L’offensive vers Compiègne

les Allemands visent Paris

1 au 12 juin 1918

 

 

Pourquoi les Allemands sont passés à l’offensive en 1918 ?

Cette offensive fait suite à l’offensive allemande du Chemin des Dames : du 27 mai au 1 juin 1918

 

 

Seulement, ce n'est pas au sud de la Marne que va se poursuivre l'effort.

Cette rivière sera au contraire pour l'Armée impériale une excellente couverture contre une offensive venant du sud. On créera simplement entre Château-Thierry et Dormans une tête de pont sur la rive gauche, pour faciliter une progression ultérieure, et on agira vigoureusement aux deux ailes : à l’est contre Reims ; à l'ouest contre le massif forestier Compiègne, Villers-Cotterets.

 

L'attaque de ce dernier massif nécessitera deux opérations simultanées : l'une partant de l'est contre Villers-Cotterets, l'autre partant du nord contre Compiègne, afin d'encercler les forces françaises, évidemment massées là, ou de les obliger à la retraite...

 

Foch ne demeure pas inactif. Il a installé son poste de commandement à Mouchy-le-Chatel, et il assiste au débarquement de ses divisions de renfort.

Un front a été confié au général Maistre entre Moulin-sous-Touvent et Faverolles, et les divisions de la 10e Armée viennent l'occuper.

Maistre aura son quartier général à Chantilly-Lamorloye.

 

Ce 1 juin, la lutte se poursuit, violente.

Au sud, toutes les tentatives de passage de la Marne par l'ennemi échouent. La jeune division américaine et le Corps colonial qui défendent Château Thierry doivent bien, le soir, abandonner la ville à des effectifs très supérieurs, mais ils font sauter les ponts.

Un bataillon allemand de la 36e division, qui avait réussi à franchir la rivière sur un bac, est rejeté à la baïonnette dans la Marne par une fougueuse contre attaque américaine.

A l'est, Micheler a organisé ses lignes, et il tient en respect à la fois la 12e division bavaroise, qui avait l'ordre formel d'entrer dans Reims coûte que coûte, et la 238e division qui s'acharnait contre le fort de la Pompelle. Tous les efforts de l'ennemi sont vains de ce coté : malgré chars d’assaut, obus asphyxiants, bombes et liquides enflammés, les Allemands ne progressent pas.

 

Le soir, ils perdent même Méry, où ils avaient réussi à entrer dans la matinée.

A l'ouest, vers Villers-Cotterets, la lutte est aussi très dure. Ici les masses allemandes, nouvellement engagées, témoignent d'un enthousiasme extraordinaire ; les soldats croient marcher sur Paris.

Leurs progrès sont faibles cependant et ne se réalisent qu'aux prix d'effroyables hécatombes.

Le soir, si l'ennemi a légèrement avancé vers Moulin-sous-Touvent, il n'a pu mordre en aucun point dans la forêt de Villers-Cotterets ; et les ruines d'Etrépilly, de Passy en Valois, de Troesnes ne constituent vraiment pas une conquête d'importance.

Le 11e Corps a tenu héroïquement à Faverolles, à Corcy, à Longpont (7e, 14e, 41e régiment d’infanterie), soutenu par les 26e et 128e divisions et par la 3e division de cavalerie.

C'est une journée d'épopée pour les 92e, 121e, 139e, 167e, 168e, 169e régiments d'infanterie, les 3e et 8e hussards, les 5e, 15e, 2e et 21e dragons, les groupes des 50e, 53e, 252e et 42e régiments d'artillerie de campagne, ainsi que pour les éléments d'artillerie lourde et de tranchée engagés dans ces combats terribles.

 

Le 2 juin, on sent que l'ennemi s'essouffle. Il se rebute, et la réaction se fait déjà sentir. Ses assauts sont nettement repoussés vers Bouresches, et dans le Tardenois ses lignes reculent.

Entre Aisne et Ourcq, le long de la lisière de la forêt de Villers-Cotterets, nous gardons Longpont et Chaudun. Même, la 26e division et la 3' division de cavalerie contre’attaquent le soir et reprennent Faverolles, où l'ennemi était entré dans la journée.

 

 

Le 3 juin, dernière et puissante attaque, entre Aisne et Ourcq, de trois divisions fraîches: la 45e division de réserve, la 115e  division et la 2e division de la Garde, qui sont venues appuyer la 1 division de la Garde, la 28e division de réserve, les 33e et 76e divisions.

 

A 3 heures du matin, nos unités de première ligne, engagées depuis trois jours et épuisées, étaient dans le désordre de la relève, quand une grêle d'obus s'abattit sur elles. C'était un roulement continu et formidable...

 

A 4 heures, l'infanterie ennemie débouche en masse. Notre 11e Corps, les 2e, 3e et 6e divisions de cavalerie, troupes d'élite, reçoivent bravement le choc. Dans la région de Troesnes, la première ligne de tranchées est submergée.

Mais tout le monde se bat avec acharnement troupes de relève, troupes relevées, génie, cuisiniers, hommes des convois.

Après un violent corps à corps, l'ennemi est arrêté le soir, après des gains insignifiants, malgré son écrasante supériorité numérique, ses avions, ses obus toxiques et ses sacrifices sanglants. La forêt de Villers-Cotterets demeure inviolée.

 

Mais maintenant, c'est par le nord que le massif forestier va être pris à partie. Hutier a été chargé de l'opération; et s'il ne l'a pas exécutée plus tôt, tandis que sur l'autre face les 1e et VIIe Armées s'acharnaient dans une lutte sans résultat, c'est qu'il n'était pas en mesure de le faire.

 

Au demeurant, le général Fayolle, commandant du G. A. R. et le général Humbert, dont la 3e Armée était directement menacée, épiaient ses mouvements. Ils savaient fort bien que les sept divisions allemandes qui, depuis les premiers jours de juin, tenaient seules le secteur Noyon-Montdidier, venaient d'être renforcées par six nouvelles divisions entassées en première ligne; que derrière celles-là avaient été amenées au moins cinq divisions, sinon davantage.

 

Nos avions signalaient depuis longtemps l'installation de batteries nouvelles. A ne s'y point tromper, un effort sérieux était imminent de ce coté.

Or, instruit par l'expérience des récentes ruées allemandes et se souvenant de Verdun, le général Pétain avait décidé d'inaugurer ici une nouvelle tactique.

C'est un fait que les obus de l'ennemi écrasent toujours nos premières lignes, de sorte que la première vague d'assaut, fort dense d'ailleurs, suffit pour la submerger.

Cette vague pousse droit devant elle, allant le plus loin possible, jusqu'à ce qu'elle soit à bout de souffle. D'autres vagues interviennent, qui dépassent la première et poussent de l'avant, formant de leurs feux un barrage roulant, tandis qu'à droite et à gauche de la masse d'attaque, de fortes réserves agissent sur les charnières, pour élargir la brèche...

 

Donc, il ne faut laisser en première ligne que les éléments strictement nécessaires pour obliger l'ennemi à exécuter sa préparation d'artillerie et son déploiement. Le gros de nos forces, bien à l'abri dans la deuxième position renforcée, n'ayant pas eu à souffrir de la préparation d'artillerie, arrêtera la vague d'assaut disloquée. A ce moment un renfort puissant, tenu soigneusement en réserve, à l'abri des émotions de la lutte, surgira à l'improviste et foncera sur les réserves de l'ennemi.

Foch est venu installer son Quartier Général au château de Bombon, près de Melun ; il y sera en mesure de diriger et de suivre de plus près les événements.

 

Le 9 juin, à minuit, sur un front de 40 kilomètres, de Montdidier à Noyon, l'artillerie allemande déchaîne sen ouragan de fer et de gaz asphyxiants.

A 4 h30, l'infanterie de Hutier se lance à l'assaut. Il s'agit, cette fois, d'enlever Compiègne et Estrées Saint-Denis.

A midi, après quatorze charges infructueuses, les masses ennemies ont arraché le mont Renaud et le Plémont à l'héroïsme des cuirassiers à pied; mais les progrès des Allemands sont lents dans la « Petite Suisse », et coûtent fort cher.

A gauche, la résistance des nôtres est vive et les succès de l'assaillant encore plus réduits.

 

Ses colonnes d'assaut viennent s'écraser sur nos deuxièmes positions et subissent des pertes terribles devant Rubescourt et le Frétoy.

Au centre, où Hutier a massé en première ligne six divisions sur un front de 8 kilomètres, la première position est trop vite submergée pour que les défenseurs de la deuxième aient le temps de terminer leurs préparatifs.

La seconde position est donc enlevée, elle aussi, et une poche de 9 kilomètres de profondeur se creuse. L'ennemi, s'infiltrant dans. la vallée du Matz, prend pied sur l'important plateau de Lataule, merveilleux observatoire qui domine toute la région.

C'est là un accident ; ce n'est pas un désastre.

L'énergie du général Humbert a vite fait de rétablir la situation ; le front n'est nullement entamé et le combat en retraite s'exécute avec ordre, sans que la nuit mette fin à cette lutte furieuse.

 

Le 10 juin, au petit jour, de nouvelles masses essayent de progresser : à l'est vers Ribécourt, au sud-ouest vers Estrées-Saint-Denis. La poche se creuse, mais ne s'élargit pas.

Au centre, l'ennemi atteint l'Aronde et même Ribécourt ; mais là s'arrêtent ses succès, car Courcelles nous reste et une vigoureuse contre attaque de la division basque nous rend Méry, un moment perdu.

Cependant, dans la soirée, la 10e Armée, pour éviter d'être prise à revers, replie sa droite derrière le Matz et l'Oise, évacuant le saillant dangereux et indéfendable de Carlepont.

Le nouveau front s'établit sur la ligne Ribécourt,Tract-le-Val, Moulin-sous-Touvent.

Le général Mangin, qui vient de remplacer à la tête de cette Armée le général Maistre, appelé au commandement du G. A. N., établit son Quartier Général a Pronleroy.

La bataille est mure ; les dernières réserves de l'ennemi doivent être en mouvement.

 

 Fayolle, qui suit avec attention les péripéties de la lutte, appelle Mangin à son Quartier Général de Noailles. Foch est là, qui assiste à l'entrevue.

Une masse de manœuvre de cinq divisions a été constituée dans la région de Maignelay : ce sont les 48e, 129e, 133e, 152e et 165e divisions; il y a aussi quatre groupes de chars d'assaut. Il s'agit de réunir ces forces et de les pousser en une vigoureuse contre attaque vers Méry et Cuvilly, dans le flanc de l'ennemi.

Il y a urgence. « Quand comptez-vous attaquer ? » demande Fayolle.

« Demain », répond sans hésitation Mangin. Un autre chef, même actif, n'eut pas encouru de blâme en demandant un répit d'au moins quarante-huit heures...

 

« Demain », le 11 juin, dès l'aube, Hutier précipite ses attaques, mettant tout en oeuvre pour obtenir un succès décisif.

A droite, il s'acharne sur Méry et sur Courcelles ; à gauche, il s'efforce de déboucher de Ribécourt ; au centre, il pousse deux divisions fraîches au-delà du Matz, en direction de Compiègne.

Mais à 11 heures, tandis que sous un soleil de feu la bataille fait rage et que l'ennemi groupe ses disponibilités dans les ravins de Lataule et de Cuvilly en vue d'un effort décisif, voici que les premières lignes allemandes refluent sur un front de 11, kilomètres, depuis l'Aronde jusqu'à Rubescourt.

Une furieuse charge de chars d'assaut, d'avions, de fantassins pleins d'enthousiasme, déferle subitement de ce coté, sans préparation préalable d'artillerie, alors que les Allemands croyaient n'avoir affaire qu'à notre 35e Corps épuisé.

C'est Mangin qui exécute sa mission. Le 1e zouaves, le 9e tirailleurs, le 2e mixte, les 297e, 359, 401e, 321e, 114e, 125e, 412e, 135e, 154e, 155e et 287e régiments d'infanterie, les 102e, 106e, 120e et 121e bataillons de chasseurs à pied, les 32e et 116e bataillons de chasseurs alpins, rivalisent d'ardeur et d'élan.

En un instant Méry, Belloy, le bois de Genlis, la ferme Porte, Antheuil sont enlevés. Deux divisions allemandes se massaient pour se porter sur Compiègne; elles sont bousculées par nos chars d'assaut, et fuient en déroute.

Hutier doit lancer en toute hâte son ultime ressource : les 17e et 206e divisions, pour arrêter la panique et ne pas laisser crever son front.

La nuit, qui interrompt le combat, permet à l'adversaire de se ressaisir, de s'organiser et de faire affluer des renforts; mais la XVIIIe Armée allemande a reçu un choc terrible.

 

La journée  12 juin voit encore quelques tentatives, notamment dans la région de Ribécourt et sur la rive sud du Matz, vers Mélicocq, elle marque un changement complet dans la situation.

Mangin qui, sur l'ordre d'Humbert, a continué l'offensive de la veille, progresse encore ce jour-là dans la région de Belloy et de Saint-Maur, enlevant a l'ennemi des canons et un millier (le prisonniers.

Le même jour, à 15 h45, après une violente préparation d'artillerie, von Boehm attaquait au sud de l'Aisne, en direction de Villers-Cotterets, dans la région de Saint-Pierre L’aigle et sur le plateau des Trois-Peupliers.

De forts détachements réussirent à s'infiltrer dans les bois par Vertefeuille. Il y avait la une division d'élite : la division de cavalerie à pied du général Ennocque. Les 5e, 8e et 12e cuirassiers résistèrent héroïquement, et ce ne fut qu'après un terrible corps à corps, et au prix des plus lourds sacrifices, que l'ennemi réussit à progresser jusqu'au Ru de Matz.

 

Le 13 juin, ,à neuf heures, la lutte reprenait, violente, de ce coté, tandis qu'elle s'éteignait vers Mélicocq. Une formidable préparation d'artillerie ouvrait la voie à une nouvelle attaque déclenchée sur le front Coeuvres-Verte feuille. Ce fut pour l'ennemi un nouveau gain d'une centaine de mètres, et l'occasion de pertes terribles.

Puis la bataille s'éteignit à l'est comme au nord. L'offensive sur Compiègne était définitivement enrayée.

 

 

Bilan

Il fallait bien masquer ce pénible échec par un communiqué dithyrambique. L'espoir avait été si grand qu'il ne pouvait ainsi s'évanouir... Voici ce. qu'annonçait le communiqué allemand du 13:

« Au sud ouest de Noyon, les Français ont de nouveau déclenché de fortes contre attaques de part et d'autre de la grande route de Roye à Estrées-Saint-Denis. Cet assaut s'est également effondré avec de très lourdes pertes : plus de 60 chars d'assaut gisent détruits sur le champ de bataille. Le nombre des prisonniers a été porté à plus de 15000. D'après les constatations faites jusqu'ici, le nombre des canons dépasse 150.

Au cours de notre défense contre les contre attaques ennemies, quelques-uns de nos canons, qui avaient été mis en position jusque dans les lignes avancées d'infanterie, sont tombés aux mains de l'adversaire... »

 

Un simple accident!

 

Quant à l'affaire de Saint-Pierre L’aigle, elle demeure dans le vague; et, à son sujet, Ludendorff présente une récapitulation des prises effectuées depuis le 27 mai, qui se chiffreraient par 1050 canons à l'actif du Groupe d'Armées du Kronprinz d'Allemagne.

Puis : « Nous avons abattu hier 28 avions ennemis. Le capitaine Berthold a remporté sa 34e victoire aérienne, le sous-lieutenant Udet sa 29e, le lieutenant Loerzer, sa 25e..»

 

Ainsi parle Nauen  ; mais les Allemands n'ont pas atteint Compiègne, et la précieuse tête de pont de la forêt de Laigue demeure aux Français.

Humbert aurait voulu pousser de l'avant dès le 13 au soir; Mangin s'y fut prêté avec enthousiasme ; mais Pétain, toujours prudent, estima qu'il ne disposait pas des moyens suffisants pour escompter un succès qui contre-balançât les pertes à prévoir.

Foch, de son coté, sentant bien que les Allemands n'avaient pas engagé toutes leurs réserves, ne voulait pas se dessaisir de ses dernières disponibilités. Donc, la bataille s'éteint.

Elle s'éteint aussi parce que le Kronprinz, malgré son ardent désir de remporter une victoire décisive, n'avait plus les éléments indispensables pour la mener à bien. Il avait jeté dans la fournaise les 38 divisions qui constituaient sa masse d'attaque du 27 mai, et, en outre, toutes les divisions fraîches qui lui avaient été envoyées au cours de l'action.

Il lui restait bien encore deux ou trois divisions fraîches, mais la création de la nouvelle poche avait eu pour effet d'étendre son front de 53 kilomètres, et rien ne prouvait que le Commandement français ne fut pas en mesure. de prendre l'offensive quelque part.

 

En somme, comme la bataille d'Amiens, la bataille du Chemin des Dames, prolongée par celle de Compiègne, a refoulé le front français de 50 kilomètres sur une étendue de 80 ; mais en dépit des énormes sacrifices consentis, elle n'a rien terminé.

Pourtant, le résultat obtenu par l'ennemi est loin d'être négligeable, Tout d'abord, il est bien certain que si Ludendorff est en mesure de tenter immédiatement, sur un autre point un effort sérieux, cet effort sera susceptible d'obtenir une décision. Il ne faut pas oublier, en effet, que les réserves alliées capables de combattre s'épuisent, elles aussi.

 

Elles se résument pour l'Armée française en 28 divisions, dont 22 fatiguées et 3 reconstituées ; et les divisions américaines, bien que tous les jours plus nombreuses, ne sont pas en mesure de remplacer les nôtres dans la proportion de leur usure.

Or, de notre coté comme du coté allemand, l'extension de 53 kilomètres que vient de prendre le front absorbe des disponibilités...

En outre, circonstance fort grave, la voie ferrée Paris - Nancy, rocade de premier ordre, tout aussi utile que la voie ferrée Paris Amiens, est inutilisable parce qu'elle est coupée à Château-Thierry.

Les opérations ultérieures vont être fortement gênées par cette circonstance.

Cependant, chacun en France est tellement convaincu que, pour vaincre, il s'agit uniquement de gagner du temps, que l'arrêt de l'offensive allemande sur la Marne est généralement considéré comme une belle victoire.

 

L'heure est critique, mais les cœurs sont chauds et l'espoir est ardent.

 

 

Situation politique et moral allemand

Le 1e juin, un important conseil de guerre s'est tenu à Versailles. Les gouvernements américain, britannique et français y sont tombés d'accord sur la nécessité et sur la possibilité de transporter d'Amérique en Europe : en juin 170.000 soldats, en juillet 140.000. Il est convenu que, pour l'été de 1919, 100 divisions américaines, soit 2.500.000 soldats, seront en secteur.

En attendant, huit de ces divisions sont à peu près instruites ; elles vont prendre immédiatement part aux opérations.

A Paris, au milieu de la confiance générale, quelques esprits chagrins voient avec terreur les deux poches allemandes englober le massif de Compiègne et menacer Paris... Ils critiquent notre Haut Commandement. Ils demandent le remplacement de certains généraux. Ils estiment que les opérations pourraient être conduites avec plus de clairvoyance, peut être avec plus de vigueur...

A ces hommes, Clemenceau répond sans ménagement; et faisant ressortir la tâche écrasante, surhumaine, qui pèse sur les épaules de ceux qui dirigent nos Armées, il leur impose, sinon la foi inébranlable que la masse du peuple français a conservée dans la victoire, du moins la patience et la discipline morale.

 

Chez nos ennemis, en effet, l'illusion disparaît et la discipline fléchit.

Les déserteurs ne sont pas plus nombreux, mais les malades se multiplient, soldats ou officiers. Un ordre de la 14e division, du 20 juin, parmi beaucoup d'autres, est suggestif : « Les officiers se sont fait porter malades en si grand nombre ces jours derniers qu'il est impossible d'attendre que les soldats, qui vivent dans les mêmes conditions qu'eux, ne suivent pas leur exemple. »

 

A Berlin, le ministre von Kuhlmann, sentant l'occasion favorable, reprend sa campagne pacifiste ; et cette fois sa thèse paraît écoutée avec plus de faveur que celles de Hindenburg et de Ludendorff.

Car si la paix vient d'être signée, le 7 mai, avec la Roumanie écrasée, assurant quelques disponibilités en hommes et en matériel, l'Allemagne sait fort bien qu'elle ne peut plus compter, pour alimenter les effectifs de ses divisions épuisées, que sur la classe 1920 appelée dans les dépôts de l'intérieur et sur diverses ressources de valeur douteuse : prisonniers rentrés de Russie et plus ou moins contaminés de bolchevisme, blessés à peu prés guéris mais dininués; hommes retirés des divers services spéciaux (automobiles, aviation, télégraphie, bureaux...) et versés d'office dans l'infanterie ;prélèvements opérés dans les bataillons de landsturm au profit des dépôts des régiments actifs;révocations de sursis...

 

Pour appuyer cette infanterie médiocre, il faut augmenter le matériel. Ludendorff se lance hardiment dans cette voie. Il donne 12 pièces a chaque compagnie de mitrailleuses, ce qui porte à 72 mitrailleuses et 12 minenwerfer l'allocation de chaque régiment d'infanterie.

En outre l'Armée d'Orient, dont l'effectif semble pouvoir être indéfiniment réduit, donne des canons.

Ces canons, il est vrai, sont en fort mauvais état et les artilleurs, qui ont à peine deux mois de service, ne savent pas les utiliser...

Von Kuhlmann parle donc le langage de la froide raison quand il proclame à la tribune du Reischtag avec un délicat euphémisme « que les armes sont hors d'état de terminer la guerre et que, pour cela, des négociations diplomatiques seront nécessaires. »

 

Quant à la presse, elle s'efforce de maquiller 'les communiqués déjà bien édulcorés; mais l'infinie prudence dont les critiques militaires se sont fait désormais une règle stricte, et aussi les objurgations des feuilles pangermanistes, sont des signes auxquels un observateur attentif ne peut se tromper.

Ces feuilles prennent violemment à partie les antipatriotes qui protestent contre la cherté de la vie, les restrictions, les réquisitions de logements, de vêtements, d'ustensiles de métal, contre tout ce qui cause une gêne quelconque...

Ces symptômes de lassitude, l'Entente les enregistre; seuls, le grand État-.Major et le gouvernement allemands s'obstinent à ne pas les voir.

 

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes  Aristide Quillet, 1922 »

 

 

   

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