HISTORIQUE

DU

25 e BATAILLON DE CHASSEURS A PIED

PENDANT LA GRANDE GUERRE

 

 

 

 

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SOMMAIRE :

COMBATS DES 22 et 24 AOUT 1914

LA VAUX-MARIE (9 SEPTEMBRE 1914)

LES JUMELLES D’ORNES (16-20 sept.)

SAINT-MIHIEL (sept.-nov.1914)

ROUVROIS-SUR-MEUSE et la COTE 322 (nov.1914-mars 1915)

LES EPARGES (mars-avril 1915)

LA TRANCHEE DE CALONNE (avril-mai 1915)

DIEUE-SUR-MEUSE (mai 1915)

RANZIERES—VAUX-LES-PALAMEIX

SONVAUX (juin-juillet 1915)

REPOS (juil-sept.)

(Suite vers page 2)

 

 

 

Merci à Jean Paul pour la longue recopie

 

 

 

 

 

Le 25e  B.C.P sous les ordres du Commandant GUY

Mobilisation et Couverture

En avant, brave Bataillon !…

 

 

Depuis le 28 juillet 1914, officiers et chasseurs attendaient fiévreusement l’alerte.

Chacun bouclait, qui sa cantine, qui son sac. Les sergents-majors étaient sur les dents, distribuant chaussures, effets, etc. Les revues en tenues de mobilisation se succédaient, chaque chef de section inspectait sa section, les capitaines, leurs compagnies.

Le commandant Guy tint à s’assurer personnellement que rien ne manquait. Dans leurs pensées, les chasseurs  se demandaient le pourquoi de toutes ces revues, et bien qu’à mots couverts les journaux parlaient de situation tendue, il leur arrivait plus souvent de dire : «  Faut pas s’en faire, ça se tassera. »

 

Le 30 juillet à 23 h.30, quand la sonnerie du réveil les tira brutalement, impérieusement du sommeil, chacun s’écria bien vite : « Encore un exercice de nuit. »

Mais bientôt un grand branle-bas agite les deux quartiers de Sénarmont. Les sous-officiers de semaine passent dans les chambres et donnent l’ordre de se mettre en tenue de mobilisation, chargement complet. Dans les 1re , 2e et 3e compagnie, au nouveau quartier du 25e, l’animation  est grande : on sent que chacun connaît sa mission. Les corvées de ces unités sont rassemblées et vont rejoindre dans la cour du quartier du 40e d’artillerie, faisant face à celui du 25e, les corvées des 4e, 5e,et 6e compagnies qui sont encore logées avec les artilleurs, les casernements qui doivent abriter ces trois fractions n’étant pas encore entièrement terminés.

 

La mobilisation était déclenchée. Elle est exécutée avec le mécanisme précis que l’Etat-Major avait conçu. Conserves et cartouches voltigent de mains en mains, et bourrant musettes et cartouchières, on demande tout bas : « Où va-t-on ? »

Les officiers semblent renseignés. Un appel bref. Pas un absent, pas un malade.

A 2 heures du matin, le Bataillon se mettait en route à l’effectif de 27 officiers et 1.126 gradés et chasseurs, sous les ordres du Commandant Guy, pour prendre place dans la colonne légère, qui se groupait sur la route de Chaillon, sous les ordres du lieutenant-colonel Gippont du 161e R.I.

Cette colonne, composée d’un escadron  du 12e chasseurs à cheval, des 25e et 29e bataillons de chasseurs, et d’une batterie du 40e d’artillerie, devait bondir sur ces emplacements de couverture, c'est-à-dire sur la croupe de Charrey-Montplaisir, et étendre son front vers le sud, vers la ferme Tautecourt et Viéville-en-Haye, face à Metz, à quelques kilomètres de l’ancienne frontière Arnaville-Pagny-sur-Moselle.

Dans la nuit, la colonne se met silencieusement en marche.

On entend au loin l’escadron qui pénètre dans les forêts qui dominent Saint-Mihiel à l’Est. L’avant-garde y pénètre à son tour.

Les allemands n’ont pas tenté de coup de force sur Saint-Mihiel, on peut aller de l’avant !

Il est encore nuit quand la colonne débouche en Woëvre.

Vers les 5 heures du matin, au cours d’une pause près de Nonsart, le commandant Guy ordonne d’approvisionner les armes. Alors, chaque chef de section se sent grandi quand il commande d’une voix ferme : «  Approvisionner ! »

Automatiquement les cartouches sont introduites dans les magasins, bien que les doigts s’énervent et que les cœurs battent.

Minute solennelle! Tous, nous avons compris que cette fois c’est sérieux et que de grandes choses vont se passer.

La 1re compagnie est partie en avant-garde du Bataillon, les autres compagnies partent l’arme à la bretelle. Et le premier moment d’émotion passé, la gouaillerie parisienne reprend le dessus ; aux habitants meusiens qui nous regardent passer, d’un air triste, comme se doutant des désastres que la guerre allait leur causer, nous crions joyeusement : «  Dans deux mois on reviendra ! » Hélas.

 

On arrive sans obstacle sur les positions de couverture. Tout se passe comme à une manœuvre. On installe les troupes, réserve, résistance, petits-postes, patrouille, téléphone de campagne ; les P.C. sont faits de branchages et les tranchées ont 0 m.60 de profondeur. Pas de boyaux, pas de fil de fer, des poitrines seulement pour arrêter l’envahisseur et permettre à toute la Nation de prendre les armes.

 

Le 1re août, à Xammes, nous apprenons que les réservistes ont quitté leurs foyers et rejoints leurs corps d’affectation.

 

Le 2 août, à Tautecourt, la 1er compagnie, formée en carré comme pour le rapport, écoute le capitaine Dumont lui donner lecture de l’ordre de mobilisation générale. Un cri émouvant de : «  Vive la France !  »  jaillit de toutes les bouches, et les chasseurs lancent leur képi en l’air en signe de joie… C’est la guerre.

 

Le 3 et 4 août connaissent les mêmes positions d’attente. Vers 4 heures du soir, une corvée d’eau revenant de Chambley nous apprend que l’Allemagne a déclaré la guerre à la France.

Alors commence cette période curieuse de vraie guerre en dentelles. Les patrouilles sont actives, les deux ennemis s’observent, se tâtent, avant d’entamer la prise corps à corps qui durera quatre ans.

Chacun peut donner libre cours à son astuce, à son adresse. La nature est intacte, les bois et les buissons touffus, les nuits étoilées ; les blés murs sont encore sur pied. On peut pousser des pointes audacieuses jusque dans les lignes ennemies.

Des douaniers et des forestiers se joignent aux chasseurs pour les éclairer et les renseigner sur les sentiers et les meilleurs cheminements.

Toutes les compagnies ont un poste de surveillance. La 2e, en position face au Fort de Gorze devait être l’objet d’une cruelle méprise ; le 5 août, alors que l’ennemi lançait quelques petites patrouilles venant du fort, la batterie du 40e en position le long du mur Est de la ferme Montplaisir tirait ses premiers obus ; par un malheureux hasard, deux de ces obus tombent sur la 3e section de la 2e compagnie et tuent le chasseur Baudrillard, le caporal Dapremont et l’adjudant Maurois ; six sont blessés par shrapnells.

Ce coup malheureux provoque la consternation générale ; nous nous rendons compte, à nos frais, de l’effet meurtrier de nos 75 , mais nous déplorons la mort sans combat de trois bons camarades, les trois premiers tués du Bataillon.

Nos morts devaient être bientôt vengés.

Le chasseur de 1re classe Janitor, de la 1re compagnie, était au petit poste près de Prény. Son poste était groupé derrière un tas de fumier, situé à une cinquantaine de mètres de la route Prény-Tautecourt. Un peloton de garde-reiters Saxons en formation de promenade pénètre dans nos lignes. Nos chasseurs se dissimulent, font les morts. Insouciant, le peloton ennemi avance par la route sans détacher un seul éclaireur. Aucune sentinelle ne se dévoile ; un vide absolu. Satisfait de sa mission, le peloton va regagner Arnaville, mais à hauteur de Prény, il va payer de son audace. Comme des diables, les chasseurs de Janitor surgissent de leurs tas de fumier et à bout portant visent les narines des chevaux, les poitrines des hommes.

Affolement, bousculade, les chasseurs bondissent, baïonnette au canon, et sèment la panique dans cette petite troupe qui est anéantie en un instant. Le lieutenant Von Rauchow, commandant la patrouille, est blessé, mais réussit à s’échapper ; deux prisonniers sont dirigés sur Thiaucourt.

 

Quelques jours après, la 5e compagnie poussait une reconnaissance offensive sur Pagny-sur-Moselle. C’est alors que le sergent-major Bourchied avec sa section abat un avion ennemi qui rôdait à quelques centaines de mètres au-dessus de leur tête. L’aéroplane atterrit dans la prairie entre le canal et la Moselle. Les deux officiers aviateurs qui le montaient sont faits prisonniers par les chasseurs Rigaud et Caumon.

Les forts de Metz tirent alors sur la 5e compagnie, qui manœuvre en petites colonnes et n’éprouve aucune perte.

La 3e compagnie poussait aussi une reconnaissance sur Pagny-sur-Moselle et réquisitionnait diverses denrées saisies à la douane même.

 

Le 10 août, on apprend que de violents combats ont eu lieu près de Mangiennes.

 

Le 11 août, de petits détachements allemands venant de Avry par la Lobe effectuent des réquisitions dans Pagny ; des patrouilles sont envoyées par le poste de Prény dans le village.

Une de ces patrouilles rencontre quelques fantassins ennemis éparpillés et ramène un prisonnier appartenant à la 7e compagnie du 30e régiment d’infanterie.

Le même jour, le sergent Collin et le caporal Charles, de la 2e compagnie, en reconnaissance sur Bayonville, sont accueillis à coup de fusil. Ils traversent le Rupt de Mad à la nage et rendent compte de la présence des cavaliers à Bayonville.

Plus prêt de nous, le 29e B.C.P. a déjà éprouvé des pertes sérieuses en poussant une pointe sur Charrey. La 3e compagnie du 29e s’engage avec l’ennemi à Champs, les mitrailleuses la déciment.

Le lieutenant Alba y trouve une mort brillante, c’est notre premier officier tombé au Champ d’Honneur. Sa glorieuse citation à l’ordre de l’Armée est lue au rapport, quelques jours après, au milieu d’une intense émotion :

 

«  Envoyé en reconnaissance sur le village de Champs, le 14 août, y pénétra avec sa section, après avoir reçu une balle dans la jambe, en reçoit une deuxième à la figure. Il enlève encore une fois sa troupe en criant : « ça ne fait rien les gars. En avant ! » Tombe mortellement atteint d’une balle au cou, après avoir dit avec le plus grand sang-froid à son sous-officier : « Sergent, prenez le commandement. » ( D’après Les chasseurs de Saint-Mihiel et la guerre dans la Meuse, par P.Jolibois, lieutenant au 29e B.C.P.)

 

Des deux côtés la concentration est terminée, les escarmouches sont finies, l’heure de la suprême bataille est arrivée.

Le Bataillon est relevé le 17 août par le 65e B.C.P. Nous retrouvons les camarades qui nous avaient quittés à Saint-Mihiel pour former notre Bataillon de réserve. Entre autres le commandant Rousselot, le capitaine Faugeras, l’adjudant-chef Thil, le sergent Caudron. Il va rejoindre les autres troupes du 6e corps d’armée qui se portent à la bataille. Il cantonne le même soir à Billy-sous-les-Côtes, et les 18,19 et 20 août à Ville-en-Woëvre. Le 21, il se rend à Etain d’où le Général commandant le 6e C.A, l’envoie cantonner à Spincourt.

Le 25e B.C.P. sera réserve de corps d’armée, à la disposition du Général commandant le corps d’armée pendant les prochaines opérations.

Près de Spincourt, sur la route, une tombe fraîche, la première que l’on rencontre. C’est un motocycliste tombé dans une embuscade ; puis plus loin, un long tertre recouvert de mottes de gazon, long de quelques trente mètres : ce sont les morts du combat du 10 août.

Les sections pressentent les armes, l’impression est forte sur tous, mais les cœurs sont bien accrochés. Le sacrifice est fait d’avance, et tous ont hâte de «  rentrer dedans. » et de venger nos premiers morts.

 

 

COMBATS DES 22 et 24 AOUT 1914

 

 

Suivant la route de Fresnes-en-Woêvre-Spincourt, le 6e corps d’armée marche à l’attaque des forces ennemies qui, ayant franchi le Luxembourg, attaquent Longwy. Au loin, on entend le bruit sourd des pièces de siège qui bombardent Longwy. Sur la route, les colonnes de toutes armes avancent imposantes, les longs rubans de troupes, de convois disent qu’une grande bataille va s’engager :

 

«  Bataille générale qui portera dans l’histoire le nom de « Bataille des Frontières. »

«  Cette bataille des frontières, qui dura cinq jours, peut se diviser en trois parties, le  21 août eurent lieu les marches d’approches, le 22 les chocs, les 23, 24 et 25 août la retraite,  mais une retraite qui ne fut pas une déroute et qui devait conduire à la victoire.

«  Pour la journée du 22, l’ordre portait : «  L’ennemi sera attaqué partout où il sera rencontré. » De cet ennemi on savait seulement qu’il devait être très proche. La journée ne pouvait se passer sans rencontres.

«  Le 22 août, la 3e armée devait marcher en échelons vers le nord, le 4e corps devait  traverser Virton, le 5e dégager Longwy, et le 6e s’opposer à des attaques de troupes  allemandes débouchant des camps retranchés de Thionville et de Metz vers Verdun.

« C’est à l’aile droite de la 3e armée qu’eut lieu l’effort principal de l’ennemi. Celui-ci trouva devant lui le 6e corps ( et notamment la 40e division ) qui lui infligea des pertes terribles en luttant avec héroïsme contre des forces trois fois supérieures.

« La 40e division, sous les ordres du général Hache, qui avait tenu tête aux trois divisions ennemies du 16e corps, et contre laquelle le Kronprinz lança sa dernière réserve, dut se replier.

« Le 22 au soir, malgré le courage déployé, les objectifs n’étaient pas atteints, ni par la 4e armée, ni par la 3e armée.

« La supériorité de l’artillerie lourde et des mitrailleuses ennemies brisa l’effort offensif des troupes.

« Dans la violence du choc, les pertes avaient été extrêmement sérieuses pour les 3e et 4e armées ; dans la nécessité du repli, des milliers de blessés durent être abandonnés à cause de la rapidité des évènements. Le nombre de prisonniers fut considérable, considérable  aussi celui des disparus.

« Le 24 août, le général Joffre ordonnait la retraite générale des armées. »

( Renseignements extraits des ouvrages : Souviens-toi, par le général Maleterre, et La Grande Guerre par les Combattants, dans Les Chasseurs de Saint-Mihiel, par P.Jolibois.)

 

Au moment même où son frère d’armes, le 29e B.C.P., se couvrait de gloire à Audun-le-Roman, infligeant des pertes sérieuses à l’ennemi dans un violent combat des rues, le 25e B.C.P. allait écrire à Pierrepont une belle page de son histoire.

 

Le 21 août, le 25e B.C.P. est en réserve de corps d’armée ; nous sommes près de l’Etat-Major du général Sarrail, commandant le Corps d’Armée à Spincourt.

Le Général, assis, sur le talus d’une route, discute avec ses collaborateurs, cartes déployées à terre ; ordres brefs. Au soir, on reprend la marche en avant, le Bataillon dépasse Arrancy et bivouaque dans les luzernes humides entre Arrancy et Beuveilles.

 

Le lendemain 22, dès le lever du jour, une vive fusillade se fait entendre à l’Est ; nos avant-gardes attaquent résolument l’ennemi, principalement à Cons-la-Granville. La lutte est chaude, car le gros de l’armée du Kronprinz, débouchant de Longwy, déferle sur Longuyon.

Le 25e, suprême réserve du 6e corps, ne voit de la bataille que le long défilé des blessés qui refluent vers l’arrière. Près de nous, sur un petit mamelon, nous apercevons le général Sarrail immobile, sa jumelle braquée sur la bataille pendant que les 105 tombent à une centaine de mètres derrière lui, et hachent littéralement les chevaux de son Etat-Major.

La bataille se rapproche ; les régiments d’infanterie qui menaient l’attaque, ont éprouvés de lourdes pertes. Nous en jugeons par le nombre croissant des blessés qui passent clopinant, se servant de leurs fusils en guise de béquilles. Vers 5 heures du soir, les 105 approchent plus drus, l’artillerie quitte ses positions  pour se mettre en batterie plus en arrière.

Le 6e corps a lutté courageusement, mais les forces ennemies sont supérieures, leur matériel plus puissant que le notre, il faut céder du terrain. Pour enrayer le mouvement ennemi, ordre est donné au 25e de se porter, par Arrancy, au bois de Lanromont ( en Belgique ). En débouchant de Beuveilles, il se trouve en pleine bataille. Le chef de Bataillon le déploie en avant du village : trois compagnies ( 2e , 3e , 4e en première ligne ), sous les ordres du capitaine Chassepot, repoussèrent diverses attaques d’infanterie allemande débouchant du bois de Tappes, et aidèrent une attaque du 8e B.C.P. sur ces bois, dans le cours de la journée.

Les trois autres compagnies restent en réserve autour du village de Beuveilles.

Dans la soirée, les 1er et 5e compagnies sont envoyées, par le Général commandant le C.A., en soutient du 162e R.I., assez fortement pressé par les Allemands, vers le bois du Fayet.

 

Quand nous arrivons à la crête, les balles allemandes rasent le sol, coupant net la tige des herbes ; quelques patrouilleurs sont blessés. On avance en minces colonnes, utilisant les moindres replis du sol. Sur la crête, nous trouvons une compagnie d’infanterie, dont presque tous les hommes, déployés en tirailleurs, sont tués. Le Capitaine, debout, attend stoïquement la mort ; il nous accueille en pleurant.

La 1er compagnie ouvre le feu, l’ennemi se tait et s’arrête interdit. Alors, la 5e compagnie, enlevée vigoureusement par le capitaine Paquin, s’élance hardiment ; elle dévale la pente est de la cote 320, mais les mitrailleuses ennemies redoublent de fureur, fauchant les hommes et les blés Le lieutenant Bigorgne atteint la lisière du bois Grand-Champ ; apercevant une mitrailleuse dissimulée dans les branches, il fonce dessus avec sa section et tombe mortellement blessé à quelques mètres de la pièce.

Le capitaine Paquin est tombé glorieusement pendant la contre-attaque. Le lieutenant Ménétrez rassemble  quelques hommes ; le sergent-major Bourchied avec une autre poignée d’hommes, luttera jusqu'à la nuit, interdisant, avec sept hommes, l’entrée de Pierrepont.

La ferme attitude des compagnies déployées, la vigoureuse contre-attaque de la 5e compagnie, ont fait stopper l’ennemi. Le 6e corps se reforme en ordre sur la rive sud de la Crusnes ; à la nuit, on prend les avant-postes sur la route de Pierrepont à Longuyon.

Vers 18 heures, sur l’ordre du chef de Bataillon, les 1re et 5e compagnies et la section de mitrailleuses se retirent du combat sans être inquiétées et se rendent à Beuveilles. Seul, le sergent Honnons, avec une vingtaine de chasseurs, ayant pris pied dans le bois Grand-Champ, attendent la nuit noire pour se retirer ; ils ramènent ce qu’ils peuvent de blessés de la 5e compagnie. Le corps du capitaine Paquin a été amené à Pierrepont.

Pierrepont et Arrancy sont en flammes. Dans la nuit, en entend les roulements des convois, des cris de blessés, des ordres ; la fusillade et le canon se sont tus, ; de part et d’autre, on se reforme après ce combat.

 

Le 23 août est une journée calme pour le Bataillon. Ordre est donné de creuser des tranchées sur les crêtes 279-283 au sud de Arrancy. Le Bataillon se trouve en contact avec des patrouilles ennemies, et, malgré un violent bombardement d’obus à shrappnells, la journée se passe sans trop d’incidents.

Vers 17 heures, par ordre du général Roques, commandant la 24e brigade, des avant-postes doivent être établis au bois de Sérupt. Une section de la 4e compagnie, commandée par le sous-lieutenant Barbua y est envoyée. Elle trouve le bois défendu et ne peut s’en emparer. Le sous-lieutenant Barbua tombe aux mains de l’ennemi dans une attaque à la baïonnette. La section se replie et continue sa mission de couverture dans le vallon des Eurantes.

Les corvées vont au loin, à Belle-Fontaine, et, ramènent un peu d’eau trouble et de soupe refroidie. On passe la nuit sur la position. Tranchées légères du début de la guerre, vous méritez un souvenir. Profondes de 40 à 50 centimètres à peine, vous montriez bien que nous avions honte de nous enterrer vivants, que nous voulions foncer baïonnette basse sur l’Allemand, et nous vous creusions plutôt pour nous mettre à l’abri du froid pendant les nuits que pour protéger nos corps des coups de l’ennemi. Mais en devenant plus profondes à mesure que dure la guerre, vous serez les témoins de notre ténacité à nous cramponner au sol que nous devons défendre.

 

Le 24 août, vers midi, en creusant l’horizon à la jumelle, nous apercevons nettement la préparation de l’attaque ennemie. Les Allemands fourmillent dans ce terrain, et font de l’infiltration à outrance ; ils avancent comme une invasion de rats dans les champs ; ils franchissent les crêtes en tirailleurs, les hommes à 15 et 20 mètres les uns des autres.

A 12h.15, le chef de Bataillon reçoit l’ordre de porter le 25 B.C.P., à la lisière du bois de Warpremont, vers la ferme Haudeville.

Une violente attaque ennemie, débouchant de Saint-Pierrevillers, occupe la longue crête, qui de la ferme Remenoncourt va sur Ollières.

La Division à notre droite a cédé. Le Bataillon exécute alors sont mouvement, échelons par échelons, pouvant se soutenir dans la retraite.

A 13 heures, les premières fractions (5e compagnie ) atteignent Rouvrois, lorsqu’un officier de l’état-major de la 42e division d’infanterie arrive à brides abattues, et informe le commandant Guy que la 42e division d’infanterie se porte à l’attaque partant de la route de Rouvrois-Spincourt, et demande de tenir le bois Deffoy comme point d’appui de gauche de cette attaque.

Le chef de Bataillon, fait alors faire demi-tour au Bataillon. Il constitue un groupe de trois compagnies ( 4e , 5e , 6e ), sous les ordres du capitaine Chassepot, qui prolongera l’attaque du 162e R.I., et un groupe de trois autres compagnies ( 1re , 2e , 3e Cies ) pour constituer un autre point d’appui autour du bois Deffoy. Peu après, il est informé que le Colonel du 106e R.I., ramène des éléments du 106e R.I et du 132e R.I. entre le bois Deffoy et Arrancy.

A ce moment, on voit un bataillon du 162e R.I se porter de Rouvrois sur la ferme de Remenoncourt, parallèlement à la route reliant les deux points. Les compagnies du groupe Chassepot traversent la voie ferrée à la lisière est du bois Deffoy. La 3e compagnie et la section de mitrailleuses s’établissent à la lisière nord, et la 1re compagnie est mise en repli entre Rouvrois et le bois Deffoy.

Les 4e et 6e compagnies ouvrent le feu sur les troupes allemandes qui ont occupé la croupe au nord de la ferme de Remenoncourt pendant le mouvement de repli du 25e. Les balles rasent le talus de la voie ferrée et claquent sur les rails. Le capitaine Chassepot enlève ses trois compagnies, les chasseurs bondissent, trébuchent dans les fils de fer qui longent la voie, se relève hardiment, et, dans les blés murs, baïonnette basse, méprisant la mort, foncent sur la tranchée allemande qui couvre la ferme de Remenoncourt. Nos mitrailleuses sont criblées de balles et enrayées, elles ne peuvent plus appuyer le mouvement.

Le Bataillon du 162e R.I, a dépassé la ligne de chemin de fer et s’engouffre tout entier dans le château de Remenoncourt ; le château ayant été pris comme objectif par l’artillerie  allemande, il en sort et se retire sans marquer de temps d’arrêt par Rouvrois, sur le bois de Warpremont.

Lorsque le capitaine Chassepot vit la retraite du 162e R.I. commencer, il reportera ses compagnies en avant pour essayer d’entraîner ses voisins. Les compagnies subirent alors de très lourdes pertes, presque tous les officiers, un grand nombre de sous-officiers tombèrent. Le capitaine Chassepot et le lieutenant Chalon furent laissés pour morts sur le terrain.

Les éléments du 106e et du 132e, se trouvant à la gauche du Bataillon, se replièrent à leur tour dans la direction de Pillon.

Sans direction, laissés à découvert par suite du recul de leurs voisins , les débris des unités suivirent la retraite du 162e et se retirent sur Pillon.

Le Commandant du 25e B.C.P. pris la décision de rester le plus longtemps possible autour du bois de Deffoy, pour couvrir la retraite des corps voisins et reconstituer la Bataillon.

 

Vers 17 heures, les attaques allemandes se développaient autour du bois Deffoy et menaçaient d’encercler les trois compagnies qui l’occupaient. L’artillerie ennemie concentrait son feu sur le bois. Le Commandant donna l’ordre de repli.

La retraite s’exécuta par échelons de compagnie, 2e compagnie, puis 3e sous la protection de la 1re compagnie. Pendant ces mouvements, le capitaine De Raulin est grièvement blessé, près du bois Deffoy. Malheureusement, nos laissons beaucoup de blessés sur le terrain ; le développement de la bataille empêche de les ramener à l’arrière. Seuls, les blessés pouvant marcher pourront être évacués, et ce sera l’infime minorité, car les blessés du 24 août furent surtout aux jambes.

Le chasseur Nicolas ( Maurice ), de la 3e compagnie, sera amputé de la cuisse droite ; Lauvard ( René ) de la 4e compagnie, est grièvement blessé à la jambe gauche. Par contre, Copigneaux ( Auguste ), de la 3e compagnie, sera amputé du bras gauche, et, Verbrigghe ( Joseph ), de la 6e compagnie, sera complètement aveugle.

 

Vers 18h. 30, la 1er compagnie a achevé sa retraite sur Rouvrois.

Deux sections de cette compagnie, groupées sous les ordres du commandant Guy, forment une petite arrière-garde ; on ramène tous ceux qui passent, des blessés même se joignent au Commandant qui prend résolument un fusil et fait le coup de feu, tout en fumant cigarette sur cigarette. Son grand calme se communique aux chasseurs, qui ajustent leur tir comme à la cible.

Après quelques instants de lutte, les restes du Bataillon se replient sur Rouvrois-sur-Othain, et tiennent toujours en respect une forte ligne allemande qui avance lentement sur deux rangs, le fusil à la hanche, et inondant le terrain d’une avalanche de balles.

Le Commandant Guy reforme une petite réserve à l’ouest de Rouvrois, tandis qu’un groupe de chasseurs, sous les ordres du lieutenant Durel, de la 1re compagnie, occupe les vergers à l’est du village, tenant toujours la longue ligne ennemie, qui se terre et commence les tranchées.

Tout à coup, débouche du bois Deffoy un bataillon allemand formé en carré, drapeau déployé au centre de cette formation. Les quelques chasseurs qui sont là ne se tiennent plus de joie, un tir précis crépite. Sous les coups de cette brusque rafale, le carré allemand s’aplatit à terre, et les Allemands fuient en débandade dans les blés.

L’ennemi croyant à une forte résistance renonce à son attaque.

Le commandant Guy, les larmes aux yeux, désespéré de laisser tant de camarades là-haut aux mains de l’ennemi, ordonne à un clairon de sonner le refrain du Bataillon : Dans ce crépuscule sanglant, c’est comme un adieu suprême à ceux qui restent : tués ou blessés.

Le clairon répète son appel. Rien ne répond.

Un silence tragique règne dans ces champs désolés, après le fracas de la journée ; de toutes parts s’élèvent les grandes torches des villages et des fermes qui brûlent.

Les débris du 25e restent seuls sur le terrain, personne à droite, personne à gauche. Seuls en face des forces ennemies que nous savons terrées loin de nous.

Une centaine de chasseurs suivent le commandant Guy, en une colonne sombre qui se glisse dans la nuit. A quelques kilomètres à l’ouest, nous rencontrons nos avant-postes, les survivants du 25e se rallient à Pillon et à Mangiennes.

 

 

LA VAUX-MARIE (9 SEPTEMBRE 1914)

 

 

Après les durs combats des 22 et 24 août, le 25e franchit la Meuse au nord de Verdun à Charny et par Romagne et Samogneux, il se dirige sur Cumières, où nous arrivons le 27 août.

C’est là, sur la rive gauche de la Meuse, que nous recevons les premiers renforts venant du dépôt.

Le 25e forme les avant-postes de la 40e division ; il est chargé de la défense de la Meuse, de Cumières au bois de Forges, où il se relie au 29 B.C.P.

 

Il stationne dans cette situation jusqu’au 31 août. A cette date, il est relevé par des unités de réserve, et se porte dans la nuit par Bethincourt et Montfaucon à Cierges, puis le 1er septembre, au lever du jour, vers Cléry-le-Grand, où il est en réserve de la 40e D.I. Le 6e corps d’armée défend le passage de la Meuse, le Bataillon n’est pas engagé. Le soir, il bivouaque près de Gesnes.

Tout-à-coup, une nouvelle stupéfiante se répand dans les lignes : «  Les Allemands sont à la Fère et marchent sur Paris !. »

Beaucoup de chasseurs du 25e sont affectés de cette terrible nouvelle, car, en effet, l’effectif du Bataillon est composé de recrues et de réservistes de la région du Nord, de la Meuse et de Paris. Nos gars du Nord pensent à leurs foyers envahis, les autres aux parents traqués par l’envahisseur. Aussi l’énergie et la fureur de tous redoublent lorsque plus tard apparaîtront les premiers éléments ennemis.

Mais une manœuvre savante va nous obliger à reculer, alors que nous pouvions résister encore ; nous devons abandonner de nouvelles tranchées sans que l’ennemi ait osé approcher. Nous apprendrons dans quelques jours l’heureuse issue de ces contremarches, que tout en maugréant, nous exécutions. Nous sommes harassés, nous dormons à peine, nous touchons du bout des dents à la viande froide que nous portons dans nos gamelles individuelles, mais ce qui plaît à tous, ce sont les fruits dont les arbres des vergers meusiens sont couverts, fruits encore imparfaitement mûrs et dont l’absorption a pour résultat le déploiement des compagnies en tirailleurs…accroupis.

 

Le 6e corps doit lier son mouvement à celui de la ligne entière qui pivotant sur Verdun va venir s’appuyer sur la Marne.

Et c’est ainsi que le 2 septembre la retraite reprend.

 

Le Bataillon bivouaque le 2 à la lisière du bois Chéhémier, cantonne le 3 à Ricecourt, le 4 à Heippes, le 5 à Erize-la-Grande.

Dans la nuit du 5 au 6 septembre, le 6e C.A. se reporte en avant pour arrêter l’ennemi.

A minuit, le 25e et le 26e B.C.P., sous les ordres du Commandant du 25e se portent au bois d’Ahaye pour former la flanc-garde à droite du 6e C.A. pendant sa marche vers le Nord. Le 25e exécute rigoureusement toutes les manœuvres compliquées et cela grâce à la vaillance du lieutenant Dumont, adjoint au commandant Guy, qui, monté pourtant sur un cheval gris n’hésite pas traverser des espaces battus par la fusillade.

 

Pendant toute la journée du 6 septembre se développe une bataille indécise mais très meurtrière où les 3e et 5e compagnies furent admirables, ces deux compagnies tenaient la lisière du bois d’Ahaye face à Saint André. Une batterie allemande vient se poster à 400 mètres à peine de la lisière et ouvre un feu rapide sur nos chasseurs. Profitant de la surprise, les fantassins allemands se ruent sur nous, et parviennent à prendre pied dans un layon.

Aussitôt, le capitaine Hilpert ( quoique déjà blessé à la cuisse par une balle le 24 août ) contre-attaque avec un groupe de chasseurs et parvient à reprendre la lisière du bois ; une balle tirée à bout portant vint lui fracasser la mâchoire. Malgré ses deux blessures, le capitaine Hilpert refuse de se laisser évacuer. Il devait payer de sa vie cet héroïsme, car quatre jours plus tard il fut frappé à mort pendant une reconnaissance à La Vaux-Marie.

Le chasseur Morel ( Jean ), de la 2e compagnie, était grièvement blessé à la jambe droite.

A la nuit le Bataillon prit les avant-postes de combat à Deuxnouds, sur la croupe sud-est de ce village.

 

Le 7 septembre la retraite reprend ; le Bataillon, réserve de C.A., est envoyé à la cote 318 ( 1.500 mètres sud-est d’Erize-la-Grande. C’est à ce bivouac que l’ordre du général Joffre annonçant la bataillon de la Marne lui parvient.

Vers 17 heures, le 6e C.A. ordonnait au 25e B.C.P., au 26e et au 29e B.C.P., de se porter en urgences à La Vaux-Marie pour relever des unités très éprouvées par des attaques allemandes.

Le Bataillon prend pied sur le plateau de La Vaux-Marie et, régulièrement déployé en losanges, avance méthodiquement, par petites colonnes, jusqu’à la station de La Vaux-Marie, où il s’organise le long de la voie ferrée, ses soutiens en arrière du ravin 266.

Le 25e est encadré, à gauche par le 29e B.C.P. qui occupe la station de La Vaux-Marie, à droite par le 26e B.C.P.

Le 6e corps déploie toute son artillerie au sud de la grande crête : La Vaux-Marie, Rembercourt-aux-Pots. Le lieutenant-aviateur Reichel règle minutieusement les tirs sous la direction du Général Herr, qui commande les feux de neuf groupes d’artillerie ; des concentrations  terribles de notre artillerie  s’abattent  sur Sommaisne. Les allemands fuient en tous sens comme des fourmis bousculées  dans leur fourmilière.

Les Allemands sentent que la lutte sera dure sur toute la ligne.

Notre résistance s’affirme. Soutenus enfin par une puissante artillerie, nous pensons que l’ordre du jour célèbre du Général commandant en chef ne sera pas un vain mot. Chacun se redresse pour le suprême effort dont va dépendre le sort de la guerre.

Aussi les Allemands, dans l’espoir de faire craquer le pivot de notre front, lancent vers une heure du matin une formidable attaque sur la plateau de Rembercourt, en direction de Bar-le-Duc.

De toutes parts surgissent des colonnes serrées et profondes, suivant les routes et les chemins, précédées de guides qui jalonnent la direction par des fusées, et au loin on entend  le beuglement sinistre des clairons allemands. Tous nos nerfs se tendent.

A bout portant, nos fusils claquent dans les jambes des premiers fantassins ennemis qui approchent, mais ils avancent quand même, poussés par le nombre. Ils avancent comme des automates, sans se soucier des pertes subies. Alors les baïonnettes entre en action, les balles sifflent dans toutes les directions, c’est une mêlée indescriptible. La 5e compagnie, tapie dans le fossé d’une route, ouvre un feu de salve sur une troupe allemande qui défilent à un mètre d’elle, sur la route, et dont la présence a été dévoilée par l’incendie de la ferme Vaux-Marie qui a pris instantanément.

Laissant la baïonnette, des combattants en viennent aux mains, et le lendemain, on a retrouvé de nombreux cadavres de chasseurs et d’Allemands encore enlacés dans une lutte suprême et terrible, ces hommes se crevant les yeux  et s’arrachant les entrailles.

Ce seul exemple montrera l’héroïsme de ceux qui tinrent à la Marne, luttant jusqu'à la mort avec leurs poings, pour sauver la terre sacrée.

L’Allemand n’avancera plus.

 

Les pertes qui avaient été très fortes pour les Français ne le furent pas moins pour les Allemands :

«  Le 120e régiment Wurtembergeois se reforma le soir du 10 à deux petits bataillons ; au 121e , 508 hommes tués, blessés ou disparus ; au 124e , 8 officiers, 213 hommes tués, blessés ou disparus ; au 127e , 17 officiers, 729 hommes, etc., etc. ( D’après l’étude du colonel Etienne, dans La Bataille de la Vaux-Marie, par P.Jolibois, instituteur à Laheycourt. )

 

Le 29e B.C.P. avait magnifiquement défendu son terrain, ce terrain que l’on a appelé par la suite le cimetière du 29e. Le soir du 10, au signal de Belrain , le lieutenant Itier commandant provisoire les glorieux restes du 29e , parvint à rassembler 650 hommes et 4 officiers, seuls survivants valides des 1.400 hommes qui avaient combattu trois jours sur la ligne Rembercourt-Vaux-Marie. Le commandant Renouard était blessé. «  Historique du 29 B.C.P )

Au 25e, nous perdions 7 officiers : 2 tués, le capitaine Hilpert et le lieutenant Montagnier ( blessé, disparu ) et 5 blessés parmi lesquels le capitaine Dumont, et le lieutenant Dumont, officier adjoint au Commandant. Plus 110 gradés et chasseurs tués ou blessés.

 

Le Commandant du 25e reçoit le 10 septembre, vers 8 heures du matin, l’ordre de prendre le commandement des 25e , 26e et 29e B.C.P. et de les porter sur les hauteurs de Belrain en vue d’y organiser une position de repli pour le 6e C.A.

C’est là que nous apprenons la Victoire de la Marne. L’ennemi partout a reculé et fuit vers le Nord.

Le Bataillon bivouaque au signal de Belrain les 11 et 12 septembre, le 13 à Longchamps-sur-Aire, le 14 à Senoncourt, le 15 à Verdun, aux Casernes Miribel.

 

 

LES JUMELLES D’ORNES (16-20 sept.)

 

 

La poursuite continue, exaltant les cœurs, on se donne rendez-vous sur le Rhin.

Le 16 septembre, on retrouve l’ennemi cramponné aux Jumelles-d’Ornes. Le Bataillon prend position dans les bois de Maucourt ; bien triste souvenir que ce séjour. La pluie ne cessa de tomber, la terre des bois déjà humide est saturée d’eau, on enfonce à chaque pas. Des cadavres de uhlans et de cuirassiers Français témoignent de leur ardeur dans la poursuite et de la férocité de la lutte.

Des deux côtés les coups de canons sont rares. Les réserves d’obus semblent épuisées de part et d’autre. L’interminable guerre de tranchées va commencer.

Après quelques jours d’avant-postes, le Bataillon est relevé, le 20 septembre, par le 164e R.I. et dirigé au repos à Belrupt. La joie du repos devait être troublée par le départ du commandant Guy, promu Lieutenant-Colonel pour prendre le commandement du 54.R.I. Le Bataillon perdait le chef qui l’avait mené pour la première fois au feu, et tout en se réjouissant de son avancement, regrettait profondément son départ.

Le commandant Rauscher prenait le commandement du 25e B.C.P.

 

Le 25e B.C.P. sous les ordres du COMMANDANT RAUSCHER

 

 

SAINT-MIHIEL (sept.-nov.1914)

 

 

Profitant d’une erreur dans les mouvements du 15e corps d’armée qui tient la Woëvre, les Allemands foncent sur Saint-Mihiel. On fait appel aussitôt aux  chasseurs de Saint-Mihiel, les 25e et 29e , et à la 40 D.I pour attaquer vigoureusement dans le flanc les troupes ennemies qui déferlent sur la Meuse.

En même temps une attaque part de Toul. Ces deux attaques, qui ne réussiront qu’à endiguer l’avance ennemie, auront comme résultat la création  de la fameuse boucle de Saint-Mihiel qui ne sera réduite qu’en 1918 sous les assauts des Américains. 

Par un jour triste et pluvieux, le 25e est en marche sur la route de Dieue à Saint-Mihiel. Dans un brouillard épais, il se déploie sur la crête de 294 au nord de Spada. C’est là qu’il reçoit, le 25 septembre, l’ordre d’enlever la pointe du Gilaumont et de Senonville. Avançant résolument dans les fourrés, il reprend avec l’aide du 29e B.C.P. la pointe de Gilaumont.

Au moment de foncer sur Senonville, une fusillade nourrie éclate dans les bois sur notre droite. A ce bruit les blessés ou faux blessés ennemis, que nous avons laissés derrière nous, saisissent leurs armes et nous tirent dans le dos ; il faut tout l’ascendant et le calme des chefs pour maintenir l’ordre.

Des groupes tournent sur eux-mêmes, ou se tirent les uns les autres. Le commandant Rauscher ordonne de former le carré, ce qui sauve le Bataillon.

Les mitrailleuses balayent les layons avoisinants. Le Bataillon se retire en ordre sur Spada. Malheureusement, nos fantassins de la brigade voisine, qui avaient pu pénétrer à Lavigneville, ont été pris de panique, étant tombés sur une batterie allemande qui a ouvert le feu à bout portant sur eux. Toute la ligne reflue à la Meuse où l’on se cramponne. La 40e division tient solidement la cote 294 et la Selouze.

 

Nous avons essuyé ce jour-là un bombardement par obus que nous avons aussitôt appelés «  Gros Noirs ». Par rafale de deux ou quatre, ils éclataient avec un bruit de tonnerre, dégageant une fumée noire, faisant, certes, beaucoup plus de bruit que de mal ; il nous arrivera de dire par la suite qu’ils se cassaient en deux, tant les éclats recueillis étaient gros.

 

Le 28 septembre, les Allemands lancent une violente attaque sur ce sommet de 294, mais leurs vagues d’assaut viennent fondre sous le barrage violent et précis du 40e d’artillerie. Là encore l’ennemi n’avancera plus.

De notre coté, nous avions perdu pendant ces attaques le lieutenant Debeney, grièvement blessé et qui sera amputé d’un bras ; 246 gradés et chasseurs, tués ou blessés, manquaient à l’appel. Parmi les plus grièvement atteints : David ( Ernest ), 3e compagnie ; Gutter ( Henri ), 1re compagnie ; Favrin ( Louis ), 2e compagnie ; Matthieussent ( Jules ), 5e compagnie ; Matignon ( Maurice ), 3e compagnie.

 

 

ROUVROIS-SUR-MEUSE et la COTE 322 (nov.1914-mars 1915)

 

 

La guerre de tranchée commence alors déprimante, monotone ; les habitudes du temps de paix reprennent le dessus, les rapports, les comptes-rendus commencent à pleuvoir ; on compte les coups de pioches et de pelles, les mètres de boyaux, le nombre de balles tirées.

Un coup de canon devient un évènement, la sortie d’une patrouille, un fait d’armes.

 

Le 14 novembre, pour coopérer à une attaque générale sur Chauvoncourt menée par la 65e division de réserve avec appui de la 40e division, les 25e et 29e B.C.P. s’élancent à l’assaut de la cote 322 ( Sainte-Marie ) , à 3 kilomètres au nord de Saint-Mihiel, position défendue en première ligne par une tranchée blindée et complètement recouverte.

L’ordre d’attaque est donne au 25e : aux 2e , 5e et 6e compagnies.

 

Pendant la nuit du 16 au 17 novembre, les trois compagnies débouchant des parallèles de Maizey et du Rû-de-Crue arrivent à proximité du réseau allemand à 322. La 2e compagnie est commandée par le capitaine De Lardemelle, la 5e compagnie par le capitaine Ménétrez, la 6e compagnie par le lieutenant Durel.

Une attaque par surprise au lever du jour aurait peut-être donne un résultat, mais l’assaut n’eut lieu que l’après-midi. Dès le lever du jour du 17, les guetteurs allemands ( Bavarois ) ont pu se rendre compte par les allées et venues des agents de liaison montant les pentes de 322, qu’une attaque se préparait. Dans les boyaux de communication  occupés par les compagnies d’assaut, il est impossible de passer. Dès ce moment l’attaque était manquée, l’ennemi avait amené sur ce point tout un matériel de siège tiré de Metz, blindage pour tireur, canons-revolvers, etc..

Notre attaque ne fut appuyée que par une centaine d’obus de 155 tirés à bout de portée par les canons de Woimbey ( 155 Rimailho ). Malgré ce tir peu efficace, la charge fut lancée.

 Le capitaine De Lardemelle, le sous-lieutenant Godefroy tombèrent foudroyés sur les réseaux allemands intacts. Le capitaine Ménétrez, grièvement blessé, fut emmené à Verdun où il expira quelques jours après. L’adjudant Larcher, de la 2e compagnie, le sergent Chandelier de la 3e compagnie étaient tués en entraînant brillamment leur section. Le chasseur Cantin, de la 5e compagnie, veut, avec quatre de ses camarades, aller relever le capitaine Ménétrez. C’est lui qui soutient la tête de son capitaine mourant, il se place de façon à la protéger de ennemi.

Les Allemands ouvrent le feu sur ce triste cortège et Cantin tombe à son tour mortellement atteint.

Le corps de ce brave chasseur ne peut être relevé que trois mois après, nul n’ayant pu s’aventurer sur ce terrain sans cesse balayé par le feu de l’ennemi.

Le sergent Coutant, de la 1er compagnie, est très grièvement blessé.

Plus heureux, le caporal Queré, de la 3e compagnie, prend le commandement de sa section et l’entraîne en avant.

Le chasseur Dusseaux, de la 2e compagnie, grand diable de bûcheron meusien, veut absolument aller dénicher un Boche derrière son créneau : il reçoit une balle à bout portant. C’est le chasseur Esselbord, de la 6e compagnie, qui s’offre volontairement pour aller couper des fils de fer devant la tranchée ennemie. Les chasseurs se blottirent jusqu’à la nuit dans les moindres replis du terrain, et le soir à 9 heures, la retraite fut ordonné.

Le lendemain 18, le sergent Bousquet part avec deux chasseurs du poste F pour tuer des allemands à l’éperon boisé nord-est de 322. Il est tué avec ses camarades à quelques mètres de la lisière du bois.

 

Héroïques sacrifices !

 

Ils ne comptent pas pendant ces journées de novembre 1914 ! Au court des assauts répétés de nos camarades sur des fils de fer intacts défendant  une tranchée blindée, nos pertes furent cruelles : pour le 25e , 51 tués, 98 blessés ; au 29e, 22 tués, 69 blessés.

Après les durs combats de la cote 322, le calme commença à régner sur les bords de la Meuse, et le Bataillon put étudier une installation qui devait être de longue durée. Certes, la plupart croyaient encore à une guerre très courte et bien des rêves évoquaient un formidable «  rouleau compresseur moscovite. » .

Mais d’autres eurent heureusement la vision, l’intuition d’une longue campagne, et comprirent la nécessité de créer de solides organisations de défense et d’améliorer l’installation matérielle de tous, petits et grands. On se mit donc à l’ouvrage.

Rouvrois était une riche localité paresseusement allongée entre le canal et la route ; les bombardements d’automne l’avaient quelque peu animée, l’église était fortement touchée le 22 octobre ; et, en novembre les habitants devaient partir.

 

Le 26 novembre, les derniers civils avaient quitté les demeures amies et une fois de plus le Bataillon avait eu le tragique et inoubliable spectacle de l’exode des populations devant l’envahisseur. 

En raison de leur départ précipité, provoqué par l’insécurité de la région, les habitants durent abandonner toutes les richesses mobilières que les chasseurs eurent comme mission  de protéger. Ils s’acquittèrent de cette mission avec le plus grand zèle et après chaque bombardement, s’empressèrent de sauver du désastre tout ce qui était encore utilisable comme mobilier : literie, ustensiles de ménage et de cuisine,  etc,. Le tout était reparti entre les locaux restés intacts ou descendu dans les caves qui, peu à peu se transformèrent en logis confortables. 

Dans la précipitation du départ, quelques animaux aussi avaient été abandonnés par leurs propriétaires ; ils furent recueillis, engraissés avec les déchets des cuisines, pour finalement être sacrifiés sur les autels de l’ordinaire, afin de leur éviter un massacre inutile par les obus ennemis.

Les bombardements en 77, en 105 fusants, voir même en 210, étaient fréquents, en effet.

Pourquoi cet excès de calibre pour une localité aussi paisible ?

Peut être parce les chasseurs du 25e étaient connus par les Allemands comme de redoutables adversaires, qu’il fallait combattre partout ?

Peut être aussi  tout simplement parce que notre artillerie avait installé une pièce de 155 à la sortie sud du village ?

Et une très active batterie de 90 entre Rouvrois et le calvaire ? Cette dernière particulièrement agressive, se faisait parfois un point d’honneur de continuer le tir pendant le bombardement ennemi, et, nul sans doute que ses effets ont du gêner bien souvent les lignes adverses.

Quoiqu’il en soit, on se mit à utiliser, les caves, le sous-lieutenant Ausseur commença un travail considérable dans une carrière de craie, travail qui était montré bien volontiers aux visiteurs, rares d’ailleurs. Enfin des abris furent creusés en des endroits favorables, un en particulier fut rapidement construit et aménagé pour le Commandant par les brancardiers du Bataillon, cet abri était même entouré d’un jardinet avec gazon, cor de chasse, l’aspect en fut des plus coquets.

Ces brancardiers, qui devaient jouer un si grand rôle dans l’histoire du Bataillon, étaient pour l’instant, peu occupés ; fanfaristes sans emploi puisque les instruments étaient restés à Saint-Mihiel, ils perfectionnaient leur instruction médicale, technique et morale, sous la direction du médecin major Hauwuy, dont l’activité était inlassable ; c’était lui que l’on voyait un des premiers après chaque bombardement, suivi de son fidèle et intrépide médecin aide-major Caillet, parcourant tout souriants les différentes rues pour constater la «  casse ».

Grâce à sa direction active et intelligente, les blessés étaient rapidement recueillis et soignés ; nombreux furent ceux qui lui ont conservé une profonde reconnaissance.

Les travaux d’installation étaient exécutés pendant le demi repos accordé aux compagnies à chaque descente des lignes, où s’exécutaient avec intensité des travaux bien plus pénibles et dangereux. Le secteur était très étendu : au sud, une partie basse le long du «  Rupt-de-Creue » qui inondait souvent les pentes M et N ; au nord, une vaste croupe avec un observatoire central, la cote 269, objectif fréquent de l’artillerie ennemie. En flèche sur la route de Spada, un poste délicat : la papeterie de Bel-Air, avec laquelle pendant longtemps on ne put communiquer que de nuit. Autour de ce poste, plusieurs passerelles permettant à nos patrouilles de sortir, mais favorables aussi à un coup de main ennemi ; heureusement la vigilance des chasseurs et de leurs gradés ne put jamais être prise en défaut. Ce fut toutefois un soulagement lorsqu’on put détruire ces moyens de passage, que nos patrouilles pouvaient facilement remplacer par des moyens temporaires.

Entre l’ennemi et nous, un vaste espace qui servait de terrain de manœuvre de nuit pour nos patrouilles dont les objectifs étaient surtout le contour extérieur de Spada et le sol entre la croupe 269 et 294 où il y eut même quelques légères rencontres.

Dans l’ensemble, ces patrouilles ne rencontraient personne, les Bavarois étant peu enclins aux promenades nocturnes, et cependant nombreux étaient les patrouilleurs volontaires qui s’embusquaient pendant de longues nuits d’hiver près d’un passage probable de patrouilleurs ennemis. Parmi ces patrouilleurs, un des plus connus était le sergent Ballon, vieux forestier, venu au Bataillon à la mobilisation, véritable modèle de vertus militaire, ferme et paternel pour ses jeunes camarades, ardent et tenace dans la lutte entreprise contre l’ennemi.

Le caporal Charles va reconnaître une passerelle allemande sur le Rû-de-Creue, mais ne peut la démolir à cause de la gelée.

Le caporal François donne d’utiles renseignements sur le réseau de fil de fer en avant du bois Triangulaire.

Dans la matinée du 6 janvier, deux chasseurs de la 3e compagnie ( Jouanneau et Gautré ) explorent, en avant du poste S., le terrain sur lequel les Allemands sont venus dans la nuit du 4. Il trouvent deux doubles boites en bois, munies de cordon Bickford et contenant chacune 500 grammes de dynamite.

Dans la même journée, un obus de 105 tombe sur la 2e compagnie et blesse grièvement le chasseur Cavan, qui sera amputé du bras gauche.

Quelquefois des coups de main étaient essayés. L’ennemi, sur ses gardes, ne se laissait pas surprendre, et les meilleurs dévouements ne réussissaient pas à ramener le prisonnier demandé par le commandement.

 

Le 13 janvier, la 1re compagnie, sur les ordres du capitaine Contal, exécute une opération sur le bois Triangulaire, avec mission de détruire les travaux ennemis existants. A 21 h.45, les patrouilles de la 1er compagnie arrivent au réseau allemand, mais la garnison ennemie est très attentive, et un feu violent d’infanterie et de mitrailleuses accueille nos chasseurs. Le chasseur Huon, qui s’était volontairement offert pour couper les fils de fer, est mortellement frappé d’une balle en pleine poitrine.

L’effet de surprise est manqué et le travail de destruction ne peut être exécuté.

 

En février 1915, un sous-officier du Bataillon prétendit avoir été à Spada, et même avoir allumé une cigarette dans ce village ; l’émoi est grand, en effet, les comptes rendus du commandant de compagnie, en position dans ce secteur, indiquait Spada comme étant très solidement tenu par l’ennemi.

 

Le 4 février, à 10 heures du matin, ont lieu les obsèques du chasseur Souchet, 6e compagnie, tué pendant un bombardement de Rouvrois, et du chasseur Cantin, tué le 17 novembre à 322.

Pendant ces obsèques, des shrappnells éclatent juste au-dessus du cimetière et blessent grièvement le chasseur Prévost (5e Cie).

Le soir, à 20 heures, le capitaine Durel, commandant la 6e compagnie, décide, pour mettre fin à une dangereuse polémique, d’occuper avec son unité le village de Spada. ( Opération dramatique qui fut tentée par la section du lieutenant Pinart. ).

A 23 heures, la troupe ardente se glisse le long du Rupt-de-Creue, mais se heurte à un poste solide….Les pertes sont sérieuses ; le lieutenant Pinart et ses chasseurs sont grièvement blessés, parmi lesquels le chasseurs Huet qui sera amputé de la jambe droite.

Le capitaine Durel, qui, connaissant la difficulté de l’opération, accompagne ses chasseurs avec lesquels il était lié par une affection profonde et réciproque , est blessé. Ce fut un bel exemple de cette solide et cordiale camaraderie de combat, une des plus précieuses qualités de notre beau Bataillon. 

Dans l’ensemble, le secteur était plutôt calme, surtout comparé aux tempêtes prochaines ; l’activité s’employait surtout au travaux de terrassement, de savantes fortifications couvraient peu à peu le terrain ; des fortins pour mitrailleuses étaient construits et en peu de temps, la position confiée au Bataillon était des plus solides ; entre-temps, quelques exercices de combat étaient exécutées dans le ravin des « Gros-Noirs. », et même un champ de tir, avec objectifs variés, avait été installé en avant de notre première ligne vers le col 294 ;  champ de tir qui échappait aux vues directes de l’ennemi et dont le régime ne fut jamais troublé par le tir adverse. 

En général, les compagnies restaient un ou deux jours en première ligne, un jour à la carrière de sable en réserve, puis venaient en demi repos, employé au nettoyage et à quelques exercices physiques. En effet, le tir allemand s’effectuait sensiblement aux mêmes heures chaque jour ; on prit donc l’habitude des jeux en plein air, des assouplissements de gymnastique ou d’escrime à la baïonnette ; bien entendu, au premier obus chacun filait dans son trou pour en ressortir après l’orage.

Quelques officiers montaient à cheval, parmi eux le docteur Hauwuy, instructeur d’équitation pour les sous-lieutenants nouvellement promus. En cavalier accompli, il avait tenu à loger ses chevaux à Rouvrois même, au lieu de les laisser avec les autres à Lacroix-sur-Meuse ; mais il n’avait pas fait aménager d’abris pour ces pauvres bêtes et, un beau jour, un obus indiscret entra dans l’écurie et mit les deux montures hors de combat.

 

La nourriture était soignée, les approvisionnements arrivaient très régulièrement ; ce service, d’ailleurs, ne donna jamais, pendant tout la guerre, sujet à mécontentement, il avait à sa tête un homme expert, débrouillard et adroit entre tous, le lieutenant Rauch, bien connu dans toute la région où sa bonne humeur ne lui faisait que des amis, qui affectueusement l’avaient surnommé «  Totor  »

 

En somme, la vie à Rouvrois était plutôt facile ; c’était une espèce de caserne, parfois bombardée, mais toujours gaie ; chaque compagnie organisait des petites réjouissances ; les clairons répétaient joyeusement chaque jour ; enfin le sport passionnant de la pêche était pratiqué sous toutes ses formes, de jour comme de nuit, avec tous les engins connus ou même inventés ; parmi les pêcheurs, seuls les vrais fanatiques pratiquaient la pêche à la ligne ; comme les rives de la Meuse et du Canal étaient vues de l’ennemi, ils attendaient un brouillard favorable et aussitôt se mettaient en campagne, puis le brouillard se levait et l’artilleur allemand s’empressait d’envoyer quelques coups de 77 ou 88 aux pacifiques pêcheurs qui pliaient bagage avec une sage lenteur.

 

La vie s’écoulait ainsi sans incidents notables ; les rapports étaient convenables avec les autres troupes occupant le même cantonnement, fantassins ou artilleurs ; on ne peut guère noter que deux désaccords, ayant amusé nos esprits ; près de la sortie du village, une lumière se montrait chaque soir au grand scandale des fantassins, qui, la voyant d’un peu loin, la considérait comme un signal…. ce n’était que la bougie du fourrier de la 6e compagnie dont la lumière, cependant bien pâle, filtrait à travers un volet endommagé.

Un autre jour, il y eut grande plainte d’un officier d’infanterie au sujet, de chasse au chat organisée dans le village, chasse au fusil de guerre ou de chasse, on ne sut jamais. Enquête longue et délicat….puis des fantassins sont pris en flagrant délit et le calme se rétabli.

Malgré cette apparence de quiétude et de tranquillité, cette période fut une des plus tristes de la guerre ; avec des travaux de sape qu’il fallait faire dans la boue, par les nuits pluvieuses et froides de l’hiver 1914-1915, les chasseurs ne grognaient pas ils «  râlaient », mais ils allaient quand même, ils râlaient pour le transport des rondins dans la boue gluante, ils râlaient pour la garde de nuit, ils râlaient pour tous les travaux de cantonnement.

 

Ce n’est que le 20 février 1915, date du départ du commandant Rauscher, nommé lieutenant-colonel au 304e R.I.; que, sous l’impulsion vigoureuse et fière du commandant Cabotte, nommé à son remplacement, le 25e retrouvera son âme, qui a tant gémi, qui a tant souffert.

Le 20 mars, le Bataillon reçu l’ordre de partir dans la nuit et de se rassembler à Troyon.

Nous avions perdu pendant ce séjour à Rouvrois ; 3 officiers tués et 304 gradés et chasseurs tués ou blessés.

 

Au fond, personne ne savait où l’on allait, mais comprenait que ce départ annonçait un changement de vie radicale, et en effet, c’était le commencement d’une longue période particulièrement héroïque où les unités retrouvèrent leurs brillantes qualités d’août -septembre 1914. Car ils avaient l’âme bien chevillée au corps ceux qui, après les journées d’amertume de l’hiver, devaient relever le défi, et se montrer si crânes et si braves dans la bataille, une des batailles les plus terribles de la guerre : Les Eparges.

 

 

LES EPARGES (mars-avril 1915)

 

 

Dans la nuit du 20 au 21 mars, les compagnies se rendent successivement à Troyon. Pour la première fois depuis longtemps, les chasseurs refaisaient connaissance avec l’arrière et ce premier contact ne fut pas très apprécié.

Troyon était, à cette époque, encombré par une nombreuse garnison de troupes et de services ; impossible de se caser, même pour quelques heures. Les cuisines ne fonctionnèrent que tardivement ; par contre une activité incessante se manifestait chez les habitants, presque tous transformés en débitants de boissons. C’est mêlé à cette cohue que le Bataillon essaie de se reformer et de se nourrir. Mais à peine y parvenait-il que vers 10 heures du matin l’ordre vint de se mettre en route aussitôt sur Génicourt, puis Rupt-en-Woëvre.

Le rassemblement est sonné, les rangs se forment, mais la soupe n’a pu être mangée par tous et, par contre, les approvisionnements en vin sont avalés goulûment.

La colonne s’ébranle, le temps est lourd, très chaud pour la saison, il fait présager les orages, qui vont nous occasionner plus tard tant de souffrances physiques, la marche est pénible, le vin fermente. Et cependant l’arrivée au cantonnement de Rupt est parfaite, la clique se ressaisit, composée de 27 lurons dont plusieurs caporaux de réserve, elle réveille les chasseurs assoupis, sonne avec un entrain endiablé pendant le défilé, si bien que le Bataillon passe superbement devant sont chef, le commandant Cabotte, auprès duquel se trouve le Commandant du début de la campagne, lieutenant –colonel Guy, auquel officiers et chasseurs qui l’avaient connu étaient restés profondément attachés.

Dès le soir même l’installation se fait dans ce nouveau cantonnement encombré, comme Troyon, par des troupes au repos et surtout de très nombreux services largement espacés. Mais qu’importe la gêne, chacun a bien compris qu’il n’était pas là pour longtemps et, quoique le commandant n’ait rien dit de la mission qu’il connaît, chacun a recueilli des «  tuyaux » abondamment distribués par les services généraux de l’arrière. Le secret n’était pas gardé ; il devait en être encore longtemps ainsi ; les renseignements précis sur les opérations futures étaient connus bien à l’avance, et nous arrivaient par nos gradés d’approvisionnement qui les distribuaient chaque soir, en même temps que le riz et bœuf, notre pitance quotidienne. Hélas! Ces indiscrétions devaient nous coûter cher.

 

Le 23 au matin, le travail est repris, et les unités s’exercent sur les plateaux à l’Ouest du Rupt, formation de combats, exercices d’assaut avec ou sans sac ; pendant ce temps les officiers vont reconnaître la future zone de combat : vallée du Longueau, butte des Hures d’où on a une vue splendide sur toute la Woëvre, alors occupé par l’ennemi, sur les usines de Conflans en pleine activité, sur Etain, et même plus loin dans la direction de Metz dont plusieurs certifient apercevoir la cathédrale, spectacle bien fait pour surexciter les énergies : mais tous sont tellement ardents et désireux du combat libérateur qu’il n’est pas besoin de nouvelles causes pour entretenir la volonté de vaincre.

 

Puis le 26, c’est la reconnaissance du petit bois des Eparges par le Commandant, les capitaines De Raulin et Breton. Spectacle horrible entre tous ; le sol est couvert de nombreux cadavres tombés pendant les combats précédents ; beaucoup sont déchiquetés et déshabillés par le souffle de nombreuses torpilles qui ne cessent de tomber dans ce coin d’enfer, et les corvées du régiment en ligne ont des difficultés terribles pour accomplir leur funèbre travail.

Et cependant, il faut que ce nettoyage soit encore activé pour nos chasseurs, n’aient pas à piétiner ces pauvres corps en morceaux.

 

Le 26 à minuit, le Bataillon quitte le Rupt sans bruit, gagne ses positions de combats ; les 1er , 5e et 6e compagnies sont laissées en arrière de la position de Montgirmont comme réserve de brigade, les 2e , 3e et 4e compagnies vont s’échelonner dans le petit bois des Eparges pour occuper une série d’abris à l’épreuve, sur le papier ! où elles attendront l’heure de l’attaque, ayant à leur droite deux compagnies du 54e R.I blottis dans les abris du régiment en secteur, qui doivent participer à notre attaque.

 

Nous voici au 27 mars. Le jour se lève blafard, le terrain apparaît à tous dans sa terrible désolation ; de ce qui fut le bois des Eparges, il ne reste déjà plus que quelques vagues troncs dépouillés de toute branche contre lesquels sont plaqués des débris qui furent humains ; une odeur de poudre, de terre remué, de cadavres s’exalte de ce coin de terre, cette même odeur que nous retrouverons qu’à Verdun, et qu’on ne peut pas oublier.

Les unités sont accrochées contre une pente raide ; en haut l’ennemi, en bas, un ravin marécageux où ne cessent de tomber les projectiles de gros calibres ; c’est le Ravin de la Mort qui nous sépare du reste des humains.

Il faut des prodiges de valeur physique et morale pour traverser ce ravin quand le combat s’engage, même quand il s’apaise, et c’est cependant par là que passent les porteurs d’ordres ou de renseignements, coureurs sublimes que rien n’arrête, agents de liaison et héros anonymes soutenus par une conception du devoir poussée jusqu'à l’idéal.

Par là passeront les corvées de ravitaillement, quand on pourra les organiser ; et aussi les blessés qui auront à gagner Trésauvaux, guidés et portés par une héroïque cohorte de brancardiers.

Mais les regards attristés n’ont pas le temps de s’attarder sur ce spectacle désolé ; déjà le bombardement ennemi commence, bombardement lent, continu, impitoyable, venant de trois côtés différents, même de Saulx-en-Woëvre ; tous les feux ennemis convergent sur cet espace si restreint où sont massées nos trois compagnies, et sur cet espace seul !

A notre droite, pas un obus : les Compagnies du 54 R.I. sont intactes, alors que les nôtre souffrent terriblement.

Il en est ainsi de 4 heures à 10 heures, puis de 13 heures à 15h 30 ; nos gradés se multiplient pour parcourir les groupes de chasseurs tassés dans les moindres replis du terrain ou dans les rares trous qualifiés d’abris, aussi subissent-t-ils des pertes particulièrement élevées, et c’est ainsi qu’est grièvement blessé notre légendaire Bourchied, le guerrier modèle.

 

A 15h 30, le feu ennemi s’arrête, nos unités en profitent pour prendre leurs dispositions d’attaque, en coopération étroite et cordiale avec les unités du génie mises à notre disposition, dont les gradés et sapeurs sont superbes de crânerie.

Les compagnies sont disposées sur trois lignes, les deux premières sont formées des 2e et 3e compagnies, plus une du 54e ; la troisième ligne comprend la 4e compagnie, et une compagnie du 54e mise à la disposition du Commandant du 25 B.C.P.

Notre artillerie tonne, les projectiles arrivent, quelques-uns courts, ce qui hélas ! est presque fatal, étant donné la forme du terrain et la proximité des lignes amies et ennemies.

L’Allemand, puissamment retranché, ne paraît pas d’ailleurs être très incommodé, et continue à nous lancer de nombreuses grenades.

L’heure H ! Groupés avec la liaison autour du Commandant, en un point du terrain situé à 30 mètres de notre première ligne, point que les croquis qualifient de P.C. , les clairons sonnent joyeusement ; la ligne s’ébranle, presque aussitôt fauchée ; à gauche, les chasseurs de la 3e sont tués, à deux ou trois mètres de notre tranchée de départ, par des feux nourris que ne peut neutraliser la section de mitrailleuses du lieutenant De Rouyn, grièvement blessé lui-même d’une balle à la tête.

 

Les officiers et gradés de la 3e compagnie se multiplient ; tous sont tués ou grièvement blessés.

Tué d’une balle à la tête, le capitaine De Raulin qui, ayant eu une forte entorse au pied pendant la nuit précédente, s’est fait porter sur la ligne de feu pour combattre avec ses chasseurs ;

Tué d’une balle à la tête, le lieutenant Collot qui, armé d’un fusil, entraînait à son tour sa section au-dessus du parapet infernal ;

Tué d’une balle à la tête, le lieutenant Renard, commandant le peloton de mitrailleuses du Bataillon. Cet officier si ardent, si gai, tant aimé de tous, devait rester en réserve en arrière de la 4e compagnie. Avant de se rendre à son P.C de combat, le Commandant lui avait bien recommandé de ne pas se porter sur la ligne de feu, puisqu’il n’avait qu’une section de mitrailleuses engagée, section d’ailleurs très bien commandée par le lieutenant De Rouyn, et de se réserver pour conduire lui-même sa deuxième section dans les attaques du lendemain. Mais Renard avait l’âme trop ardente pour rester inactif quand le combat était si proche : apprenant que la 3e compagnie n’avait plus de cadres ; il s’y rendit, en prit le commandement et tomba à son tour.

 

A la 2e compagnie, même insuccès partiel : la section de gauche est prise par des feux violents et rapprochés : le capitaine Dumont s’y porte pour y suivre l’attaque, il est grièvement blessé. La section de droite, au contraire, a atteint la tranchée ennemie dont elle tue les occupants ; mais prise à revers par des mitrailleuses et gênée par notre 75, dont le tir, très difficile à exécuter, est parfois trop court, elle se replie dans un des boyaux  conquis et l’organise ; elle y est renforcée par une section de la 4e compagnie, commandée par le lieutenant Jaspard, et recommence une progression lente et continue.

A droite, les sections du 54e atteignent leur premier objectif.

Le Commandant les fait aussitôt renforcer par deux sections de la 4e compagnie et des sapeurs du génie, pour essayer de forcer la progression par sa droite, puisque la gauche est clouée au sol par le feu ennemi ; malheureusement, le terrain bouleversé et le manque de liaison  matérielle avec notre artillerie  rendent nos efforts impuissants ; notre ligne s’arrête et s’organise.

La nuit tombe, froide et brumeuse, mais le calme ne revient pas ; l’ennemi puissamment renforcé, et qui occupe, par rapport à nous , une position dominante , entretient toute la nuit un feu nourri de fusils et de mitrailleuses ; il repousse même quelque peu notre droite, qui n’a pas encore eu le temps de se creuser une tranchée occupable ; toutefois, les pertes qu’il éprouve au cours  de la lutte arrêtent son élan, et nous conservons une portion intéressante de la position conquise, ce qui nous mettra dans des conditions de départ beaucoup plus favorables, lorsque nous entreprendrons une nouvelle attaque.

Vers la fin de la nuit, une section de la 6e compagnie, venue de Montgirmont, essaye une attaque par surprise, mais l’adversaire est sur ses gardes; une fusillade très nourrie arrête net notre tentative.

 

La journée du 28 est employée à consolider notre position ; puis le soir venu, le Bataillon est retiré et cantonne à Sommedieue.

Les pertes sont lourdes : 55 tués, 144 blessés, 58 disparus, tous tués en avant de nos tranchées et identifiés ultérieurement. Parmi les blessés, beaucoup doivent être évacués dans les hôpitaux, dont le jeune et brillant sous-lieutenant Duva.

C’est que presque tous avaient été blessés par balle à petite distance, et que le transport des blessés était un problème particulièrement angoissant sur le terrain de combat, aussi bien qu’en arrière jusqu'à Trésauvaux, où les recueillait et les pansait, au moral et au physique, notre ami le docteur Hauwuy. Il a fallu l’activité et le dévouement inlassable de nos brancardiers du poste avancé, dirigé par le jeune docteur Caillet, infatigable et toujours réconfortant, pour que le transport de tous nos blessés puisse être effectué en une nuit.

 

Le 29, cantonnement à Sommedieue, petit village encombré par les attelages de l’artillerie en secteur, ce qui le rend inhabitable pour les troupes à pied. Les esprits sont tristes et peu satisfaits d’un succès incomplet ; tous ont compris que, par sa valeur, le Bataillon doit réussir  complètement sur ce terrain des Eparges où tant de corps de troupe se sont déjà usés ; tous ont l’aptitude manœuvrière, la volonté de vaincre, la confiance dans les chefs, et, tous sentent que la prochaine attaque sera décisive, surtout si l’artillerie fait aussi son profit des enseignements à tirer des derniers combats.

Le premier soin du Bataillon est de rendre les honneurs à ses morts glorieux, représentés par les corps de ses trois officiers ; l’infirmier Colignon, aussi modeste qu’inlassablement dévoué, organise une cérémonie à l’église. Puis tout le Bataillon défile devant les tombes aux accents de la Sidi-Brahim ; les têtes sont relevées par ces fiers accents, la tristesse se dissipe, le Bataillon est prêt pour de nouveaux assauts.

Le même jour, le général Paulinier, commandant la 12e division d’infanterie, vient au cantonnement faciliter de leur crânerie les chasseurs du 25e.

Il décore de la Médaille Militaire le sergent Bellon ; hélas ! le vieux forestier ne devait pas bien porter bien longtemps l’insigne des braves ; au prochain combat, il sera fauché à son tour, comme le sera plus tard la grande majorité des décorés, ce qui faisait dire à mi-voix : «  Croix de guerre…Croix de bois. »

Nous apprenions aussi que le capitaine Dumont était décoré de la Légion d’honneur, que le capitaine De Raulin et le lieutenant Renard étaient cités à l’ordre de l’Armée ; d’autres récompenses devaient encore suivre, quoique, à cette époque héroïque, les citations étaient rares, alors que justement ceux qui en étaient dignes étaient légion.

Le cantonnement de Sommedieue était nettement insuffisant ; nous avions besoin d’un peu de bien-être pour reprendre de nouvelles forces ; aussi le Bataillon fut-il dirigé sur Dieue, village très coquet sur les bords de la Meuse.

L’Etat-Major du 6e corps d’armée avait affecté au Bataillon tout un quartier du village, la partie la plus agréable, aussi les compagnies s’installèrent-elles avec une joyeuse rapidité. Les habitants étaient affables, les jeunes filles, très sérieuses d’ailleurs, étaient ravies de se voir entourées de ces alertes et fringants chasseurs à pied, farceurs et joyeux, quelquefois même sentimentaux.

Cela les changeait de leurs hôtes habituels : vieux brancardiers aux cheveux gris, conducteur d’autos à la mise négligée, ou innombrables gendarmes. De nombreuses idylles prirent naissance, malgré le certitude d’un retour très prochain sur le terrain des Eparges.

Et quand vint l’heure du départ, toute la population du quartier se massa pour saluer les jeunes guerriers, qui, insouciants, paraissaient ne pas voir les yeux humides qui les regardaient partir.

 

Le Bataillon quitte Dieue le 5 avril au soir, passe la nuit à Rupt, puis se rapproche de Montgirmont où il doit se masser dans la nuit du 6 au 7.

Le temps est déplorable, la pluie tombe sans arrêt, nous allons connaître une des plus dures périodes de la campagne. Si Verdun fut meurtrier par la violence du feu, les Eparges furent le summum de la souffrance, les chasseurs trouvant dans ce coin de Meuse, avec le feu violent de mousqueterie et d’artillerie, la boue glaiseuse qui restera pour le Bataillon un hideux cauchemar.

Malgré la faible distance qui nous sépare de Rupt à Montgirmont, il fallut près de cinq heures pour que les compagnies fassent ce mouvement.

La nuit est très obscure, les pentes sont raides et glissantes, le plus adroit tombe plusieurs fois ; sous les flots célestes, le Bataillon, morne et silencieux, se couche en pleine boue, sans abris, pour essayer de prendre un peu de repos.

Le 7 à 9 heures, ordre est donné de se rendre dans le bois des Eparges en vue de l’assaut préparé ; le « Ravin de la Mort. » est naturellement infranchissable, surtout de jour ; il faut faire un grand détour pour utiliser le seul boyau qui, théoriquement, relie le bois des Eparges à l’arrière. Sur les croquis, ce boyau est large et confortable ; en fait, c’est un ruisseau de boue.

Le premier, le Commandant s’engage avec sa liaison ; à chaque pas, il enfonce au-dessous du genou ; les chasseurs plus petits que lui en ont à mi-cuisse ; tout arrêt est fatal, la boue colle et vous enlise. Il faut donc marcher vite, très vite, se tirer mutuellement quand des camarades trop faibles ou trop lourdement chargés manquent de souffle et commencent à enfoncer.

La pluie tombe toujours, on dirait presque heureusement, puisque, jusqu’à présent, elle empêche les guetteurs ennemis de se rendre compte du mouvement.

Ainsi passe la liaison et la 5e compagnie ; la 1re va suivre. A ce moment, l’ennemi s’aperçoit de notre marche, son artillerie déclenche un tir meurtrier.

Le lieutenant Martinet et une cinquantaine de chasseurs sont touchés ; la plupart tombent dans la boue et disparaissent à jamais. Le mouvement est arrêté ; il sera repris la nuit. L’heure de l’attaque est changée et ne sera fixée qu’ultérieurement, quand le Général commandant l’attaque sera certain que le 25e aura pu se placer.

A la nuit tombante, des volontaires se portent vers le boyau fatal ; on ramasse les blessés et les morts tombés sur les parapets ; les autres sont enfuis profondément, tout espoir de les retrouver est vain, même le lieutenant Martinet, dont l’adjudant Duval avait cependant marqué la place exacte où il est tombé.

 

Puissent les jeunes générations connaître et commenter de tels incidents. Elles ne connaîtront la guerre que ce que les manuels officiels, où les récits des employés de l’arrière voudront bien qu’elle connaissent. Le vrai combattant parle peu ; il revit dans son âme, qui souvent le ramène vers les champs tragiques, les heures héroïques, salue ceux qui ne sont plus, se complait à causer par la pensée avec ses anciens compagnons d’armes, mais il ne parle pas. Et pourtant, lui seul peut faire connaître à quel degré d’héroïsme, d’abnégation, de courage et de résistance physique ont atteint nos chers combattants des premières batailles, dont si peu survivent maintenant.

 

 

Dans la nuit du 7 au 8, le mouvement reprend et, peu à peu, malgré les plus grandes difficultés, les six compagnies sont échelonnées dans le bois des Eparges.

La pluie tombe toujours, la boue épaisse et gluante étend ses taches jaunâtres sur les uniformes, cartonnant les pans des capotes. A grand’ peine les combattants préservent leurs armes auxquelles ils donnent les derniers soins avant le signal de l’attaque.

Les compagnies sont placées sur trois lignes très rapprochées au départ.

L’échelonnement se fera en marchant : en première ligne et deuxième lignes, les 5e , 6e et 1re compagnies ; en troisième ligne, les 2e , 3e, et  4e compagnies, la liaison et les clairons divisés en trois groupes.

8h 55, notre artillerie donne avec précision, elle est remarquablement dirigée par le commandant Hardy et forme devant nous un rideau qu’on appellera  plus tard «  Barrage roulant. » En quelques minutes elle est sur l’objectif, et malgré la boue tenace dans laquelle on enfonce à chaque pas jusqu’aux genoux, les chasseurs endiablés y arrivent aussi, presque en même temps.

Alors c’est la ruée.

Les Allemands surpris sont en partie dans leurs abris, aucun n’en réchappe ; ce n’est plus une bataille, mais une quantité de combats individuels où les coups de baïonnette et de crosse jouent un grand rôle ; les blessés et les morts tombent dans la boue ; sur eux, le combat continue comme sur un sol mouvant uniformément jaune.

Le succès est complet, toute la position ennemie est à nous ; nous possédons, sur notre droite, la position de la crête même des Eparges, qui n’était pas dans notre objectif et qui cependant tombe entre nos mains.

De cette position dominante, on découvre tous les arrières ennemis, en particulier  le village de Combres qui s’étale à nos pieds et où se manifeste un grand désarroi parmi les services de l’arrière allemand qui y sont installés ; chez eux, c’est la fuite éperdue à pied, à bicyclette, et nos chasseurs se servent de ces cibles imprévues pour montrer leur habilité au tir.

Cependant, en bien peu de temps, l’ennemi se ressaisit ; ses réserves d’infanterie sont là, tapies dans des abris que nous devinons, mais qui échappent à notre vue.

Leurs gros «  Minen. », installés sur les hauteurs de Combres, entrent en action ; leur artillerie enfin, une fois renseignée sur la situation, arrose copieusement tout le plateau conquis.

Aussitôt, chez nous, tous les efforts portent sur une organisation aussi solide que possible de notre première ligne ; avant tout, il faut une tranchée ; on l’entreprend avec tous les matériaux trouvés sur place, on creuse dans des trous de boue, on entasse même les cadavres ennemis, la tranchée se dessine et offre une première position pour l’homme accroupi.

Il était temps ; le bombardement se fait plus précis, les contre-attaques d’infanterie commencent. Combien y en eut-il ? On ne les pas comptées ; ce que l’on sait bien, c’est que l’on n’a pas en un moment de répit de jour comme de nuit : bombardement, minen, petites attaques d’infanterie, se succèdent méthodiquement, et, toujours avec le même insuccès ; nos chasseurs conserveront ce qu’ils ont magnifiquement conquis. Eux-mêmes essaient des offensives locales dans les journées du 8 au 9 avril pour dénicher les abris d’où partent les contre-attaques, abris qui se trouvent dans les failles du terrain en dessous de nous ; malheureusement elles ne peuvent réussir, car l’ennemi a contre nous ses mitrailleuses du point X, qui nous prennent d’enfilade ; nous subissons de ce fait quelques pertes, et nous devons nous contenter du gros succès obtenu.

Alors se continue pour nous une période de fatigues inouïes sur le terrain conquis : il faut, sans un instant de repos, de nuit comme de jour, travailler à la tranchée de première ligne continuellement bouleversée par le bombardement ennemi, qui éparpille les cadavres entassés ; travailler aussi à des boyaux conduisant au petit bois, car tout le plateau est battu par des mitrailleuses allemandes.

Ce labeur est effectué dans la boue qui recouvre morts et vivants de son manteau de tristesse.

Pas de ravitaillement, le «  Ravin de la Mort. » est continuellement battu par de l’artillerie de gros calibre, ses abords jusqu'à Trésauvaux sont arrosés systématiquement en obus fusants.

Il faudrait plusieurs heures à une corvée qui essaierait de franchir les 1.500 mètres qui nous séparent de Trésauvaux, et plusieurs heures pour qu’elle revienne, bien diminuée d’ailleurs par les pertes qu’elle aurait subies.

D’autre part, nous devons occuper et conserver plus de 1.000 mètres de front de la position enlevée à l’ennemi ; répondre aux contre-attaques et tenir, malgré nos pertes très lourdes.

Aussi personne n’ira se ravitailler à l’arrière, et pendant quatre jours, nous vivrons avec les denrées apportées par nous-mêmes et celles que contenaient les sacs ennemis ; on trouve toujours à manger, mais hélas ! Pas à boire, les bidons sont vite épuisés et rien pour les remplir.

La boue partout et toujours. Quelques rares trous d’obus, non encore piétinés, nous procurent une eau relativement claire, dans laquelle baignent des débris ou des morceaux de cadavres ; ce peu d’eau est pour nous une boisson divine, mais il n’y en aura pas pour tous ; ce sont les privilégiés de la liaison ou de la deuxième ligne qui peuvent en profiter. Et cependant l’on tient.

Malgré les souffrances horribles provoquées par la soif, les chasseurs sont joyeux quand même, enfiévrés de leur triomphe ; leurs yeux brillent d’un éclat surhumain, et c’est une joie profonde pour le Commandant que de les entendre raconter leurs exploits, dénombrer leurs victimes étendues à leurs pieds ou entassées dans le parapet de la tranchée, lorsqu’il va leur faire sa visite quotidienne.

La fièvre est telle qu’il semble qu’on ne voit plus l’horreur du terrain environnant : pauvres morts enfuis à jamais dans la boue ; blessés qui recherchent nos brancardiers en rampant, le jour ou la nuit, en profitant des accalmies du tir ennemi. Il en est de ces blessés qui sont demeurés pendant deux jours, trois jours même, sans pouvoir être relevés. Pour certains, la tête seule émerge de la boue environnante, surveillée par des amis attentifs qui glissent par-dessous les sacs nécessaires pour la tenir hors de terre. Même chez ces blessés, pas un murmure, pas un découragement ; ils savent qu’on pense à eux, que tous les efforts sont tentés pour les tirer de cette horrible situation ; autour d’eux sont leurs camarades qui s’efforcent de les secourir, leurs officiers, leurs gradés tous uniformisés par la même boue, par les mêmes souffrances. Et peu à peu, tous sont retirés, arrachés de leur cercueil de terre, glissés d’abord en dehors de la zone vue de l’ennemi, puis enfin transportés aux ambulances de la tranchée de Calonne, où ils sont l’objet d’une admiration profonde, car leur moral exalté et enfiévré est tel qu’il enthousiasme tous ceux qui les approchent.

 

Mais tout à une fin et, le 11 au matin, le Bataillon était relevé.

Relève longue, pénible, presque individuelle ; relève pittoresque aussi puisque tout le long du Longueau on voyait des chasseurs échelonnés, apaisant leur soif intense ; on les retrouvait boitillant sur la tranchée de Calonne, où des automobilistes émerveillés les faisaient monter dans les voitures pour les conduire directement au cantonnement de Dieue.

Enfin, le grand nombre se rassemblait à Sommedieue pour une grande halte  bienfaisante ; là furent prises de nombreuses photos de ces blocs de boue  qui représentaient les glorieux vainqueurs. Puis en route pour Dieue, entrée triomphale et défilé devant le général Herr, au son de deux clairons derrière lesquels  se redressaient, dans un effort suprême, tête fière, regards profonds et fiévreux , 6 officiers et environ 400 chasseurs.

Aussitôt les rangs rompus, les chasseurs de tous grades furent entourés de nombreux admirateurs militaires et civils. C’était la joie du triomphe, la première joie toujours la plus complète, car elle n’est pas encore attristée par le sombre tableau des pertes subies, pertes dont on ne connaît pas encore tout à fait l’étendue, et qu’on espère encore plus faibles tant que l’appel définitif et détaillé n’a pas été fait.

Les pertes?

Elles sont lourdes : 73 tués, dont les lieutenants Keffer, Martinet, Jaspard, Harbonville, Bétemps ; 285 blessés, dont le capitaine Contal et le lieutenant Ballin, blessé deux fois et qui restera paralysé du bras droit ; le lieutenant Guerreau, qui devait rester deux jours enfui dans la boue jusqu’aux épaules et succomber dès son arrivée à l’hôpital ; le sergent Fenet, des pionniers ; les sergents Bonne, 1re compagnie, et Lallemant, 5e compagnie ; le caporal Etienne, 6e compagnie ; Corbel ( François ), 5e compagnie ; Ausson ( Edmond ), 5e compagnie, Dupille ( Henri ), 6e compagnie, Bar ( Charles ), 3e compagnie, Disser ( Henri ), 3e compagnie, Meurin (Jean ), 3e compagnie, qui resteront tous mutilés par leurs blessures ; enfin, 107 disparus, presque tous enlisés et quelques prisonniers ( cinq ) parmi ceux qui , le 9 au soir, essayèrent de découvrir les abris allemands.

 

Enfin, de nombreuses évacuations devaient suivre pour pieds gelés ; en effet, l’immobilité dans la boue froide amena de nombreux accidents de ce genre, cause de souffrances très vives qui devaient se manifester pendant de longs mois chez certaines victimes.

Ensuite, l’installation au cantonnement, car on se croit au repos pour longtemps, quinze grands jours prétendent les camarades du ravitaillement.

Et puis les premières récompenses arrivent.

La Légion d’Honneur au commandant Cabotte et au  capitaine Contal ; la Médaille Militaire au fourrier Charbaud et au caporal Tierce ; des citations à l’ordre de l’Armée à nos glorieux morts et à deux vivants, le capitaine Breton et le chasseur Dufresne ( Henri ), avec ce sublime libellé : «  S’est élancé seul à la poursuite de l’ennemi en retraite, et, a répondu à son capitaine qui lui donnait l’ordre de s’arrêter : «  ça m’est égal de mourir ; il faut que j’en tue le plus possible. »

 

Enfin, la grande récompense, la citation collective, à l’ordre de la 1re armée, de la 12e division et du 25e bataillons de chasseurs :

 

«  Ont donné depuis le début de la campagne de nombreuses marques de haute valeur, « qu’ils viennent encore d’affirmer en s’emparant, après une lutte qui a durée plus d’un mois, « de la position fortifiée des Eparges, dont ils ont complètement chassé l’ennemi. Parmi les « actions brillantes de la 1re armée, ce combat est le plus brillant. Il a valu à la 1re armée un « radiotélégramme du Général commandant en chef, qui a été communiqué à toutes les « armées, et qui était ainsi conçu :

« Le Général commandant en chef adresse l’expression de sa profonde satisfaction aux « troupes de la 1er armée qui ont définitivement enlevé la position des Eparges à l’ennemi.

« L’ardeur guerrière dont elles ont fait preuve, la ténacité indomptable qu’elles ont « montré lui sont un sûr garant que leur dévouement à la Patrie reste toujours le même, il les en remercie. »

«  Signé : Général ROQUES. »

 

Cet ordre fut ultérieurement distribué à tous les chasseurs survivants et aux familles de ceux qui avaient succombé dans la lutte ; considéré comme un brevet de bravoure incomparable, il est pieusement conservé.

Confiant dans les tuyaux qui circulent, le Bataillon s’installe et se reconstitue ; un important renfort arrive : 360 chasseurs, encadrés seulement par deux sous-lieutenants et six sous-officiers.

Heureusement, nous nous croyons au repos pour longtemps et nous avons le temps de chercher des gradés parmi les rescapés du grand triomphe.

 

Hélas ! Le 16 avril le Bataillon était de nouveau alerté pour retourner aux Eparges, dont il doit occuper le secteur en même temps que les troupes d’un nouveau corps d’armée. Grosse désillusion pour nous, et grosse anxiété  pour le Commandant, qui n’a plus que quatre officiers disponibles, dont le lieutenant Migeot qui veut absolument suivre le mouvement malgré une profonde atteinte de gelure aux pieds.

Il aurait été par trop imprudent de partir sans cadres ; aussi est-il décidé que le Bataillon ne montera qu’avec quatre compagnies, 1re , 3e , 4e , 6e ; les deux autres attendrons à Sommedieue et soigneront les éclopés ( 2e et 5e ).

La relève se fait sans incidents. Les anciens expliquent aux nouveaux arrivés le terrain,  tel qu’ils le sentent puisqu’ils ne le voient pas, tant la nuit est noire.

Puis c’est l’occupation dans cette zone que les récents vainqueurs auraient bien voulu ne pas revoir de sitôt. Occupation pénible par un bombardement incessant, grande fatigue des gradés survivants trop peu nombreux.

Cependant on travaille, rebâtissant philosophiquement chaque nuit les précaires tranchées que chaque jour démoliront les projectiles allemands. Même la 4e compagnie, commandée à ce moment par le lieutenant Collin, arrive à progresser un peu par sape pour obtenir une meilleure tranchée de première ligne ; travail certes peu important par lui-même, mais qui exige une grande énergie morale de ces gradés et chasseurs surmenés.

 

Le 21, la journée est plus calme ; le soir même, le Bataillon se voit relevé et rejoint les camarades à Sommedieue, ayant perdu 30 tués et 59 blessés.

 

Le 22, on annonce un long repos de quinze jours au moins ; en grands enfants que l’on est toujours, gradés et chasseurs sont convaincus de cette bonne aubaine…et pourtant !

 

 

LA TRANCHEE DE CALONNE ( avril-mai 1915)

 

 

Le 24 avril, nouveau renfort de 5 sous-officiers, 300 chasseurs, pas d’officiers.

Parmi les rescapés des Eparges, le capitaine Dumont, à son tour doit se résigner à l’évacuation pour gelure des pieds ; c’est une lourde perte pour sa compagnie, dont il était si profondément aimé, et pour le Commandant qui voit avec tristesse disparaître ses vaillants compagnons. La situation est mauvaise, l’effectif est complet en jeunes chasseurs, dont un très grand nombre de la classe 15, enfants ardents et braves, mais inexpérimentés ; très peu de sous-officiers, six officiers.

Que se passerait-il s’il fallait combattre dans de telles conditions ?

 

Le lendemain 25, un dimanche, les chasseurs alertes et joyeux se répandent près du ruisseau pour se livrer à une grande toilette. Tout est calme ; cependant on voit circuler dans les cantonnements, non sans surprise, quelques artilleurs coloniaux semblant venir de la Tranchée de Calonne.

Des groupes se forment, les tuyaux les plus bizarres circulent, pas pour longtemps d’ailleurs, car l’alerte est donnée. Le Bataillon doit de rendre de suite à Rupt, pour de là agir sur la Tranchée de Calonne, où les Allemands ont bousculés nos lignes sur une grande largueur et une profondeur inquiétante ; certains groupes ennemis ont même atteint Mouilly et le carrefour des Trois-Jurés, dont ils ont d’ailleurs été presque aussitôt repoussés.

En un instant le rassemblement est effectué ; c’est un tour de force qui s’est produit plusieurs fois au cours de la campagne, et que ne sauraient assez admirer tous ceux qui se rendent compte des circonstances du moment. Rien n’était prévu pour la matinée, c’était le repos complet et l’éparpillement habituel, peu de gradés, beaucoup de jeunes n’ayant presque pas d’instruction militaire, et cependant ce rassemblement s’effectue avec une rapidité et un ordre remarquables ; n’est-ce pas tout à l’honneur du brillant esprit qui régnait dans cette troupe d’élite ?

Le Bataillon part donc pour le Rupt puis, le soir même pour la Tranchée de Calonne, où il s’échelonne à hauteur du chemin Mouilly-les-Eparges, avec mission de tenir les vagues tranchées qui suivaient sensiblement le tracé de la route, et qui constituaient notre ancienne deuxième ligne. En avant de nous, c’est l’inconnu ; on se bat dans les bois ; mais la nuit est sombre, les liaisons s’établissent difficilement, on ne sait rien et chacun est sur ses gardes.

 

Le 26 au matin, le capitaine Breton, prenant le commandement des 4e et 6e compagnies, reçoit mission de se déployer dans les bois et taillis qui sont en avant de nous, pour établir la liaison entre les troupes qui tiennent l’éperon de Sonvaux et celles qui résistent avec succès sur la Tranchée de Calonne et dans le ravin de Mouilly.

Mission difficile et périlleuse ; le bois est plein d’embûches, les groupes amis clairsemés sont bousculés par un ennemi très supérieur en nombre ; notre artillerie nous appuie autant qu’elle peut, mais ses obus ne peuvent éviter les grands hêtres de cette magnifique forêt, et leur effet dévastateur nous est plus nuisible qu’utile ; notre ligne recule, et le capitaine Breton décide de se rallier en avant et en soutien de la 7e batterie du 21e d’artillerie qui tient encore le bois Haut, tirant avec la hausse minima, manœuvrant à bras ses pièces, dont pas une seule ne tombera entre les mains de l’ennemi.

Vers 13 heures, les Allemands sont maîtres du bois, dont ils ne peuvent déboucher ; ils portent alors tout leur effort sur le carrefour de la Tranchée de Calonne et de la route Mouilly-les-Eparges. Là se trouvait un petit ouvrage assez solide et surtout protégé  par un réseau barbelé de 7 à 8 mètres de large, ce qui, pour l’époque, était magnifique.

Quoique très bien renseignés sur notre position, ainsi que nous permirent de le constater les plans directeurs trouvés sur eux, les Allemands ignoraient la mise en état de défense de ce carrefour : ce fut la cause de leur désastre. De notre coté, une contre-attaque était en préparation, les premières lignes de nos fantassins étaient couchés entre les fils de fer ; les compagnies de chasseurs étaient à l’est de l’ouvrage.

Le Commandant causait avec sa liaison, près de cet ouvrage, tout en dégustant un mélange froid et noir, que son fidèle cuisinier Noble avait qualifié de «  rognons madère. ».

Tout à coup retentit une fusillade invraisemblable ; les Allemands en groupes contacts avaient débouché et s’étaient plaqués contre les fils de fer ; affolés par cet obstacle imprévu, grisés d’éther -nous pourrons le constater dans un instant-ils avaient perdu toutes idées de manœuvre et même de combat normal, se contentant de tirer avec une vitesse incroyable. De notre coté, nos fantassins sont couchés face à l’ennemi ; gênés par le sac et l’équipement, ils tirent sans ajuster, c’est-à-dire trop haut. Cette situation pouvait devenir tragique quand les munitions  dépaquetées seraient épuisées ; aussi le commandant Cabotte fit-il sonner : «Cessez le feu. », par le caporal clairon Laurensot, dont le calme imperturbable ne s’était jamais démenti.

Les sonneries furent difficilement entendues. Cependant, à chacune d’elles, quelques-uns de nos combattants cessaient de tirer, et le Commandant lui-même, debout, leur expliquait qu’ils pouvaient, sans danger, se lever et tirer au lapin. Ce qui fut fait ; bientôt les arbres étaient garnis de tirailleurs appuyés, qui tiraient comme au champ de tir, et ce fut dans le camp adverse une tuerie effrayante .

C’était à qui voulait faire un carton. Noble, lui aussi, prit part à la lutte, il ajusta un ennemi, l’atteignit, puis, malgré les recommandations du Commandant, il franchit les fils de fer pour aller cueillir un souvenir  et s’en retourna  flegmatiquement, le fusil en bandoulière, tenant à la main la petite gamelle émaillée bleu chasseur, dans laquelle dansaient quelques restants de «  rognons madère. ».

Si bien commencé, le combat s’organisa et continua sous bois où entrèrent nos vagues d’infanterie ; complètement désorganisés par leur échec, les Allemands n’eurent pas le temps de réagir et tout leur régiment, le 73e, resta sur place.

A la même heure, dans urne partie un peu déboisée, un peu à l’est du carrefour, le Bataillon partait à l’attaque, mais sa mission était terriblement difficile, surtout  pour les deux compagnies de gauche qui avaient affaire à un ennemi posté, organisé et sur ses gardes. Pour déboucher une seule brèche dans notre réseau, et cette brèche était connue de l’ennemi, qui l’ arrosait de ses mitrailleuses ; impossible de faire d’autres ouvertures, tout le restant du réseau était en vue directe de l’ennemi.

Les premiers éléments de la 2e compagnie se présentent, le sous-lieutenant Bréau en tête. Les mitrailleurs ennemis entrent en action, et le lieutenant est un des premiers touchés par un balle qui lui fracasse la jambe.

Nos chasseurs passent quand même, se déploient et, par leur feu, gênent un peu le tir ennemi. La 1re compagnie passe à son tour, avec le sous-lieutenant Charles qui prend le commandement des deux unités. La ligne progresse péniblement de quelques centaines de mètres, puis s’arrête et rapidement ébauche une tranchée protectrice. Un premier résultat très important est atteint, notre ancienne deuxième ligne est dégagée et ne recevra plus le premier choc de l’ennemi ; couverte, elle pourra s’organiser.

Dès la tombée de la nuit, les 4e et 6e compagnies entrent à nouveau en ligne pour établir la liaison entre la 2e compagnie et les fantassins de la croupe de Sonvaux, liaison encore bien précaire ; la 6e compagnie était à peine accrochée sur les pentes d’un petit mamelon dans une position des plus délicates. Enfin, le plus gros est fait, la forte attaque allemande est non seulement contenue, mais même un peu refoulée, et nous allons pouvoir monter des attaques pour essayer de reprendre le terrain perdu pendant les deux journées précédentes.

 

Ainsi commence une période des plus pénibles, pendant laquelle Français et Allemands attaquent ou contre-attaquent sans cesse, chaque affaire étant précédée de tirs d’artillerie excessivement meurtriers. La mission de Bataillon est d’appuyer les attaques et, surtout, d’empêcher toute progression allemande dans la clairière. Il reste seul pour cette mission, toutes nos attaques s’effectuant par les bois.

Il ne connaît donc aucun repos ni de jour ni de nuit, et cependant il progresse de trois à quatre cents mètres, puis se terre épuisé, se garantissant faiblement avec quelques réseaux Brun.

Néanmoins, la situation est critique. Nos gradés se dépensent sans compter.

Aidés de quelques anciens, ils font sur place l’instruction des bleus, qui font preuve d’une résistance physique et morale admirable. Mais on ne fait pas impudemment de l’instruction à quelques dizaines de mètres d’un ennemi vigilant ; aussi nos pertes de gradés et anciens chasseurs sont lourdes.

 

Toutes ces journées se ressemblent, leur description détaillée ferait connaître les mêmes héroïsmes et les mêmes misères. En première ligne, les 1re , 2e , et 4e compagnies, animées par le capitaine Breton et le sous-lieutenant Charles, ont pu creuser une tranchée qui les protége un peu et surtout leur permet de résister aux attaques allemandes ; à gauche, la 6e compagnie, accrochée à son mamelon vivement convoité par l’ennemi, voit trop souvent se concentrer sur elle le tir ennemi ; elle ne peut pas conserver de commandant de compagnie : à plusieurs reprises, le Commandant lui a envoyé un sous-officier d’une autre compagnie qu’il venait de nommer adjudant, et, chaque fois, le nouveau promu a été grièvement ou mortellement, en prenant contact de sa nouvelle unité.

Finalement, le commandement reste au jeune sergent Demoget de la classe 13, seul gradé survivant de la 6e compagnie, qui eut l’extrême chance de passer entre les gouttes, et qui aura l’honneur, au moment de la relève, de ramener une unité diminuée, mais encore vaillante.

En deuxième ligne, la 5e compagnie garde les tranchées en bordure du chemin Mouilly-les-Eparges, tranchées connues et repérées par l’ennemi qui les arrose copieusement. Dès le début, le sous-lieutenant Deunf est grièvement blessé, et l’aspirant Lorrain, un tout jeune lui aussi, prend le commandement de sa compagnie, avec le calme du vieux soldat et l’expérience d’un ancien combattant.

Et c’est une grosse satisfaction pour le Commandant de voir combien les jeunes cadres se forment rapidement, crées par les besoins du moment, et riches déjà d’une valeur guerrière tant ils ont la volonté d’aboutir et le mépris de la fatigue et du danger. En arrière et à gauche, la 3e compagnie ne joue, pour une fois, qu’un rôle épisodique ; elle ne connaît certes pas le bien-être matériel, mais échappe en général aux fureurs des bombardements, ce qui est très appréciable.

Enfin le P.C du Commandant, en lisière de la clairière en arrière et à droite du Bataillon (pas très en arrière, puisque à plusieurs reprises des Allemands furent tués à quinze mètres de là) offre à la liaison un abri inconfortable et surtout dangereux, puisque la toiture laisserait poliment passer le moindre obus. Les abords en sont souvent intenables, aussi la liaison est-elle périlleuse. Elle s’opère cependant à intervalles rapprochés, car les fourriers et chasseurs de liaison assurent en même temps le ravitaillement en munitions. Les pertes sont pénibles ; l’officier adjoint, le sous-lieutenant Ausseur, est tué en traversant un barrage pour transmettre un ordre : caractère enjoué et cœur généreux, d’une grande finesse sous un aspect calme et ironique, il était pour le Commandant un précieux auxiliaire.

Des fourriers sont touchés, la liaison diminue et se resserre autour de l’adjudant Ruide, qui va faire fonction d’officier adjoint pendant plusieurs mois, veillant sur le Commandant avec une affectueuse sollicitude.

 

Cette vie de surmenage continuel, sans la moindre détente, se continue pendant des jours qui paraissent bien long. Par moment, la situation parait désespérée, tel le 5 mai, où l’attaque allemande fut particulièrement violente ; le renfort d’un bataillon de Marocains, superbes guerriers connaissant la manœuvre, vient rétablir la situation, et, pour la première fois depuis bien longtemps, nos jeunes chasseurs de première ligne, doublés par leurs camarades africains, se sentent moins seuls et prennent un peu de repos.

 

Enfin, le 7 mai, notre première ligne est relevée et se reforme dans le ravin de Sonvaux, en arrière du poste de secours organisé par Caillet, seul représentant du Service de santé. Le docteur Hauwuy, dont la vaillance et la valeur technique avaient été si souvent appréciées, était grièvement blessé à son poste de la Tranchée de Calonne, et le médecin aide-major Dubuisson qui, quoique malade, avait voulu suivre le Bataillon, avait dû être évacué, décédant trois jours après son entrée à l’ambulance.

Une fois de plus, nos misères prenaient fin. Le 10 mai, le Bataillon quittait ses terrains de bataille, ayant perdu 200 tués et 270 blessés. Parmi les plus grièvement atteints : Delor ( Eugène ), 1re compagnie, Comme ( Edouard ), 2e compagnie ; caporal Vandermoëre ( Eugène ), 1re compagnie, sergent Berger ( Lucien ), 5e compagnie ; Thomas ( Paul ), 6e compagnie ; Couturier ( Louis ), 3e compagnie ; Gady ( Emile ), 2e compagnie ; Véret (Auguste ), 5e compagnie ; Grancen ( Emile ), 5e compagnie. En se retirant, le Bataillon traversait les grands bois de la Tranchée de Calonne qui n’avaient pas encore connu l’outrage  de l’obus ennemi ; partout des fleurs : muguets et pervenches, violettes et pâquerettes, quelques-unes furent cueillies et envoyées aux familles, messagères d’affection qui leur permettraient d’espérer que le front n’était peut-être aussi effrayant qu’elles se l’imaginaient, puisqu’on y trouvait ces délicates fleurettes, emblèmes du printemps.

 

 

DIEUE-SUR-MEUSE (mai 1915)

 

Enfin c’est le retour à Dieue, le défilé devant le général Herr, ému et fier, entouré de son état-major, et la reprise de notre cantonnement favori, où nous attendait un très important renfort (17 officiers, 25 sous-officiers, 450 chasseurs) et la nouvelle des premières récompenses : Médailles militaires à l’adjudant Jacob et au sergent-major Connac, tous deux grièvement blessés après avoir pris le commandement de leur compagnie.

Très sérieusement, cette fois-ci, le repos sera de longue durée ; il était d’ailleurs indispensable, tant étaient fatigués les quelques gradés restant, et tant était la grande nécessité d’inculquer aux nouveaux venus notre magnifique esprit de discipline, d’ardeur au combat, et d’affectueuse confiance réciproque. En peu de jours, les nouveaux se différenciaient peu des anciens. La vie au cantonnement devint donc de suite très cordiale, et vite furent reprises les habitudes à peine ébauchées lors du premier séjour. La température idéale favorisait la vie en plein air ; les fatigues disparaissaient, tous avaient la joie de vivre.

Le Bataillon reprit son principe : se cercler dans son cantonnement, empêcher l’intrusion de tout élément étranger. Cela ne faisait pas l’affaire des militaires de l’arrière habitués à ce doux pays, et surtout des gendarmes, qui avaient pris l’habitude de patrouiller vers certaines maisons dès que l’appel du soir avait fait rentrer dans les granges les militaires ordinaires.

Nos chasseurs ne l’entendaient pas ainsi ; à leur tour, ils surveillèrent ces patrouilles volontaires de l’arrière, les empêchèrent, par leur tenace indiscrétion, de remplir leur mission personnelle, arrivent à les décourager et …prirent leurs places.

 

Ces malheureux gendarmes s’étaient rendus antipathiques, on peut bien le dire maintenant, dès notre entrée au cantonnement, par la rigueur avec laquelle ils faisaient observer de nouveaux édits, qu’une vague d’antialcoolisme faisait appliquer à l’arrière.

Et rien ne pourra mieux montrer la bizarrerie de certaines mesures que l’anecdote suivante, qui prête à rire aujourd’hui, mais qui exaspérait ceux qui venaient de se battre et de souffrir matériellement pendant de longues périodes.

Donc, le Commandant était, comme ses chasseurs, harassé de fatigues à son arrivée à Dieue. Il décide de se réconforter par une boisson rare autant que savoureuse. Il appelle Pierrot, c'est-à-dire Favalier, son inséparable planton, et le charge de lui trouver une bouteille de bière.

Pierrot s’élance à son allure normale : le pas de course. (Personne n’a jamais vu Pierrot marcher posément.) Il revient furieux et vexé. La gargotière à laquelle il s’est adressé lui a répondu ne pouvoir délivrer aucune boisson alcoolique sans le visa d’un médecin. Le Commandant, pas toujours commode, mais fatigué ce jour-là, ne dit rien et prépare philosophiquement, sur un quart de feuille, un «  Bon pour une bouteille de bière. », que Pierrot, toujours courant, va faire viser par notre nouveau médecin, un rude gars qui s’est fait aimer de suite, le docteur Tassy. Muni de son visa, Pierrot recourt au bistro, qui ne veut pas reconnaître comme valable la signature du médecin, non suivie d’un cachet. Refureur de Favalier, qui se doute du drame prochain !

Grande colère du Commandant, qui se précipite chez le bistro. Echange d’aménités, prise à partie du commandant de gendarmerie, qui passait justement devant la porte, et qui ne comprit rien à tout ce qui lui fut dit, et, enfin victoire du Commandant et de Pierrot, qui emportèrent la précieuse bouteille.

Ainsi pour nous, revenant du combat, la bière était boisson alcoolisée, alors que tout le monde savait à l’arrière que le commandant de gendarmerie V… tenait lui-même plus d’un flacon.

Nos chasseurs étaient jeunes, ils riaient de tout parce que l’esprit était excellent, mais tout de même, il y avait de quoi grogner !

 

Dans l’ensemble, le séjour à Dieue fut des plus agréables : temps splendide, gens aimables, un peu d’instruction militaire, et de nombreuses siestes au bord de la Meuse. Les gendarmes prétendirent bien encore que les chasseurs tiraient à coup de fusil les gros poissons en train de frayer : c’était probablement faux, car aucune suite ne fut donnée à leurs rapports.

Certes, la rivière était très poissonneuse et quelques spécialistes s’essayèrent, avec des engins légaux, en vue de l’ouverture prochaine. Ils ont dû réussir, si l’on en juge par certains déchets trouvés au abords des cuisines et popotes.

 

 

RANZIERES—VAUX-LES-PALAMEIX

 

 

Un séjour aussi agréable que celui de Dieue ne pouvait pas durer bien longtemps et, comme le chante si bien le troupier :

 

Les beaux jours passent vite !

Les beaux jours sont cours !

 

Le 23 mai, le Bataillon mettait sac au dos et prenait possession d’un secteur tranquille dans le bois de Loclon et le bois de Ranzières.

En cette saison, ces bois étaient splendides, et ne révélaient aucune trace de combat ; peu ou pas d’obus, premières lignes très calmes. Les Allemands étaient éloignés de nous de 300 à 400 mètres, ce qui est beaucoup dans une forêt touffue, et ne sortaient jamais de leurs tranchées.

Au Bataillon, au contraire, on profitait de cette situation exceptionnelle pour faire l’instruction des jeunes en dehors des tranchées, et, chaque jour, du matin au soir, des patrouilles allaient s’exercer, entre nos fils de fer et les tranchées allemandes, sous la direction des officiers et gradés, qui retrouvaient avec plaisir leurs belles qualités d’instructeurs. Malheureusement l’un deux, particulièrement sympathique à tous, le lieutenant Vaillant, commandant la 5e compagnie, fut grièvement blessé au cours d’un de ces exercices. Ce fut la seule perte de la période. Ce brillant officier sera tué plus tard au 65e B.C.P.

Pour les compagnies en réserve et le P.C, c’était cure d’air. Quelques exercices coupaient la béatitude de cette existence, et les jeux de bouchon, qui eurent bientôt une vogue énorme, s’installèrent dans tous les groupes, même au P.C. du Commandant.

 

Vers le 2 juin, le Bataillon s’étendit sur le bois Bouchot et la croupe de Montelet, puis s’installa dans le secteur de Vaux-les-Palameix au bois des Chevaliers.

A gauche, le labyrinthe du bois Baugny était le seul point sensible de la ligne ; à droite le bois des Chevaliers avait les mêmes caractéristiques que le bois Loclon, et les patrouilles se remirent au travail sans jamais rencontrer d’Allemands.

Toutefois, l’artillerie ennemie se montra assez active, et nous causa quelques pertes ( 2 tués, 7 blessés.) En somme, secteur calme, travail habituel de réfection des tranchées ou d’ouvrages nouveaux, compagnies de réserve au calme, mais très mal installées.

 

Le 15 juin est formée à Génicourt-sur-Meuse une nouvelle division, qui portera le n° 127, sous les ordres de général Briant.

La nouvelle 127e division est composé d’une brigade bleue (19e, 25e, 26e, 29e bataillons de chasseurs à pied) et d’une brigade d’infanterie (171e et 172e R.I.)

 

Le 17 juin, le 25e bataillon était relevé et allait cantonner aux Monthairons, coquette localité sur les bords de la Meuse ; il ne devait y rester que quatre jours, qui, cependant , marquèrent dans l’histoire du Bataillon ; c’est, en effet, aux Monthairons que se reconstituera la fanfare.

A leur départ de Saint-Mihiel, les fanfaristes, mobilisés comme brancardiers, avaient laissé leurs instruments : donc pas de fanfare. Mais l’esprit français ne peut guère concevoir une troupe sans gaieté, quelles que soient les tristesses de l’heure présente, et c’est avec joie que nous apprîmes que les instruments demandés par le Commandant venaient d’arriver.

Les brancardiers, anciens fanfaristes, étaient prêts à en prendre possession ; il ne manquait qu’un chef : ce fut W…., un gars de Nord, qui ne se désaltérait pas qu’avec de l’eau claire, et qui avait réellement l’étoffe d’un chef fanfariste.

Laurensot le seconda avec ses clairons, en attendant les trompettes non encore arrivées, et deux jours après, avec une belle rapidité, orgueil de nos chasseurs, la fanfare se produisait dans un concert suivi d’une retraite improvisée et escortée par tout l’effectif. Ce fut l’amorce de grandes fêtes de jour et nuit qui furent données par la suite.

Le surlendemain, on devait repartir  pour les Hauts-de-Meuse, mais on eut le temps de faire l’ouverture de la pêche, avec des engins légaux ; les deux rives de la Meuse étaient garnies de chasseurs attentifs, et ce fut un bon bain de soleil, avant les souffrances qui nous attendaient à Sonvaux.

 

 

SONVAUX (juin-juillet 1915)

 

 

Le 22 juin 1915, le Bataillon se rend à Sommedieue, il traverse Dieue, dont les habitants sont rassemblés par notre fanfare endiablée ; au passage, on retrouve des visages connus, les jeunes chasseurs esquissent des baisers, les moins jeunes laissent glisser un sourire, et les fillettes de l’endroit, aux yeux humides de larmes, regardent, une fois de plus ; ce beau bataillon se rendant joyeux à la bataille ; déjà elles l’on vu plusieurs fois partir ; elles se souviennent des retours à effectifs si réduits.

Mais le Bataillon a traversé le pays à vive allure ; il dépasse Sommedieue et va camper à la Fontaine Robert dans la Tranchée de Calonne.

Ce petit ravin, transformé en camp permanent, était bien l’endroit le plus sinistre que nous ayons connu comme lieu de repos ; très encaissé, sans eau, terriblement chaud, encombré de saletés parmi lesquelles circulaient une armée de gros rats, il portait à la mélancolie, d’autant plus que le Bataillon vivait dans une oisiveté pénible, en état constant d’alerte, ce qui supprimait les promenades extérieures. Aussi ce fut avec soulagement qu’on se dirigea vers la bataille, une première fois le 28 juin, en réserve d’un bataillon qui devait attaquer. L’opération est sans succès ; l’ennemi n’a pas été surpris, son bombardement est intense, et pendant deux jours nous recevons des coups sans les rendre, perdant 27 tués et 41 blessés.

Puis nous rentrons à Fontaine-Robert.

 

Trois jours après, nous revenons à Sonvaux pour prendre le combat à notre compte. Les tranchées prises par les Allemands sont une très grande gêne pour les troupes en secteur, et, de plus, si l’ennemi a le temps d’élargir son succès, il peut prendre les Eparges à revers ; il faut donc que nous réussissions à rétablir la situation et nous réussirons, le Bataillon n’a jamais connu l’échec.

 

Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1915, le Bataillon prend son dispositif ; en première ligne les 1re et 2e compagnies, en deuxième ligne, la 4e compagnie, les mitrailleuses, le Commandant  avec sa liaison, plus en arrière les pionniers et les corvées de matériel.

La crête de Sonvaux est tellement étroite que tous ces éléments sont serrés les uns contre les autres, s’abritant de leur mieux, dans des petites tranchées préparées à leurs intention par le 26 B.C.P, qui a amené à pied –d’œuvre les échelles de franchissement, le matériel et les munitions, aidant ainsi avec une grande camaraderie le Bataillon d’attaque.

Des 8h.45, notre artillerie commence son travail.

Les Allemands ripostent, et à 10h.15 l’assaut est lancé.

Les premières vagues entrent de suite dans la tranchée allemande et attaquent les anciens postes d’écoute fortement défendus ; cependant, l’opération a si bien réussi que nous en sommes nous-mêmes inquiets.

A peine avions-nous eu le temps de réfléchir à notre situation, qu’un bombardement ennemi excessivement brutal s’abattait sur la tranchée, écrasant les occupants ; bombardement infernal d’une grande densité, concentré facilement sur une crête vue de tous les observatoires ennemis et parfaitement connue d’eux ; par moments, les bombardements s’arrêtent pour permettre l’action des contre-attaques ennemies exécutées par un régiment de grenadiers très frais, spécialisé dans les attaques ; aucun assaut ne réussit.

Le bombardement recommence, pulvérisant tout, et cependant il reste assez de chasseurs pour repousser les grenadiers allemands. Puis l’ennemi accepte le fait accompli, il nous laisse la fameuse tranchée, et nous pouvons enfin nous occuper de nos morts et de nos blessés.

Jamais nous n’avions supporté une action aussi brutale, et même plus tard à Verdun, jamais les bombardements n’eurent une telle intensité sur un espace aussi restreint ; aussi ne saurait-on assez admirer les camarades qui ont vécu dans cet enfer, et qui ont su à chaque accalmie repousser avec pertes les fantassins ennemis.

Une fois de plus, en lisant de tels récits, que chacun se recueille et adresse de tout son cœur un souvenir admiratif et reconnaissant aux braves tombés en combattant.

Car les pertes ont été lourdes : 80 tués et 144 blessés. Les plus grièvement atteints étaient : le sergent Caget ( Théophile), sergent Lux (Maurice), 6e compagnie ; sergent Conseil (André) ; les chasseurs Chaudun (Fernand) 4e compagnie ; Lefèvre (Maurice) , 6e compagnie ; Giroldi  (Maurice), 4e compagnie ; Devos (Arthur), 4e compagnie ; le caporal Liénart, 6e compagnie ; les chasseurs Bochet (Albert), 4e compagnie ; Guillemin (Ulysse), 6e compagnie ; Dubus (Georges), 6e compagnie ; Cloteaux (Maxime), 2e compagnie. Pauvres corps mutilés qui resteront allongés, de longs mois, sur un lit de souffrances. Pour une action aussi courte et un espace aussi mesuré, le pourcentage est terrible, surtout parmi les officiers et gradés qui, malgré le tir ennemi, étaient présents dans la tranchée pour répondre aux contre-attaques et organiser le terrain.

Des trois commandants de compagnie engagés, deux sont tués. Le capitaine Breton, un ancien du début, dont le calme et l’expérience étaient si précieux au cours du combat ; le sous-lieutenant Duval, toujours aussi souriant et plein d’entrain, et déjà si expérimenté malgré son jeune âge.

Un autre était grièvement blessé à l’œil, Dufresne, un ancien du Bataillon venu récemment en renfort, et qui avait pris le commandement par intérim de la 2e compagnie. Enfin, le capitaine Dautel était grièvement blessé, il avait été l’âme de la résistance, et sa lucidité était parfaite malgré ses terribles blessures.

Le lieutenant Collin, des pionniers, était tué avant l’attaque ; Mauchauffé grièvement blessé, voyait sa section de mitrailleuses anéantie, un seul chasseur revenant indemne, et combien d’autres hélas !

Circonstance tragique pour nous, les blessés eurent à souffrir de maux inconnus jusqu’alors ; pas d’abris pour eux, la croupe de Sonvaux étant trop resserrée et en vue directe de l’ennemi ; impossible de les envoyer à l’arrière avant la nuit. C’est donc sur place et en pleine air, sous un soleil de plomb, que durent se donner tous les soins. Tassy, notre aide-major, fut superbe de calme et d’endurance ; lui-même fit tous les pansements. Or, les blessures étaient tellement nombreuses que certains blessés avaient leur corps presque entier entouré de bandelettes.

Mais la grande horreur fut la quantité de mouches vertes et bleues qui s’étaient développées dans cette région ; les blessés en étaient couverts, et, jusqu’au soir, les hommes valides de la liaison allaient de l’un à l’autre organisant des défenses de fortune contre cet ennemi d’un nouveau genre, enlevant à la main celles qui se glissaient dans les bouches entr’ouvertes…Mais il est impossible d’écrire jusqu’où allait une telle horreur, les rares survivants le diront, si toutefois le voile de l’oubli, qui s’épaissit si rapidement, ne rend pas leur auditoire incrédule et hostile.

Au milieu de cette désolation, le Commandant avait cependant la satisfaction de recevoir, dans l’après-midi, trois médailles militaires à remettre aux plus dignes des rescapés ; les heureux élus furent : l’adjudant Vignon, le caporal grenadier Marillier, à qui le Commandant remit la médaille dans la tranchée conquise où le calme se rétablissait, et le sergent Lecoeur, qui occupait avec quelques chasseurs le poste d’écoute qu’il avait repris.

Aller jusqu'à lui n’était pas chose facile, car le boyau qui réunissait le poste à la tranchée était rempli de frais cadavres de grenadiers ennemis. Lecoeur et le Commandant rampèrent à la rencontre l’un de l’autre, le Commandant, d’une voix forte, prononça la phrase réglementaire, une cordiale accolade suivit, puis chacun rampa à reculons. Il était temps, car les Allemands surpris par cet éclat de voix envoyaient de nombreuses grenades sur l’endroit que venaient de quitter nos deux gaillards. Enfin, le capitaine Dautel et le lieutenant Dufresne devaient recevoir plus tard la Légion d’honneur, qu’ils avaient vaillamment gagnée.

 

Puis tout se calma ; le Bataillon est relevé dans la nuit du 8 au 9 juillet ; il s’arrête quelques instants à  Sommedieue pour rendre les honneurs à nos tombes, et défiler devant elles aux sons de la Sidi-Brahim.

De là, il va se reposer aux Monthairons, d’où il sera embarqué en camions pour le grand repos.

 

 

 

REPOS

 

A leur descente des camions, les chasseurs sont tout étonnés de ne plus entendre le canon. C’est la première fois, depuis le début de la campagne, que l’on se sent en réelle et complète sécurité, et l’impression est curieuse : C’est un soulagement qui nous sera utile  pour nous reformer et nous reposer.

Le pays est agréable ou, plutôt, paraît enchanteur à ceux qui viennent de vivre des mois si durs. C’est en pleine campagne meusienne, non touchée par la guerre, à la limite de ce que fut la grande bataille de 1914.

L’état-major du Bataillon, les 1re, 3e, 4e, 5e compagnies, sont à Neuville-en-Verdunois : les 2e et 6e compagnies à Chaumont-sur-Aire. La vie s’organise rapidement ; nous sommes là pour longtemps, on nous l’a affirmé et, pour une fois, ce fait se réalisera puisque le Bataillon ne quittera Neuville que le 1er septembre.

La vie dans ce cantonnement n’offre pas grand intérêt pour l’histoire ; de l’instruction, quelques manœuvres, des parties de foot-ball, des concerts par la fanfare, dont les progrès sont rapides, et qui nous est souvent demandée pour aller donner au loin des auditions très appréciées. En dehors de cette partie militaire de notre existence, les chasseurs donnèrent l’aide la plus efficace aux femmes du pays, qui avaient à terminer les travaux agricoles de l’été ; ils s’y donnèrent de tout leur cœur, et en furent chaleureusement remerciés. De mauvaises langues prétendaient bien que les chasseurs allaient chasser le sanglier près de Benoîte-Vaux, mais ces potins ne furent jamais confirmés.

Inutile donc de raconter, par le menu, notre vie quotidienne, mais rappelons quelques faits plus saillants.

La première sortie du Bataillon, en dehors de sa zone de cantonnement, fut pour la ferme de la Vaux-Marie, théâtre de nos combats de septembre 1914. Sur place, les officiers firent une causerie à leurs chasseurs, puis le Bataillon, rangé pour la revue, rendit les honneurs en souvenir des camarades tués sur ce terrain, et enfin, les rangs étant rompus, chacun fut libre de rechercher plus particulièrement les souvenirs qui lui étaient chers.

Peu de traces de la bataille, quelques talus très allongés représentant les petites tranchées devenues tombeaux, quelques croix isolées, le tout submergé par les récoltes encore sur pied, et, si dans le lointain on n’avait pas vu les ruines de Rembercourt, de Beauzé ou d’Erize-le-Petite, on n’aurait plus osé affirmer que la guerre était passé par là.

 

Une prise d’armes est à signaler, parce qu’un camarade a conservé les noms qui y reçurent la croix de guerre : Bellot, Prévost, Hanet, Barbary, Crouet, Thomas, Calonne, Camus, Dumanois, Denaivres, Dusseaux, Wagner, Van Brabant, Jay, Urier, Noël, Dumoulin.

Que sont-ils devenus ? Combien d’eux ou de leurs parents liront ces lignes ?

Triste oubli qui, malgré la résistance acharnée de quelques-uns, gagne peu à peu, étouffant tous les souvenirs de guerre ou tout au moins les rejetant très au fond des pensées, comme des intrus gâchant la vie que trop de jeunes désirent facile et sans efforts.

Enfin, un petit séjour à Récourt où, pendant une semaine, le Bataillon travaille aux lignes de défense autour de Verdun, séjour désagréable parce que Récourt, plus rapproché du front que Neuville, est occupé par de nombreux services de l’arrière, dont les habitudes étaient depuis longtemps fixées. Les chasseurs furent mal reçus, ils s’en formalisèrent et conservèrent un très mauvais souvenir de la semaine passée là.

A Neuville, on reçut de nombreux renfort parmi lesquels les anciens, comme le capitaine Dumont et le lieutenant Migeot, furent chaleureusement accueillis.

N’oublions pas non plus que c’est de Neuville que partirent les premiers permissionnaires.

Ce n’est pas sans appréhension que le Commandant se demandait quel serait le résultat de ce contact entre l’avant et l’arrière pour ceux qui, depuis le début de la campagne, étaient restés dans la zone de feu.

Mais le moral des combattants était si parfait, que tous rentraient de bonne humeur, satisfaits de retrouver les camarades et la vie honnête et rude de l’avant, ne ménageant pas les critiques sur ce qu’ils avaient vu et supporté pendant leur voyage.

Déjà l’avant n’était pas content de l’arrière, cette mésintelligence entre ces deux parties du territoire ne devait que s’accentuer, car très rares étaient les employés militaires et militarisés de l’arrière qui surent comprendre quels étaient les dangers et les souffrances qui composaient la vie habituelle de ceux de l’avant.

 

Le 1re septembre, le Bataillon alerté, va vers de nouvelles destinées.

Il fait nuit, les tuyaux circulent, mais le secret est bien gardé, personne ne devine la destination ; le Bataillon continue sa route, il somnole, commence à sentir la fatigue, mais il marche quand même et ne s’arrête qu’à la Neuville-aux-Bois, dans la vallée de l’Aire. Puis, chaque nuit, la marche reprend, on se repose de jour à Vernancourt, Saint-Amand-sur-Fion, puis Coupetz, petit village de la triste Champagne, où le Bataillon stationne encore.

Cette fois tout le monde a compris, c’est en perspective la grande offensive de Champagne qui est envisagée avec confiance et bonne humeur.

Mais les jours se passent en manœuvres ou en marches d’entraînement, et, malgré le beau temps, l’ordre d’attaque n’arrive pas. Cependant le 15 septembre, on se rapproche du front par la Cheppe et l’Epine où l’on commence à rencontrer de nombreux rassemblements de cavaliers, et, enfin dans les petits bois entre Suippes et Perthes. C’est le bivouac sous la petite tente ; les troupes sont serrées, les moindres boqueteaux sont occupés par des troupes d’attaque ou des batteries tirant jour et nuit, car la préparation, est commencée.

La fièvre règne partout, le 24, le Commandant lit l’ordre du jour, annonçant l’attaque. Jamais on n’avait ressenti tant d’espoir et tant de confiance en soi ; on ne court pas à la bataille, mais au succès que l’on croit certain.

Les tempéraments les plus calmes entrevoient la fin de la guerre par une victoire décisive…qu’il faudra attendre encore pendant plus de trois ans.

 

Après septembre 1915

(Suite vers page 2)

 

 

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