Les opérations de la 5ème armée française

août 1914

 

 

 

 

Quoiqu'on en ait dit, la violation du Luxembourg d'abord, de la Belgique ensuite, ne devait pas laisser de doute dans l'esprit du Haut Commande­ment sur le sens au moins, sinon sur le developpement,de la manœuvre allemande. Le général en chef était decidé, dès le premier jour, à porter son principal effort dans la partie nord du théàtre d'opérations.

 

Le général Lanrezac, qui commandait la 5e Ar­mée, aile gauche du dispositif général, avait reçu l'ordre de grouper ses Corps (1e, 3e, 10e et 11e C. A.) de manière à pouvoir agir en forces contre un ennemi qui deboucherait de Mézières, ou, le cas échéant, à passer lui-même la Meuse, en liaison avec la 4e Armée.

 

Un groupe de divisions de réserve (général Valabrègue : 51e, 52e, 69e D.R.), qui s'ajoutait à la 5e Armée vers l'ouest, recevait la mission d'organiser une position autour de Vervins, afin d'assurer notre debouché face au nord ou face à l'est suivant les circonstances. Pour prévoir et prévenir ces événements, un Corps de cavalerie (général Sordet : 1e, 3e, 5e, D.C.), rassemblé à l'est de Mézières, était envoyé, dès le 5 août, reconnaître les mouvements ennemis dans la région au nord de Neufchâteau (Luxem­bourg belge)

 

Les divisions du général Sordet étaient ainsi entrées les premières en Belgique, accueillies partout avec enthousiasme. Dès le 8 août, elles avaient franchi la Lisse, et le soir, elles étaient à 10 kilomètres de Liège, après avoir parcouru plus de cent kilomètres en deux étapes. Elles n'avaient rencontré aucune résistance sérieuse.

Les cavaliers allemands se dérobaient; tout le pays, du sud-ouest de la Meuse à l'Ourthe, paraissait vide d'infanterie. Le général Sordet ramenait le 9 août le gros de ses forces dans la région de Rochefort, et il s'arrêtait enfin derrière la Lesse, dont le 45e régiment d'infanterie gardait les passages.

 

Le 10 août, les débarquements de la 5e Armée étaient presque achevés.

Les 3e, 10e et 11e Corps assuraient la garde des ponts de la Meuse, le 11e C.A. vers Mouzon, le 10e vers Sedan, le 3e jusqu'à Mézières.

Le 1e Corps d'Armée les cou­vrait au nord, dans la région Mézières-Rocroi.

On savait dejà le 10 août que les Allemands avaient poussé autour de Liège et derrière l'Ourthe les éléments de sept ou huit Corps d'Armée, et qu'environ deux divisions de cavalerie ennemie étaient au contact des avant-postes de l'Armée belge, rassemblée derrière la Velpe.

Le général Lanrezac, qui pressentait tout le danger de cette menace allemande sur la Meuse, demandait à s'étendre vers le Nord et à se garan­tir d'une surprise en portant le 1e Corps d'Armée dans la direction de Givet. Il y était autorisé; et le général Franchet recevait l'ordre, dès le 12, de partir le lendemain pour se trouver, le 14, à l'est de Philippeville, avec mission de s'opposer aux tentatives de l'ennemi s'il cherchait à franchir la Meuse entre Givet et Namur.

 

Le Haut Commandement ne négligeait pas, autant qu'on l'a dit, la 5e Armée ; et s'il est vrai qu'il cherchait ailleurs la victoire, il ne pensait pas qu'elle pût être obtenue sans la participation de son Armée de gauche.

Le Corps de cavalerie, qui n'avait pas davan­tage rencontré de résistance dans la zone Gedinne ­Neufchâteau-Paliseul, recevait l'ordre de se por­ter definitivement au nord de l'Armée Lanrezac, tandis que les 37e (général Comby) et 38e (général Muteau) divisions d'Algérie, nouvellement debar­quées, étaient acheminées vers la Belgique.

 

Le Haut Commandement n'entrevoyait peut-être pas encore le développement de la manœuvre allemande au-delà de la Meuse. Mais le général en chef souhaitait évidemment que nous fussions en état d'intervenir sur le front Beauraing-Gédinne ­Paliseul, c'est-à-dire au débouché des Ardennes belges, où il comptait bien trouver la droite ennemie.

 

 

Les 14 et 15 août, l'or­dre de Lamar­che en avant était impa­tiemment attendu au Quartier Gé­néral de Re­thel. Mais le général Joffre répétait qu'il ne voulait attaquer que « toutes forces réunies »; et, si là 3e Armée était prête.

La 4e ne se trouvait pas encore à pied d’œuvre.

L'ennemi semblait se retrancher derrière l' Ourthe.

 

On pouvait croire alors que son demi-échec à Liége était pour quelque chose dans cette pru­dente réserve. Faut-il penser que ce n'était la qu'un piège tendu à la « furie française », et que nous dussions faire le jeu de l'Allemagne en nous aventurant trop vite au-delà de la Sambre ?

Il est permis d'admettre également que l'adversaire achevait de tout assembler, de tout régler dans le détail, pour que, l'heure venue, la grande pensée de Schlieffeh, la manœuvre enveloppante, se révélât dans toute son ampleur.

Il était maintenant avéré que les Allemands avaient douze ou treize Corps d'Armée en Belgique. Encore omettait-on quelques Corps d'Armée actifs, non identifiés, et cinq ou six Corps de réserve.

La question était de savoir combien d'unités se pré­paraient à passer la Meuse, et jusqu'où s'étendait, vers le nord, la droite ennemie.

Le général Lanrezac se rendait alors au Grand Quartier Gé­néral, mais ne parvenait pas à convaincre le général Joffre de l'imminence du péril. Ren­tré à Rethel, le général Lanrezac sup­pliait encore le général en chef de laisser la 5e Armée s'éta­blir au nord de Givet.

Le Grand Quartier Gé­néral, un peu ébranlé, consentit à ce que le dispo­sitif fût élargi sur la gauche, vers Renwez et Monthermé.

 

 

Combat de Dinant

 

Le 1e Corps d'Armée était entré en Belgique le 14 août.

Il avait atteint, en fin de marche, la région au nord-est de Philippeville.

Dans la nuit du 14 au 15, il était soudain alerté, et se portait en hâte vers Dinant, où l'ennemi attaquait avec vigueur notre 148e régiment d'infanterie.

Que s'était-il passé ? Depuis le 6 août, la 8e bri­gade (général Mangin) tenait les ponts sur la Meuse. L'ennemi s'infiltrait dejà sur la rive droite, à Anseremme et à Yvoir. Mais il ne poussait encore en avant que des reconnaissances apparte­nant à sa 9e division de cavalerie et à la division de cavalerie de la Garde. Nos patrouilles, toujours en éveil, pourchassaient les cavaliers allemands et ramenaient chaque jour des prisonniers.

 

Mais l'ennemi se rendait compte que, sur un front de 20 kilomètres, d'Hastières à Yvoir, nous ne maintenions sur la Meuse qu'un seul régiment. Les passages pouvaient donc être enlevés par sur­prise.

Dès le 14 août, nos éclaireurs signalaient d'importantes forces de cavalerie en marche sur Dinant.

L'alerte était donnée aussitôt.

Le 33e régiment d'infanterie (2° division) rece­vait l'ordre de diriger sur Dinant et Bouvignes deux de ses bataillons (1e et 3e), et d'envoyer l'autre (2e) à Anseremme, où une attaque avait été prononcée vers le soir, appuyée par le canon.

La nuit fut cependant relativement calme. Mais au petit jour l'infanterie allemande descendait vers les ponts, à Houx, à Yvoir, à Bouvignes et à Anseremme.

Sur ce dernier point, la 5e com­pagnie du 33e R.I. et la 9° compagnie du 148e R.I. avaient beaucoup de peine à briser l'étreinte adverse.

Sur Dinant convergeaient les principales forces allemandes.

Le combat s'engagea dès 5 h. 1/4 par une violente canonnade. Bientôt les uniformes gris-vert apparurent à moins de 500 mètres du fort, que deux compagnies du 33e régiment d'in­fanterie occupaient seulement depuis le matin.

A 9h30, notre dernière ligne de défense avancée devait se replier.

Sur le terre-plein, battu avec précision par l'artillerie ennemie, quelques-uns de nos fantassins, habiles tireurs, parvenaient à arrêter pour un temps l'adversaire. Deux sections de la 10e compagnie et les débris de la 12e compagnie se tenaient en réserve, dans les abris.

A 11 heures, les Allemands atteignaient la porte du fort. Nos sections contre-attaquèrent furieusement, mais furent décimées par le tir des mitrailleuses. Grâce au dévouement d'une quin­zaine d'hommes qui se firent tuer sur place, les survivants purent s'échapper au moment précis où les Allemands envahissaient le fort.

L'ennemi, en possession de la citadelle, dirigea aussitôt un feu meurtrier sur les compagnies du 148e et du 33e régiment d'infanterie, déployées en bas, derrière les parapets du quai et aux abords de la gare. Nous n'avions pas d'artillerie.

Nos pertes furent lourdes. Vainement nos contre-attaques tentèrent d'enrayer l'avance ennemie. Les Allemands envahirent le faubourg Saint­ Nicolas, passèrent le pont, et se retranchèrent sur les lisières est de la ville.

 Le lieutenant­ colonel commandant le 33e régiment d'infanterie organisa une ligne de repli à hauteur du cime­tière, avec sa 3e compagnie et les 1e et 4e compagnies du 73e régiment d'infanterie, accourues en renfort.

 

Dès qu'il apprit que l'ennemi avait franchi le pont de Dinant, le général Deligny, commandant la 2e division du 1e Corps d'Armée, prescrivit au 8e régiment d'infanterie installé à Werlen, et au 73e régiment d'infanterie installé à Weillen, de passer à la contre-attaque.

Celle-ci fut menée si vigoureusement que les deux régiments, malgré un feu violent de mitrailleuses, abordaient à 16 heures les lisières ouest et sud-ouest de Dinant, culbu­taient l'adversaire, franchissaient la Meuse, esca­ladaient, dans un élan irrésistible, les pentes de la citadelle et abattaient le drapeau allemand aux applaudissements de la population enthousiaste.

Notre cavalerie poursuivait les éléments ennemis, qui battaient en retraite. Le 73e régiment d'infan­terie avait perdu une cinquantaine d'hommes, le 8e environ trois cents hommes, dont un comman­dant, quatre capitaines et trois lieutenants.

Le 33e régiment d'infanterie, le plus éprouvé, laissait treize officiers et six cents hommes sur le champ de bataille.

 

Les Allemands avaient engagé des forces impor­tantes : plusieurs régiments de cavalerie appar­tenant à deux divisions, qu'appuyaient trois bataillons de chasseurs. Ils subissaient là un échec dont les conséquences eussent pu devenir plus graves si le général Sordet qui, ce soir-là, repassait la Meuse à quelques kilomètres en amont, n'eût pas hésité à engager ses divisions fatiguées dans un terrain qu'il jugeait particu­lièrement difficile.

Cependant, comme il était à prévoir que l'at­taque serait prochainement reprise avec de nou­veaux moyens, il importait d'organiser sur la rivière même une defense plus solide.

La 1e divi­sion du 1e C. A. garderait les ponts de Givet à Anseremme, la 2 division d'Anseremme à Anhée, tandis que la 8e brigade reconstituée (45e et 148e régiments d'infanterie), et mise à la disposition du 1e C. A., s'installerait vers Rouillon, en liaison avec les troupes belges de Namur.

 

 

Marche de la 5e Armée vers le nord

 

 L'alerte avait été sérieuse. Dès le 15 août, à 9 heures, le général Joffre autorisait le général Lanrezac à préparer le mouvement vers le nord de deux Corps d'Armée, en plus du 1e C. A.; l'ordre de départ était lancé le soir même, à 19 heures.

 

La 5e Armée laissait cependant à la garde des pas­sages de la Meuse le 11° C. A., ainsi que les 52e et 6e divisions qui passaient à la 4e Armée, dont les avant-gardes attei­gnaient, enfin, la ri­vière.

Mais si elle perdait ces effectifs, la 5e Armée récupé­rait les deux divisions d'Afrique du général Comby et du général Muteau, et le 18e C. A. était retiré de la 2 Armée pour dé­barquer, le 18 août, dans la région d'Avesnes à Hirson, à l'aile gauche de l'Armée Lanrezac.

En outre, la 51e divi­sion de réserve (géné­ral Boutegourd), détachée du 4e groupe, était acheminée vers la Meuse pour pro­longer au nord la 52e division de réserve et relever le 1e C. A. à la garde des ponts. Et le groupe des divi­sions de réserve était mis à son tour à la disposition de la 5e Armée ; la 53e divi­sion de réserve (géné­ral Perruchon) et la 69e division de réserve (général Le Gros), qui se trouvaient à Vervins, recevaient l'ordre de monter vers la Sambre afin d'assurer la liaison entre le 18e C. A. et l'Armée anglaise.

 

Celle-ci poursuivait alors sa concentration dans la région sud-ouest de Maubeuge ; le maréchal French, dont le Quartier Général était établi au Cateau, avait promis au général Joffre d'être prêt à marcher le 21, pour prendre place à la gauche de la 5e Armée.

Afin de mettre nos communications fluviales et ferrées à l'abri des incursions possibles de cou­reurs ennemis, le Haut Commandement avait demandé au Ministre de la Guerre de constituer, à l'extrême gauche des Armées, un « barrage » de Maubeuge à Dunkerque, barrage constitué par des divisions territoriales sans emploi sur les côtes.

Ces divisions 81e (général Marcot), 82e (général Vigy), 84e (général de Ferron), furent placées sous le commandement du général d'Amade, qui établit à Arras son Quartier Général.

 

Cependant, le 18 août, tandis que les 3e et 10e C. A. entraient en Belgique par les routés de Couvin et de Chimay, le général en chef doutait encore de la portée de la manoeuvre alle­mande. On avait identifié à peu près tous les Corps actifs opérant dans le Luxembourg et en Belgique ; on ne les croyait formés qu'en deux groupés distincts : au nord, groupement d'aile droite composé de sept ou huit Corps d'Armée et de quatre divisions de cavalerie; au sud, grou­pement central entre Bastogne et Thionville, formé de sept ou huit Corps d'Armée et de deux ou trois divisions de cavalerie.

 

Les instructions reçues le 18 août à la 5e Armée envisageaient encore le cas où l'ennemi n'engagerait au nord de la Meuse qu'une partie de son groupement d'aile droite : alors la 5e Armée, laissant aux troupes anglaises et belges la mission de tenir tête aux forces allemandes, se rabattrait par Namur et Givet en direction de Marche ou de Saint-Hubert, et conjuguerait son effort à celui des 3e et 4e Armées.

 

Si, au contraire, le groupement ennemi du nord, suivant les deux rives de la Meuse, cherchait à passer entre Givet et Bruxelles, et même au-delà, la 5e Armée française, disposant du Corps de cavalerie et opérant en complète liaison avec les Armées anglaise et belge, s'oppo­serait directement à ce mouvement en cherchant à déborder l'ennemi par le nord, pendant que les 3e et 4e Armées attaqueraient le groupement cen­tral allemand pour le mettre hors de causé, afin que la 4e Armée pût enfin marcher sur le flanc gauche du groupement ennemi du nord.

 

La 5e Armée approchait de la Sambre. Il fai­sait une chaleur accablante. Profitant du beau temps, les aviateurs ennemis épiaient la marche des colonnes. Nous réussîmes à abattre un avion qui survolait la Meuse, vers Hastiéres. L'examen des papiers trouvés sur le piloté révéla l'exis­tence d'une Armée allemande entre Liège et Namur, Armée composée de quatre C. A. actifs (VIIe , IXe, Xe Corps d'Armée, et Garde), suivis de trois Corps de réservé.

Il s'agissait là de la 2e Armée, commandée par von Bulow. On con­naissait l'existence de la 1e Armée de von Kluck, qui pouvait être l'échelon signalé autour de Liège, une troisième Armée formant le groupement signalé a l'est de Dinant. Nos prévisions don­naient à l'ennemi un maximum de douze Corps d'Armée.

Nous allions en rencontrer seize.

 

La manoeuvre adverse ne tardait pas à se pré­ciser.

Les IIe (von Bulow) et IIIe (von Hausen) Armées allemandes s'étaient mises en marche le 18 août. L'Armée belge, débordée, battait en retraite sur Anvers, notre Corps de cavalerie étant arrivé trop tard au nord de la Sambre pour lui porter secours.

 

Ce Corps de cavalerie se heur­tait, le 19, à des détachements de toute armés, et devait se replier derrière la ligne Charleroi­-Nivelles. La cavalerie allemande, qui suivait de prés le IVe Corps ennemi, traversait Bruxelles le 20 août, se dirigeant vers l'ouest et le sud-ouest.

 

Devant ces faits, les 3e et 4e Armées françaises recevaient, au matin du 24 août, l'ordre de se por­ter en avant pour l'offensive générale en direction de Neufchâteau et d'Arlon, pendant que la 5e Armée prendrait pour objectif le groupement ennemi du nord, en s'appuyant sur Namur.

 

Le 21 août, le général Lanrezac n'avait que les 3e et 10e C. A. et les 37e et 38e divisions d'infante­rie en état de franchir la Sambre. Il estima trop périlleux de livrer bataillé avec la moitié de ses forces et une rivière à dos. Il jugeait que la 5e Armée arrivait trop tard. Si l'ennemi ne se montrait pas, peut-être pourrait-on prendre l'offen­sive le 23, toutes forces réunies. En attendant, il valait mieux prévoir une attaque.

Les positions de la 5e Armée, au sud de la Sambre, étaient bon­nes.

 

La véritable défense ne se ferait pas sur les ponts, ou en contrebas, parmi les maisons et les charbonnages, mais sur le plateau propice aux manoeuvres d'infanterie et à l'emploi de l'artillerie.

 

 

Texte tiré de « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants, en 2 tomes Aristide Quillet, 1922 »

Et de Michelin, guide des champs de bataille 

 

 

 

 

 

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Suite des opérations de la 5ème armée : Charleroi

 

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