intéressant au cours de la journée.

Revue au général de division le matin. Il nous laisse une bonne impression à tous en nous causant paternellement.

 

La répartition est enfin faite l’après-midi. Je suis versé à la 1ère compagnie, celle de mon ami RENAULT. Quelle chance. Je lie connaissance avec un jeune sergent de ma classe dont la figure sympathique et ouverte me plait du premier abord.

Il commence à pleuvoir dehors, et nous prenons les tranchées demain. Il va falloir patauger dans les boyaux.

Le soir, petit concert pour les officiers et sous-officiers du régiment. Quelques chanteurs très applaudis nous divertissent quelques heures. Ils chantent admirablement, jouent le guignol à la perfection, et font trépigner les auditeurs, et c’est le cœur joyeux que nous nous couchons ce soir-là.

27 mars 1916

Nous sommes sur le départ et nous achevons nos préparatifs. Le sac bourré, les musettes gonflées de boites de conserve, chocolat, tabac, de linge, de bougies, et de combien d’autres choses indispensables.

Nous prenons le chemin des tranchées. Un regard d’adieu à nos baraques de planches, aux camarades qui viendront nous retrouver demain, et en route. Le chemin est long. 16 km et déjà je courbe l’échine sous le poids du fardeau qui m’accable.

Nous traversons Somme-Suippes et nous voilà maintenant sur la grande route. Encore deux ou trois côtes à grimper avant d’arriver au boyau qui nous conduira à notre poste de combat. Je suis en queue de ma section, sans rien dire. Des idées confuses faites de l’inconnu qui m’étreint traversent mon esprit, et j’essaie de me représenter ce que je vais voir dans quelques heures.

La nuit tombe bien vite.

 

Des lueurs à l’horizon se précisent, ce sont les bouches à feu qui s’allument avec fracas. Des trainées de feu sillonnent le ciel brumeux et les globes étincelants des fusées lumineuses retombent lentement sur le sol, éclairant la plaine au loin. Quelques coups de canon, à droite, à gauche, et puis le silence mystérieux. Des tranchées déjà de chaque côté de la route, des baraques sous terre, des camions et voitures pesamment chargés rendent notre marche plus pénible.

Nous avançons toujours …

 

Enfin une dernière pause, puis un arrêt. Nous y sommes.

Le boyau est tout prêt à gauche, et on s’y engage en file indienne. Il est large, deux hommes y passeraient de front, et les parapets, au-dessus de notre tête, limitent notre horizon. On n’a plus qu’à regarder devant soi. Par bonheur, les boyaux sont propres.

Dans ces tranchées crayeuses, l’eau ne reste pas. Le sol durci résonne sous nos pas. Nous avançons dans le plus complet silence. La marche devient plus vive, il ne faut pas perdre le contact, et ne pas se tromper de route.

Je suis toujours en queue de la section et je ne lâche pas d’une semelle mon compagnon qui me précède. La nuit est assez claire. J’ai de la chance pour mes débuts.

 

Au bout de 600 m environ, nous traversons d’immenses excavations. Mon compagnon m’explique à voix basse. Ce sont les entonnoirs des mines, point de départ de notre attaque en septembre. La terre est bouleversée. Le boyau traverse ces énormes trous et nous parcourons tout ce terrain gagné sur l’ennemi. Je suis déjà brisé de fatigue. Les courroies du sac et des musettes me coupent les épaules, mais ma volonté et mon courage ne sont pas abattus pour si peu.

La relève ! Vous représentez-vous ce que cela peut être, chargé comme nous le sommes, dans ce dédale inimaginable ?

Une quinzaine de mètres en droite ligne, puis un brusque lacet à gauche, un autre à droite, on repart droit devant soi. Nouveaux tournants, on se bute dans la craie, on donne de la tête contre le sac du camarade que l’on ne veut pas lâcher, jurons vite étouffés de celui-ci.

Puis tout à coup vous voilà seul dans le boyau, vous avez ralenti l’allure et quelques détours brusques vous ont séparé. Le retard est vite rattrapé. Novice. Je ne peux pas me figurer que le boyau file tout droit (façon de parler) et qu’il n’y a pas d’erreur possible, je ne me sens rassuré qu’avec un autre devant moi.

Est-ce qu’on arrive ? Encore deux heures de marche. Deux heures de marche ? Quel travail de géants !

 

Vraiment, les poilus qui ont dépensé leurs forces nuit et jour pour creuser ce sol bouleversé par les obus pendant l’attaque de septembre ont droit à notre reconnaissance. Quelle somme d’énergie, de travail et de souffrances ont-ils dû faire preuve !

Aussi la route me parait longue. Puis la file d’ombres devant moi s’immobilise, et brusquement, un coup de rein, le sac est bientôt à terre. J’ai compris immédiatement : la pause. Quelques minutes, affairé sur le sac, le fusil entre les jambes, le temps de bourrer une pipe ou de fumer une cigarette. On se dissimule pour craquer une allumette, les lueurs ne doivent pas nous trahir, et puis on repart.

Le boyau se rétrécit, coupé par d’autres voies transversales donnant accès aux tranchées. Des arrêts de temps en temps.

Là, contre la muraille de craie à gauche, des poilus, une pelle ou pioche à la main, s’effacent pour nous laisser passer. On s’interroge.

Quel régiment ? Quelle compagnie ?

 

Ceux-là sont des téléphonistes. Ils creusent une rigole, plantent de gros piquets de bois et des crampons de fer pour assujettir le double fil qui, courant le long des boyaux et tranchées, assure la liaison des différentes unités. Plus loin c’est un pont de madriers et l’on se courbe pour le franchir.

Là, le boyau descend. Un faux pas, une marche que l’on n’avait pas remarquée. Il remonte une cinquantaine de pas plus loin. On se baisse, car les parapets sont moins hauts.

Nouveau pont que l’on passe à quatre pattes, puis le fond du boyau devient glissant, de la boue dans cet endroit, et l’on entend ce craquement particulier que font les souliers se détachant de cette boue liquide. Un puisard un peu plus loin, une claie le recouvre, et le poids de nos corps fait jaillir l’eau entre les barreaux.

Nouvelle et dernière pause.

 

Une demi-heure de marche encore.

Les fusées éclairantes planent maintenant au-dessus de nous. Il en part de tous côtés, des françaises avec une longue traînée d’étincelles, et celles de l’ennemi qui s’allument tout d’un coup et retombent très vite. La nappe de lumière blafarde balaie la plaine, et sur le parapet de droite, comme sur un écran, se profilent les chevaux de frise et réseaux de fils de fer de toutes sortes. Les troncs d’arbre fauchés par la mitraille et nos ombres, sur ce mur de craie et de gravier, ont un aspect sinistre.

Ce spectacle serait féérique, si quelques rafales des canons ne nous rappelaient à la réalité. Dans un boyau à gauche une section s’engage, une autre à droite, nous autres nous continuons, quelques tournants encore, c’est la tranchée enfin.

Quelques gourbis sont creusés sous le parapet. En avant. Les hommes s’y tassent.

Le lieutenant qui est parti avant nous pour reconnaître son secteur conduit les gradés dans sa guitoune. On délibère rapidement, et voici ce que je crois entendre (car je dois avouer qu’à ce moment je n’ai pas la pensée très claire. C’est si nouveau pour moi tout cela, ces boyaux, ces tranchées, ces gourbis, et malgré moi mes yeux se portent alternativement sur le lieutenant qui parle, sur mes camarades qui écoutent avec beaucoup d’attention, sur les rondins et madriers qui étayent la chambre de repos.

Ah, cet énorme rat au-dessus de l’officier, avec ses petits yeux ronds, son gros corps velu et bien gras et sa fine et longue queue, Brrr !

Un frisson vite réprouvé.

 

Le lieutenant explique toujours et je résume ce que j’ai pu saisir :

Nous sommes section de droite de la compagnie placée en soutien dans l’ouvrage dit du Caméléon. L’escouade de droite fournira deux guetteurs pour assurer la liaison avec le régiment voisin et donner l’alerte en cas d’attaque. Les hommes se coucheront, et demain matin en cas de bombardement, rentrer immédiatement dans les abris. Nous sommes favorisés. Les Allemands n’ont pas bombardé nos prédécesseurs dans ce secteur.

On prend congé du chef de section. Un camarade sergent comme moi me conduit à son gourbi, c’est bien étroit pour deux, quelques planches à terre nous servent d’isolateurs. On se couche, le couvre-pied et la capote étalés sur soi. Au moins nous sommes à l’abri du froid, si nous ne pouvons rien contre les marmites. Je ne mets pas longtemps à m’endormir ce soir-là, fatigué comme je l’étais …

28 mars 1916

 

 

Je me réveille très tard, 10 heures passées, surpris d’avoir si bien dormi. Je n’ai fait qu’un somme.

Je soulève la toile de tente qui ferme l’entrée du gourbi, le soleil déjà chaud nous baigne de sa lumineuse clarté. Je regarde étonné autour de moi. C’est là notre demeure, ce petit caveau qui doit nous abriter 10 jours consécutifs. C’est bien étroit pour deux, et serré comme nous le sommes, mon compagnon et moi, on se tient plus chaud il est vrai ! C’est tout juste si nous pouvons nous étendre de notre longueur. Et c’est si bas, impossible de se tenir debout.

Dans le fond, nous avons placé nos sacs, comme oreillers. L’entrée est un peu plus haut, deux marches pour sortir de notre trou. Quatre gros madriers et quelques planches au-dessus soutiennent la voute. Une planchette dans chaque coin. J’y ai déposé mon tabac, ma pipe, ma gamelle et mon quart. Quelques clous où nous avons accroché nos musettes et bidons. Et nos fusils à l’entrée reposent sur la seconde marche.

Voilà toute notre installation. C’est plutôt sommaire. C’est déjà beaucoup pour nous.

L’entrée est recouverte par un gabion chargé de sacs à terre à gauche, un pare éclat à droite, un élément de tranchée. En face de nous, la muraille de craie et de graviers, et sur le parapet un tronc d’arbre, ce qui reste d’un sapin. Les obus ne l’ont pas épargné, et il porte maintes blessures, tailladé par les éclats, déchiqueté par les balles, les branches sectionnées, décapité, il se dresse toujours au-dessus de la tranchée, et de temps en temps un oiseau apeuré vient s’y percher.

 

Je me mets au courant de mon service.

Mon camarade me fournit les explications nécessaires et me donne des conseils. C’est un compatriote, un rémois qui habitait rue Vercingétorix avant la guerre. J’ai connu son frère au 155. Lui, il a fait toute la campagne, au 161 d’abord, puis au 410, un type énergique, cet Alfred PETIT.

La journée est employée à nettoyer la tranchée. Deux équipes travaillent à tour de rôle à creuser deux abris profonds. Ce sont des gars de métier, des mineurs, ces poilus du Nord. Ils savent manier le pic et la pelle.

Une corvée d’eau l’après-midi. Trois hommes sont restés aux cuisines et nous apportent la soupe, le rata et le vin le soir, le pain et le café le matin. La nuit, le travail continue. Une autre équipe approfondit un boyau. Quelques heures de repos entre les heures de travail, voilà notre existence.

 

29 mars 1916

Le même travail continue. Je me mets au courant.

Ce soir mon camarade PETIT part en corvée avec une dizaine d’hommes. Moi je reste à surveiller le travail d’approfondissement du boyau. J’ai 7 hommes pour 50 mètres. C’est beaucoup de travail pour si peu de sécurité.

La nuit est calme. Quelques combats de grenades en avant de nous, quelques marmites de temps en temps, des fusées à tout moment, des sifflements parfois au-dessus de nous. Les coups de fouet des balles explosives. Des ombres se redressent et s’aplatissent sur la plaine, ce sont d’autres travailleurs posant des fils de fer…

Je commence à m’habituer à tous ces bruits et ces mouvements étranges.

 

La nuit s’avance. Il est 3 heures du matin, le petit jour se lève, les hommes ont terminé leur tâche, on regagne nos gourbis.

30 mars 1916

Je suis assigné ce soir pour conduire une corvée de matériel.

Les hommes ont travaillé la plus grande partie de la journée, et ils accueillent cet ordre tardif en maugréant. Ce mot de corvée de matériel leur rappelle donc de mauvais souvenirs ?

Ils m’interrogent : combien de voyages et jusqu’à quelle heure ? Je suis ignorant de tout cela et leur répond évasivement. On mange la soupe. On se rassemble plus difficilement. L’un se plaint d’être fatigué, un autre aurait bien envie de dormir. Je crains d’être en retard et je les presse de mon mieux.

 

Enfin mes poilus sont prêts, un caporal en tête de la file, un autre en queue pour faire serrer. Celui de tête me montre le chemin, car il me serait difficile de me reconnaître dans ce fouillis de boyaux et de tranchées, et en route.

On rejoint le reste de la compagnie et cette longue théorie prend le chemin du dépôt de matériel. On refait une partie du trajet parcouru à la relève. Des fusées éclairantes à chaque instant, des sifflements de balles au-dessus de nos têtes, le tac-tac d’une mitrailleuse qui s’éveille par moments, et dominant tout cela le grondement des canons monstrueux qui font trembler le sol. L’atmosphère en est ébranlée, et les lourds obus, avec un bruit de ferraille, sifflent étrangement à nos oreilles.

 

Ma marche mal assurée me fait faire les mêmes faux pas dans ce couloir sombre. Je trébuche, au passage des puisards, dans des trous dissimulés que j’ignore encore. Je butte dans les parapets, en tournant des pare-éclats. Une crête à notre gauche, les derniers ponts à passer, et nous voilà arrivés dans cette dépression de terrain où sont accumulés les matériaux apportés par de lourdes voitures et les Decauville (*). Des tas de madriers, des bobines de fil de fer barbelé dans cet endroit, des planches de ciel, des gabions pliants dans cet autre, de lourdes plaques de tôle un peu plus loin, des claies et des fascines amoncelées là-bas, des sacs à terre par centaines, des pieux de sapins, et de lourds piquets de fer. J’en passe.

Avec tout cela, on aménagera les tranchées, les banquettes de tir et les boyaux, on posera les défenses accessoires, on creusera des abris, travail immense que l’on ne peut guère se représenter loin du front. Il nous faut transporter tout cela en première ligne.

Au premier voyage, tout se passe assez bien.

Au deuxième, les hommes sont déjà lassés. On ne les ménage guère, il faut le reconnaître. Ils se chargent à contre cœur, pestant contre « les embusqués de l’arrière » à qui ils reprochent la lourdeur de ces bobines de fil de fer et des matériaux. Mais c’est une fatigue nécessaire pour le bien de tous. Je les plains intérieurement : je n’ai garde de leur dire. Ils sont si vite découragés par les plaintes et les reproches d’un camarade moins courageux !

Certains portent leur charge avec plus d’aisance, ce sont des colosses, mais ces vieux affaiblis par de longs mois de front, par deux campagnes d’hiver, et ces tout jeunes de la classe 16, vous les voyez, haletants, courbés sous le poids de ces lourds piquets de fer.

 

J’ai voulu me rendre compte, et au troisième voyage, avec un camarade, une lourde fascine sur nos épaules, j’ai suivi la corvée. Je me souviendrai longtemps de cette marche pénible, arrêté à chaque instant par d’autres corvées que l’on croise, accablé par ce fardeau, la gorge desséchée, le corps en sueur.

Un quart d’heure après, j’étais à bout de force, la tête en feu, mes épaules douloureuses pliaient, et le plus fort n’était pas fait. Restaient à franchir les pare éclats de la première ligne. Là, j’ai pensé défaillir car je commençais à vaciller sur mes jambes moins vives. La fascine longue de près de 3 mètres ne pouvait passer dans ces lacets étroits, elle s’immobilisait dans les coins, et il nous fallait alors la soulever au-dessus des hauts parapets. Nous arrivions heureusement, cela me stimulait et, m’arcboutant contre la muraille de craie, grinçant des dents, les bras tendus, on passait quand même. La tête de la corvée revenait sur ses pas, et quel soupir de soulagement en déposant ma charge.

Je pris quelque repos. Ma tête tournait, j’avais soif, et j’éprouvais un plaisir intense à sucer les petits glaçons que la gelée avait collés sur les petits cailloux du parapet, et ce n’était pas fini ! Restait un quatrième voyage à faire.

Cela dura jusqu’à 4 heures du matin. Voilà comment nous passons nos nuits, nous autres.

 

En avant, les camarades veillent.

Derrière eux, ceux des secondes lignes travaillent sans relâche, tâche obscure et combien pénible. Je n’ai pas pu rentrer à mon gourbi ce matin-là. Aussitôt la corvée faite, bien que brisé de fatigue, j’éprouvais le besoin de me promener encore dans ces boyaux, où tant d’hommes épuisent leurs forces journellement.

Avec le jour qui s’est levé, le calme est entré dans mon esprit, en proie tout à l’heure à mille réflexions. Je suis heureux maintenant. Je ne saurais dire pourquoi j’éprouve cette joie en me couchant. La satisfaction intime d’avoir bien peiné ? Peut-être en est-ce la cause ….

 

(*) : Les « Decauville » sont des petit trains qui circulent sur des voies ferrées étroites de 60cm. Elles servent à amener le ravitaillement de toutes sortes. Voir une vidéo d’époque ici.

31 mars 1916

J’ai dormi comme un bienheureux toute la matinée, et tout à fait remis de la fatigue de la nuit dernière. J’ai mangé avec beaucoup d’appétit. Je n’ai rien à faire cet après-midi. C’est au tour du sergent de l’autre demi-section à surveiller le travail des hommes. Assis sur une marche, à l’entrée du gourbi, je savoure quelques bonnes pipes de tabac en rêvant.

La vie me parait radieuse par ce ciel si bleu, et ce beau et chaud soleil qui s’engouffre dans le gourbi. Il me semble éprouver les mêmes sensations que le convalescent qui renait après une longue maladie. Longues heures de flânerie délicieuse, qui me rappellent de si bons souvenirs de jeunesse. Promenades à travers bois en compagnie de bons et joyeux camarades aux premiers jours de printemps.

Je me grise de cet air si pur, mais il me faut rester dans mon trou. Je me retrouvai à peu près seul, ce soir-là, dans la tranchée, la corvée partie, le ciel était sans nuage, tout poudré d’étoiles. Pourquoi troubler le calme de cette nuit sereine par ces lueurs bivioles et ces fusées et leur cortège de paillettes de feu, ces grondements mystérieux, ces claquements sonores qui déchirent l’atmosphère et le bruissement plaintif des balles qui passent en sifflant ?…

1er avril 1916

Journée à peu près semblable à celle d’hier.

Il fait toujours très beau temps. Des avions survolent les positions, poursuivis par les obus des batteries spéciales. Je ne puis m’empêcher de suivre des yeux ces oiseaux immenses, mais qui me paraissent si petits, et si brillants dans le ciel bleu, sous les rayons du soleil, et ces gros flocons ouatés, éclatants de blancheur qui les encadrent, et ces petits obus incendiaires semblables à des globes de feu, qui se perdent dans leur trace, avec des raies lumineuses, bien visibles derrière eux.

Spectacle émouvant.

 

Nouvelle corvée de matériel ce soir, c’est moins pénible que la dernière fois. Deux voyages seulement et moins longs.

On remarque chez les Boches une certaine activité qui nous parait anormale. La relève sans doute. Les marmites tombent plus nombreuses, accompagnées de torpilles. Combats à coups de grenades, en avant de nous. Des tirailleries à de brusques intervalles.

2 avril 1916

Les obus se rapprochent de nos tranchées aujourd’hui. Les hommes qui travaillent à l’approfondissement du boyau ont dû commettre quelque imprudence.

Le jour, on ne prend jamais assez de précautions, il suffit de se découvrir un peu, de lever pics et pelles au-dessus du parapet, pour se faire repérer et se faire couvrir d’obus. Les gars ont vite fait de lâcher leurs outils et de réintégrer leurs gourbis. Inutile de s’exposer inutilement. Drôle de sensation qui vous étreint dans ces moments-là, lorsque vous sentez l’obus venir directement sur vous. Le coup du départ ne vous trompe pas, et aussitôt, vrou ! vrou ! Si vite que vous avez à peine le temps de vous ramasser au fond du boyau …. quelques secondes d’angoisse avant le déchirement brutal, et toute une nuée de vilaines grosses mouches qui sifflent à vos oreilles, et cette fumée âcre qui vous environne.

 

Le soir, vers 8 heures, nous quittons notre emplacement, une compagnie voisine, bombardée trop souvent, vient nous remplacer, et nous allons occuper les gourbis du lieu-dit la Savatte, près du colonel. Quelle différence avec mon petit caveau du Caméléon. Imaginez un escalier à une vingtaine de marches, creusé dans la craie, et si bas qu’on ne peut descendre qu’à reculons, le corps courbé en deux, aboutissant à une chambre spacieuse de plus de 10 mètres de long et suffisamment large pour pouvoir s’y étendre.

Dans cet abri moderne on s’y tient tout droit et l’on ne touche pas encore les lourds madriers qui soutiennent la voute. Mes yeux étonnés vont d’étonnements en étonnements. Deux chambres toutes semblables y sont contigües, avec chacune un même escalier. La section toute entière est ainsi rassemblée dans le même abri, à l’épreuve des marmites.

3 avril 1916

Mon deuxième jour dans ma nouvelle demeure. Il y fait horriblement sombre et froid. On est obligés d’y avoir des bougies constamment allumées pour y voir clair. Le peu de jour qui entre par l’entrée de l’escalier vient mourir au bas des dernières marches. C’est un véritable cachot, peuplé de rats et de souris, le repaire rêvé des bandits de grand chemin dont on parle dans les romans d’aventure.

Je ne suis sorti qu’une seule fois de mon antre pendant le jour, juste à temps pour me trouver sur le passage d’un grand blessé que des brancardiers ramènent des premières lignes. Il est couché de tout son long sur le brancard, sans vie, la tête enveloppée dans des bandeaux maculés de sang, les yeux fermés et le visage si pâle, avec les mâchoires serrées et l’écume qui mousse sur ses lèvres. Cette vue d’un mourant me cause une impression pénible.

Le temps s’assombrit et la pluie commence à tomber. La corvée ce soir va patauger dans les boyaux.

 

(*) : Le soldat qu’il a vu sur le brancard doit être Joseph François René André GUERAULT, seul tué ce jour. Voir sa fiche.

4 avril 1916

Journée monotone par ce mauvais temps. Il pleut toujours et je passe ma journée à écrire, sur une table de fortune, à la lueur d’une bougie, c’est déjà du luxe.

 

Le soir, 2 équipes de 6 hommes vont aider les hommes du génie pour déblayer les gourbis en construction. Ce qui reste de la section avec l’autre sergent approfondit un boyau. Je reste à peu près seul dans l’abri, avec comme compagnon un petit gars de la classe 16 déjà usé par le travail pénible aux tranchées.

5 avril 1916

A mon tour aujourd’hui d’assurer le service.

Nettoyage des boyaux le matin, corvée d’eau l’après-midi, et le soir, après une autre corvée de matériel, construction de deux pare-éclats dans un boyau pris d’enfilade. Très proche de l’ennemi. Tâche ardue, qui nous tient jusqu’au petit jour.

Nous sommes sur le passage des corvées de matériel, ce qui nous retarde beaucoup. On est obligés de creuser sur la plaine pour détourner le boyau derrière le pare-éclats. Fusées éclairantes à chaque instant, le Boche doit soupçonner notre travail car il nous envoie souvent quelques rafales de petits obus, qui ne nous causent pas de mal, heureusement. On a tout le temps pour se terrer. Les éclats qui sifflent à mes oreilles me font moins d’impression, je commence à m’y accoutumer.

 

Il est 5 heures quand nous réintégrons notre caverne. Dernier jour de mon premier séjour aux tranchées.

Ce soir, c’est la relève. Quelques heures de repos avant de boucler nos sacs, nous sommes une dizaine réunis dans un coin de l’abri. On cause et la conversation inévitablement retombe sur la guerre. On évoque des souvenirs de campagne, visions atroces et terrifiantes des batailles auxquelles ces soldats ont pris part. Je les écoute avec beaucoup d’intérêt.

 

Nous partons ce soir à 11 heures par une nuit très noire et sous une pluie battante. Pour la première fois les boyaux sont pleins d’eau, on enfonce dans cette boue liquide qui éclabousse sous nos pas.

Dans quelques heures nous serons à Somme-Suippes. Cette idée-là me trotte dans l’esprit à chaque instant. Cela me fait oublier par moments la fatigue. Sur la route, en descendant la côte, les poilus ont retrouvé leur gaieté. Ils commencent à chanter.

Avec l’aube naissante, nous atteignons le petit village. Quelques minutes de marche, et nous prenons possession de notre baraque.

 

Fin de la première partie du carnet

 

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CARNET D’ALFRED RENÉ FAILLE – 2ème séjour aux tranchées

17 avril 1916

Nous partons un peu plus tard ce soir pour faire la relève.

Il est 7 heures quand nous nous mettons en route par un temps maussade, point du tout engageant. De gros nuages noirs prêts à crever, très bas, assombrissent le ciel.

La grande route qui doit nous mener au boyau traverse Somme-Suippes, pour rayonner une dizaine de kilomètres plus loin vers ces villages désormais célèbres, Perthes, Mesnil-lès-Hurlus, Beauséjour.

Elle traverse un terrain accidenté, qui me devient plus familier. Plusieurs dépressions, suivies de côtes assez raides, couronnées de maigres bois de sapins. La dernière crête franchie, on aperçoit les fusées éclairantes jalonnant le front. Arrivés à cet endroit, la pluie brusquement s’est mise à tomber. Un fort vent de côté, qui s’est élevé en même temps, nous rabat cette averse qui nous fouette le visage. Pataugeant dans les flaques d’eau, la tête baissée, tout morfondus, notre marche s’est ralentie. Triste temps.

 

On avance machinalement, l’esprit vide, ne songeant guère qu’à la fatigue qui commence qui commence à se faire sentir par tout le corps, n’ayant d’autre désir que d’arriver le plus tôt possible à nos gourbis. La pluie a cessé brusquement quand nous entrons dans le boyau. Il est tellement tombé d’eau les jours précédents qu’une épaisse couche de boue s’est formée dans le fond, et à chaque pas il faut faire un effort pour se détacher.

Je suis accoutumé maintenant à cette marche serpentine entre deux hautes murailles de craie et de gravier, sur un sol glissant, à travers les flaques d’eau et de boue liquide et de mortier. Je traverse tout cela sans y penser, pataugeant de mon mieux comme les gosses dans les ruisseaux du village.

 

Le boyau que nous suivons est le même que nous avons pris il y a 20 jours, je le reconnais sans peine avec ses détours, les entonnoirs au bout d’une vingtaine de marches. En chemin j’y trouve quelque chose de plus qui m’avait échappé la première fois, des petites croix de bois, nombreuses, plantées sur le rebord du parapet. On a enterré pas mal de cadavres dans cet endroit en septembre dernier.

La pluie ravinant les parapets désagrège à la longue cette masse de calcaire, dégageant les extrémités des squelettes. Pour les soustraire à la vue, on les a recouverts d’un sac fin dans la craie, et une odeur de cadavre par bouffées vous monte à la tête, en passant près de ces bourrelets qui font saillie dans le boyau. Mon camarade de la 4° section qui me suit m’entretient quelque temps sur ce sujet macabre. C’est une conversation si lugubre, si triste, qu’il a le bon goût de ne pas trop la prolonger.

 

Nous rencontrons en route une forte équipe de territoriaux occupés à nettoyer le boyau. On plaisante, on blague en les croisant. Je connais à peu près les noms des lieux-dits que l’on traverse, le bois des Perdreaux d’abord, la Savate, le boyau Petit Jean. Nous voici maintenant au Caméléon.

Au détour d’un boyau, une section du 40° attend que nous soyons passés pour reprendre la route en sens inverse.

Je demande à tout hasard si Edmond GUERLET n’est pas là. C’est lui-même qui me répond. Il accourt vers moi, me serre la main et me fait un petit pas de conduite. Quoi de plus drôle que ces rencontres nocturnes au hasard des relèves ? On se quitte en se souhaitant mutuellement bonne chance.

Bonne chance ! C’est que nous sommes maintenant dans un sale coin ! La section détachée de la compagnie reste et occupe le centre de résistance – dit centre Payen – un îlot perpendiculaire aux premières lignes et très près d’elles. On ne se sent pas rassuré dans cet ouvrage. Des crapouillots sont tombés dans la tranchée même, crevant les sacs à terre des pare-éclats noircis de poudre. Cela doit arriver de tous les côtés, placés comme nous le sommes.

Je n’ai pas encore fait connaissance avec ces vilaines bêtes. Ce que je sais bien, c’est qu’elles inspirent une véritable peur aux plus braves.

 

Le lieutenant nous donne quelques explications et nous montre le plan de l’ouvrage. La face nord est tenue par une section de la 2° compagnie. Les faces sud et est sont protégées par des réseaux. Reste la face ouest à munir de défenses accessoires, et comme travail de terrassement nous avons les boyaux à approfondir, et les tranchées à réparer. Ce serait extraordinaire si le Boche nous laissait tranquille.

Un veilleur le jour, 2 la nuit au poste de guetteur. Trois gourbis seulement pour la section. Le plus grand avec 2 entrées abrite deux escouades. Nous sommes 3 sergents à la section.

Nous descendons dans ce gourbi, ce n’est pas très profond. Quelle différence avec ceux du Voussoir ! Ici, il faut rester courbé, rien n’est plus fatiguant que cette position incommode. Nous inspectons notre nouvelle caverne. Nous sommes séparés des hommes, tous trois dans la même pièce, quelques caisses au milieu, autour d’une petite table, on s’installe commodément, comme chez soi, et on se met en mesure de réparer ses forces. Nous avons emporté quelques provisions et quelques bidons de vin. On mange de fort bel appétit, heureux d’être enfin arrivés au terme de cette marche pénible.

Il est minuit passé quand nous nous couchons.

18 avril 1916

Dans la matinée, je parcours de nouveau notre secteur. Notre gourbi est creusé dans la face sud, celui du chef de section est tout près, et non loin de là une cinquantaine de pelles et de pioches dans un ancien abri abandonné

Une trentaine de mètres plus loin, un boyau réservé aux canons de 58 s’enfonce sur la gauche. Je m’y engage, curieux de voir cet engin qui cause tant de ravages. C’est un appareil tout simple, une sorte de culot posé sur une plaque, et pouvant se déplacer latéralement et en hauteur. Ce petit canon est encastré dans la tranchée, de longues torpilles reposent dans un grand trou en face, hideux engins de mort, d’apparence inoffensifs avec leur long corps, et leurs longues ailes. On ne peut s’empêcher de frissonner en regardant cela pour la première fois.

 

Plus loin, c’est la tranchée, avec sa banquette de tir, ses pare-éclats faits de gabions et de sacs à terre. Derrière un de ceux-ci a été aménagé un poste de guetteur, recouvert d’une forte tôle et de plusieurs couches de terre et de craie. Un lourd créneau d’acier percé d’une fente permet d’avoir constamment l’œil en avant. On aperçoit de là, très près, les premières lignes blanches et les réseaux barbelés …

D’après la disposition de cet ouvrage, il est facile de comprendre qu’en cas d’attaque, nous devons tenir à outrance, en recueillant les éléments chassés des premières lignes. C’est le Caméléon, mais en plus petit.

Après cette promenade sommaire, je reste toute la journée dans mon gourbi. Impossible aux hommes de travailler pendant le jour. On leur a bien recommandé de ne pas quitter les abris.

 

L’après-midi, les crapouillots commencent à tomber. Du fond du gourbi, on ne les entend pas siffler, mais les détonations nous arrivent avec un bruit infernal. L’air en est ébranlé et la flamme de la bougie vacille. Les couches de craie qui recouvrent le gourbi en tremblent. Cela dure plusieurs heures. On a quelques instants d’émotion par moment dans le fracas de ces détonations terrifiantes.

 

Le bombardement cesse vers 5 heures.

Il en est tombé un dans la face est, un autre dans la face ouest. La tranchée est à demi comblée et le soir, pendant qu’une équipe approfondit le boyau qui conduit au Caméléon, je fais déblayer cela par quelques hommes. Cela va bien quelques minutes, puis les crapouillots se remettent à tomber, très proches. Ce n’est pas le moment de s’exposer inutilement. On achèvera tout à l’heure.

Je surveille les travailleurs qui creusent le boyau. IL faut prendre des précautions, éviter le bruit, avoir l’oreille aux aguets et ne pas se laisser surprendre par ces engins monstrueux dont l’explosion vous arrache bras et jambes, vous blesse ou vous tue atrocement. Il vous arrive avec un sifflement lugubre comme un lourd oiseau de proie, semblant choisir sa victime, se balançant dans l’air, et tout d’un coup s’abattant brusquement. Il parait que le jour on peut les suivre dans leur trajectoire, et c’est cela je crois qui doit affoler le plus.

Ils ne nous font pas de mal heureusement ce soir, et ils se taisent finalement après quelques bonnes rafales de 75.

On peut achever notre travail en toute sécurité.

19 avril 1916

C’est assez calme aujourd’hui.

L’ami Fritz (le voisin d’en face) doit avoir besoin de se reposer après la petite séance d’hier. Je n’ai guère à relater qu’un combat à la grenade.

Ce sont des grenadiers de la 2° compagnie qui harcèlent soudain le boche, vers le milieu de l’après-midi. Une petite séance récréative, pour leur montrer qu’on est toujours là.

Les détonations très vives se succèdent pendant quelques minutes, quelques torpilles et quelques obus pour ramener le calme. Le guetteur de son créneau a suivi ce petit combat et il nous affirme avoir vu, à 200 ou 300 mètres, un grand gaillard de Boche se découvrant jusqu’à la ceinture pour mieux balancer ses grenades, s’aplatissant à chaque détonation, reparaissant aussitôt. S’il avait pu, de son créneau, modérer cette ardeur guerrière par une balle bien placée !

mais ce petit manège était si rapide qu’il en était lui-même déconcerté.

 

Nouveau travail de terrassement le soir, dans les boyaux. Le travail est un peu plus long que la nuit dernière et nous ne terminons que vers 2 heures du matin.

20 avril 1916

Le beau temps est revenu enfin, et je me sens tout autre, plus gai, heureux de vivre, en me levant. Matinée très calme, l’après-midi quelques crapouillots tombent aux environs.

 

Quelle drôle d’existence, tout de même, que nous passons là !

Cette réflexion me vient à l’esprit en songeant à tout ce que j’ai fait pendant cette journée. Nous n’avons pas grand travail dans ce secteur pendant le jour, à cause des bombardements. Alors nous restons dans nos cagnias.

Il est heureux que nous sommes plusieurs dans ces trous. Seul, on s’y ennuierait à la mort. On cause, on évoque des souvenirs, tout en fumant cigarettes sur cigarettes, on joue d’interminables parties de manille.

Au bout de quelques heures, j’en suis abruti, les yeux fatigués par la lumière de la bougie qui brille constamment au-dessus de la petite table, le cerveau vide, lâche, sans ressort.

Je me rabats sur la lecture, et quelle lecture, de vagues romans à quelques sous, tous semblables les uns aux autres, l’éternelle histoire d’amour mêlée d’extravagantes aventures, avec les mêmes acteurs, et tout cela conté dans un style banal, horripilant.

Il faut bien passer le temps, éviter l’ennui et le cafard qui vous guettent. Les correspondances viennent à propos pour nous changer les idées. C’est un rayon de soleil dans notre triste vie de sauvage, une consolation, un soutien dans nos moments d’énervement ou d’abattement. En lisant ces petites lettres d’un frère, d’un parent ou d’un ami, le poilu quitte par la pensée, et pour un moment, les gourbis, les tranchées et les boyaux pour se rapprocher de celui qui lui envoie de ses nouvelles, qui lui adresse quelques lignes d’espoir, d’encouragement. C’est pour lui quelques moments d’une vie faite de souvenirs qu’il prolonge à loisir en répondant à ces lettres …

 

Pour chacun de nous, l’heure de la distribution des correspondances est l’heure bénie entre toutes. Ces quelques moments d’oubli durent peu malheureusement, et lorsque nous avons fini d’écrire, nous nous retrouvons dans notre gourbi, revenu à la réalité.

Après de longues heures assis sur une caisse, sur un sac, ou sur le sol, les jambes pliées, dans cette position incommode, le haut du corps penché car le siège est si bas, vous vous sentez brisé de fatigue, les membres engourdis, les genoux douloureux. Il vous reste une ressource, c’est de vous coucher, car l’abri est si bas qu’il vous est impossible de rester debout.

C’est une chance si, à votre place, vous avez quelques planches qui vous serviront d’isolateurs … Vous vous enveloppez dans votre toile de tente toute crayeuse, et votre couverture, un vrai nid de poussière. En attendant la soupe, vous ne pouvez mieux faire que de dormir.

Ce soir, les hommes de corvée vous apporteront la portion (souhaitez que celui qui vous servira ait la main heureuse !), le rata que vous mangerez tiède et le jus que vous boirez froid, à moins que vous n’ayez eu la bonne fortune de vous procurer un réchaud, un peu de charbon ou d’alcool solidifié.

Je me fais ces réflexions ce soir, en consignant mes notes, alors que tous les hommes sont au travail … et que je suis seul dans le gourbi. D’habitude, les hommes de soupe nous apportent quelques journaux, c’est une distraction.

 

Ce soir, rien.

J’ai appris vaguement, l’après-midi, la chute de Trébizonde, j’aimerais avoir quelques détails.

Le dernier tuyau de la journée : nous devons être relevés dimanche pour un autre secteur, Verdun ou Reims. Vais-je croire ce rapport de cuisine, colporté par nos crédules hommes de soupe ?

Attendons les évènements. Une chose certaine, c’est que les permissions sont rétablies au régiment. Les hommes désignés pour partir demain sont ravis.

21 avril 1916

Aucun incident notable aujourd’hui.

Matinée à peu près calme. Les hommes ont travaillé la nuit précédente à approfondir de 40 cm la face est de l’ouvrage Payen. Des dégradations dans la tranchée se sont produites.

De ce fait, les coups de pioche ont dégagé les piquets qui retenaient les claies et les treillages bordant le côté opposé aux banquettes de tir. Sous l’énorme poussée de cette masse de terre qui n’est plus retenue, des éboulements se sont produits.

Par endroits, la tranchée est presque comblée, fouillis inextricable de craie, de sacs à terre, de piquets, de claies, de fascines.

 

L’après-midi nous réparons cela. Le soir nouveau travail d’approfondissement du boyau qui aboutit à la face sud. 4 m de longueur sur 1 m de large, voilà la tâche de chacun. Ceux qui commandent de tels travaux ne se représentent guère les difficultés qu’ils offrent. Le boyau a déjà plus de 2 m de haut, et les poilus n’ont plus les bras assez longs pour lancer la craie au-dessus du parapet.

Encore une nuit à la belle étoile. Les Boches heureusement ne nous taquinent pas dans notre travail.

22 avril 1916

Nous sommes réveillés brusquement.

Un obus vient d’éclater tout près, secouant notre abri, et une traînée de graviers et de craie dévale à l’entrée. D’autres détonations se succèdent. Ce doit être un canon-revolver qui s’acharne contre les parapets que nous avons rehaussés cette nuit. Je sors quelques instants après pour me rendre compte : à 10 mètres à peine du gourbi, sur le parapet, un petit cratère noir de poudre, pas très profond. L’obus n’a pas fait grand dégât, quelques pelletées de terre dans le fond du boyau.

 

Quelques heures plus tard, j’assiste à un spectacle tout nouveau pour moi : démolition d’un barrage boche à coup de torpilles. Pendant quelques minutes, je peux suivre des yeux avec beaucoup d’intérêt ces lourds engins qui montent très haut dans les airs, et leur chute rapide sur le point repéré, le nuage de fumée qui le couvre, et l’explosion terrifiante. Et les torpilles se croisent dans les airs. Quelques-unes, elles sont rares, tournoient, elles tombent sans éclater.

On leur sert une petite séance, ce matin, aux Boches. Je plains les malheureux qui se sont trouvés pris sous cette avalanche.

 

Nous quittons le centre Payen le soir à 6 heures.

Nous retournons au Caméléon, pour faire de la place à une section d’une compagnie en ligne. Les autres sections de notre compagnie nous font de la place. Les gourbis sont tous occupés. Les hommes s’entassent les uns sur les autres.

 

A la tombée de la nuit, je me trouve enfin un petit gourbi, très étroit. Nous sommes deux dans ce trou, mon camarade PETIT et moi. Nous ne pouvons pas même nous allonger. La nuit est employée par nous à agrandir et élargir ce nouveau gîte.

Quelques heures de travail pour être tranquilles pendant les quelques jours que nous devons encore passer dans cet endroit ! On pioche à tour de rôle, courbé en 2, on transporte la craie dans des sacs que l’on vide sur le parapet.

 

A minuit, nous avons terminé.

Au dehors, la section travaille à approfondir le boyau qui passe devant l’entrée du gourbi (boyau 27 qui conduit à la tranchée Bergnot).

La nuit est noire, il pleut. Dans ces conditions, le travail n’avance guère. Ils doivent le creuser de 1 mètre.

Quand nous les envoyons se coucher, Ils ont tout au plus enlevé 20 cm de craie.

23 avril 1916

Le lieutenant de la section n’est pas content ce matin du travail de la nuit. Il reconnait toutefois que les hommes ont travaillé dans des conditions détestables. On recommencera cela ce soir.

Quelques heures de lecture. J’ai enfin trouvé un livre littéraire, et j’ai plaisir à le parcourir.

 

C’est le jour de Pâques aujourd’hui. Pour célébrer cette belle fête, le temps semble se remettre au beau.

Le soleil apparaît enfin. Un retour sur le passé. Évocations d’autres beaux jours, doux et chers souvenirs qui repassent dans mon esprit en songeant aux années précédentes, à pareille époque …

 

J’ai eu quelques minutes d’émotion cet après-midi.

Avec le soleil, les avions se sont élevés. L’un d’eux, un biplace français, descend soudain. Il semble touché. Son hélice se ralentit. Nous le sentons perdu. Les canons font rage et les obus éclatent nombreux autour de lui. Les mitrailleuses s’allument de toutes parts. Les petits obus incendiaires poursuivent le grand oiseau. Blessé ? Non, c’est une feinte et le voici qui s’éloigne. Les Boches ne l’auront pas encore cette fois.

Il revient une seconde fois, comme pour les narguer, à la même hauteur. Ce geste téméraire nous fait frissonner. Il retourne maintenant, sa mission accomplie, et j’éprouve une certaine satisfaction à le voir s’éloigner. Le concert infernal des canons et mitrailleuses s’est tu subitement. Les Boches n’essaient jamais ces coups d’audace, ils ne nous survolent qu’à des hauteurs inaccessibles.

 

La section recommence le même travail qu’hier soir. Je m’endors au son des pioches frappant le sol, des craies qui dégringolent au-dessus du gourbi.

24 avril 1916

Je me réveille à 5 heures.

Mon camarade qui a surveillé le travail de la nuit dernière vient se coucher à cette heure. Il fait un temps magnifique, le temps rêvé pour un lundi de Pâques. Il me semble que je n’ai vu un soleil si gai, un ciel si bleu, si pur. Je me fais cette réflexion peut-être parce que je ne puis sortir de ces trous ? Il est vrai qu’on s’enfonce chaque jour davantage. Le boyau hier avait plus de 2 mètres de haut, aujourd’hui il a presque 3m50. C’est fantastique.

Il ne reste plus qu’à l’élargir un peu. Il est vraiment un peu étroit, surtout dans les pare-éclats. Ce sera notre travail de la nuit.

 

Nous n’entendrons plus les réclamations gémissantes des hommes de soupe, des brancardiers, des hommes de corvée, que leur fardeau embarrasse et qui ne passent cette partie du boyau 27 qu’avec difficulté. Nous placerons en plus deux caillebotis pour recouvrir les puisards que nous creuserons à 1 mètre de profondeur. Ce sera parfait.

Les poilus qui ont pesté au cours de ce travail se réjouiront peut-être d’être ainsi un peu plus à l’abri des marmites.

 

L’airoplane d’hier après-midi revient exécuter les mêmes acrobaties, à la même heure. Le concert recommence, avec ses variantes, rafales de fusants, sifflement des mitrailleuses. La pluie d’éclats qui s’échappent des petits nuages blancs et noirs retombe sur nos tranchées. C’est un bruissement continuel, cela fait songer à un essaim de vilaines mouches.

Les balles, dans leur course vers l’avion, ont un sifflement plaintif : une nuée de petits oiseaux que l’on pourchasse et qui s’enfuient à tire d’ailes avec de petits cris donneraient la même impression.

Un biplan français blessé est obligé d’atterrir (vers le Voussoir). Les 2 pilotes peuvent s’enfuir. Les canons boches s’acharnent dessus. Les gros nuages de fumée noire l’entourent, une marmite finalement l’achève. Nous avons suivi ce bombardement à la jumelle.

 

Le travail, ce soir, est mené bon train. Vers 1 heure, tout est fini.

25 avril 1916

Le temps se maintient au beau, le ciel est toujours aussi bleu, aussi pur, et le soleil aussi chaud. Assis sur la marche à l’entrée du gourbi, nous passons quelques heures de douce flânerie, Petit et moi. On fume quelques cigarettes, en lisant les journaux. Heureux moments, je me sens tout ragaillardi.

Il y a assez de mouvement dans ce boyau 27 qui passe devant notre cagnia. Il conduit aux premières lignes. C’est un va-et-vient continuel, du matin au soir, corvées de soupe, corvées d’eau, travailleurs se rendant au gourbi en construction, un madrier sur l’épaule.

Les airoplanes volent toujours nombreux. Peu de Boches, et si haut ! Le biplan qui volait si bas les jours précédents revient encore à la charge aujourd’hui, canonné de partout. Il s’en tire encore indemne.

La plupart des soldats de la compagnie sont sortis pour l’admirer. On le suit à la jumelle. Mais ils ont dû se montrer. Une telle imprudence se paie cher. Une rafale de percutants et de fusants s’abat très près. On ne se fait pas prier pour rentrer dans les gourbis.

Aucun travail ce soir.

26 avril 1916

Peu de choses à relater aujourd’hui. Très belle journée, il fait même très chaud. Les avions volent sans relâche.

Nous devons être relevés demain. Nous ne savons toujours pas si c’est pour le grand repos.

27 avril 1916

La relève est ajournée. Le 403 ne viendra plus nous remplacer dans ce secteur. Des officiers du 1e régiment de chasseurs ont parcouru nos tranchées et nos boyaux ce matin. C’est une indication. L’idée du grand repos se précise. Nous irions aux environs de Chalons.

Par ce beau temps, ce sera le rêve dans ces petits villages.

En attendant cette relève, nous menons une existence relativement douce. Les travaux qu’on nous avait assignés sont terminés, nos nuits sont à nous maintenant. Inutile d’ajouter que nous savons les employer, le jour il ne faut guère songer à se reposer car il commence à faire très chaud.

28 avril 1916

Les Boches vont-ils troubler notre tranquillité pour les quelques jours que nous avons encore à passer dans ce secteur ? Des obus ont éclaté tout près ce matin, et ce soir la même séance recommence, des percutants de moyen calibre et des fusants.

29 avril 1916

L’ami Fritz devient agaçant.

La sérénade a commencé tôt ce matin. Quelques percutants d’abord qui ont secoué notre gourbi et m’ont réveillé brusquement, des fusants ensuite et toute la matinée. Il fait bon rester dans les abris aujourd’hui. Ce sont de petits projectiles qu’ils nous lancent à courte distance. Ce tir de plein fouet a l’avantage de surprendre.

A peine entend-on le coup de départ que l’éclatement se produit : un déchirement sec, brutal, une gerbe de Schrappnel balayant les parapets, un bruissement singulier : la fusée qui file en sifflant. Ces brusques rafales nous tiennent en haleine toute la matinée.

 

Vers 2 heures, les hommes qui reviennent de la corvée d’eau nous recommandent de rester dans les gourbis. Ils ont appris qu’on allait exécuter un tir de concentration d’une durée de 4 heures sur la butte de Tahure. Il pourrait y avoir de la casse pour nous.

Un bombardement de 4 heures ! Je plains les Boches qui vont se trouver sous cette avalanche !

 

A 3 heures, quelques obus tombent sur le Caméléon. La canonnade annoncée ne se déclenche pas sur la célèbre butte. Par contre, les marmites s’écrasent plus nombreuses dans le secteur de la compagnie. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela devient sérieux. Une vingtaine de projectiles en quelques minutes. L’air en est ébranlé. Mon gourbi est comme secoué par ces commotions violentes et répétées. Je suis seul dans l’abri et pas rassuré du tout. Je me suis blotti à l’entrée, courbé en deux, les nerfs contractés, les traits crispés à chaque sifflement que je sens dans ma direction. Les détonations assourdissantes claquent à mes oreilles, impression douloureuse, il me semble que ma tête va éclater.

 

Dix minutes, un quart d’heure se passent, les obus tombent sans arrêt, derrière le parapet en face, à quelques mètres à droite, à gauche, en arrière. Le gravât et la craie dévalent dans le boyau, le souffle des explosions me frappe violemment au visage. Les quarts, les gamelles, les serviettes accrochés aux clous dégringolent dans le fond du gourbi.

A chaque instant des averses de craie et de graviers s’engouffrent dans l’abri. Je crains d’être englouti. Les lourds nuages de fumée noire courent au-dessus de la tranchée, assombrissant le ciel. Je suis environné de poussière et de fumée. L’âcre odeur me pique à la gorge. Et toujours ces sifflements lugubres qui se succèdent sans discontinuer. C’est une danse effrénée, une course folle, effrayante de bolides monstrueux trouant l’espace enfiévré avec un bruit de ferraille qui s’enfle et se rapproche, et d’un coup s’abattant brusquement tout autour de mon pauvre gourbi comme un jet de vapeur qui s’échappe en fusant.

Et dominant tout cela, c’est un concert effarant de détonations terrifiantes et brutales qu’accompagnent les bruissements multiples et variés des éclats qui se dispersent dans cette atmosphère chaude avec une incroyable vitesse. Sous cette avalanche de fer et de feu, je passe des moments angoissants, pénibles. Je devine à leurs sifflements les obus qui me sont destinés, et pendant leur course implacable, ce sont quelques secondes atroces d’attente et de menace. Ramassé sur moi-même, baissant la tête instinctivement, énervé, anxieux, je sens comme de grands chocs dans ma poitrine oppressée, et mes tempes, sous l’afflux du sang, battent très fort dans ma tête en feu.

Sensation étrange et pénible qui m’étreint en pensant à la catastrophe prochaine, au déchirement violent effondrant le gourbi.

Et une vision tragique et rapide passe dans mon esprit : celle de mon corps mutilé par d’atroces blessures, enseveli sous les décombres. Courts instants d’une vue suraigüe, et ce sont les explosions assourdissantes par rafales, le déplacement d’air qui me secoue violemment, un bourdonnement prolongé qui siffle dans mes oreilles meurtries, un nuage de fumée, un tourbillon de poussière qui m’aveugle et me dessèche la gorge….

 

Cela dure depuis plus d’une heure, et à chaque instant je repasse par les mêmes émotions. Une courte trêve à 4h 1/2 et le déluge reprend. Mon compagnon est revenu près de moi, mais le lieutenant l’ayant appelé, je me retrouve seul.

Cette visite m’a fait du bien, et sans savoir pourquoi, je me sens plus rassuré. Je fais effort sur moi-même, j’essaye de dominer mes nerfs, je me courbe de moins en moins à chaque explosion. Question d’accoutumance, sans doute ! Et de sentir son impuissance devant l’inévitable, on s’en remet à la destinée et à sa bonne étoile.

 

Six heures moins le quart.

La rage de destruction des Boches ne n’est pas ralentie. Le tir par rafales fait place à un tir à volonté, et c’est une débauche de projectiles qui s’abattent sur nos tranchées. Quelques minutes encore, et cette horrible tragédie prend fin. Je suis comme abruti, l’esprit vide, le corps affaibli.

Au bout de quelques instants, le mouvement reprend dans les boyaux. Le tir de destruction a endommagé assez sérieusement notre secteur. Par endroits, les obus ont explosé sur le parapet et comblé le boyau. Le travail de ce soir est tout tracé. Pourvu que les Boches nous laissent tranquilles.

 

Les hommes de soupe nous arrivent sans trop de retard.

La nuit commence à tomber. Le calme et le silence règnent sur nos tranchées. En attendant que la distribution soit faite, je me laisse aller à une douce rêverie. La nuit est claire et sereine. Une détente nerveuse s’opère en moi-même. Les heures tragiques de l’après-midi me semblent bien lointaines. Les mauvaises impressions de tout à l’heure s’effacent dans mon esprit pour faire place à un sentiment complexe de joie, de bonheur et de quiétude.

Les explosions recommencent à la fin de notre repos. L’ennemi, maintenant, s’acharne sur nos premières lignes à coups de torpilles. Quelques blessés, couchés sur des brancards, ne tardent pas à passer devant notre gourbi. Une seule torpille a tué un sergent et un homme, et blessé un s/lieutenant et un autre sergent.

A part quelques rafales, le travail de ce soir s’effectue sans encombre. Un bruit de moteur dans la nuit, des obus, venant des lignes boches, éclatent à très grande hauteur au-dessus de nous. Des lueurs fulgurantes, livides, des détonations sourdes, de longues traînées de lumière émanant des projecteurs qui croisent leurs feux à l’horizon.

Je suis des yeux ce spectacle féérique, grimpé sur le parapet. Et à la lueur des fusées éclairantes, je puis me rendre compte de la précision des canons boches. Deux trous de marmites, énormes et très rapprochés, sont visibles à quelques mètres du parapet, juste au-dessus du fond du gourbi.

Je l’ai échappé belle. L’entrée n’aurait jamais résisté à une pareille commotion.

30 avril 1916

 

Fin des écrits

 

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Fin du journal, le dimanche 30 avril 1916, René n’aura eu le temps d’écrire que la date …

Pourquoi s’arrête-t-il d’écrire ? A-t-il été blessé à la main ?...

Heureusement, la relève est proche, et René va pouvoir souffler un peu. Et c’est le JMO (Journal des Marches et Opérations) en ligne sur le site internet « Mémoire des Hommes » qui nous décrit la suite des évènements :

 

30 avril 1916

De 13 à 14 heures, nous subissons un bombardement analogue à celui d’hier. Pertes de la journée : 1 tué, 1 blessé.

1er mai 1916

Journée assez calme. Pertes de la journée : 1 tué.

A partir du 2 mai 1916

Des bataillons du 21e et du 109e arrivent pour la relève, et le 6 mai 1916 tout le 410e régiment se trouve au repos à St Gibrien. Le régiment va séjourner dans le cantonnement de repos jusqu’au 22 mai 1916.

22 mai 1916

A 12h le régiment monte en auto et arrive à 16h30 à Vroil (Marne) où il cantonne.

23 mai 1916

Le 1er bataillon se porte de Vroil à Alliancelles où il cantonne.

24 mai 1916

Séjour dans les cantonnements de repos. A 17h la fanfare du 410, constituée par des souscriptions volontaires d’officiers et hommes du régiment, donne son premier concert sur la place de l’église à Vroil.

25 mai 1916

A 5h45 tout le régiment part à pied vers l’Est et arrive dans l’après-midi à Louppy le Château, Génicourt sous Condé, et Condé où cantonnent respectivement le 3e bataillon, le 2e avec l’État-Major, le 1er bataillon.

26 mai 1916

Le régiment est enlevé le matin en autos et s’installe vers midi au bivouac dans le bois la Ville au Sud-Ouest de Verdun.

27 mai 1916

Dans l’après-midi le régiment part pour Verdun et cantonne dans la Citadelle.

28 mai 1916

Le 1er bataillon restera à la citadelle jusqu’à nouvel ordre en réserve du groupement du Général Nollet.

Le 2e bataillon se porte le soir en 1ère ligne au nord de Verdun entre Bras et Douaumont face au Bois Nawé, contre la côte 321 et au nord de ce point. Il a 3 compagnies en ligne (de la gauche à la droite : 5e, 8e et 7e), la 6e est en réserve.

Le 3e bataillon se porte dans la nuit du 28 au 29 à 500m derrière le 2e. Il est réserve de brigade.

Le secteur est dans un état déplorable, les tranchées, boyaux et abris n’existent pour ainsi dire pas. La liaison est extrêmement difficile.

Pertes de la journée : 1 blessé.

29 mai 1916

Le colonel arrive à 1 heure à hauteur du 3e bataillon au P.C. M6 et y remplace le Colonel du 326 dans le commandement du secteur.

Pertes de la journée : 3 tués et 21 blessés.

30 mai 1916

A 3h15 un peloton de chaque compagnie de 1ère ligne soutenu par des pionniers s’élance à l’assaut de la tranchée allemande de 1ère ligne, distante de 100m en moyenne. L’attaque réussit à gauche et à droite, mais échoue au centre devant le front de la 8e compagnie

Pertes de la journée : 18 tués, 46 blessés et 8 disparus.

31 mai 1916

A 3h15 une attaque à la grenade aux extrémités de la portion de tranchée restée à l’ennemi ne réussit pas à compléter nos gains d’hier, mais nous maintenons ceux-ci en entier.

Pertes de la journée : 7 blessés.

1 juin 1916

On travaille à organiser le secteur malgré les grandes difficultés qui se présentent. Le soir les 2e et 3e bataillons permutent.

Pertes de la journée : 2 tués et 6 blessés.

2 Juin 1916

Continuation des travaux dans le secteur. La 10e compagnie (gauche) fait un prisonnier. A 18 heures une salve d’obus cause des pertes sérieuses (3 tués et 37 blessés) au 1er bataillon dans la Citadelle de Verdun.

Pertes de la journée : 3 tués et 42 blessés.

3 juin 1916

Une nouvelle attaque est faite à 3h15 sur la 1ère ligne allemande, elle ne réussit pas à modifier la situation. Le soir les 1er et 2e bataillons permutent.

Pertes de la journée : 17 tués, 48 blessés et 8 disparus.

4 juin 1916

Les travaux se poursuivent malgré le bombardement de l’artillerie allemande, qui chaque jour est très violent. C’est surtout l’artillerie lourde qui nous fait du mal. Notre artillerie riposte d’ailleurs énergiquement. La 10e compagnie (gauche) fait un prisonnier.

Pertes de la journée : 7 tués, 23 blessés et 2 disparus.

5 juin 1916

Journée analogue aux précédentes. Le soir le 1er bataillon et le 3e permutent. L’ordre de bataille du régiment devient donc le suivant :

1er bataillon en 1ère ligne. 3e bataillon en réserve de brigade. 2e bataillon en réserve de groupement à la Citadelle de Verdun.

Les pertes de la journée sont les suivantes : 7 tués et 5 blessés (dont notre René FAILLE).

 

 

 

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René décèdera le lendemain 6 juin 1916 des suites de ses blessures à l’hôpital de campagne de Baleycourt.

C’est un de ses camarades de l’école normale, Henri Émile MATTON, qui écrit à Louis FAILLE pour l’informer du sort funeste de son frère :

 

 

 

Cher Camarade,                                                                                                          Aux armées, le 20 juin 1916

Je suis chargé envers toi d’une mission bien pénible, et si tu ne la connais pas, tu dois pressentir déjà la triste nouvelle que j’ai à t’annoncer. Ton frère René, qui était pour moi un excellent et fidèle camarade, vient de tomber aux derniers combats devant Verdun, très grièvement blessé au grand regret de tous, chefs et soldats. Je comprends la douleur que va t’apporter ma lettre, douleur que je partage avec toi cher camarade, car après 3 ans d’amitié passés ensemble à Châlons à l’École Normale nous avons eu, René et moi, la grande joie de nous retrouver au 410 – Hélas c’était pour trop peu de temps vraiment.

René, comme je te le disais tout à l’heure, est très regretté à la 1ère compagnie, des gradés comme des hommes, car il avait su s’attirer la sympathie de tous. Hélas, ce n’est bien que trop, mais l’accident ne regarde pas qui il frappe. Je ne peux pas te demander de te consoler si vite, car tu ne le peux pas, mais trouve toujours un adoucissement à ta douleur en te disant que René est tombé avec honneur et gloire. Si tu as quelques renseignements à me demander, je suis tout disposé à te les donner.

Bon courage, donc. Reçois, cher camarade, avec toutes mes condoléances, mes sentiments de plus parfaite amitié et de sympathie. 

H. MATTON, téléphoniste, 410 – C.H.R. (Compagnie Hors Rang) – Secteur Postal 163

 

      

 

 

École Normale de Châlons

 

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