En Flandres

Du 31 juillet au 10 octobre 1917

 

 

 

Au mois de juin 1917, l'État Major anglais prépare dans les Flandres une offensive de grande envergure. D'accord avec le maréchal Douglas Haig, le général Pétain décide que des divisions françaises y prendront part, à la gauche des Armées britanniques, en s'intercalant entre celles-ci et le front tenu par les troupes belges.

Le général Anthoine, qui s'est distingué à Moronvilliers lors de l'offensive du printemps, est désigné pour diriger l'opération. Bien que placé sous les ordres du Généralissime anglais, il demeure maître des mesures d'exécution.

 

Le terrain

Le commandant de la 1e Armée dispose des 1e et 36e Corps renforcés de bataillons sénégalais et de fusiliers marins.

Le 1e Corps d'Armée, composé en grande partie de «gars du Nord», brûle de combattre en ces Flandres belges, sueurs voisines des Flandres françaises, toujours souillé par le contact de l'ennemi.

 

La guerre, dans ce plat pays, revêt un caractère spécial. Des nappes liquides peu profondes, simples flaques ou marécages, y alternent avec un sol spongieux, polder ou prairie aqueuse. La proximité de l'eau, que la pioche rencontre à quelques centimètres, interdit là tout creusement de tranchées ou de boyaux.

Les travaux ne s'y exécutent qu'en superstructure.

On ne peut se protéger -- très précairement -- à la surface qu'au moyen de parapets en sacs à terre ou de murettes basses. En dehors de quelques rares monticules, pas le moindre relief à l'horizon ; aucune élévation n'émerge du soi: ni hauteur, ni butte, ni mamelon ne rompent la monotonie de ces étendues, où le ciel morose rejoint la plaine morne, souvent noyées d'une pluie en grisaille, enveloppées d'un linceul de brouillard, où l'eau, la terre, le nuage se fondent en une masse indécise, sans forme et sans couleur.

Secteur désolé dont le séjour engendre une mélancolie profonde.

 

C'est dans cette région que la 1e Armée du général Anthoine se transportait au milieu de juin.

 

L'attaque étant fixée pour la fin de juillet, il  restait seulement quelques semaines pour la préparation : mais l'esprit organisateur du chef et l'ardeur à la tâche des troupes suppléeront à ce manque de temps. Aussitôt arrivées dans le secteur, nos divisions se mettent au travail avec une rapidité surprenante.

Progressivement nos unités remplaçaient les troupes belges en secteur, et cette relève se terminait le 11 juillet sans avoir éveillé l'attention de l'ennemi.

Le front choisi pour la première attaque française (d'autres devaient suivre en conformité du plan général britannique) s'étendait sur 8 kilomètres au nord de Bixschoote jusqu'à Bœsinghe.

Au nord de ce secteur s'étendait un marais immense, infranchissable. Dans cette région noyée, couverte de hautes herbes, passait en remblai la chaussée empierrée de Reninghe Nordschoote.

Entre Nordschoote et la Maison du Passeur, de glorieuse mémoire, une bande de terrain, en partie inondée, séparait les lignes adverses.

 

A la Maison du Passeur, nous gardions sur la rive est du canal de l'Yser un poste relié à la berge opposée par une simple passerelle.

De là jusqu'à Steenstraet, les lignes ennemies, éloignées de 2 à 300 mètres, étaient établies sur un terrain sec, mais à sous-sol humide.

Enfin, de Steenstraet jusqu'à Bœsinghe, le canal de l'Yser nous séparait des Allemands.

 

Des parapets en sacs à terre, protégés par-des défenses accessoires, bordaient l'une et l'autre rive. Au nord de l'écluse de HetSas, le canal présentait une nappe d'eau de 25 à 30 mètres de large, profonde de 2,50m  aux berges encaissées.

Au sud, l'eau s'étant retirée avait laissé place à un bourbier couvert d'herbes et coupé de roseaux, constituant un obstacle encore plus redoutable; seul un filet d'eau de 3 mètres coulait au creux du fossé.

 

La préparation

La traversée de cette région difficile nécessitait des moyens de franchissement spéciaux. Pour le passage de l'infanterie, on fabriqua un grand nombre de passerelles sur liège, de passerelles en arc à lamelles de bois, et d'ingénieux tapis déroulables,  constitués d'une toile grossière sur laquelle on clouait des planchettes de caillebotis, disposées transversalement. La mise bout à bout de ces éléments permettait de jeter rapidement une piste praticable au milieu des bourbiers.

Enfin, le service du génie s'approvisionnait en éléments de ponts sur pilotis et de ponts sur palées-semelles pour le passage des poids lourds.

Une des difficultés de la préparation consistait dans l'absence totale d'observatoires naturels permettant de régler les tirs de destruction.

 

On y suppléa, d'une part, au moyen d'une aviation fortement constituée et qui, pleinement maîtresse de l'air, sut garder sa supériorité sur l'ennemi ;d'autre part, en établissant des observatoires artificiels d'artillerie.

Deux furent dressés à 2 kilomètres seulement en arrière de nos lignes, et ingénieusement camouflés en arbres ; l'un atteignait une hauteur de 27 mètres, l'autre de 24 mètres.

Enfin, on organisa soigneusement le S. R. O. T. (Service de repérage par observatoires terrestres) fonctionnant par l'examen des lueurs des batteries ennemies, et le S. R. S. (Service de renseignements par le son) qui exigeait des outils délicats et un personnel de techniciens; le S. R. A. (Service de renseignements de l'artillerie) centralisait et recoupait les données fournies par les deux autres.

L'attaque avait été dotée d'une artillerie très puissante et largement pourvue de munitions.

En effet, si les parapets en sacs à terre ne donnaient qu'une protection fragile, l'ennemi avait jalonné ses positions d'abris imperméables en béton armé énormes blocs géométriques, aux parois formées de rails noyés dans une grande épaisseur de ciment, et constituant chacun une petite forteresse.

Si le relief de ces blockhaus permettait de les repérer, leurs créneaux largement ouverts au ras du sol bénéficiaient de champs de tir considérables et

dépourvus de tout angle mort.

 

La destruction de ces centres de résistance d'un nouveau genre ne pouvait s'obtenir que par des coups directs des plus gros projectiles.

L'attaque devait être menée par deux divisions du 1e Corps d'Armée, les1e et 51e, pendant que les 2e et 162e divisions demeureraient en réserve d'Armée.

 

L’attaque

Le 15 juillet, la préparation d'artillerie (27e, 33e, 215e, 265e régiments d’artillerie) commence par, des tirs de réglage et de contrebatterie.

L'ennemi réagit assez violemment, surtout la nuit.

 

Malheureusement, dès le 17 juillet, le temps brumeux rend la visibilité presque nulle, la pluie aveugle nos observateurs et contrarie notre aviation.

 

Le 21, le ciel redevenu beau et clair, le réglages reprennent avec activité. L'ennemi riposte par des tirs de nuit à obus toxiques.

 

Le 23 juillet, l'artillerie de tranchée et l’artillerie lourde commencent leurs tirs de destruction des premières positions allemandes complètement démolies surgissent des Allemands terrorisés, qui se jettent dans nos lignes et se rendent.

 

Le 25 juillet, des reconnaissances exécutée sur la rive est du canal par nos groupes francs rendent compte que l'ennemi a abandonné sa première ligne.

Cette constatation décide le Commandement à préparer le passage du canal en s'assurant une tête de pont préalablement à l'attaque.

 

Dans la nuit du 27 au 28, sous la protection d'un violent tir de barrage et d'un encagement des deuxièmes positions ennemies par l'artillerie lourde, des éléments de la 1e division d'infanterie franchissent au sud de Het-Sas la région bourbeuse au moyen de passerelles et de tapis déroulables. Ils s'installent sur la berge opposée, où ils organisent une ligne de postes: celle-ci, faute d'une parallèle de départ impossible à creuser, allait constituer un tremplin et un point de départ pour l'attaque.

 

La nuit suivante, la 51e division d'infanterie opère de même et prend pied solidement sur la rive opposée. Ces têtes de pont ne furent qu'à peine disputées par. l'ennemi.

En effet, des reconnaissances poussées dans la nuit du 30 juillet jusqu'à la deuxième ligne allemande trouvent celle-ci inoccupée.

 

Le jour J a été fixé au 31 juillet.

La nuit précédente, relativement calme, a permis d'exécuter sans incident les dispositions préparatoires :lancement de passerelles, passage du canal, mise en place des troupes. Un brouillard assez dense favorise l'opération.

 

A 4h26, les 1e et 51e divisions d'infanterie s'élancent pour le premier bond et progressent à l'abri du feu roulant, trouvant le terrain presque libre. L'ennemi réagit faiblement par un tir de barrage médiocre. Nos troupes ne rencontrent d'obstacle que dans le terrain crevé de trous innombrables ou l'eau souterraine commence à sourdre, et qui, promptement, se transforment en mares communicantes et en un bourbier sans fin.

 

A 5h25, on annonce que l'objectif du premier bond est atteint avec des pertes légères et que la liaison a été établie avec les Anglais à droite.

Successivement, à 7h20, puis à 9 heures, les divisions signalent que les objectifs des deuxième et troisième bonds sont atteints : mais, au point de soudure des Britanniques et des Français, l'ennemi tient toujours la ferme du Colonel, centre de résistance fortement organisé avec abris bétonnés.

Cependant la progression continue; nos troupes enlèvent la tranchée du Coquelicot, le fortin de Bixschoote, et poussent sur le moulin Bleu.

 

A 11h10, le général commandant le Corps d'Armée envoie les Sénégalais et les fusiliers marins à la disposition de la 51e division, pour nettoyer la presqu'île de Poësele.

Bientôt, le 33e régiment d'infanterie annonce qu'il occupe les lisières nord et est de Bixschoote.

Cependant l'attaque se stabilise ; les troupes s'organisent sur les positions conquises.

Les Anglais, de leur côté, ont atteint tous leurs objectifs, même la ferme du Colonel qui tombe entre nos mains à 15 heures.

En fin d'après-midi seulement, l'artillerie ennemie réagit avec violence.

 

En résumé, la journée du 31 juillet s'achève dans un brillant succès. Grâce à la préparation très complète de l'artillerie, en dépit des difficultés considérables du terrain, grâce a l'élan magnifique des troupes, non seulement tous les objectifs fixés ont été atteints, conformément à l'horaire du plan d'engagement, mais encore nos lignes ont été portées au delà des points prévus. Nos pertes ne dépassent pas un millier d'hommes.

 

Le secret de l'attaque a été si bien gardé que les Allemands s'imaginaient toujours avoir en face d'eux les troupes belges de secteur et ne furent pas peu surpris de voir surgir devant eux nos lignes bleu horizon.

 

La nuit suivante fut assez calme, ainsi que la journée du 1e août ; mais le temps devint affreux; la pluie tombait à flots, faisant de ce terrain un vaste lac de boue. Nous occupions néanmoins la ferme des Lanciers.

 

Le 2 août, l'artillerie ennemie recommence à réagir violemment, et contrarie le travail d'établissement des ponts sur le canal et des pistes dans le marécage, travail déjà rendu très difficile en raison du terrain défoncé par les obus et liquéfié par la pluie.

 

Le 4 août, malgré un harcèlement ininterrompu par l'artillerie allemande: la partie sud-est de la tranchée de Korteker tombe entre nos mains.

 

A partir du 10 août, nos observateurs ont pu repérer les nouvelles positions des batteries ennemies. Notre artillerie reprend aussitôt son travail et nos pertes en sont d'autant diminuées.

 

Le 11 août, la préparation recommence et se poursuit les jours suivants en vue d'une nouvelle attaque.

 

Celle-ci, menée var les 162e et 2e divisions d'infanterie, se déclenche le 16 août, à 4h45.

La 162e division atteint d'un seul bond son premier objectif, puis son deuxième sans coup férir.

Seul, le 127e régiment rencontre une certaine résistance devant deux points qui nécessitent une nouvelle préparation d'artillerie. L'un d'eux cède dans la matinée ; mais l'autre, résistera jusqu'au lendemain.

Cependant les fusiliers marins enlèvent successivement leurs objectifs dans la presqu'île de Poësele et poussent jusqu'à Drie Gratchen, faisant de nombreux prisonniers.

Une contre attaque ennemie, qui tente de déboucher de Merckhem, est rejetée dans les marais. Nos marins s'organisent sur les positions conquises, après avoir coupé les passerelles qui enjambent le Martjewaert.

La 2e division d'infanterie éprouve plus de difficultés.

A droite, le 8e régiment franchit le Steenbeck, mais se trouve bientôt arrêté par des mitrailleuses, installées dans les fermes de Brienne, Champaubert et Mondovi.

La préparation d'artillerie reprend sur ces points qui tombent bientôt entre nos mains, sauf Mondovi.

Les 208e et 110e régiments d'infanterie enlèvent de leur côté leur premier objectif, mais se heurtent ensuite à des centres de résistance intacts.

Le Commandement décide de renouveler l'attaque le lendemain pour permettre a nos batteries de reprendre leur travail de destruction.

 

Le 17 août, à 12h15, l'attaque d'infanterie repart; à 13 heures, elle atteint tous ses objectifs.

Seul, Mondovi tient encore avec des mitrailleuses sous béton et nécessite une préparation d'artillerie à courte distance. Mais, dans la soirée, cette dernière résistance s'écroule.

 

Pour ces deux journées, nos pertes ne dépassent pas 350 hommes hors de combat.

L'ennemi a laissé entre nos mains 6 officiers, 417 hommes, 15 canons de 77 et de 105, 5 lance-bombes, 13 mitrailleuses lourdes, 6 mitrailleuses légères, de nombreux dépôts de munitions et une grande quantité de matériel.

 

Les opérations des 16 et 17 août nous portaient sur une ligne générale : Grande-Éclusette, Drie Grachten, limite ouest des inondations du Martjewaert, ferme Carnot, fermes Mondovi et Champaubert, liaison avec le 14° Corps britannique.

 

 

Cette avance de l'Armée française, au pivot du mouvement général, était complétée par la progression des troupes britanniques qui, les 20 et 26 septembre et le 4 octobre, venaient occuper la ligne des hauteurs entre Bacelaere et Poelcapelle.

Ce brillant succès permettait une reprise de l'action collective.

 

Tel fut le but des opérations concertées le 9 octobre, pour lesquelles, en ce qui concernait les troupes françaises, le 36e Corps recevait du Commandant de la 1e Armée la mission suivante :

 

Continuant à tenir la ligne du Martjewaert et de Saint-Jansbeek, et agissant en liaison à droite avec le 14e Corps britannique, le 36e Corps s'emparera du plateau de Mangelaere; il s'organisera défensivement sur la position conquise et préparera le débouché ultérieur de la 133e division, au nord de Corvebeck, en protégeant ce mouvement contre toute attaque pouvant surgir de la forêt d'Houthulst.

L'attaque sera menée par la 2e division renforcée par un régiment de la 51e.

La vitesse de marche de l'infanterie et les modalités du barrage étaient réglées ainsi

L'infanterie, partant à l'heure H, sera précédée par un barrage roulant se déplaçant à l'allure de 100 mètres toutes les six minutes, jusqu'au delà du premier objectif.

Pour le deuxième bond, le barrage reprendra à l'heure H + 1h45 et réduira sa vitesse à 10 kilomètres pour huit minutes.

 

Le dispositif est pris dans la nuit du 9 au 10 octobre, malgré un temps des plus défavorables.

Au dire des prisonniers allemands, l'attaque s'est déclenchée avec une telle soudaineté que l'ennemi a été complètement surpris et qu'en maints endroits les mitrailleuses n'ont pas pu être mises en action.

Les vagues d'assaut s'élancent à 5h20.

Le 110e régiment effectue sans difficultés le passage du Steenbeck; ses bataillons de première ligne progressent sans incidents ; à 8h55 tous les objectifs assignés étaient atteints et leur organisation en centres de résistance immédiatement commencée.

Mais l'ennemi déclenche deux contre attaques successives, à 10h30 et 13h30, qui lui permettent de reprendre deux points d'appui.

Une nouvelle attaque est, aussitôt montée de notre côté : dans la soirée et dans la nuit, elle réussit à s'emparer définitivement des ouvrages contestés.

 

Au 208e régiment, la traversée du Broenbeck s'opère aisément à droite, mais rencontre à gauche des difficultés qui occasionnent un peu de retard, par suite de l'étendue de la zone marécageuse

 

Toute la ligne a pu cependant serrer à temps sur le barrage et atteindre à l'heure fixée le premier objectif. Au deuxième bond, l'attaque éprouve quelque résistance au sud-ouest de Mangelaere, devant un réseau non détruit et devant la ferme organisée Houchard; mais dans la soirée tous nos objectifs sont atteints.

Le 8e régiment, de son côté, éprouvait des difficultés à franchir le Broenbeck, par suite de la largeur du cours d'eau et de ses abords marécageux : mais il atteignait son troisième objectif à 10h15 et repoussait dans la journée quelques contre-attaques locales.

En résumé, d'un seul élan, et en se conformant presque rigoureusement à l'horaire fixé par le plan d'engagement, la 2 division, animée d'un

magnifique esprit offensif, remportait un très brillant succès.

 

Le communiqué du 10 octobre 1917 résumait ainsi cette opération de l'Armée française des Flandres:

Après avoir franchi le ruisseau marécageux du Broenbeck, nos troupes ont enlevé avec un entrain admirable, sur un front de 2,5km ; les défenses accumulées par l'ennemi, en dépit des difficultés du terrain et des mauvaises conditions atmosphériques. Les villages de Saint-Jean, Mangelaere et Veldhoek, ainsi que de nombreuses fermes organisées en blockhaus, sont tombés en notre pouvoir.

Notre avance, qui a atteint une profondeur moyenne de 2 kilomètres, nous a amené jusqu'aux lisières sud de la forêt d'Houthulst.

En même temps que la valeur de notre Commandement, la troisième offensive de l'Armée française,des Flandres avait prouvé l'élan, l'énergie et la bravoure de nos troupes.

 

Comme au 31 juillet et au 16 août, ce brillant succès, dû à la sage méthode des objectifs limités, était remporté avec un minimum de pertes.

 

Pendant la même période : Le dégagement de Verdun

 

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